Émission Libre à vous ! sur Cause Commune du 24 octobre 2023

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Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 24 octobre 2023 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Gee - Aquilegia Nox - Lionel Jeannerat - Laurent Costy - Vincent Calame - Étienne Gonnu - Magali Garnero à la régie.

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 24 octobre 2023

Durée : 1 h 30 min

[ Podcast PROVISOIRE]

Page de présentation de l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes, bonjour à tous.
Œuvres libres et libérés, un échange avec une autrice et un gérant de maison d’édition publiant sous licence libre, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Également au programme une nouvelle « humeur de Gee », « Ça y est, je suis fracturé du numérique » et aussi la deuxième partie de la « Lecture buissonnière » de Vincent Calame sur « Semences, une histoire politique »

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 24 octobre 2023, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, pour sa toute première réalisation en solo, Magali Garnero alias Bookynette. Salut Booky.

Magali GarneroSalut à tous.

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Les humeurs de Gee » - « Ça y est, je suis fracturé du numérique »

Étienne Gonnu : Gee, auteur du blog-BD Grise Bouille









Œuvres littéraires libres et libérées, un échange avec une autrice et un gérant de maison d’édition publiant sous licence libre

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur les œuvres littéraires libres et libérées. Pour ce sujet, je vais laisser la parole à Laurent Costy, vice-président de l'April et contributeur régulier de l'émission, qui va animer cette discussion.
N'hésitez pas à participer à la conversation au 09 72 51 55 46 ou sur le salon web dédié à l'émission sur le site causecommune.fm, bouton « chat ». Laurent, je te passe la parole et le micro.

Laurent Costy : Merci pour le micro qui se balade. Nous sommes quatre en studio aujourd'hui, ce qui est plutôt rare.
Nous allons effectivement, aujourd'hui, aborder un sujet autour de la culture libre, on va aller au-delà du logiciel libre et évoquer globalement la culture libre. Plus précisément, nous allons échanger avec nos deux invités, Aquilegia Nox et Lionel Jeannerat respectivement autrice et éditeur. Nos invités expliqueront pourquoi et comment ils se sont engagés dans une démarche d'écriture et d'édition sous licence libre, à contre-courant, quand même, des modèles standards. Nous leur poserons quelques questions autour de leur cheminement pour en arriver là, voir un peu les écueils qu'ils ont pu traverser et puis, surtout, les perspectives qui s'ouvrent à eux dans ces démarches-là .
Je vais vous laisser vous présenter tous les deux, je ne sais pas qui veut commencer, Aquilegia.

Aquilegia Nox : D'accord. Merci. Bonjour.

Laurent Costy : Bonjour.

Aquilegia Nox : En fait, je suis entrée dans le monde du Libre par l'informatique, c'est-à-dire que je connaissais le principe des licences libres parce que j'ai connu le principe des logiciels libres et puis, quand j'ai commencé à vouloir publier mes premières nouvelles, à les partager sur Internet, je suis allée sur un site dont certains se souviennent peut-être, qui s'appelait à l'époque InLibroVeritas, et c'est là que j'ai déposé mes premières nouvelles, ravie de pouvoir choisir de les diffuser sous licence libre ou sous licence ouverte. J'ai donc fait mes petites expérimentations, c'était un milieu en pleine effervescence, il y avait beaucoup de gens avec qui partager, des gens aussi très motivés par le Libre. Comme ça, j'ai pu me lancer dans mon premier roman en auto-édition, coécrit avec mon compagnon, Léo Sigrann. On avait choisi une licence, si mes souvenirs sont bons, c'était juste une CC By NC ND, il me semble mais j'avais des nouvelles sous diverses licences, aussi bien Art Libre que d'autres parce que j'avais envie d'essayer.

Laurent Costy : IEst-ce qu’on peut expliquer les termes de la licence pour les gens qui ne connaissent pas, s'il te plaît ?

Aquilegia Nox : Bien sûr. Dans la licence Creative Commons, By veut dire qu’il faut toujours citer l'auteur original ainsi que tous les auteurs éventuels qui ont pu contribuer ; NC, pas d'usage commercial autorisé sans accord des auteurs ; et puis ND pas d'utilisation dérivée sans l'accord des auteurs, donc, si on veut faire une traduction, par exemple, il faut d'abord demander l'accord des auteurs.

