Émission Libre à vous ! du 7 septembre

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Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 7 septembre 2021 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Jean-Christophe Becquet - Philippe Latombe - Lorette Costy - Laurent Costy - Étienne Gonnu - Isabella Vanni à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 7 septembre 2021

Durée : 1 h 30 min

Podcast de l'émission

Page des références utiles concernant l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Et si on donnait enfin priorité au logiciel libre ? Nous en discuterons avec Philippe Latombe, député et auteur d’un rapport sur la souveraineté numérique où il préconise justement de systématiser le recours au logiciel libre dans les administrations. Ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Également au programme un site dédié aux algorithmes publics et une exploration des navigateurs internet.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, émission proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé des affaires publiques à l’April.

J’espère que malgré le contexte sanitaire encore difficile vous avez passé un bel été. En tout cas c’est un grand plaisir de reprendre et d’animer la première émission cette saison 5 de Libre à vous !, une émission que nous avons décidé de dédier à Philippe Aigrain qui a été un grand défenseur des libertés informatiques, malheureusement décédé cet été. J’y reviendrai en fin d’émission et je vous lirai l’hommage que lui a rendu l’April.

Le site web de l’April est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours et à nous poser toute question.

Nous sommes le 7 septembre 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, ma collège Isabella. Salut Isa.

Isabella Vanni : Bonjour.

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Pépites libres » de Jean-Christophe Becquet à propos du site Nos Algorithmes

Étienne Gonnu : Pour commencer cette émission, nous allons recevoir Jean-Christophe Becquet, par téléphone, qui, pour sa première « Pépites libres » de cette saison 5 de Libre à vous !, va nous parler de Nos Algorithmes, le site qui montre que l’éthique des algorithmes publics n’est pas une question binaire. Salut Jean-Christophe.

Jean-Christophe Becquet : Bonjour à tous. Bonjour à toutes. Déjà la cinquième saison de Libre à vous !
Je vais vous parler aujourd’hui de Nos Algorithmes.

Nos Algorithmes est un site web réalisé par le studio Design Friction à l’initiative d'Etalab. C'est donc une contribution publique puisqu'Etalab est le département de la Direction interministérielle du numérique, DINUM, qui coordonne notamment la politique de l’État dans le domaine de la donnée. La mention de crédit, en pied de page, précise que les contenus sont partagés sous licence libre Creative Commons BY-SA 3.0. C'est-à-dire que tout le monde peut les réutiliser librement aux seules conditions de citer l'auteur et d'appliquer la même licence lors de la diffusion de versions modifiées.

Nos Algorithmes est sous-titré « Futurs, éthiques et opportunités des algorithmes publics ». Je trouve très intéressante cette approche que l'on peut qualifier de réflexive, c'est-à-dire que l'administration questionne son propre fonctionnement. On peut en effet lire, dès la page d'accueil, que « le projet se veut autant un pas de côté qu’un bond en avant, délaissant les notions d’expérience utilisateur, de développement agile ou de conformité réglementaire pour celles des imaginaires, de la spéculation et de la co-(dé)construction ». J'ai eu envie de saluer la démarche que je qualifierais à la fois de rare et courageuse.

Le site Nos Algorithmes se compose de trois parties qui questionnent successivement les imaginaires, les futurs et les impacts des algorithmes publics. « Nous interrogeons les raisons de mettre en place un algorithme public, aujourd’hui comme demain », expliquent les auteurs.
À l'heure où l’on nous parle d'État plateforme et de dématérialisation dans les collectivités, il me semble essentiel de rappeler que ces transformations appellent certains prérequis. Il faut ouvrir les algorithmes, libérer les codes sources et donner à chacun les clefs pour prendre part aux discussions sur les données et les traitements informatiques. Les controverses autour de dispositifs comme Parcoursup, qui gère l'affectation des jeunes dans l'enseignement supérieur, illustrent bien les tensions que peut provoquer un tel outil. Et c'est parfaitement justifié lorsqu'il traite des aspects aussi sensibles de nos vies. Je pense donc qu'un site comme Nos Algorithmes peut contribuer à susciter des questionnements et nourrir les réflexions sur les conséquences de l'omniprésence de ces nouveaux outils dans notre quotidien.

Dans la section « Les futurs des algorithmes publics », l'interview fiction d'Amel Atay, historienne au sein de la mission « interadministration d’archéo-algorithmie publique » a particulièrement retenu mon attention. Elle rappelle que « les administrations sont garantes de l’intérêt général. Elles ont cette obligation de déceler les indices qui invitent à faire, à ne pas faire ou à défaire un algorithme ». Elle explique l'importance « d’identifier les valeurs, les imaginaires, voire les actualités du moment, qui ont pu influencer à court terme la décision de création de l’algorithme ». Elle commente l'exposition de ses travaux au « musée des algorithmes publics », un établissement fictif inventé pour retracer l’histoire des algorithmes publics, du formulaire papier aux premières intelligences artificielles.

