Différences entre les versions de « Argent public ne doit payer que une fois Elie »

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Version du 24 mai 2016 à 11:02


Titre : L'argent public ne doit payer qu'une fois.

Intervenant : François Èlie

Lieu : Fêtons Linux - Genève

Date : Avril 2013

Durée : 1 heure 03 min

Licence : Verbatim

Pour visualiser la vidéo



Statut : transcrit par MO, relu avec le son par DMrelecture ortho en cours MO

00'

Je vais vous parler du sujet que je connais le mieux qui est la question du logiciel libre dans les administrations, les collectivités territoriales. Je suis président de l'association Adullact[1], qui est née en 2002, pour développer, constituer, promouvoir un patrimoine de logiciels libres métier, payé sur fonds publics. À cette époque, comme je le disais tout à l’heure, il y a un peu plus de dix ans, la conscience était assez mûre pour dire il faut faire quelque chose. Mais comme personne ne le faisait, on s'est dit, avec quelques-uns, on va le faire.

Je vais partir de fondamentaux, faire un rapide panorama historique, mais j'irai vite parce que vous en savez sans doute plus que moi sur la plupart des choses que je vais dire sur la question historique. Ensuite me concentrer sur ce que j'ai écrit dans un petit ouvrage qui s’appelle Économie du logiciel libre, et enfin, revenir sur qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'on peut faire avec l'argent public et comment on peut le faire ?

Tout à l'heure, sur l'école, je vous ai montré que le logiciel libre était peut-être un grand sujet. Si on regarde de manière générale on rentre dans la société de l'information, les logiciels traitent l’information. Donc le statut juridique, technique, le mode de production, la question « qui produit ces logiciels ?», devrait être un sujet extrêmement important. Ce qui est fâcheux c'est que tout le monde s'en fout ! Ce sont les sujets connexes, données publiques, alors maintenant ça s'appelle open data parce que c'est plus sexy, mais données publiques, espace public, standards ouverts, logiciels libres. Voilà, ça ce sont les enjeux. Donc, c'est un sujet énorme.

Alors je vais dire un mot sur le logiciel libre, regarder sur l'économie et regarder ensuite sur l'argent public.

Un logiciel, je ne vais pas vous apprendre ce que c'est. C'est comme de la cuisine. L'analogie que fait Richard Stallman : il y a le code source, il y a le code exécutable. Sauf que pour réaliser de la cuisine, tous les cuisiniers vous diront qu'il faut de bons produits et pour exploiter le code source d'un logiciel il suffit d'un compilateur ou d'un interpréteur, enfin il n'y a besoin de rien quoi, il n'y a pas besoin d'ingrédients. Et la différence entre le code source et le code exécutable, c'est le rideau, le rideau dans l'école de Pythagore qui séparait les Mathématiciens des Acousmaticiens. Et ceux qui s’imaginent qu'ils n'ont que le code exécutable ne savent pas qu'ils pourraient avoir le code source, ils pourraient le modifier, etc. Je vous l'ai dit tout à l'heure. C'est comme les mathématiques qui ont commencé par être propriétaires et aujourd’hui, ce à quoi on assiste, c'est à la libération de l’informatique, mais on a déjà vu ça, la libération des mathématiques.

Alors on parle de 4 libertés. Vous savez tous ça par cœur, ce n'est pas le logiciel qui est libre, c'est vous et vous avez la liberté d'utiliser le logiciel pour tous les usages. Par exemple, vous pouvez mettre un CD d'un OS propriétaire dans un cerisier pour empêcher les oiseaux de venir, ça marche très bien, mais vous n'avez pas le droit de le faire ! Avec un logiciel libre, vous pouvez le faire. Pour tous les usages.

Liberté de copier le logiciel, de l'étudier, de le modifier si vous le pouvez. C'est comme des mathématiques. Exactement les mêmes libertés que vous avez depuis vingt-cinq siècles sur les mathématiques. Il est très impoli de dire que c'est vous avez créé, que vous avez imaginé la conjecture de Fermat ou le théorème de Pythagore, par contre vous pouvez l'utiliser, le redistribuer. Voila.

Nous sommes aujourd’hui avec le numérique en train de quitter le monde platonicien. Je reviens à un peu de philosophie. Nous étions dans un monde où l'original valait mieux que la copie. Nous entrons dans un monde où, pour les objets numérisés, l'original est identique à la copie. Il n'y a aucun moyen de les distinguer. Et il y a un effet économique intéressant, c'est que la distribution de ces objets numériques se fait à coût marginal nul. Alors ce qui est intéressant c'est que les économistes fixent le prix d'un objet sur le coût marginal de distribution. Son prix est tendanciellement égal à 0. Donc le numérique, une fois produit, devrait être gratuit. La question après c'est comment on le produit.

Il y a 2 moyens de voir le numérique. Soit on reste dans le monde des choses, et on s'arrange pour que surtout ces objets numériques se vendent comme des choses, comme avant. Soit on ouvre et on exploite selon des modes de production qui soient adaptés à ce mode de distribution très particulier.

Au passage il y a un lien avec une autre question qui est la question du développement durable. Jean-Baptiste Say, un économiste français du 19e siècle disait, il parlait des biens libres, vous savez l'eau, l'air, enfin l’eau on la paye déjà, l'air bientôt. Ces biens libres ne le sont plus ! Mais, en même temps, nous sommes capables de produire des biens libres numériques. C'est intéressant que cette conjonction historique fasse que nous avons les deux problèmes en même temps. Nous pourrions produire autrement, nous pourrions consommer autrement. Et les deux problèmes sont des problèmes de changement. Ça c'est beaucoup plus cher.

Alors je passe un peu rapidement sur l'histoire. La naissance de l'informatique, début des années 70, la naissance de l'informatique au sens de la science dont je parlais tout à l'heure, elle a déjà été imaginée cette science, mais la technologie naît à ce moment-là, les instruments pour la portabilité des logiciels, Unix, le langage C, l'idée des réseaux, on commence à dessiner les premiers réseaux, la miniaturisation, les idées de Von Neumann viennent là, rentrer dans la technologie.