Laurent Costy : Merci, c'est important de le préciser.

Aquilegia Nox : J'ai pu essayer comme ça, avec des nouvelles sous diverses licences, c'était très chouette.

Lionel Jeannerat : Je suis Lionel Jeannerat, je suis gérant de la maison d'éditions PVH Éditions basée en Suisse. Je suis libriste, c'est-à-dire que moi-même, dans la mesure du possible, à titre privé, j'essaye d'utiliser des logiciels libres et puis, il y a neuf ans, quand j'ai lancé la maison d'éditions, c'était avant tout parce que j'avais vraiment envie de créer une maison d'éditions. Mais c'est compliqué de monter une maison d'éditions, il y a des questions de contrats, il y a des questions de plein de choses et, pour me simplifier la vie, je n'avais pas imaginé réinventer la manière d'éditer ; il y a des outils, des modèles de contrats, etc. Et puis, petit à petit, notamment l'année dernière, ma réflexion est venue sur le fait, alors que je défends le logiciel libre et la culture libre, c'est quelque chose qui m'intéresse, pourquoi ma maison d'édition ne ferait pas elle-même le pas, mais je ne voulais pas le faire disons dans le vide. J'ai donc pris le temps de la réflexion : si je libérais les œuvres de la collection, qu’est-ce que cela signifierait, qu’est-ce que ça aurait comme impact sur mon activité d'éditeur.
Et là, en fait, comme j'étais déjà proche du Libre, il se trouvait qu’une partie de mes auteurs étaient des gens déjà convaincus, comme Aquilegia, mais aussi Plum/Lionel Dricot, ou Thierry Crouzet qui avait aussi pas mal expérimenté dans ce domaine-là. Je leur en ai parlé, il n’y a pas eu beaucoup à discuter, mais il fallait aussi avoir l'autorisation des auteurs, même si, théoriquement j'en avais le droit, ce n'est pas ma manière de fonctionner, donc je voulais avoir l'accord des auteurs. Il a fallu leur expliquer tout ça, ça a pris un peu de temps et, en janvier dernier, on a libéré la toute la collection principale de la maison d'éditions, qui est la collection Ludomire spécialisée dans la science-fiction, la fantasy et le fantastique. Voilà.

Laurent Costy : Merci beaucoup. Je précise, tu l’as un peu dit, c'est vrai que vous êtes venu de Suisse pour l'émission, je tenais à le souligner parce que c'est quand même un long trajet et nous sommes honorés de vous recevoir aujourd'hui.
Je fais une toute petite précision, Étienne me faisait remarquer qu'effectivement on a parlé des licences Creative Commons avec la clause NC, NC. Elles ne sont pas considérées comme libres mais ça permet peut-être, à un moment donné, des transitions pour aller plus vers des licences libres, ça permet de passer des étapes, de convaincre les gens et puis d'aller, après, plus vers des licences libres.
Vous avez tous les deux, je crois, un passé dans le jeu drôle, c'est quand même un dénominateur commun. Est-ce que ça a orienté un peu vos logiques d'écriture, vos logiques par rapport au Libre, que ce soit en éditeur ou en autrice ?

Lionel Jeannerat : Je te laisserai la parole ensuite. Nous nous sommes connus grâce au jeu de rôle.
Au niveau de ma manière de voir le droit d'auteur, en fait le jeu de rôle est un média très collaboratif et, avant d'être éditeur, j'ai aussi été auteur et cette conception de s'attribuer une création de manière absolue m'a toujours semblé un peu bizarre, parce qu’on réalise à quel point on prend des influences. Le jeu drôle est un média qui pioche ses influences dans les œuvres, de toutes parts et, en réalité, je pense que cet ADN-là c'est aussi ce qui a m'a nourri et qui m'a fait pas sauter le pas.

