Éthique du libre : une lecture philosophique - V. Bonnet

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Titre : Éthique du libre : une lecture philosophique

Intervenant : Véronique Bonnet

Lieu : Ubuntu Party - Paris

Date : Mai 2015

Durée : 1h 13 min 10

Lien vers la vidéo mot de passe @pril3105

01' 25 transcrit MO

Déjà, je vais vous remercier beaucoup d'être là. Je vais essayer de faire un bon usage de votre temps et de votre confiance. Je remercie la puissance invitante. Ça fait la deuxième fois que je participe, par une conférence, à une Ubuntu Party et je trouve que c'est un lieu d'ébullition, c'est un lieu d’effervescence, et je suppose que vous le ressentez comme tel.

Je vais commencer mon propos par une sorte de présentation de l'expérience qui est la mienne. Je ne suis pas du tout informaticienne, mais alors vraiment pas du tout. J'ai fait des études de philosophie, grâce à une grande école. Actuellement je prépare des étudiants aux concours de grandes écoles et je vais vous dire par quel contexte, alors c'est vrai familial, sans mon ado, je serais passée complètement à côté du Logiciel Libre. J'ai découvert, il y a deux ans, ces communautés, cette démarche, qui a parlé immédiatement à moi qui suis très attachée à la philosophie des Lumières, et qui suis très attachée à ce qu'est à la base de la philosophie des Lumières, c'est-à-dire l’humanisme.

Alors, vraiment plus grand des hasards, parce qu'il m'arrivait d’écrire des livres de philosophie très classiques, il y a deux ans, j'écrivais un livre sur ce qu'on appelle les phénomènes émergents, par exemple, j’avais écrit sur la Bimbo, sur l'apéro géant, sur le kikoolol, et j'avais envie d'écrire sur le hacker, parce que c’était vraiment, pour moi, une figure de l'astuce, une figure de l'inventivité. Et j'écrivais, donc, ces croquis à partir de problématiques de philosophes classiques et je sais que pour le hacker j'avais pensé à un philosophe très hacker, c'est-à-dire Leibniz. Vous avez un philosophe qui s'appelle Leibniz, qui est un penseur des futurs contingents « est-ce qu'il aurait été préférable que ce scénario se produise plutôt que tel autre ? Et c'est vrai que celui que Leibniz appelle le theos, le voyant, le theos ça veut dire voyant en grec, est celui qui essaye de calculer quel est parmi tous les mondes possibles, le meilleur des mondes possible. Et donc j’avais tenté une analogie entre Leibniz et la figure du hacker. Et là, mon ado, donc là je parle, nous sommes le jour de la fête des mères, je regrette qu'il n'y ait pas de fête des fils, parce que sans lui je serais restée dans mes grimoires, j'aurais peut-être un petit peu développé mes grimoires, mais je ne me serais pas plongée dans ces situations très intenses, très polémiques, puisque l'actualité est chargée.

Et donc mon ado me dit « si tu veux vraiment comprendre ce que c'est que le hacker, essaie de regarder une conférence de Richard Stallman ». C'est vrai qu'il m'a harcelée pendant deux mois, parce que, voilà, j'avais des choses à vérifier chez Leibniz, chez Platon, etc, et je n’avais absolument pas le temps de regarder cette conférence de Stallman. Et quand je l'ai fait, alors je me rappelle très bien, c'était en plein été, j’avais mon ordi qui ne me quittait pas parce que j'avais une chose à rédiger, à finir, et j'ai cliqué sur le lien, et là, j'ai vu quoi ? J'ai vu, non pas un informaticien, je savais que c’était un mathématicien émérite, je savais qu'il avait travaillé au laboratoire d’intelligence artificielle de MIT, et là, je vois qui ? Je vois quelqu'un qui s'exprime non pas sur des détails techniques pratiques – il est préférable de faire intervenir tel type de langage, parce que si tu veux obtenir ça, alors tu pourras optimiser. Pas du tout. Là j'entends quelqu'un qui parle d'autonomie, qui parle de respect, de respect de l’utilisateur qui doit pouvoir faire ce qu'il veut, qui doit pouvoir faire fonctionner son informatique exactement comme il veut. Quelqu'un qui va essayer de respecter son voisin s'il lui demande de lui faire un partage de tel ou tel code qu'il a écrit, maîtrise du patrimoine, ce patrimoine tout à fait immatériel, qui s'appelle l'échange ; et je vois quelqu'un qui répond avec humour à des apprentis informaticiens inquiets qui lui disent « oui mais si je fais de l'informatique libre comment est-ce que je vais manger ? ». Et RMS qui répond « avec ta bouche » et qui lui explique, qu'effectivement, si on veut se situer dans un idéalisme pragmatique, on en parlera tout à l'heure, alors, eh bien il faut peut-être s'interdire de verrouiller, il faut peut-être s'interdire de cautionner des démarches qui sont privatrices. Et donc je suis surprise, et donc j'écoute cette conférence. C’était une conférence à Bruxelles qu'il avait faite l'année d’avant.