Et puis je passe volontairement cet épisode du milieu des années 80, où a déferlé le PC, où on a cru que l'informatique était née parce qu'il y avait des PC partout. En fait, en 1996, en mars, lorsque le nombre de serveurs commence à doubler tous les mois, pour les joueurs d'échecs vous savez que quand ça double tous les mois, ça commence à devenir important, il se passe quelque chose. Donc la mise en réseau de la planète et qu'est-ce qui s'est passé ? J'ai mis 2 points slash/../. C'est la victoire d'Unix. Les URL sont codés comme dans Unix. Pas avec l'antislash débile de Windows. Donc c'est Unix qui gagne. Et qu'est-ce qui se passe ? Et bien le retour de l'informatique sérieuse contre l’informatique familiale. Je n'ai rien contre les OS propriétaires, mais c'est quand même de l'informatique familiale. Donc l'arrivée du logiciel libre, ce sont les gens qui vont donner, qui vont partager ce qu'ils font. Richard Stallman, Tim Berners-Lee avec HTTP, HTML, et puis Éric Raymond pour essayer de penser ce qui se passe. Si vous n'avez qu'un article à lire, lisez La Cathédrale et le Bazar. Quelqu'un qui n'y croit pas, qui se dit « c'est impossible ! Enfin, les logiciels ça se fait avec quelques gourous, des gens qui sont des dieux de l'informatique, qui font ça quelques-uns comme des grands cuisiniers. » Et là, l'idée de faire ça en réseau avec un merdier indescriptible. Comment on va gérer ce bouzin ? Éric Raymond observe que, à sa propre surprise, il n'y croyait pas, ça marche ! Voila. On observe !

8'50

Qu'est-ce que c'est que Linux ? On est en train de fêter Linux, c'est le retour d'Unix libre, c'est tout. C'est le retour de l’informatique sérieuse. Si j'ai une chose à dire aux gens qui me demandent ce que c'est que le logiciel libre, je leur dis « c'est tout le contraire de ce que vous pensez. Ce n'est pas le petit pingouin que j'ai à la boutonnière qui vient mordre les bottes de géant de Windows. C'est simplement l'informatique sérieuse qui revient pour balayer l'informatique familiale. »

Alors les choses ont avancé assez vite, je vous ai parlé de Bernard Lang tout à l'heure. 98 à la Mutualité, vous avez aussi, avec des lunettes, Jean-Claude Guédon, c'est celui qui a inventé le mot courriel. Des gens qui ont compris qu'il y avait un enjeu économique sur le logiciel libre, très tôt. On continue le petit patchwork historique. À cette table ronde, j'y étais et je me souviens très bien la gendarmerie nationale annonce en 2008 qu'en 2013, nous y sommes, la quasi totalité du parc de la gendarmerie nationale, 70 000 machines dans toutes les brigades sera sous Linux, avec un poste de travail complètement libre. La migration est quasiment achevée en ce moment.

Donc il y a des choses qui sont possibles et je m’arrête un instant sur la gendarmerie parce que c'est une migration fabuleuse. Les gendarmes sont des geeks, ils étaient passionnés de radio, ils étaient radio-amateurs, ils étaient informaticiens et puis pour faire des PV plus vite, c'est leur métier , ils avaient bidouillé des applications à quelques-uns de manière collaborative, la nuit, pour leurs copains. Tout ça se savait, mais on les laissait faire parce que c'était efficace. Et lorsqu'il a fallu connecter toutes les brigades de gendarmerie à l'internet, on s'est dit, il va falloir blinder tout ça, il va falloir avoir beaucoup moins d’informatique grise. Et donc il y avait 2 choix : soit on met tout au carré, on met tout d'équerre en disant « Bon, allez, fini les amateurs, on va laisser parler les professionnels, on va vous faire un bureau verrouillé » ; soit on dit aux amateurs connus de tous les gendarmes, ce que vous avez fait la nuit, vous allez le faire le jour et vous serez la Dream Team de la gendarmerie. C'est ce qu'ils ont fait et ça marche. C'est comme ça qu'il faut faire. Un jour j'avais un chef d'entreprise qui me dit « Tu ne connais pas un webmestre pour mon site ? » Je dis : « Eh bien t'as un concierge !

- Comment ça j'ai un concierge ?

- Oui ! Ton concierge il fait le site web de son équipe de foot ; c'est un super site web. »

Bon il n'est plus concierge aujourd'hui. Voilà, on prend les ressources où elles sont, on se renseigne. Il ne de richesse que d'hommes. Les gens ne travaillent pas pour l'argent, ils travaillent pour la reconnaissance, avant tout. Et puis voilà, je m’arrête là.

En 2010 Microsoft, la pub avait un kakemono « Optimisez la performance de vos serveurs Linux ! »

Voilà. Vous connaissez la formule de Ghandi : « Ils vous ignorent, ils se moquent de vous, ils vous combattent et puis vous gagnez ! » On devrait ajouter juste avant, ils vous imitent, parce que ils y viendront. Ils sont en train d'étudier les forges, ils sont en train de s'apercevoir que ça marche mieux, ils le savent depuis 99. Ils savent qu'ils ont perdu. Même chose, Éric Raymond. Vous regardez le rapport Halloween, Bill Gates avait posé deux questions à ses ingénieurs : « Faut-il craindre l'open source ? Si oui », il pensait que la réponse serait oui, « si oui que faut-il faire ? » Donc la réponse a été « oui, ils vont trop vite, on ne peut rien faire, techniquement on est dépassés. Et ce qu'il faudrait, eh bien, c'est se battre sur le terrain juridique. La bataille est juridique, elle n'est pas technique. » Et le jour où ils auront échoué à nous empêcher de faire ce que nous faisons, eh bien ils libéreront les codes. Et le jour où l'action commence à descendre, vous verrez, le code sera libéré. Je suis absolument persuadé que c'est dans les cartons.

13'10

Alors, voilà posé le cadre de ce que c'est que le Libre. Maintenant je voudrais m'attarder un instant sur les modèles économiques. Je suis professeur de philosophie et l'économie c'est un truc d'Aristote. Aristote pensait que l'économie c'était d'abord la question de la production. Aujourd'hui quand on parle d'économie on parle de marketing, on parle de commerce. Je ne suis pas en train de vous parler de l'achat et de la vente de logiciels, mais de la production de logiciels. C'est ça l'économie, c'est la production. Après il faut distribuer, mais c'est autre chose.

Apparemment c'est un univers assez compliqué, extrêmement incohérent, on s'y entraide mais on est compétiteurs, tout à l'heure j'ai eu une question « est-ce que vous préférez vi ou emacs ? » Oui bien sûr, ce sont des forges dans tous les coins, c'est Gnome et KDE, c'est du gâchis, ce sont des gens qui s’entre-tuent. En même temps ce sont des gens qui donnent ce qu'ils ont. Mais en même temps c'est une infâme méritocratie. Si on veut réussir dans ce monde-là, il faut être bon. Là l'image ne compte pas. Et puis, ce qu'il faut retenir, c'est cet effet de réseau qui produit un ordre émergent ce qui a surpris Éric Raymond c'est qu'on arrive dans le mode bazar à produire des trucs qui tiennent la route. Étant entendu, j'y reviendrai, que la notion de communauté est une notion qui nous fait chaud au cœur, qui nous rassure, qui nous évoque le Larzac, c'est sympathique, mais la vie des communautés, c'est quand même une vie de solitude. Si vous allez voir sur la granularité des projets sur source forge, la moyenne du cardinal d'une communauté est légèrement supérieure à 1. Une communauté c'est quelqu'un qui cherche quelqu’un. C'est ça une communauté. Une des plus puissantes communautés c'est la communauté Debian, je crois qu'ils ne sont pas 2000 sur la planète. C'est tout petit une communauté !