Aquilegia Nox : C’est marrant, je n'avais pas fait le lien, mais, en y réfléchissant, c'est vrai que le jeu de rôle c'est collaboratif et beaucoup de choses que j'ai écrites, je les ai écrites autour du jeu de rôle, que ce soit le roman qui est publié maintenant chez PVH Éditions ou même plein de nouvelles et de petits textes qui sont maintenant plus chez ILV mais chez Atramenta, toujours en lecture libre. Ce sont beaucoup de textes qui ont été, en fait, conceptualisés à plusieurs puisqu’ils sont souvent dérivés de parties de jeu de rôle ; c'est toujours de la collaboration, c'était donc naturel de les mettre sous licence au moins ouverte, mais il y en a pas mal qui sont sous licence libre et, comme, ça si d'autres collaborations pourraient voir le jour ça pourrait être sympa.

Laurent Costy : Dans l'échange qu'on a eu avant l'émission, tu m'as dit « les communs de l'imagination font avancer l'histoire », j'ai trouvé ça très beau, je l'ai relevé quand on a échangé, j’ai trouvé que ça illustrait bien la démarche, la logique ; ça explique bien la logique.
Et puis, alors qu’une licence libre permettrait d'éditer l'histoire, tu dis bien que le premier réflexe c’est finalement d'aller vers les gens, donc la licence libre a tendance à faire du lien. On se sent l'envie d'aller vers les gens qui ont écrit ça.

Lionel Jeannerat : Je ne la vois pas tant comme ça. Juste pour parler deux secondes de la licence qu'on a choisie : on a créé notre propre licence qui s'appelle « œuvre libérée », mais, en réalité, c'est un copier-coller de la Creative Commons By SA, By c'est le fait d'être obligé de citer l'auteur et aussi l'éditeur qui a travaillé dessus, l'illustrateur également ; SA c'est le copyleft, c'est l'obligation, quand on reprend une œuvre, de la repartager dans les mêmes conditions et c'est compatible aussi avec la licence Art Libre. On avait vraiment envie de montrer cette diversité qui existe, en tout cas, dans le copyleft.
Je suis un grand fan du copyleft. Avec le copyleft on est obligé de reprendre la même licence lorsqu'on partage l’œuvre. Je n'aurais pas édité sous une licence qui ne serait pas copyleft parce que, en fait, le copyleft permet aussi de protéger l'œuvre de manière à ce que, au niveau commercial, quelqu'un qui reprend le texte, le retravaille, l'adapte en livre audio, en bande dessinée ou autre, il y a plein de formats, eh bien la personne est totalement libre de le faire, les gens n’ont pas besoin de signer un contrat avec nous. En fait, ça permet d'éviter de la paperasse et puis la personne a la garantie que si elle a fait du travail, elle peut partager son travail. En réalité, ça permet une collaboration : elle a tout intérêt à venir me voir et puis dire « j'ai fait un beau travail, qu’est-ce que vous en pensez ? » Si on veut faire une collaboration, on peut signer un contrat, peut-être trouver les manières que nous aurons pour promouvoir son travail, etc.
En fait la licence libre, permet une collaboration frictionless, c’est-à-dire sans friction. Il n'y a pas besoin d'aller sonner chez Disney, pour prendre ceux qui défendent très fort leur copyright, pour avoir le droit de se l'approprier et de le partager. Une des raisons de cette expérimentation c'est de rendre possible une collaboration sans friction.

Laurent Costy : On sait que quand on va chercher quelqu'un qui a publié avec une licence libre, finalement on va être dans le même état d'esprit et ça va couler de source. On va avoir envie de collaborer, ça va être beaucoup plus fluide.

Lionel Jeannerat : Pas forcément, la réalité dans le monde, ce sont les fanfictions de Harry Potter ou de Twilight. Quand les gens prennent un livre, qu’ils l'apprécient, on se rend compte que ce n'est pas la licence qui va le leur faire apprécier ou pas et il se trouve que s’ils ont envie de se l'approprier, ils le feront. Les barrières mentales qu'on fait sur le copyright sont surtout des barrières légales. En fait, les gens qui se le réapproprient n’ont pas honte de l'avoir fait, donc ils peuvent venir vers nous en disant « je l'ai fait », c’est ce que j'espère. C’est vraiment le but de l'ouverture de cette collection et, pour le moment, je l'expérimente déjà à petite échelle, on verra, il est encore un peu tôt pour faire un bilan.