J'écoute cette conférence absolument jusqu'au bout, j'écoute les deux heures, j'écoute les questions. Et à la rentrée, alors la rentrée c’était la rentrée 2013, il y avait les trente ans du projet GNU et Richard Stallman venait à Paris, et donc, je me rends à cette conférence de Richard Stallman. C’était à Télécom ParisTech. Richard Stallman dont j'avais parlé dans une conférence que j'avais faite la semaine précédente, puisque j'avais fait une conférence sur l'étrangeté, une conférence philosophique, et là il me semblait que Richard Stallman, que sa référence à une pratique réfléchie de l'informatique, pas à n'importe quel prix, pas à n'importe quelle condition, on n'a pas à en rabattre de sur l'exigence d'autonomie, il me semblait que ce mouvement pouvait très grandement contribuer à nous sortir de cette léthargie, à nous sortir de cette sorte d'anesthésie de l'Internet qui souffre de cette étrangeté d'absence d’étrangeté. L'étrangeté d'absence d'étrangeté parce qu'il n'y a pas de pas de côté, il n'y a pas de recul, il n'y a pas de remise en question.

Alors je me rends à cette conférence de Richard Stallman à France Télécom, à, pardon, à Télécom ParisTech, voilà, le lapsus est là, puisqu'il s'agit d'une conversion, parce que jusque là mon univers c'était les outils non libres, c'était toute le galaxie donc des Orange, des Google et autres GAFAMs, et c’était sa conférence sur Free Digital Society, Une société numérique libre, où là, il oppose ce qu'il nomme ce qui est pratique et ce qui est respectueux de l’être humain. Donc j'assiste à cette conférence, je pose des questions. Je pose une question à Richard Stallman, je lui demande quel est son philosophe préféré. Je rends compte de cette expérience, je commence à écrire, je publie un premier article sur Richard Stallman Rousseau et Kant sur le Framablog. Je décide que, vraiment, ce mouvement est tellement essentiel qu'il est important d'en rendre compte, et c'est vrai que mes outils à moi, qui ne suis pas informaticienne, ce sont les outils de la philosophie, et donc, je mets en chantier quelque chose qui est en train de se prolonger, quelque chose qui va bientôt aboutir, c'est-à-dire un livre sur Richard Stallman et sur l'éthique de l'espace numérique.

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Alors j'ai dit quelle était mon expérience. J'ajoute que grâce au « Premier samedi du libre », grâce à ce lieu très important pour des gens qui, comme moi, n'ont aucune idée au départ, on me conseille, au « Premier samedi du libre », d'aller voir le site de l'April. Donc je rejoins l'April. Je commence à faire des conférences, bon j'ai rejoint le bureau, le Conseil d'administration de l'April en février dernier et j'ai eu la chance, parce que, donc, il m'est arrivé d'héberger plusieurs fois Richard Stallman, j'ai eu la chance de pouvoir parler avec lui, notamment de ce de quoi je vais vous parler maintenant, qui est la question de l'éthique du Free Software, éthique qui, peut-être, est plus qu'une éthique. Une éthique qui, peut-être, va plus loin, parce que la notion d'éthique, dans la perspective philosophique qui est la mienne, est une notion qui est plus opératoire que vraiment morale. Et donc, le but de cette communication d'aujourd'hui, c'est de vous montrer pourquoi dans le Free Software, voilà, cette référence très importante, je vais essayer de vous montrer comment le Logiciel Libre est peut-être une éthique qui est plus qu'une éthique.

Pour le faire d'une façon assez simple, je vais commencer par, donc ça c'est mon projet, c'est mon propos d’aujourd’hui, je vais vous rappeler quelles sont les définitions de l'éthique et de la morale Je croyais qu'il n'y avait, en anglais, qu'un seul terme qui était ethics, qui rabattait un peu les deux sens du français vers une seule notion. Pas du tout, puisque donc, Richard Stallman m'a dit lui-même qu'il y avait, en anglais, un terme qui était morality, qu'on ne pourrait pas traduire par notre moralité à nous, mais qui fait intervenir une notion beaucoup plus exigeante, la notion de faire son devoir, ce qui est assez proche du sens français.