Alors apparemment c'est une économie tellement paradoxale que certains voudraient y voir un nouveau paradigme, une économie de la gratuité et puis des alternatives au capitalisme, enfin que sais-je. C'est vrai que nous avons des objets qui sont des biens non rivaux. Comment est-ce qu'on pourrait faire une économie qui tienne la route là-dessus ? Il y a un concept intéressant qui est la coopétition, jusqu'où coopérer et ensuite devenir concurrents ? En réalité on s'aperçoit que dans toutes les activités humaines, il y a de la coopétition, il y a un moment où on a intérêt à coopérer, il y a un moment où on n'a plus intérêt à coopérer. Et en tous les cas c'est l'intérêt qui prime. Il faudra chercher l’intérêt pour chercher des clefs en matière d'économie.

Alors la réponse habituelle c'est que l'économie du logiciel libre c'est l'économie de service. C'est faux. C'est parfaitement faux et c'est même très, très embêtant de le dire. C’est une menace de le dire sur le logiciel libre. Le code, il est vrai, produit beaucoup de services, mais le service ne produit pas de code. Autrement dit ce n'est pas du tout par le service que pour l'instant la roue tourne. La roue, pour l'instant, elle tourne toute seule. Mais cessons de dire que c'est une économie de service parce que sinon on va assécher le code et donc il y a des gens que ça inquiète. Il y a 2 ans, il y a des gens du projet Upstream qui sont venus me voir en me disant « mais il faut vraiment alerter. Plus personne ne dépose du code. Vous avez des boîtes qui pompent du code, qui vendent du code qui ne ré-posent rien ! » C'est grave ! Alerte. Il faut re-déposer ; il faut apprendre aux gens non pas à utiliser le logiciel libre mais à déposer le code qu'ils ont, qu'ils ont acheté pour leurs besoins à la boîte d'à côté parce que sinon ça ne marchera pas. Ça ne marchera pas parce qu'il y a un gros de souci. Les abeilles contribuent au logiciel libre. Elles fabriquent du miel. Mais le bon miel est vendu par des apiculteurs qui font payer pour ça. Autrement dit la contribution ne rime pas avec la rétribution. Alors tant qu'on travaille pour le fun tout va bien. Seulement les étudiants vieillissent. Il y a quelques années quand je disais ça aux RMLL, au tout début, les gens me disaient « mais non ! On ne travaille pas pour l'argent ! » Les mêmes, à Genève, il n'y a pas si longtemps, étaient d'accord avec moi, finalement, ils avaient vieilli, ils avaient des enfants, ils avaient un loyer à payer, des pizzas à payer et apparemment ils avaient compris que le fun ne suffisait pas pour payer les pizzas.

Donc il y a un premier problème, le service ne produit pas de code. Et il y a un deuxième problème c'est il y a trop le travail non payé. Là encore je voudrais vous citer Marx,beaucoup de travail non payé. Et d'une certaine façon, si Proudhon devait revenir aujourd'hui, il se demanderait si le crowdsourcing n'était pas du vol, une forme de vol 2.0, où partagez, et puis moi je passe à la caisse. Partagez vos amis, et puis moi je passe à la caisse. Partagez vos photos, et puis je file aux Galapagos. Dans ce monde-là il va falloir faire très attention à la manière dont l'argent va fonctionner. Donc il y a une manière de produire qui produit de la valeur, mais pas pour le producteur. Là encore un des problèmes qu'on a connu il y au 19e siècle.

En fait, si je passe rapidement sur la manière d'acheter du logiciel, il y a eu tout un moment dont se souviennent les DSI. Le premier moment ils s'en souviennent avec terreur, c'est ce qu'ils appellent le moment du spécifique où chacun est dans son coin, il n'y a pas de réseau, il n'y a pas de progiciel, on réinvente la roue, on prend des ingénieurs en régie et puis on fait notre informatique. Catastrophique ! Séparés les uns des autres. Arrivent des éditeurs de progiciels qui vont nous dire « mais c'est formidable, on va faire le boulot à votre place, on va répondre à vos besoins, pour vous, c'est une mutualisation par l'offre, on va vous vendre des choses qu'il n'y aura plus qu'à paramétrer pour les adapter à vos besoins spécifiques. Vos besoins sont spécifiques, mais les logiciels sont génériques, ce sont des progiciels. » Ça c'est formidable jusqu'au moment où, phénomène de vendeur locking, dans des niches, on est pieds et poings liés à des vendeurs, à des marchands. On a beau être un club d'utilisateurs, on peut simplement pleurer ensemble en implorant l'éditeur de corriger les bugs et de ne pas trop en rajouter dans la version suivante. Bref le cœur des pleureuses, c'est ce qu'on appelle un club d'utilisateurs.

Et puis le troisième moment, c'est celui dans lequel nous rentrons. C'est une inversion : la mutualisation par la demande. Hes clients se parlent et se disent mais après tout, c'est nous qui payons ! On pourrait décider. Pourquoi l'éditeur décide t-il des fonctionnalités et de nos besoins ? On pourrait donc très bien devenir l'éditeur et le payer comme un informaticien. Lui il code, nous, nous connaissons nos métiers.

On inverse la charge et ce qui se passe avec le libre c'est simplement la révolte du club d'utilisateurs, du moins sur le segment de métiers.

21'06

Alors je vais essayer de vous raconter l'histoire telle que je la vois. Et au passage on verra trois communautés se dégager.

À la fin du siècle dernier, alors le modèle que j'utilise c'est ce que j’appelle la métastabilité diachronique, à travers le temps, on comprend les phénomènes, en regardant comment ils se sont passés. Ce n'est pas en prenant une photo des modèles économiques aujourd'hui qu'on comprend. On ne comprend rien quand on prend une photo du présent. Il faut regarder à travers le temps. Et puis métastabilité, les physiciens connaissent ça, c'est un état stable dont on peut sortir. Ceux qui ont joué aux billes, savent que on peut sortir une bille d'un trou. Là la bille est dans le trou du Free software à la fin du siècle dernier. Et le Free software est vanté par des gens barbus, chevelus, avec des chemises à fleur et des sandales. Je suis 6 mois par an barbu, je vous rassure ! Et c'est très compliqué d'expliquer à une entreprise qu'elle a un intérêt à faire rentrer des gens qui jouent du pipeau pour leur expliquer ce que c'est que l'informatique. Très très compliqué ! Alors Eric Raymond se dit « il va falloir remplacer l'idéologie par l’intérêt ». Et avec quelques-uns ils vont essayer de substituer à Free software un nouveau mot, open source.