Dans la partie consacrée aux impacts des algorithmes publics, on découvre l'Algora, « un outil de discussion pour comprendre les impacts souhaités, inattendus et indésirables d’un algorithme existant et déjà en place et agir en retour ». L'Algora se présente sous la forme d'un jeu de cartes complété par des ressources d'animation. Cela plaira sans doute aux contributeurs du groupe Sensibilisation de l'April qui travaillent ensemble pour imaginer de nouveaux supports afin de faire partager au plus grand nombre les enjeux associés au logiciel libre.

Un autre outil m'a beaucoup amusé, Le Décadreur, qui permet de reconsidérer un acquis ou une décision à travers un autre prisme. Les participants sont ainsi invités à changer de regard : « et si ça passait en mode manuel ? », « et si ça s'inscrivait dans le temps long ? », « et si c'était réversible ? », « et si ça allait contre l'intérêt général ? » ou encore « et si ça devenait un commun ? ». J'ai envie d'ajouter « et si c'était un logiciel libre ? »
Toutes ces questions parleront sans aucun doute à notre invité du jour, le député Philippe Latombe, rapporteur de la mission d'information « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne » que je salue au passage avant de rendre le micro en vous souhaitant une bien belle émission.

Étienne Gonnu : Merci Jean-Christophe pour cette nouvelle pépite libre produite, comme tu le précises, et ce n’est pas anodin, par une personne publique. Ça fait plaisir de voir des pépites libres produites par des personnes publiques et merci de nous offrir une si belle transition vers notre sujet principal.
Salut Jean-Christophe, je te dis au mois prochain pour une nouvelle pépite libre ?

Jean-Christophe Becquet : Absolument. Rendez-vous au mois d’octobre. Bonne fin d’émission. À la prochaine.

Étienne Gonnu : Merci Jean-Christophe.
Nous allons effectivement échanger avec Philippe Latombe sur son rapport dont une des préconisations est la systématisation du recours au logiciel libre. Je vous propose avant ça de faire une courte pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Nous allons écouter Catacombs par Fog Lake. On se retrouve juste après. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Catacombs par Fog Lake.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Catacombs par Fog Lake, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By, qui permet la réutilisation, la modification, la diffusion et le partage de cette musique pour toute utilisation, y compris commerciale, à condition de créditer l’artiste, d’indiquer la licence et d’indiquer si des modifications ont été effectuées. Occasion pour moi de rappeler que toutes nos pauses musicales sont sous licence libre telle que la Creative Commons CC By de cette chanson, la Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA, ou encore des licences Art Libre.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Nous allons à présent passer à notre sujet principal.

[Virgule musicale]

Échange avec Philippe Latombe, député et auteur d'un rapport d'information sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

NB : Dans les propos tenus, "logiciel sous licence" signifie "logiciel sous licence propriétaire ou privatrice".

Étienne Gonnu : J’ai donc le plaisir de recevoir le député Philippe Latombe qui, comme le rappelait Jean-Christophe, est l’auteur d’un rapport intitulé « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne ».
Je rappelle aux personnes qui nous écoutent qu’elles peuvent participer à notre conversation soit au 09 72 51 55 46 soit sur le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm, bouton chat.
Philippe Latombe bonjour.

Philippe Latombe : Bonjour.

Étienne Gonnu : Je vous propose de commencer par une question somme toute très classique, est-ce que vous pourriez vous présenter s’il vous plaît ?

Philippe Latombe : Philippe Latombe, je suis député de la Vendée. Je suis membre de la commission des lois, donc j’ai eu le plaisir de pouvoir être le rapporteur d’une mission sur « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique française et européenne », puisque la dimension européenne est aussi quelque chose de très important dans ce sujet.

Étienne Gonnu : Entendu. Qu’est-ce que qui vous a donné une appétence pour ces questions-là ?

Philippe Latombe : Dans mon passé, avant d’être député, j’étais responsable dans un établissement bancaire, j’ai fait pas mal de financements, notamment d’entreprises innovantes dans le domaine, ce qui n’est pas forcément toujours très facile. Une fois qu’on a touché à la matière on a très envie de continuer. En arrivant à la députation, à la commission des lois, un gros travail a été fait sur le RGPD, la transposition du paquet européen en droit français, donc, très naturellement, je me suis lancé sur ce sujet-là.

Étienne Gonnu : Entendu. Le RGPD qui est le Réglement général pour la protection des données.
Si vous le voulez bien, avant d’aborder le fond de vos travaux sur la souveraineté numérique et sur vote proposition relative au logiciel libre, je pense qu’il pourrait être intéressant de s’arrêter un court instant sur ce qu’est une mission d’information, s’il y a une spécificité, parce que c’est le cas de celle-ci, qu’elle soit initiée par la conférence des présidents des différents groupes politiques de l’Assemblée nationale, on sait que n’est pas toujours le cas, et comment cela s’inscrit globalement dans les travaux de l’Assemblée qui sont bien plus, finalement, que la simple participation aux questions au gouvernement, ce que l’on a plutôt tendance à voir habituellement.