Je vais procéder en trois temps. Premier temps, je vais faire ce petit rappel définitionnel de l'éthique et de la morale. Qu'est-ce qu'on appelle comme ceci ou qu'est-ce qu'on appelle comme cela ? Deuxième temps, je vais essayer de vous montrer, à partir de quatre textes de Richard Stallman, que le mouvement dit GNU, le mouvement du projet GNU, le mouvement du Free Software, que l'on traduit en général par Logiciel Libre, qu'on pourrait traduire aussi bien par informatique libre, en tout cas l'April dont je suis membre, dit plutôt Logiciel Libre, je vais essayer de vous montrer comment le Free Software relève plutôt que d'une éthique pure et simple – ça marche, je ne me fais pas de mal, je ne me fais pas de tort – relève, en réalité, d'une éthique qui est plus qu'une éthique. C'est vrai que c'est un peu gênant de dire, dans le contexte contemporain, moral, parce que ça ressemble à du moralisme, ça ressemble à du catéchisme, à une chose qui serait imposée du dehors. Pas du tout. Je vais vous montrer que cette éthique, qui est plus qu'une éthique, est une loi, donnée à soi par soi, de ne pas abaisser l'humain, ni dans l'autre, ni en soi-même. Et enfin, si je n’ai pas abusé de votre patience, je vous montrerai comment, en effet, on peut rapprocher de l'éthique du Free Software deux mouvements philosophiques, le mouvement qu'on appelle le mouvement des Lumières, et l'humanisme. Alors, c'est vrai, plutôt l'humanisme au sens de Sartre, l'humanisme existentialiste, mais aussi l'humanisme de la Renaissance, qui en est la racine.

Je vais commencer par essayer, donc plusieurs documents, là, pour vous expliquer la différence, en philosophie, entre l'éthique et la morale. Je dirais que l'un des pères fondateurs de l'éthique c'est Aristote. Aristote qui a écrit « L’Éthique à Nicomaque ». Vous avez ici un tableau, c'est une fresque, en réalité, qui se trouve au Vatican, vous avez une fresque, extrêmement célèbre, qui s'appelle « L'École d'Athènes ». C'est de Raphaël. Donc Raphaël a représenté la totalité des propositions philosophiques de l'Antiquité autour de deux figures-clés, d'une part Platon, d'autre part Aristote. Je vais vous montrer un gros plan. Voilà. Alors facétieux, ce Raphaël, parce que Raphaël s'est peint en Aristote et il a peint Platon en Léonard de Vinci. Il a reconnu un platonisme chez Léonard de Vinci et il a perçu, en lui, une forme d'aristotélisme.

Ce qui nous intéresse, aujourd’hui, il y a un qui pointe le doigt vers le ciel, c'est évidemment Platon, parce que ce qui l'intéresse c'est de contempler pour contempler, alors que Aristote, lui, il ouvre la paume de sa main vers la terre ; c'est-à-dire il entend bien faire des figures, des nombres, des formes abstraites qu'il aura contemplées, il compte bien en faire un outil pour investir la terre, pour habiter la terre, et concevoir, à partir de cela, des artefacts, des objets fabriqués, des pratiques. Comment faire pour fabriquer une belle cité ? Comment faire pour fabriquer un beau navire ? Comment faire pour concevoir une belle tragédie ? Alors là c'est vraiment la clef de ce que je veux vous dire de l'éthique : il tient dans la main « L’Éthique à Nicomaque » et dans cette « Éthique à Nicomaque », son fils naturel donc, Nicomaque, il va expliquer à Nicomaque comment s'y prendre pour vivre en bas, là, pas seulement regarder de temps en temps vers le haut, comment vivre en bas, comment assumer le « ici-bas » d'une façon rationnelle, d'une façon optimale, en essayent d'éviter l'excès et le défaut. C'est-à-dire que dans « L’Éthique à Nicomaque », qu'est-ce que c'est qu’être courageux ? Eh bien, si tu veux être courageux, il faut éviter la lâcheté, mais il faut aussi éviter la témérité. Comment être un convive charmant ? Si tu veux être un convive charmant il faut éviter d’être taciturne, mais en même temps il faut éviter de faire le bouffon, parce que si tu fais le bouffon, personne ne continuera à t'écouter.