Alors je sais que ce n'est pas bien ! Si Richard était là il me dirait « ce n'est pas bien de dire open source, il faut dire Free software. » Oui je sais. Mais pourquoi ils ont fait ça ? Pour dire aux industriels : « Votre intérêt c'est de produire du logiciel comme eux, de produire aussi efficacement qu'eux pour vos besoins. Cessez de produire du logiciel de manière propriétaire, mutualisez entre vous ! » Et ça marche assez bien si on prend l'exemple de W2 ou de la fondation Apache. Vous avez les géants du monde propriétaire qui développent du logiciel libre entre eux. Pour s'asseoir à la table de la fondation Apache il faut payer 70 000 dollars par an, avec un budget annuel de l’équivalent de celui de l'Adullact, enfin c'est une manière d'échapper au fisc américain, c'est une manière de faire de la R&D ensemble. Inutile de réinventer la roue chacun dans son coin sur le middle ware. On va le développer ensemble. Ils le font tous ! Et donc c'est la mutualisation par l’offre et cette mutualisation par l'offre est déjà en route. Toutes les administrations, toutes les collectivités qui veulent acheter du logiciel, achètent en fait du logiciel libre, packagé, détourné, on va utiliser des licences qui vont bien, pour l'instant beaucoup de licences non copyleft. C'est très utile, justement pour les faire venir à çà, de manière transitoire.

Mais il y a un problème c'est que la 3e communauté, celle des clients n'est toujours pas là ! Et pour l'instant on nous vend, sans nous le dire, des objets qui sont développés de manière collaborative, qui ont le goût de l'open source, la saveur de l'open source mais le prix du propriétaire ! Et ça énerve les clients ! Parce que les clients même dans le monde du libre n'ont pas du tout les mêmes intérêts que les marchands. Parce que les marchands ils gagnent de l'argent, les clients ils payent : ils n'ont pas les mêmes intérêts.

Un jour je donnais une conférence à Paris et je disais il faut arrêter de dire dans la communauté « Youkaïdi Youkaïda ! On est tous frères ! » Ce n'est pas vrai. Ils y en a qui payent, il y en a qui gagent de l'argent. On n'a pas les mêmes intérêts. Les clients et les marchands n'ont pas les mêmes intérêts.

Et enfin progrès lorsqu'on comprendra où est l’intérêt du client. Parce qu'on ne peut pas dire que l'utilisateur est au centre si on ne lui donne pas la main. Il ne s'agit pas de se pencher sur ses problèmes, il s'agit de lui dire « voilà la clef. C'est à toi de travailler sur les logiciels qui tu connais mieux que personne, les logiciels métier ». Et on voit les trois informatiques : l'informatique de base, les architectures, les couches basses, ça c'est ce qui a réglé à la fin du siècle dernier. Le socle de l'internet s'est fait sur du libre, des gens qui travaillaient pour le fun. Ensuite le middleware est massivement, aujourd'hui, en open source. Par contre les applications métier elles collent au fond et personne ne les fera pour nous. Il y a quelques éditeurs. C'est compliqué de trouver un modèle aux éditeurs open source, parce que c'est un modèle transitoire, modèle de mutualisation par l'offre. Sur le domaine métier c'est très compliqué, c'est très instable. Il faut produire du logiciel libre métier par des clients.

26' 16

Alors aujourd'hui on est sur un troisième moment. On a laissé, au passage, deux combats, deux combats d'arrière garde. Le troll Free software versus open source et puis un autre troll mutualisation par l'offre, mutualisation par la demande, clients et marchands. En fait le problème est déjà comment on fait quand on est plusieurs clients et qu'on doit reprendre la main ? Je vais prendre quelques exemples.

Alors là je suis en désaccord avec Eric Raymond. Il a écrit un autre article qui s'appelle Le chaudron magique, pour essayer de comprendre l'économie du logiciel libre et il pose une question. Il se dit si les scieries, les gens qui coupent du bois, ont des logiciels, est-ce qu'ils ont intérêt à ce que ces logiciels soient open source ? Eric Raymond dit : « Ben non ce ne sont pas des informaticiens, les gens des scieries. » Moi j'ai répondu oui. Bien sûr que si ! Ils ont tout intérêt à se mutualiser ensemble. Toutes les scieries du monde entier se donnent la main et font un logiciel de scierie. Je ne sais pas si vous savez quel est le prix d'un logiciel qui gère une pharmacie. Ça pique un peu les yeux. Mais il suffirait que l'ordre des pharmaciens décide de faire cotiser les pharmacies au développement d'un logiciel et soudain les prix tombent avec un bruit mat. Il suffit de le vouloir.

Je prends un exemple dans le domaine du design, de l'image, ils sont verrouillés par une société, je ne connais pas bien, il paraît que Phostoshop, Adobe, il y a des produits qui sont les produits du marché. D'ailleurs ils sont enseignés dans les écoles ! Mais aujourd'hui ce que j’entends, c'est que ces écoles, dans le monde entier, sont en train de se dire « mais attend, les licences commencent à être un peu chères. On commence à nous verrouiller ! Et si on prenait la main. Et si on se mettait tous ensemble ! » On a bien vu, Blender est possible. Gimp est possible ! Et si on se mettait ensemble et qu'on faisait avancer ces projets avec l'argent qu'on engloutit dans des licences de produits propriétaires. L'idée n'est pas idiote. La vraie question c'est comment on fait.

Alors en fait il y a trois communautés, vous l'avez compris : il y a les hackers, les gens qui travaillent pour le fun ; il y a les marchands, qui travaillent pour l'argent ; et puis il y a des clients qui travaillent pour faire des économies. Ce n'est pas exactement la même chose que de travailler pour l'argent. Ils travaillent pour faire des économies ou pour épargner en particulier de l'argent public.

29'03

Alors venons-en à l'argent public.

Je ne sais plus quand j'ai commencé à dire que l'argent public ne devait payer qu'une fois, mais ce devait être, peut-être, dans une réunion. C'était à l'époque du fork Agora, un fork de SPIP qui avait été fait pour le site du Premier ministre en France. Et on se réunissait tous les mois. J'étais un petit peu pour les aider à faire ensemble. Il y avait comme ça des gros comptes, des ministères, des grandes villes qui achetaient des fonctionnalités dans l'environnement SPIP-Agora. Et on faisait un tour de table : « Alors qu'est-ce que tu as acheté ce mois-ci ? » Il y en un qui dit « J'ai acheté telle fonctionnalité, à telle boîte pour tel prix, et je la partage. » Et il y en a un qui dit « Et bien c'est ballot, j'ai acheté la même ! À la même entreprise ! C'est du libre ! » Voila ! L’intérêt du marchand, même en Libre, c'est de faire payer plusieurs fois et ça, ça agace les clients. Quand je dis que ça agace c'est peu de le dire ! Quand on est côté client on est prêt à payer pour le Libre, mais une fois, et on est prêt à trouver un bon modèle pour ne pas reproduire des modèles de verrouillage.