Philippe Latombe : La mission d’information qui est sous la conférence des présidents est une mission d’information très particulière, elle a une vocation très prospective. L’Assemblée est gérée par un président qui regroupe autour de lui l’ensemble des présidents de groupes et ils déterminent chaque année un certain nombre de grands sujets sur lesquels ils veulent être éclairés, sur lesquels ils pensent que les députés doivent être éclairés pour préparer l’avenir. C’est à ce titre-là que, la pandémie commençant et le fait que nous ayons besoin de recourir à l’ensemble du matériel numérique, a posé la question au président de l’Assemblée et aux présidents de groupes de comment est-ce qu’on pouvait assurer une certaine souveraineté, donc ils ont décidé d’ouvrir une mission. C’est une mission d’une année, c’est un travail de longue haleine pour lequel des moyens particuliers sont mis à disposition du rapporteur et du président. Pour que ça soit totalement transparent, la mission est une mission qui regroupe à la fois l’opposition et la majorité. C’est-à-dire que systématiquement le président est de l’opposition et le rapporteur de la majorité ou inversement, ce qui donne une certaine objectivité au travail, ce qui permet d’éviter les conflits, j’allais dire politiques, pour se consacrer vraiment au fond du sujet et à l’ensemble du sujet. Cela a été le cas pour la mission pour laquelle j’ai été rapporteur, et le président que je salue ici, Jean-Luc Warsmann, faisant partie de l’opposition, avec lequel nous avons vraiment travaillé en intelligence. Le rapport c’est vraiment ce travail de fond qu’on a pu mener, d’un an, avec une aide administrative de l’Assemblée.

Étienne Gonnu : Entendu. Pourquoi ce sujet de la souveraineté numérique ? Je pose cette question parce qu’on sait que, notamment en 2019, il y avait déjà eu un rapport sénatorial sur le même sujet de la souveraineté numérique. Plus récemment la commission Affaires étrangères de l’Assemblée s’est penchée sur la question connexe des géants du numérique. Pourquoi un nouveau rapport ? Quel était votre angle d’attaque ?, si je peux m’exprimer comme ça.

Philippe Latombe : Le sujet est venu de la part des présidents de groupes et du président de l’Assemblée notamment parce que nous, parlementaires, nous devions nous réinventer pour travailler éventuellement à distance, travailler de façon dématérialisée. Quand on a fait le tour de l’ensemble des solutions qu’on pouvait utiliser, on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas beaucoup de solutions pratiques qu’on pouvait mettre sur le site de l’Assemblée et notamment qu’elles étaient d’origine étrangère, systématiquement, pour ne pas la nommer c’était une solution américano-chinoise que tout le monde connaît. Cela interrogeait beaucoup notre capacité à pouvoir, dans le cadre d’une pandémie, faire travailler à distance, continuer à avoir des réunions, les rendre publiques au maximum tout en utilisant des logiciels ou des solutions françaises ou européennes. C’est de là qu’est partie la mission en se disant, de plus, que nous avions certainement des zones de fragilité pendant la pandémie, notamment auprès de nos entreprises et de nos hôpitaux — on l’a bien vu avec les différentes attaques qu’il a pu y avoir contre des hôpitaux — et c’est ce qui a généré la mission et l’angle sous lequel nous l’avons abordée.
Ce n’est absolument pas l'angle ou même sens que celui de l’autre mission sur les géants du numérique. La question n’est pas du tout de savoir s’il faut démanteler ou ne pas les démanteler les géants, ce n’était pas le sujet du rapport. Le rapport propose des solutions concrètes pour faire en sorte que nous puissions bâtir, certains disent retrouver, moi je pense qu’il faut la construire, une souveraineté. Ça a nécessité un gros travail de définition, on reviendra dessus, et ça n’a rien à voir avec le travail des sénateurs qui était un travail beaucoup plus prospectif sans propositions concrètes. Là on a vraiment voulu, tous, avoir des propositions concrètes qu’on a mises en tête dans le rapport, qu’on a hiérarchisées en disant voila comment aujourd’hui nous pourrions, à court et à moyen terme, mettre en place des solutions pour pouvoir construire cette souveraineté.

Étienne Gonnu : C’est intéressant. Effectivement je n’avais pas fait le lien que c’est finalement la pandémie qui a généré ce travail politique avec cette mise en perspective de notre situation de dépendance.
Puisque vous parlez de définition, effectivement on parle beaucoup de souveraineté numérique, mais qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que cette année de travail vous a permis d’identifier comme étant une bonne définition de la souveraineté numérique ?