Et donc, si vous comprenez bien, l'éthique c'est une démarche qui essaie de concevoir des seuils entre l'excès et le défaut. Ce n'est pas du tout une morale, c'est simplement une tentative pour éviter d'endommager sa vie, pour éviter aussi d’abîmer les rapports avec les autres, l'amitié, pour éviter de mal gérer, si on est stratège, une bataille. C'est simplement des dispositifs qui essaient de tirer les meilleurs effets possibles d'une situation. C'est un peu, si vous voulez, une casuistique. C'est du cas par cas. C’est-à-dire que Aristote, il se conçoit comme étant dans le cambouis du réel. Comme le réel est un capharnaüm, comme c'est un cambouis pas possible, alors on va y mettre les mains, mais à certaines conditions. Il ne faudra pas qu'on fasse n'importe quoi, parce que, si on fait n'importe quoi, s’il y a de l'excès ou du défaut, ça va nous revenir en pleine figure et on aura perdu.

Donc, si j'avais à définir l'éthique, et Aristote le fait dans « L’Éthique à Nicomaque », c'est une démarche qui est prudentielle, prudence. La prudence qui consiste à bien calculer avant de faire un choix, parce qu'on sait bien que le choix il est irréversible. On sait bien que choisir quelque chose met à mort tout ce qu'on n'a pas choisi. Et tout ce de quoi ce qu'on n'a pas choisi était condition, et donc, il faut faire tellement attention, qu'il y a ce qu'on appelle une éthique. Ethos ça veut dire les mœurs, une éthique c'est une tentative d’être efficace dans ses comportements, sans qu'il y ait, en aucune sorte, la référence à un respect de l'autre. Il n'y a pas de référence à un respect de l’autre, il y a simplement une référence à une optimisation et à une efficacité.

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Ça va se poursuivre comme ça. Dans l'Antiquité, vous connaissez peut-être l'école stoïcienne. Là vous avez un portrait d'un Stoïcien qui était, en même temps, un empereur, Marc-Aurèle, qui a gouverné à Rome. Même chose, les pensées de Marc-Aurèle sont une éthique et pas une morale. Ce qu'essaye de faire cet empereur, qui est en même temps chef de guerre, qui en même temps donc fait la guerre aux ???, par exemple, c'est qu'il essaie, dans ses rapports avec des amis, dans ses rapports avec les hauts dignitaires de l'empire, et dans ses rapports avec lui-même, de ne pas se faire mal. Éviter de subir des dommages. Je donne un exemple. Qu'est qu'on lit dans les pensées de Marc-Aurèle ? On lit une chose comme « celui-là t'a bousculé au gymnase, que faire ? Est-ce que tu vas, pour autant, renoncer à aller au gymnase parce qu'il y en a un qui t'a bousculé ? Non, tu vas éviter celui-là avec bienveillance ». Donc, tu vas aller au gymnase, tu vas l'éviter avec bienveillance. Il est peut-être possible que tu l'évites avec un sourire, avec bienveillance, peut-être que, non seulement, il arrêtera de te bousculer, tu ne te mettras en danger, mais en plus, tu lui donneras envie de te parler, peut-être ! Là on essaie d’être opérationnel, on essaie, dans l'incertitude du réel, de se comporter de façon à subir le moindre mal et à obtenir le plus grand bénéfice. C’est un calcul risque / bénéfice, l'éthique.

L'école rivale, mais qui finalement dit la même, chose, sauf que ce n'est pas la même physique. La physique des Épicuriens est une physique du vide, le monde est vide. Dans le monde il y a des atomes qui se composent, qui se décomposent, et donc si le monde est vide, là vous avez une représentation d’Épicure, le maître de l'école, alors tu peux t'avancer dans le monde sans crainte, puisque le monde est également vide de dieu, et comme le monde est vide de dieu, alors il ne t'arrivera rien. Toujours la perspective qu'est-ce je risque ? Qu'est-ce que je tente ? Qu’est-ce qui va m'arriver si je risque ça plutôt que cela ? Et donc, quel est le meilleur choix possible. Là on est vraiment dans le cadre d'une éthique.

Tout ceci, jusqu'à un autre qui a écrit aussi une éthique, et c'est peut-être la dernière ; bon c'est peut-être la dernière avant des éthiques commerciales dont je parlerai, et dont vous devinez le nom, le dernier à écrire une éthique c'est un certain Spinoza, « L’Éthique » de Spinoza. Alors il l'écrit « More Geometrico », il l'écrit à la manière des géomètres. Ça veut dire qu'il pose une proposition. Il regarde à quel contexte, à quel lemme cette proposition est associée, et vu le lemme, alors il déduit quelque chose.