Alors ça tombe bien, normalement un logiciel libre il est gratuit une fois qu'il a été payé. Mais il faut le payer une fois, il faut le développer, il faut séparer très précisément la production en amont et la distribution. Si on commence à mélanger distribution et production, on fait du propriétaire. Et donc il ne faut surtout jamais investir un kopeck dans la production du logiciel. Si vous invertissez, vous êtes propriétaire parce que vous allez vouloir vous refaire. C'est le client qui doit payer la production. Il veut quelque chose, il le paye ; c'est du libre.

Alors dans ce cas-là, oui effectivement, c'est du service. Mais en ce cas là le développement aussi est du service. Le développement c'est une forme de service et c'est le client qui paye. C'est un conseil que j'ai donné à beaucoup de gens qui voulaient se lancer dans le Libre, je leur ai donné ce conseil : « N'investissez jamais : c'est le client qui doit payer.»

Alors dans le monde de l'argent public, le vrai problème ce n'est pas l'utilisation des logiciels qui existent déjà, c'est le développement des logiciels qui n'existent pas. Alors ça, c'est compliqué à expliquer dans la communauté du Libre. Je prends un exemple : en 2004 la question s'est posée de savoir si la ville de Paris devait passer ou non au Libre. On s’imagine qu'il suffit d'une volonté politique pour passer au Libre. Un conseil municipal, des mains qui se lèvent et soudain on passe au Libre. C'est beau, c'est poétique, mais ce n'est pas ça la vraie vie. La vraie vie c'est qu'on peut éventuellement passer la bureautique en Libre si on a quelque chose de décent à se mettre sous la dent. Ce n'est pas toujours le cas. Mais pour ce qui est des logiciels métier, pour ce qui est des logiciels sur lesquels les gens travaillent, là ça va être beaucoup plus long. La ville de Munich, elle est partie pour dix ans. Sa migration ce n'est pas simplement « allez, on passe la bureautique. » Non !

Je ne pas si vous imaginez ce que c'est que le logiciel qui gère le patrimoine de la ville de Paris, la gestion de patrimoine. C'est un petit logiciel ! Il n'est pas encore libre et il y a peu de chances pour qu'il le soit demain parce que, pour l'instant, ils ont autre chose que de le développer. Donc le vrai problème c'est le logiciel métier. Et souvent ceux qui verrouillent sur des OS propriétaires c'est tout bêtement ça, ce n'est pas un problème de volonté politique. Et puis alors si la gendarmerie est passée au Libre, c'est parce qu'ils ont des métiers très ciblés et c'est très facile. Leur métier se fait entièrement dans des formulaires, dans un format de suite bureautique, et donc c'est très facile. Mais quand on est dans une mairie, on a 250 métiers.

Alors pour développer, il faut des forges. L'Adullact a ouvert une forge publique qui s'appelle Adullact hot net[2]. On a essayé de faire comprendre à l’État français qu'il pourrait avoir intérêt à faire une forge. Alors il a fait une forge. Ensuite il ne savait pas quoi en faire il nous l'a confiée. Donc on gère la forge de l’État. On a convaincu la Commission européenne que ce partage devait être fait entre les pays. Donc ils ont monté OSOR, Open Source Observatory and Repository, parce qu'on leur a dit il ne suffit pas d'observer, si vous ne faites rien vous n'observerez rien. Donc ils ont fait une forge qui est maintenant dans un méta projet qui s'appelle Joinup. Et donc, la difficulté c'est d'expliquer comment développer des logiciels qui n'existent pas et en plus dont on ne voit absolument pas l’intérêt et le fun pour les développer. Je prends l'exemple que nous prenons toujours pour expliquer ce que nous faisons, OpenCimetière[3], c'est la killer application, pour faire du Libre sans concession. Donc ici on est sur du logiciel qui n'est pas exactement sexy, la nuit en mangeant des pizzas, vous ne faites pas Open cimentière. Alors heureusement la ville d'Arles a développé Open cimetières, de manière itérative d'autres villes ont abondé sur le code. On a Open cimetières qui existe mais on est sur des métiers de ce genre et donc il faut expliquer qu'il y a des métiers sans aucun intérêt pour le hacker et qu'il va bien falloir cracher quand même.

Alors les collectivités, les administrations, je crois que c'est d'abord les collectivités, parce que c'est du bottom-up le Libre, ce n'est pas une décision politique qui va d'en haut, c'est le bazar, ce n'est pas la cathédrale. Et les décisions politiques qui viennent d'en haut, elles se défont aussi vite. Il suffit d'un changement de majorité et hop on repart sur autre chose. Par contre ce qui vient d'en bas, ça, c'est pérenne.

Et les décisions politiques, les vraies décisions de développement, alors sans doute il y a des décisions politiques en haut, qui sont le respect des standards. Ça c'est très important, le respect du code de la route. Je ne vois pas pourquoi on hésite sur les référentiels d'interopérabilité, il n'y a pas à hésiter ! Les collectivités qui disent « Ah oui la liberté de l’administration. » Eh bien non, vous n’avez pas un code de la route en fonction de votre commune. Il n'y a pas une commune qui va dire « chez nous on roule à gauche ». On ne va pas décider que les panneaux de sens interdit signifient il y a un bar en face. On est ici devant des normes qui doivent être imposées partout. Par contre ce qui doit remonter, c'est la volonté de le faire ensemble.

Alors le mot mutualisation est compliqué parce que soit on veut mutualiser pour faire des économies, mais ce n'est pas ça pas la mutualisation. Les mutuelles sont nées pour se garantir contre un danger. Le mouvement mutualiste c'est pour se garantir contre un danger, ce n'est pas pour faire des économies. Et si on n'a pas conscience du danger, on ne mutualise pas. Et la fausse mutualisation qui consiste à faire des économies, c'est simplement une opportunité. Mais tant que les gens n'auront pas conscience du danger qui menace la sécurité de nos données, la pérennité de nos données, etc., la localisation de nos données, ou nos données elles-mêmes, eh bien on ne mutualisera pas.

Ensuite il y a un deuxième contresens qui consiste à mutualiser pour les autres. Il y a des tas de gens qui font pour les autres. Des régions qui mutualisent pour leurs communes, des départements pour leurs communes, les États pour les autres. Mais on ne mutualise pas pour les autres. On mutualise avec les autres et avec des égaux. Ça c'est compliqué. Dire à une région qu’il faut développer un logiciel avec une autre région : très compliqué parce qu'elles sont dans une concurrence territoriale, elles ont les mêmes intérêts, c'est de l'argent public, c'est nos impôts, c'est vos poches, mais c'est leur concurrence territoriale. Voila c'est compliqué. Ce n'est pas de l'informatique, c'est de la psychiatrie !