Philippe Latombe : La première certitude c’est qu’il n’y a pas une seule définition mais qu’il y a des multiples définitions. Les définitions sont tellement multiples que ça dépend de savoir si on est dans le secteur privé ou dans le secteur public ; ça dépend si on est Français ou Européen ; ça dépend de la vision sociétale que peuvent avoir certains pays européens. Je vous donne un exemple. Il y a deux pays baltes qui ont deux définitions de la souveraineté, et pourtant ils sont voisins, totalement différentes. Il y a un pays qui est tellement américanophile que pour lui la souveraineté c’est tout ce qui n’est pas autre chose qu’américain. Il veut absolument que tout soit américain. Le voisin, lui, dit « ce n’est pas du tout comme que nous voyons les choses. On voit la souveraineté comme la capacité à pouvoir bâtir notre propre système informatique et nos propres solutions. » Donc c’est vraiment une multiplicité de définitions qu’on a dû affronter.
Pour en retenir une, de façon très synthétique, et ensuite je renverrai au rapport parce qu’il y a une vingtaine de pages sur la partie de la définition, la souveraineté c’est la capacité à pouvoir faire un choix, choisir sa dépendance tout en conservant en permanence la capacité de refaire ce choix, c’est-à-dire qu’on parle de réversibilité. À un moment je peux avoir besoin, parce qu’il n’y a pas techniquement d’autre solution que de prendre une solution extra-européenne, mais je dois pouvoir avoir la capacité de migrer vers une solution française ou européenne si jamais elle émerge et qu’elle est au même niveau ou supérieur à celle que j’utilisais avant. C’est cette capacité en permanence à pouvoir faire le choix qui est la souveraineté. Ce n’est pas le repli sur soi, ce n’est pas systématiquement faire du recours à du produit bleu, blanc, rouge ou européen, parce que cela serait plutôt du souverainisme, et encore, je n’aime pas beaucoup le terme. C’est cette capacité de pouvoir faire un choix parce qu’à un moment il faut qu’on puisse avancer et qu’on puisse lancer des projets.
C’est pour ça qu’on a pris un angle dans le rapport, on est parti sur les données de santé, en se disant que ce qui est valable pour des données de santé, qui sont des données très particulières pour nos concitoyens, doit pouvoir se vérifier dans d’autres domaines. Donc est parti sur les données de santé et on a interrogé le fameux HDH, le fameux Health Data Hub, en se demandant pourquoi le choix de Microsoft ? Et on s’est rendu compte qu’il y a eu, à un moment, un choix qui a été fait et qu’on n’avait pas prévu la réversibilité. Donc là, forcément, ça ne rentre pas dans le cadre de la définition de la souveraineté telle que je viens de l’évoquer. Pour que le choix soit dit souverain, il aurait fallu que, dès le départ, on regarde si on avait plusieurs solutions – le HDH nous dit qu’il n’y en avait qu’une c’était Microsoft, peut-être – mais que si une autre solution émerge, il faut pouvoir migrer, il faut pouvoir faire une réversibilité et partir sur l’autre solution ce qui, aujourd’hui, n’est pas le cas.
C’est cet exemple-là qui nous a permis, ensuite, d’aller interroger d’autres domaines du numérique notamment au sein de l’État ou au sein des collectivités territoriales.

Étienne Gonnu : Je trouve cette approche très intéressante, rappeler qu’il y a une multiplicité de définitions. Effectivement, selon celle qu’on va choisir, on va prendre une position politique qui va amener différentes réponses, donc forcément on se situe et finalement c’est normal. Ça m’évoque ce que disait Jean-Christophe à la fin de sa chronique, de l’importance aussi de savoir prendre de la hauteur, de changer de prisme, de regard, justement pour s’adapter à ce à quoi on cherche à répondre et comment ça répond aux enjeux.
Je pense que votre définition est assez proche de celle qu’on essaye d’avoir d’avoir à l’April, effectivement l’importance de maîtriser ce que l’on va considérer comme étant finalement le plus important, considérer comme étant une bonne maîtrise, c’est la maîtrise des choix qui est peut-être la meilleure manière de le synthétiser. Je vous rejoins là-dessus.
Peut-être que vous souhaiteriez dire un mot général avant qu’on parte sur le logiciel libre ?

Philippe Latombe : Je voudrais revenir sur ce qui a été dit par votre collègue en introduction. Dans la souveraineté, il y a quand même une notion de transparence. C’est extraordinairement important et on voit que des pays européens ont réussi leur transformation numérique pas simplement parce qu’ils ont utilisé des logiciels libres ou des logiciels sous licence, mais parce qu’ils ont développé une sorte de transparence complète entre l’utilisation des données, des logiciels et des citoyens.
L’exemple qui a été donné tout à l’heure est un très bon exemple, Parcoursup. C’est extraordinairement important d’avoir l’intégralité de la transparence sur l’algorithme de Parcoursup. C’est un sujet qui est tellement important pour nos concitoyens de savoir comment les enfants vont être affectés post-bac, et c’est tellement viscéral, qu’on a besoin de savoir quels sont les choix qui sont derrière. Pour avoir les choix il faut savoir comment fonctionne un algorithme. Je trouve un peu dommage, on pourra peut-être en parler plus tard dans l’émission : on a rendu une partie de l’algorithme ouverte, mais on n’a pas ouvert les algorithmes locaux. Et on voit bien aujourd’hui que ce sont les algorithmes locaux qui génèrent beaucoup d’incompréhension auprès de nos citoyens.
Si on veut pouvoir avancer sur la numérisation de l’État, sur l’acceptabilité de cette numérisation par nos concitoyens, il faut à la fois des solutions soit françaises soit européennes au maximum, on parlera des solutions libres ou sous licence, mais il faut aussi une énorme transparence.
Le billet de votre collègue était extraordinairement important parce que ce qui est en train de s’ouvrir c’est quand même cette prise de conscience-là : il faut ouvrir les algorithmes, il faut que les gens puissent comprendre et voir ce qu’il y a derrière.