Laurent Costy : Vous reviendrez dans un an ou dans deux ans.

Lionel Jeannerat : Ou dans deux ans. Quand on aura adapté un film !

Laurent Costy : Dans cinq ans alors. Peut-être une dernière question sur le jeu de rôle, je crois qu'on avait évoqué aussi une expérience malheureuse de volonté d'édition d'une histoire de jeu de rôle avec un éditeur qui, finalement, avait mis la clé sous la porte. Est-ce que vous pouvez raconter peut-être ce passage-là, si ça a une pertinence ?

Lionel Jeannerat : En fait dans mon histoire, quand j'ai commencé à écrire et à travailler un peu dans quelque chose qui touchait à de l'édition, si on veut, de la relecture, des choses comme ça, c'était pour le jeu Agone, c'était édité par une maison d'édition qui s'appelait Multisim, qui avait mis la clé sous la porte et toute la communauté autour de ce jeu s'est retrouvée à ne plus pouvoir avoir de nouveaux livres parce que les ayants-droit n'arrivaient pas à se mettre d'accord. On continuait à écrire mais c'était au bord de la légalité.

Laurent Costy : Ça rejoint, finalement, ce qu'on défend quand on dit « le logiciel libre a quelque chose de pérenne » : quand l'éditeur qui a développé le logiciel met, justement, la clé sous la porte, le code étant ouvert, un autre éditeur peut prendre à bras-le-corps la suite du logiciel et on se retrouve exactement dans la même situation, c'est assez similaire.

Lionel Jeannerat : Aquilegia a aussi une expérience avec un autre éditeur, je te laisse la parole.

Aquilegia Nox : Oui, tout à fait. Mon roman Adjaï aux mille visages, qui une série, dont le premier tome, Ceux qui changent, a commencé par être publié en ligne sur atramenta.net et, ensuite, j'ai fait la démarche d'essayer de trouver un éditeur. Dans mon esprit, j'aurais aimé trouver un éditeur qui puisse éditer sous licence libre et, en même temps, qui édite de la fantasy. C'était impossible ! Déjà, trouver un éditeur en soi c'était très compliqué. J'ai trouvé une maison d'éditions qui était une maison d'éditions à compte d'éditeur, on ne m'a rien demandé de débourser, mais qui éditait à la demande et qui ne faisait aucune promotion. Ça plus d'autres choses qui se sont moyennement bien passées ont fait que j'ai rompu le contrat au bout des deux ans qui m'étaient impartis, c'étaient des contrats renouvelables et je ne voulais pas m'engager pour une durée supérieure. J'aurais pu continuer, mais il fallait que je signe un contrat pour la durée maintenant standard qui est la durée totale de notre vie plus 70 ans. Je n'avais pas envie de faire ça avec eux, donc je me suis mise à la recherche d'un nouvel éditeur. C'est là, au cours d'un salon justement, d'une convention de jeux de rôle, que je rencontre Lionel, je lui raconte mes malheurs et il me dit « tu te rappelles que je suis éditeur ! »
Il se trouve que j'ai eu la très grande chance que ce livre lui plaise, qu'on puisse le reprendre ensemble, faire un vrai travail éditorial dessus et puis l'éditer.
Je ne savais pas, évidemment, que le projet de libérer pouvait être dans les tuyaux mais, quand ça a été proposé, je ne pouvais pas imaginer être mieux tombée !

Laurent Costy : Très bien. Merci pour ce témoignage, je trouve que c'est intéressant. Là aussi on met le doigt sur le rôle de l'éditeur, on y reviendra tout à l'heure dans la discussion, je pense que ce sera intéressant de l'évoquer.
On a évoqué tout à l'heure InLibroVeritas, je veux bien votre point de vue sur l'évolution de l'édition indépendante. C'est vrai que j'avais écrit « édition alternative » parce que je ne sais pas comment on intègre les licences libres dans le terme « édition indépendante » ou dans « édition alternative ». Éclairez un peu tout ça.