37'27

En fait, ce n'est pas un problème technique, ce n'est pas un problème informatique, c'est d’abord un effet juridique. L'effet juridique du Libre dans les marchés publics, c'est tout bêtement de séparer la solution et la prestation. De séparer le soft et le service dessus. Et contrairement à ce qu'on croit, eh bien ça rétablit la concurrence là on elle n'existe pas en évitant les situations de monopole, on se demande qui va nous vendre l'OS dont je tairai le nom par charité. La vraie concurrence, c'est le Libre. N’importe qui peut faire du Libre ! Même les gens qui font du propriétaire. C'est l'inverse qui n'est pas vrai. Alors où en est-on aujourd’hui ? Je compare souvent le logiciel avec un tsunami. Un tsunami c'est quelque chose qui bouge sous l'océan, personne ne le voit et ça a des conséquences plus tard, il y a une vague qui déferle. Nous sommes quelques-uns à avoir vu bouger le fond de l'océan. Quelques-uns sont un peu découragés, mais rassurez-vous, ça bouge, la lame de fond est partie et ça ne s’arrêtera pas.

Il y a quelques années j'étais à une table ronde, il y avait en face de moi un des patrons des syndicats d'éditeurs européens, éditeurs de logiciels. Le journaliste me tend le micro pour engager la conversation et me dit : « Où en sera t-on dans dix ans ? » Je lui réponds dans dix ans il n'y aura plus d'informatique propriétaire. Alors il tend le micro, il est très content, il tend le micro à l'autre en disant « Allez, que répondez-vous à cette provocation ? ». Et l'autre répond : « Moins de dix ans ! » Donc ils le savent. Ils savent que c'est fini. Simplement comment on fait ? Pour l'instant, c'est nous qui leur laissons le temps. C'est nous, parce qu'on ne sait pas comment faire, qui leur laissons du temps. La lutte actuelle est sur le middleware. Comment les grandes boîtes propriétaires vont exploiter le travail de gens qui font du middleware intelligent. Sur le logiciel métier les choses avancent quelquefois discrètement. Dans la grande distribution, dans la banque, c'est déjà parti. Par contre pour des raisons de marketing, d'image, ils ne le disent pas. On ne pas dire, surtout en Suisse, tu imagines, qu'on va gérer votre argent avec un logiciel libre ! Surtout l'argent des Français ! Certains ! Les banques sont ouvertes le soir ?

Dans la grande distribution, c'est parti aussi. Ce qui est très intéressant c'est que vous avez des enseignes qui sont concurrentes et qui collaborent pour développer du logiciel qui est gestion de caisse. Ce sont les mêmes logiciels qui sont derrière. Si jamais vous avez l’occasion, mais il faudrait que ça plante ! ça ne plante jamais ces trucs-là. Si vous avez l’occasion de voir un système de caisse automatique dans un supermarché qui plante, vous verrez c'est un Linux. Bon ça ne plantera pas, mais enfin, croyez-moi.

Sur le poste de travail j'ai parlé des logiciels métier qui font des adhérences. Ce n’est pas la priorité la question des postes de travail. Il faudra développer du métier avant de venir sur le poste de travail.

Mais surtout, puisque développer c'est acheter du service de développement à quelqu’un, comment on fait pour acheter du Libre ? Alors ce n'est moi qui vous le dis c'est, en 2005, la Directrice du service juridique de Bercy, le Ministère des Finances en France, qui est venue à Solutions Linux expliquer comment on achetait du logiciel libre. Elle a dit - ce doit être applicable un peu partout : « Le code des marchés publics ne s'adresse qu'aux objets onéreux, qui payent. Si c'est gratuit, il n'y a pas de marché. Vous pouvez choisir librement, l'installer quand vous voulez. Vous pouvez même faire une assistance à maîtrise d'ouvrage pour choisir ce que vous allez choisir sans marché. Vous faites un marché pour choisir sans marché. Et ensuite ? Ensuite vous faites un marché de service sur ce logiciel que vous avez choisi. Et ce marché tout le monde peut y répondre, tout le monde, même les gens qui font du propriétaire, Oracle, Microsoft, Apple, peuvent répondre, le code est ouvert, s'ils ont des développeurs, s'ils ont encore des développeurs, eh bien ils peuvent répondre. Il n'y a pas de souci.» Et donc cessons de nous faire des nœuds au cerveau en disant comment on peut mettre à égalité dans les marchés publics le Libre et le propriétaire. Pas la peine, si vous faites ça vous faites gagner le propriétaire, parce que le Libre sera toujours plus cher. Ou alors, il faut acheter ensemble. Il faut mutualiser à grande échelle. Il faut se mettre à 20 régions pour acheter un logiciel pour gérer le tourisme, le commerce, les lycées d'une région. Alors là, oui, ça devient intéressant et une boite en logiciels libres pourra dire : « Et bien écoutez, le logiciel n’existe pas, mais je réponds au marché quand même. Laissez-moi six mois et avec cet argent je développe le logiciel from scratch. » Mais si on ne mutualise pas, les marchés sont un piège.

Alors le problème c'est de développer ensemble. Retour de la psychiatrie, parce que c'est très compliqué de travailler à plusieurs pour définir des métiers. Alors ce qu'on essaye de faire depuis dix ans à l'Adullact, c'est de faire des groupes de travail pour spécifier, on va jusqu'à l'[4], pour spécifier du métier, avec des gens qui ne sont pas informaticiens et ensuite on essaye de dire à ceux qui sont dans les groupes de travail des collectivités : « Eh bien faites un appel d'offre à l'outil, mutualisez, pour acheter le développement de ce que vous avez spécifié. » Très compliqué on été obligé de monter une coopérative pour amorcer la pompe, pour aider à développer des logiciels qui étaient stratégiques en particulier sur la chaîne du document. Alors quelques exemples : OpenCimetière, bien sûr, on a acquis leur application ; RSA, le revenu de solidarité active, la Seine-Saint-Denis a développé un logiciel qui peut servir à tous les départements ; c'est un qui l'a fait ; Lilie, le logiciel de gestion des lycées, l'environnement numérique de travail de la Région Île-de-France, mais là encore c'est une région qui développe pour ses besoins et qui donne aux autres. On aurait gagné du temps si les 20 régions s'étaient mises ensemble et avaient dit : « Et bien on fait ensemble, on développe le logiciel de gestion de tous les lycées. » Un exemple intéressant As@lae[5]. On a vu venir avant le problème de l'archivage à valeur probante. La chaîne du document une fois que le contrôle d'égalité est passé, hop on va archiver, et, avant que ça ne devienne obligatoire, on s'est dit « on va le développer ». Ce qui est intéressant, c'est qu'on a été rejoint sur ce point par les Archives de France qui nous ont dit : « On a vu ce que vous faisiez ! C'est bien. On vous aide. » Et on a développé un logiciel métier, d'archivage, qui est aujourd'hui, en train de se développer un peu partout et qui est un bon exemple de ce qu'on pourrait faire en s'y prenant à l'avance, en prenant le temps d'auditer, d'écouter les experts. Surtout sur les métiers, ce n'est pas de l’informatique, ce sont des problèmes de métier.