Ce que je vais faire est scandaleux, je vais essayer de vous dire à quoi revient l'éthique de Spinoza. Ça revient à faire l'hypothèse qu'il est préférable de se laisser aller à des passions augmentatives. Si tu consens à être joyeux, alors tu vas bouger, alors tu vas être actif, et si tu es actif, tu vas être encore plus joyeux et tu seras encore plus actif et encore plus joyeux, etc. Alors que se laisser aller à des passions tristes, si tu te refermes sur toi, si tu te replies, alors tu vas être inerte, tu vas te laisser faire par les autres et donc tu seras de plus en plus triste, et de plus en plus triste, etc. Là vous voyez bien qu'on est dans une mise en balance des options, on est dans une sorte d'aide à la décision, on essaie de savoir, tout simplement, par un calcul, ce qui est préférable. Il n'y a toujours pas de référence à une loi qui ferait qu'on devrait faire attention à son autonomie à soi, qu'on devrait faire attention à l'autonomie des autres. Il n'y a pas encore ces considérations-là.

Alors quel est le saut, ce qui m'a fait penser immédiatement qu'il y avait dans le projet GNU une forte analogie avec la philosophie des Lumières ? Peut-être que le premier, peut-être que le premier voilà, à quitter les considérations prudentielles, les considérations du calcul de risque pour quelque chose qui n'a rien à voir, chez Rousseau ça s'appelle la pitié. C'est au 18e, ça n'a pas encore tout à fait le sens qui sera le nôtre. Pitié, on pourrait dire aussi bien sympathie, c'est-à-dire que l’être humain ressent, en lui-même, un quelque chose, une voix, qui fait qu'il va ressentir ce que l'autre ressent, qu'il va éprouver, il va goûter ce qui l'amène à appartenir à la communauté des sujets. Et là, vous vous dites qu'une autre dimension se lève, une autre dimension s'installe.

Grand lecteur de Rousseau, Kant, et c'est là qu'il y a une dissociation décisive entre l'éthique et la morale, « Critique de la raison pratique » de Kant », qui dissocie exprès de la « Critique de la raison pure ». Dans l'Antiquité, si je veux être bon, il faut que je sois intelligent. Si je suis intelligent, je verrai bien que si je fais du mal à l'autre, eh bien, je risque d'avoir du mal aussi. Donc, si je suis intelligent, je serai bon. Pas du tout, Kant, dissociation. Qu’est-ce que c'est que la morale ? C'est écouter la voix du devoir. Le devoir, on va retrouver cette forme-là dans les textes de Richard Stallman que je vais vous montrer, le devoir c'est une forme de « je dois ». Si je ne veux pas abîmer mon humanité, je ne peux pas ne pas. Si mon voisin me demande telle aide, je ne peux pas ne pas, même si ce n'est pas avantageux. Et là, vous avez donc une dissociation entre ce qui est optimal, ce qui est avantageux, et ce qui est moral. C'est une éthique qui est plus qu'une éthique. C'est une morale.

La parenté la plus extrême, je la proposerai tout à l'heure, en conclusion, c'est vrai qu'il y a un petit texte très fort de Kant qui s'appelle « Qu'est-ce que les Lumières », et quand vous lisez « Qu’est-ce que les Lumières », vous savez l'impression qu'il s'agit, eh bien de parler du Libre. Il s'agit de s'opposer simplement à des mécanismes soit commerciaux, soit simplement techniques / pratiques, pour se demander ce qu'on fait de cette informatique, si on décide de la penser ainsi, de la réaliser ainsi ou ainsi, et quelle autonomie on peut espérer.

Maintenant que j'ai présenté la dissociation entre morale et éthique, donc je résume : éthique, je fais en sorte que ça marche, je fais avec, et donc c'est hypothétique, c'est du si alors, éthique, si c'est comme ça, alors c'est mieux que tu fasses comme ça. Moral, on n'est pas dans du si alors, on est dans ce qu'on appelle l'absolu : je ne peux pas ne pas, quel que soit le contexte. Même si dans le contexte il n'est pas du tout avantageux que pour ne pas commercialiser, pour ne pas détourner les efforts de tels informaticiens, s'il n'est pas avantageux de faire du Libre, de respecter le copyleft, de respecter la licence GPL, même si ça n'est pas avantageux, je ne peux pas ne pas. Ceci m'oblige, ceci m’oblige infiniment.

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Je vais me référer à quelques textes. Vous avez ici le gnou.