Étienne Gonnu : Il y a des considérations techniques, mais ce sont avant tout des questions politiques et si on veut, finalement, être présents pour défendre l’idéal démocratique qu’on peut partager, je pense, si ce sont des sujets politiques on doit tous avoir la possibilité de pouvoir s’y intéresser. On n’est pas obligés de tous maîtriser ce qu’est l’algorithmie, mais si on veut s’y pencher, si on veut pouvoir s’y intéresser, si on veut pouvoir participer à ces prises de décision politique, la transparence est un prérequis indispensable, effectivement.
Justement, parmi les 65 propositions de votre rapport, même parmi les 30 propositions clefs si je ne me trompe pas, une en particulier a bien sûr attiré notre attention, la proposition 52 qui appelle à « imposer au sein de l'administration le recours systématique au logiciel libre en faisant de l’utilisation des solutions propriétaires une exception ». L’April a évidemment salué dans son communiqué cette prise de position assez radicale et ambitieuse qui, pour nous, rejoint la proposition d’une priorité au logiciel libre dans le secteur public que nous défendons depuis des années.
J’ai envie de commencer par une question finalement assez générale : en quoi le logiciel libre doit être un élément constitutif d’une politique ambitieuse de souveraineté numérique ? En fait, je crois que vous avez déjà commencé à y répondre.

Philippe Latombe : C’est l’idée de se dire qu’à chaque fois on peut faire un choix et qu’on peut, à chaque fois, maintenir ce choix ou le changer.
Dans le rapport on n’a pas refait le rapport Bothorel sur le Libre, ce n’était pas du tout l’objet. Là c’est d’être concret et de se dire qu’il y a aujourd’hui une émergence du logiciel libre, il y a une volonté d’aller vers le logiciel libre, mais que cette volonté, parfois, notamment au sein de l’administration, se heurte à des considérations très techniques et très, j’allais dire, de rapidité et d’efficacité en disant « je prends une solution avec une suite bureautique ou une suite logicielle d’un américain parce que ça marche, c’est facile ». Dans les auditions des personnes nous l’ont dit : les entreprises prennent des solutions américaines, pourquoi l’administration ne les prendrait-elle pas ? Il y a une espèce de concurrence ou de volonté de faire aussi bien que le privé donc on prend aussi les mauvais côtés. Donc on s’est rendu compte, et on l’a vu notamment au sein de l’éducation, qu’il y avait des utilisations de suites bureautiques, de logiciels, uniquement pour des raisons de confort et de rapidité alors que d’autres solutions existent.
L’idée c’est de renverser la charge de la preuve. C’est de dire qu’on essaie systématiquement de prendre du Libre et on explique l’exception le jour où on a besoin. On ne fonctionne pas à l’envers. On ne dit pas il y avait du Libre, mais il était moins bien que la suite sous licence. Non ! On commence par voir ce qu’on peut prendre en Libre et si jamais ça ne marche pas pour des raisons très particulières, qu’on documente, à ce moment-là on peut aller vers du licence. Mais, dans ces cas-là, il faut vraiment avoir exprimé, et c’est ce qui est important, il faut que l’administration ait exprimé ses besoins dès le départ ; il faut qu’elle ait fait le travail de transformation de l’expression de ses besoins en qu’est-ce que j’ai sur le marché qui existe et qui permet de répondre à ces besoins et en quoi le Libre ne me permet pas de répondre à ces besoins comme que je les ai exprimés.
Et puis ça a un deuxième effet c’est que ça oblige les DSI [Directeurs des Systèmes d'Information], dans les administrations, à systématiquement penser Libre et à penser développement. Si on commence à simplement mettre le doigt dans « j’achète quelque chose sous licence », en fait on se rend bien compte que c’est un peu une addiction, c’est un peu le sucre dans les sodas ; parce que j’ai de la licence je ne vais pas faire de développement et c’est la licence qui va faire les propres développements. Donc je vais devenir définitivement dépendant de la licence ce qui n’est pas acceptable parce que ce n’est pas ce qu’on veut. On veut que l’État puisse aussi innover, faire du développement et c’est beaucoup plus facile de le faire avec du Libre qu’avec des logiciels sous licences.