Et puis j'ai quelques regrets. J'ai Orchestra par exemple, un logiciel de SIG, de système d'information géographique, qui a été développé qui est, en fait, un cumul de petites briques intelligentes, qui a été développé entre l'État et la région Bretagne. C'est un projet magnifique, très intelligent, qui, malheureusement, n'est pas assez utilisé. LLSOL, un autre regret, j'en ai parlé tout à l'heure, un logiciel né en Suisse pour gérer une salle de langues, un laboratoire de langues, quand on sait ce que ça coûte pour un collège ou un lycée, si on veut vraiment faire l'Europe, si on veut vraiment parler différentes langues. Alors chez vous, vous parlez plusieurs langues, mais chez nous c'est plus compliqué, on a déjà du mal à parler le français. Alors l'enseignement des langues pourrait être intéressant si n'importe quelle salle en réseau pouvait devenir un laboratoire de langues. Alors j'ai quelques regrets c'est que les gens ne comprennent pas que en mutualisant on peut ne payer qu'une fois. Voila le sens de « l'argent public ne doit payer qu'une fois ». Ce n'est pas qu'on paye une fois pour ne pas payer deux fois. Ce n'est pas ça. C'est si on se met ensemble on paye une fois et ensuite c'est gratuit pour tous et on crée du service pour tout le monde et tout le monde pourra manger.

Le problème c'est la gouvernance, c'est la pérennité, c'est s’organiser. C'est plus un problème d'organisation qu'un problème technique. Alors voilà l'appel que je lance à ceux qui dans le public feraient partie des collectivités, des administrations. Y a t-il un agent public dans la salle ? L'avenir du logiciel libre dépend de nous. C'est-à-dire que si on veut que la roue tourne, si on veut que le service produise du code, si on veut que ceux qui contribuent soient rétribués, si on veut qu'il y ait moins d'argent qui aille à ceux qui ne font pas et un peu plus à ceux qui font, si on veut que le travail soit rémunéré, si on veut que ce soit une production saine, à ce moment-là il faut que les clients prennent la main. Si on est des clients, si on a des mêmes besoins, il faut cesser de répondre à nos besoins tout seul. Il faut chercher, si ça existe je prends, si ça n’existe pas je cherche quelqu'un qui a les mêmes besoins que moi et on essaye de se mettre ensemble et on essaye d'y répondre, ensemble. Donc il s'agit de reprendre la main. C'est un problème, simplement, d'unification de nos consciences, de nos propres besoins. Et j'aime bien cette formule : « C'est celui qui met la pièce dans le juke-box qui choisit la musique. » Il y a un moment où il faut que ceux qui payent décident !

Alors juste de l'autre côté de la frontière, sur les mairies, il y a ces trois mots, et sur les écoles aussi, « liberté égalité fraternité ». C'est intéressant de se rappeler que l'argent public a aussi un rapport avec la république. Vous avez une beaucoup plus grande expérience de la république que nous. C'est ce mariage, non, le mot est compliqué en ce moment, c'est cette union civile entre le logiciel libre et la politique qui est intéressante. Il s'agit de voir qu'on est sur l'espace public. Créer du patrimoine avec de l'argent public c'est plus intelligent que créer de la rente. C'est plus intelligent de créer des conditions pour produire des outils, pour produire des contenus qui sont ensuite ouverts, que de créer les conditions dans lesquelles de l'argent public sera réinjecté pour produire du privé. Ce serait absurde !

Alors souvenez-vous de cette formule de Confucius pour tous ceux qui sont découragés : « Quand vous ferez quelque chose souvenez-vous que vous aurez contre vous tous ceux qui voulaient faire la même chose, tous ceux qui voulaient faire le contraire et tous ceux, très très nombreux qui ne voulaient rien faire. »

Applaudissements

49'13 Les questions du public sont inaudibles......

Public : Intervention inaudible.

F.E. : Oui, oui allez-y,

Public : Intervention inaudible.

F.E. : Alors c'est vrai qu'il peut y avoir des différences culturelles, vous avez raison, qui font qu'on peut plus coopérer, ici ou là, en fonction de l'histoire. Je me souviens quand même, quand j'étais allé en Belgique leur devise c'est « l'union fait la force ». Donc c'est pour souligner, ils ont aussi une histoire. Plus concrètement j'observe pour avoir plusieurs fois passé la frontière qu'il n'y a pas vraiment énormément de différences et qu'il y a des administrations qui ont plus ou moins de mal à collaborer, que c'est plus que des problèmes culturels, des problèmes individuels, des problèmes juridiques, des problèmes de conscience des enjeux. Ce n'est d'ailleurs pas propre aux administrations. C'est même dans le domaine du privé, si les garagistes, si les pharmaciens, si les banquiers décident de faire ensemble, indépendamment des problèmes culturels, ils ont des situations de concurrence, de personnes. Ils n'ont pas l'habitude de faire ensemble et donc c'est surtout ça que je voudrais signaler, mais tant mieux s'il y a des endroits où on a l'habitude de faire ensemble, et on le fait avec joie.

Public : Intervention inaudible.

F.E. : Vous avez raison de poser la question parce que ça permet de préciser. Je n'ai pas développé ce qu'on fait dans les groupes de travail. Quand on réunit des gens, la grande difficulté c'est de leur dire « maintenant vous allez cesser d'exprimer votre besoin, vous allez faire la différence entre les besoins qui sont génériques et les besoins qui sont spécifiques ». Autrement dit la crainte effectivement quand ils arrivent c'est « mais on va faire du spécifique ». On va essayer de faire quelque chose qui soit le plus générique possible, de manière à pouvoir, éventuellement, faire de la réutilisation de code pour d'autres problèmes, de manière à répondre de manière spécifique à un métier et éventuellement le paramétrer pour les besoins, encore plus spécifiques, de telle ou telle collectivité. Mais si on veut être fidèle à l'esprit du Libre, il faut réutiliser le code. Donc effectivement c'est compliqué d'expliquer aux gens, parlez-nous, non pas de votre besoin, mais du besoin métier. Et c'est intéressant lorsque, par exemple sur l'archivage on a vu des archivistes qui parlaient de leurs problèmes, ils étaient dans l'interface, ils étaient dans le métier, dans l'usage du métier. Dès que les Archives de France, dès que les théoriciens du métier étaient là, eh bien ils étaient sûrs, ils avaient tous les mêmes besoins. Après les problèmes d'interface, c'était tout à fait secondaire. Mais c'est très important de travailler sur ce qui est générique, c'est-à-dire les besoins communs.

Public : Intervention inaudible.