Lionel Jeannerat : Pour tout cet historique, je vais ai plutôt laissé la parole à Aquilegia.
Déjà, en Suisse, le monde de l'édition est quand même un peu différent par rapport à celui de la France. En France, on constate surtout l'hégémonie des gros éditeurs qui sont contrôlés par des milliardaires. On fait souvent la différence avec l'édition indépendante qui sont des éditeurs indépendants des gros groupes d'édition française, c'est très dynamique. Mais en réalité, en termes de ventes, en termes de visibilité aussi – parce que ces gros groupes contrôlent aussi une bonne partie de la diffusion, ils possèdent aussi les chaînes de magasins, de libraires –, on fait souvent la différence pas tant sur la licence ou la manière d'éditer mais sur l'indépendance, notamment économique, des éditeurs. Je me considère comme un éditeur indépendant, c'est plutôt la règle en Suisse, mais, dans le monde francophone, ce sont des gros éditeurs.

Laurent Costy : En tout cas, ta maison d'éditions est indépendante et même alternative, puisque, justement, elle explore toute la logique des licences libres.

Lionel Jeannerat : Elle expérimente !

Laurent Costy : D’accord !

Lionel Jeannerat : Quand on me demande, j’essaye de ne pas présenter ma maison d'éditions comme une maison d'éditions suisse. En fait, j'aimerais me présenter comme un éditeur de SFFF, science-fiction fantasy fantastique. En réalité, je fais un travail d'éditeur. J'expérimente. J'aimerais convaincre sur la qualité de mes livres et pas forcément sur les spécialités d'expérimentation que je fais.

Laurent Costy : De toute façon, comme tu le disais, les gens ne vont pas chercher un livre d'abord pour la licence, on est d’accord.

Lionel Jeannerat : Disons que je ne suis pas très punk. Quand on dit « édition alternative »...
Le fait est que pour être visible et pour avoir des partenaires, etc., il faut aussi rassurer. Je viens avec les spécialités un petit peu au compte-goutte pour ne pas effrayer ou pour coller une image que je n'aimerais pas avoir.

Laurent Costy : Ce n'est pas le langage qu'ils parlent, ils ne vont pas comprendre. En tout cas, ce n'est pas la bonne entrée pour entrer dans la matière, ça me semble évident. Tu peux compléter éventuellement par rapport un peu à cette histoire de l'édition indépendante.

Aquilegia Nox : De ce que je connais de l'édition indépendante libriste ?

Laurent Costy : Plutôt libriste. On parlait de InLibroVeritas, c'est vrai que j'avais croisé ça dans mon parcours libriste, je l'ai vu disparaître à un moment donné, c'est pareil, c'était mes débuts, donc je n'appréhendais pas tout ça.

Aquilegia Nox : En fait, il y a eu une scission au moment de la création de Atramenta. InLibroVeritas avait une spécificité : c'était aussi une maison d'édition. Elle ne proposait pas que du compte d'auteur, c'est-à-dire de pouvoir éditer son livre à ses frais puis de se charger soi-même de la diffusion, etc., mais elle proposait vraiment une édition ce qu'on appelle à compte d'éditeur, c’est-à-dire que c'est l'éditeur qui prend tout en charge et se charge aussi de la promotion, de la diffusion. Malheureusement la diffusion c'était effectivement quelque chose qui ne se faisait pas, on ne retrouvait pas les livres de InLibroVeritas, de ??? [38 min 20] ou de la collection sciences libres dans les librairies. Je pense que c'est quelque chose qui a coûté puisque la diffusion ne se faisait pas facilement.
En tout cas, ça a été une époque extrêmement effervescente, il y avait énormément d'idées, il y avait énormément d'auteurs qui voulaient se lancer, des recueils ont été publiés sous licence Art Libre, des choses vraiment très intéressantes, mais pas ce côté diffusion !

Laurent Costy : Ça n’avait pas été pensé ? Ça n’avait pas été expérimenté ? C'est pareil, toi, Lionel, tu construis ton réseau et ça prend un temps colossal finalement.