Étienne Gonnu : Et dans le futur, ce que vous disiez, qu’il soit libre de ses choix, de pouvoir changer, de ne pas générer sa propre dépendance.
Vous disiez que dans certaines des auditions que vous avez menées, de nombreuses auditions d’ailleurs, qu'on peut noter une différence importante entre administrations et entreprises : les administrations sont aussi tenues à une mission de service public, elles doivent répondre à des impératifs d’intérêt général. Là où je vous rejoins à 100 % sur repartir dans le bon sens, c’est-à-dire que les libertés informatiques, la liberté d’user librement de son logiciel, de pouvoir en étudier les sources, de pouvoir les modifier et de pouvoir distribuer ensuite les modifications, répondent à des impératifs d’intérêt général. À partir de là, lorsqu’une administration étudie ses besoins, elle doit, dans la mesure du possible, répondre à ces impératifs généraux en tout cas, dans un calcul proportionné et, si elle ne peut pas être à cette hauteur-là, devoir s’en expliquer. Je pense que c’est effectivement important à rappeler, ce n’est pas encore une évidence. Il faut peut-être aussi repolitiser cette question.

Philippe Latombe : Effectivement, même nous parlementaires. Dans le rôle constitutionnel du parlementaire il y a le contrôle de l’État, le contrôle de l’administration. Comment voulez-vous contrôler quelque chose auquel on n’a pas accès, on n’a pas accès à l’algorithme, on n’a pas accès à l’ensemble des développements tels qu’ils peuvent être faits parce qu’ils sont dans une sorte de boîte noire qui n’appartient plus à l’État.
On pourrait reprendre l’exemple de Parcoursup, mais on peut prendre un autre exemple qui est celui des éventuels sujets qui pourraient arriver à un moment ou à un autre – je fais beaucoup de fiction, mais ce n’est pas si loin que ça à mon avis –, de logiciels qui pourraient aider à la décision notamment en matière de justice. Il y a aujourd’hui des boîtes qui travaillent là-dessus. Si l’État devait utiliser ce genre d’algorithme pour aider les juges à prendre des décisions parce que ça rend les décisions plus rapides à rendre, etc., comment fait-on pour être sûr que ces algorithmes ne génèrent pas eux-mêmes la solution qui sera imposée à tous les juges ? La seule façon de le faire c’est de pouvoir aller expertiser à la fois le logiciel et l’algorithme, la forme et le fond du logiciel. On a besoin, aujourd’hui, de pouvoir avoir accès à l’ensemble du processus. Et aujourd’hui, avec des logiciels sous licence, c’est impossible ou quasiment impossible. En plus, la plupart ne sont même pas de droit européen et on ne peut pas avoir forcément accès au cœur de la boîte noire du logiciel.

Étienne Gonnu : Effectivement, sans se prononcer sur l’opportunité de logiciels d’aide à la décision, je pense que ça permet aussi de mettre en avant quelque chose d’important qui est que la technique qui serait neutre n’existe pas. Il y a des millions de façons de faire de l’algorithmie, des millions de façons de développer. Ça dépend aussi de la personnalité de la personne qui va traduire en code ce qui est censé être l’application de la loi dans ces exemples. On voit déjà, en fait, dans les logiciels qui existent, que ces personnes amènent leurs propres biais de perception et ça va générer par exemple des bais racistes, on a pu le voir, je crois, aux États-Unis où à conditions égales, pour une multiplicité de facteurs, le logiciel recommandait des peines plus sévères aux personnes dont la peau est noire.
Vous évoquiez le travail de votre collègue Eric Bothorel qui d’ailleurs a,je crois, participé aux travaux de cette mission. Il a effectivement publié un rapport sur l’ouverture des données publiques, algorithmes et codes sources. Nous l’avions d’ailleurs reçu dans Libre à vous le 19 janvier 2021, épisode disponible en podcast si ça intéresse nos auditeurs et auditrices. Il rappelait que l’ouverture des codes sources et plus largement la contribution au logiciel libre par les pouvoirs publics n’était pas, du coup, uniquement une question technique mais bien un enjeu éminemment politique, ce que nous disions justement maintenant, et il appelait à développer l’utilisation des logiciels libres. Sa proposition de créer une mission logiciel libre au niveau interministériel pour donner corps à une politique publique sur le sujet a été reprise, et nous ne pouvons que nous en réjouir, par une circulaire du Premier ministre du 27 avril de cette année. C’est vrai qu’il n’y avait pas de raison de refaire ce qu’avait fait votre collègue, mais quel regard, du coup, portez-vous sur ce rapport et plus particulièrement sur la circulaire qui va donner corps, finalement, à cette proposition ? Dans quelle mesure, pour vous, la politique publique annoncée par le Premier ministre répond à l’enjeu que vous avez soulevé par un appel à systématiser le recours au logiciel libre ?