F.E. : Dans tous les projets il y a des problèmes de gouvernance, et c'est pour ça que j'ai insisté sur la gouvernance, ce que j'appelle la psychiatrie. Un jour j'étais à Bruxelles, il y avait une journée, je devais la conclure en anglais donc je m'en souviens très bien. Si vous m'entendiez parler anglais vous comprendriez ! Toute la journée des projets se sont présentés. Et ils ont passé plus de temps à parler de la structure, de l'usine à gaz juridique qu'ils étaient en train de monter pour soutenir un projet que du projet lui-même. Et donc ma conclusion était toute trouvée. Je leur ai dit « mais arrêtez de faire du juridique, arrêtez de monter une association, une fondation, un bouzin pour chaque projet ». Imaginez dans une commune on a 200 métiers. On ne va pas adhérer à 200 GIP, à 200 associations, on ne va pas gérer 200 interlocuteurs. Donc un des freins, effectivement, c'est la gouvernance, mais il faut faire de la méta gouvernance, il ne faut pas gouverner un petit projet en s'imaginant qu'on va drainer toutes les fondations de la terre sur 30 000 lignes de code. Non ! Il faut faire des projets à plus grande échelle. Alors c'est aussi la raison pour laquelle à l'Adullact on a essayé de faire une forge et puis une association un peu large où on ne va pas avoir pour vocation de soutenir un logiciel ou un autre, mais le développement de logiciels et des logiciels qui n'existent pas encore. Mais effectivement, il faut se méfier de la gouvernance à un niveau granulaire. Et sur un projet comme LLSOL ou sur bien d'autres, quand il y a plus de gens qui gèrent la fondation que de gens qui codent c'est qu'il y a un souci.

Public : Intervention inaudible.

F.E. : Alors ce que vous dites c'est que ce qui freine l'utilisation de Linux ce serait le manque de compétences et puis effectivement la paresse. Je crois que c'est doublement faux. Premièrement, c'est faux parce qu' il n'y a pas besoin d’être un geek pour utiliser Linux. Moi j'ai mis des vieilles personnes sous Linux en leur faisant croire que c'était la nouvelle version de Windows. Pas de souci. Elles se sont adaptés. Quand vous passez de Windows XP à Windows eight, c'est un saut quantique. Donc là, je souhaite bien du courage à ceux qui voudront être sur le même système d'exploitation. Mais notre première réponse, non c'est aussi facile. Évidemment ils ne vont pas lui faire faire les pieds au mur, ils ne vont pas le reconfigurer tous les quatre matins. Bon,il y a des geeks qui reconfigurent leurs machines, jusqu'à ce qu'elles tournent très bien, ils n'en font rien. C'est comme des gens qui font du tuning sur leur voiture, ils ne roulent jamais mais par contre la voiture roule bien, elle roulerait bien. Je ne parle pas de ça. N'importe qui, qui peut utiliser, comme utilisateur lambda Linux, ça marche très bien, mais ce n'est pas ça qui freine. Ce qui freine vraiment, c'est pour ça que c'est la deuxième erreur, c'est que ce n'est pas possible. Ce n'est possible que sur un gros 10 % des machines où il n'y a que de la bureautique. Dès qu'il y a des applications métier, pour l'instant c'est compliqué. Allez à Munich et allez voir leur plan de développement de logiciels métier. Ils ont commencé par mettre des postes sous Linux là où c'était possible. Ils ne l'ont pas fait là où c'était impossible. Donc regardez bien, allez dans les mairies, allez dans les départements, dans les administrations et regardez travailler les gens. Et ensuite, ensuite on reparlera de ce qui bloque. Alors c'est vrai qu'il y a des problèmes culturels, la paresse et le changement. Et ça se gère le changement.

Public : Intervention inaudible.

F.E. : Oui alors il y a un autre aspect, là vous avez raison, c'est qu'on a beaucoup externalisé. Alors aujourd'hui, dans les collectivités, le procurement de l'informatique c'est on achète du logiciel avec des chefs de projet. Et en gros ça se résume quelqu'un qui ne sait pas ce qu'il achète qui rencontre quelqu'un qui ne sait pas ce qu'il vend. Quand je dis çà à des gens du métier, ils me disent c'est exactement ça, donc je n'ai rien inventé. Effectivement vous avez raison, le problème du libre c'est qu'il va falloir ré-internaliser les compétences, c'est-à-dire dire aux gens votre valeur c'est ce vous savez faire dans la collectivité et ce n'est pas l'argent que vous dépensez.

Public : Intervention inaudible.

F.E. : Je ne sais pas. C'est une question qui dépasse de loin mes compétences. je ne sais pas. Oui !

Public : Intervention inaudible.

F.E. : Alors c'est possible, je l'ignorais, c'est possible. Donc dites à tout le monde qu'il y a des sectes partout dans les logiciels propriétaires, ça donnera peut-être des idées

Intervention inaudible

F.E. : Je ne savais pas.

Public : Intervention inaudible.

F.E. : Oui, oui c'est très possible. Oui, c'est vrai.

Public : Intervention inaudible.

F.E. : Un problème de communication pour savoir ce qu'il faudrait faire, vous avez raison. Alors moi quand on me pose la question qu'est-ce qu'il faudrait faire dans la loi ? Je réponds il y a une mesure très simple à faire. Il faut demander à ce que les gens soient obligés de publier leur intention de déposer un appel d'offres, leur intention. Et on s'apercevrait qu'on est tous en train d'acheter la même chose. Et après, il suffirait d’encourager, ou plutôt de décourager, parce qu'on encourage les gens en donnant de l'argent, il vaut mieux toujours les faire payer quand ils agissent mal, ça économise l'argent public, il vaut mieux faire entrer de l'argent que d'en dépenser. Il suffirait d'encourager les gens à travailler ensemble et décourager les gens qui font tout seul. Voila une mesure très simple, pour être informés il faudrait obliger les gens qui font, obliger les gens qui ont des compétences à les publier de manière à ce qu'on sache ce qui se fait ici ou là et ce qu'on a intérêt à faire ensemble. Oui ?

Public : Intervention inaudible.

F.E. : C'est vrai qu'il y a une adoption en Chine, mais on pourrait aussi parler de l'Amérique du Sud ou de l'Asie du Sud-Est, ou la Russie, des adhésions assez massives à des environnements libres ou des OS libres. Je crois que ça n'aura aucune influence sur des décisions des pays industrialisés, pour une raison très simple. C'est très facile quand on n'a rien de passer au libre. C'est beaucoup plus compliqué quand on a quelque chose. Donc on est sur des problèmes qui sont diamétralement opposés. Par contre ça aura une incidence, à moyen terme, sur la valeur des certifications sur le propriétaire qui vont perdre de la valeur. Si effectivement le nombre de postes qui seront sous des OS libres, je ne parle pas des environnements serveurs où là les certifications sont plus réduites mais s'il y a massivement des bureaux libres dans le monde et bien ça fera remonter la valeur de ceux qui les connaissent. Alors effectivement, ceux qui ont envie de faire du service dessus, ils ont intérêt à se dépêcher à se former là-dessus sinon les Chinois vont déferler et ils vont venir nous expliquer comment ça marche.

Public : Intervention inaudible.

F.E. : Je vous remercie.

Applaudissements