Lionel Jeannerat : Je pense que je suis un des premiers éditeurs francophones de littérature diffusée en France, en Belgique et en Suisse et comment on y parvient ? Eh bien il a fallu construire toute cette collection. Maintenant ce sont 20 livres. Au moment où j'avais démarché les diffuseurs, on était peut-être à une dizaine. Et puis il faut montrer que c'est beau, on doit montrer une régularité dans les sorties, en fait c’est véritablement un coût en travail. Maintenant plein de gens nous proposent leurs manuscrits, il y en a même certains qui aimeraient spécifiquement être édités par nous à cause de la licence libre. Le truc c'est que pendant longtemps on n'était pas connu, on ne nous proposait pas les manuscrits. Il a fallu travailler là-dessus. Maintenant on a cette chance de pouvoir être dans les librairies, d'être connus aussi, tout ce gros travail a été fait, je me suis dit «  j'ai un peu de temps, j'ai un petit peu de temps de cerveau disponible, maintenant on va essayer autre chose » et l'autre chose c'était de libérer la collection.

Laurent Costy : Merci pour cet éclairage. Avant la pause musicale un dernier point peut-être par rapport, justement, à cette édition indépendante et alternative. Framabook a existé, s’est transformé récemment. Est-ce que vous pouvez juste en dire deux mots parce que c'est une expérience.

Lionel Jeannerat : J'ai suivi, j'ai surtout échangé beaucoup avec, maintenant, Des Livres en Commun. Framabook était aussi une maison d'éditions qui éditait à compte d'éditeur, mais, tout comme les autres que Aquilegia a citées, en réalité ils n’avaient pas de diffusion. Ils faisaient un super travail éditorial de relecture, de mise en page et tout ça. On pense souvent que le travail d’éditeur c'est juste...

Laurent Costy : On reviendra après la pause musicale sur le travail d’éditeur.

Lionel Jeannerat : Maintenant ils ont vu que ça marche. Ils étaient déçus par les ventes, ils ont vu aussi que ça ne rapportait pas grand-chose aux auteurs, en fait les ventes il n'y a pas de miracle, pour pouvoir rémunérer au mieux les auteurs il faut vendre. Ils ont transformé tout ça en Des Livres en Commun et ils ont décidé de subventionner la création de livres sous licence libre sur la base de projets qui sont soumis. Ils sont maintenant plus dans le soutien/subvention à la création.

Laurent Costy : C’est le CNC du livre en France, du livre libre.

Lionel Jeannerat : Du livre libre, sauf qu'ils n’ont pas les mêmes moyens.

Laurent Costy : Je vais repasser la parole à Étienne pour la pause musicale.

Étienne Gonnu : Merci Laurent.
Je vais en profiter pour relayer deux petits propos qui nous viennent sur le webchat, notamment de Booky qui est en régie qui, au-delà de ses activités de régisseuse de l'émission Libre à vous !, est également libraire, je pense que c’est une conversation qu’elle peut suivre aussi avec expérience. Elle nous dit, d'une part, que c'est compliqué pour les libraires d'avoir des livres qui viennent de InLibroVeritas. Le site n'existe plus, on vous fera une redirection vers le superbe outil archive.org qui permet d'explorer d'anciens sites web, on vous mettra le lien, comme ça vous pourrez vous faire une idée. Booky nous disait également que c'est effectivement important d'être diffusé mais que ça peut coûter cher.
Et je vais partager, moi aussi, une réflexion que je me suis faite pendant les échanges : ça m'évoquait une émission que tu avais aussi animée sur les BD et la culture libre. Certaines choses que vous avez pu dire m’ont évoqué des propos que tenait David Revoy qui publie ses bandes dessinées sous licence libre. Peut-être que je devance des propos qui seront tenus par la suite ? Non me fait Laurent. Entendu.
Nous allons donc passer à une pause musicale. Nous allons écouter Balcarabic Chicken par Quantum Jazz. On se retrouve juste après. Belle journée à l'écoute de Cause Commune la voix des possibles.

Pause musicale : Balcarabic Chicken par Quantum Jazz.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Balcarabic Chicken par Quantum Jazz, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA .

[Jingle]

Deuxième partie 46’ 58

Étienne Gonnu : Nous sommes de retour sur la radio Cause Commune.