Philippe Latombe : La première chose, on a repris le rapport d’Éric, mais on n’a pas refait le rapport. Il ne fallait pas le refaire. D’abord le rapport d’Éric Bothorel est très bien fait, en plus il faisait partie de la mission, c’est aussi pour ça que c’était important.
Je suis vraiment très satisfait de la décision du Premier ministre de reprendre cette proposition et de la matérialiser. C’est aussi pour ça qu’on a fait la proposition sur le logiciel libre de façon un peu plus stricte qu’au départ : il faut absolument que la circulaire soit suivie d’effets. Une circulaire en tant que telle c’est un bon signe, mais le vrai bon signe c’est quand systématiquement dans toute la fonction publique, dans tous les ministères, dans toutes les collectivités territoriales, dans toute la sphère publique, on aura un accès total et une ouverture totale des algorithmes, des données, de tout. Et aujourd’hui il faut qu’on passe à l’échelle, il faut qu’on passe au concret et c’est ça qui sera le vrai thermomètre de la transformation de l’État et de l’ouverture de l’ensemble des administrations au logiciel libre, à l’open data et à l’open source.
Je pense qu’il y a une envie fondamentale de l’administration de le faire. Il y a aussi une question de charge de travail qu’ils imaginent trop importante par rapport à ce qu’elle est. Il faut qu’on puisse avoir des systèmes, il faudra certainement que l’État via la DINUM [Direction interministérielle du numérique], via différents autres services, les aide à acquérir ce réflexe et à permettre de la transformer de façon concrète.
C’est aussi pour ça que la proposition qu’on a faite, qu’on a évoquée, qui est de dire qu’on recourt systématiquement au logiciel libre et on fait de la licence l’exception. Il faut que l'administration se dise que Libre, en open source, en open data, c’est la règle absolue. Il faut que tous les responsables de protection des données au sein de chaque ministère en soient conscients et qu’ils l’imposent. C’est la traduction concrète qui va être importante, mais c’est un très bon signe. Vraiment ! Mais la vraie question, on revient sur Parcoursup, ouvrir le logiciel et ouvrir l’algorithme de Parcoursup de façon nationale c’est important, la transparence c’est important, mais si on n’a pas les algorithmes locaux ça ne sert à rien. Donc il faut qu’on ait l’intégralité des algorithmes qui soient ouverts, donc il faut un réflexe systématique d’ouverture.

Étienne Gonnu : Je voulais justement vous poser une question et ça me permet d’y revenir, d'avoir votre lecture. Quand on parle des algorithmes locaux, par exemple pour Parcoursup, dans certains cas ce n’est pas forcément qu’un manque de volonté, c’est que, du coup, c’est compliqué. En fait, c'est parce que ça n’a pas été pensé en amont. Ce que vous dites me persuade que, finalement, on identifie un enjeu qui est fondamental,certes est difficile, mais les changements de paradigme le sont souvent et cela ne doit pas nous empêcher d’avancer, sinon à quoi bon ! Pour prendre un exemple, et pardon je vais prendre un anglicisme, privacy by design, comment la protection de l’intimité, de la vie privée doivent être pensées en amont même du développement du projet. En fait, pour moi c’est ici la même chose : il faut intégrer dans l’ADN des prises de décision et dans la manière dont l’administration s’équipe en termes de logiciel penser logiciel libre, penser accès aux sources, penser le partage des sources, la contribution de l’État et ainsi de suite. C’est peut-être encore ce qui manque.

Philippe Latombe : C’est effectivement ça et on revient sur un processus qu’on pourra évoquer qui est, par exemple, le processus d’achat de l’État. Ça nécessite forcément un travail en amont. Ça veut dire qu’il faut se poser, qu’il faut réfléchir à quels sont les besoins — l’expression des besoins est quelque chose d’absolument important — et transformer cette expression des besoins en une solution technique ou une solution qui corresponde à l’expression des besoins. C’est un travail très important que certaines entreprises ont pris l’habitude de faire mais que l’administration n’a pas forcément pris l’habitude de faire, donc il faut retransformer. Ça nécessite des changements de management assez importants, ça nécessite d’avoir des visions différentes et d’avoir une relation au temps qui est un peu différente.
Quand on demande à une administration de faire quelque chose en urgence et qu’elle n’a pas la capacité à réfléchir, du coup elle va forcément aller assez facilement vers une solution commerciale parce que c’est facile à mettre et à implémenter tout de suite. Alors que si on lui dit « on a un délai très court, mais il faut que ça soit réfléchi en interne dès le départ, quelles sont les perspectives, quels sont les projets qu’il peut y avoir au sein de l'administration », à ce moment ils commencent à réfléchir et ils expriment des besoins, ils sont en capacité d’y répondre avec des développements en interne.
Je pense que c’est effectivement une modification du fonctionnement de pensée, de même que pour les entreprises, par exemple, qui ont une culture un peu différente. La cybersécurité est quelque chose qui a toujours été assez peu mis dans l’ADN des entreprises, notamment dans celui des PME, alors qu’au sein de l’administration, la protection des données a toujours été quelque chose d’important.
Ce sont des changements culturels et je pense que les deux, l’administration et le secteur privé, peuvent s’auto-alimenter et s’auto-éduquer là-dessus, c’est pour ça qu’il peut être important de faire des allers-retours entre le privé et le public pour un certain nombre de développeurs, pour pouvoir apporter des bonnes pratiques du privé au public et inversement.

Étienne Gonnu : Entendu. Je vous propose de faire une courte pause musicale, qu’on puisse s’aérer les méninges, pour que les auditrices et auditeurs puissent aussi s’aérer les oreilles, pardon, avant d’aborder du coup les considérations importantes. Vous parliez du levier de la commande publique, je pense qu’on pourra s’y attarder, et l’enjeu de l’éducation qui est également extrêmement important.
Nous allons à présent écouter Nostalgia par Johny Grimes. On se retrouve dans environ trois minutes. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Nostalgia par Johny Grimes.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Nostalgia par Johny Grimes disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By. Je vous invite à retrouver une présentation de l’artiste sur le site de nos amis auboutdufil.com

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April et j’ai le plaisir d’échanger avec le député Philippe Latombe qui a récemment publié un rapport sur la souveraineté numérique.
Je rappelle que vous pouvez participer à notre conversation via le salon web dédié à l’émission sur le site causecommune.fm, bouton chat. Je vois notamment des retours enthousiastes de la part de personnes qui nous suivent sur ce salon, qui trouvent l’échange de très bonne qualité.
Jean-Christophe nous invite peut-être à clarifier certains termes, logiciels sous licences commerciales, logiciels libres. Vous voulez peut-être répondre, sinon je le fais rapidement. Rappeler que les logiciels libres sont des logiciels dont la licence, puisqu'ils sous licence libre, garantit les quatre libertés fondamentales d’usage, d’étude, de modification et de partage que nous avons mentionnées plus tôt. Par opposition nous parlons de logiciels privateurs, puisqu’ils privent de liberté, les logiciels propriétaires qui sont, on va dire, les logiciels plus classiques, mais tous ces logiciels sont sous licence puisque le droit d’auteur s’applique ds tous les cas.
Nous parlions donc de souveraineté numérique, de l’utilisation du logiciel libre, ou pas, et de comment justement le systématiser, l’amplifier au sein de l’administration et puis de votre proposition très concrète qui, finalement si je comprends bien, sert l’idée de donner une impulsion politique et d’appeler à se donner tous les moyens par rapport à un enjeu identifié, donc d’imposer, au sein de l’administration, le recours systématique au logiciel libre et de faire justement des solutions propriétaires une exception. J’aimerais, et vous aviez commencé à aborder ce sujet, que nous voyions un des leviers possibles pour donner corps à cette ambition et c’est celui de la commande publique. De ce fait se pose la question de comment les administrations acquièrent du logiciel. Dans votre rapport c’est une considération que vous semblez plutôt aborder sous l’angle d’une préférence nationale, je crois que vous l’abordez dans une partie dédiée à ce qu’on appelle les deep techs. On pourra définir rapidement ce que sont les deep techs et je suis pas forcément en mesure de le faire moi-même, mais en gros, pour soutenir les tissus économiques locaux, et pour nous à l’April, je pense que vous me rejoindrez, le même raisonnement peut s’appliquer à l’ambition de systématiser le recours au logiciel libre dont une large partie des entreprises sont des TPE, PME, également inscrites dans les territoires.
Déjà, de manière générale, sans forcément parler spécifiquement du logiciel libre tout de suite, pour vous quel est le rôle de cette commande publique dans une politique ambitieuse de souveraineté numérique ?

Philippe Latombe : Dans le rapport on a passé un gros moment sur la partie commande publique pour plusieurs raisons. Il y a des considérations totalement économiques. En règle générale des entreprises, notamment des start-up, préfèrent avoir des clients que d’avoir des subventions parce que l’effet d’un client en valeur ajoutée est beaucoup plus important que celui d’une subvention. Et le rôle de l’État, s’il veut développer son tissu, est de devenir un client, même un très bon client, de l’ensemble des entreprises qui travaillent sur le territoire national et européen C’est là où je reviens : quand on parle, le terme « préférence nationale » n’est pas forcément celui que je préfère, parce que le rapport est vraiment sur la notion européenne, parce qu’il y a un ensemble de valeurs, notamment portées par le RGPD dont on a parlé en introduction, qui fait que la zone Europe est une zone où on partage les mêmes valeurs et les mêmes considérations.
Pourquoi la commande publique est-elle un vrai levier ? Parce qu’on a, aujourd’hui, deux systèmes très particuliers.
On a quelque chose qui s’appelle l’UGAP [Union des Groupements d'Achats Publics]. L’UGAP référence dans le monde du numérique des logiciels par exemple et les administrations peuvent ce qu’on appelle acheter sur étagère. Elles disent « j’ai besoin de tel logiciel, il est référencé à l’UGAP, je peux l’acheter. »
Ensuite, pour des gros projets, il y a des appels d’offres.
Dans la plupart des cas, les administrations utilisent l’UGAP pour acheter des solutions logicielles que vous appelez des logiciels privateurs, des logiciels sous licence commerciale parce que c’est plus simple, ce qu’on a évoqué tout à l’heure. C’était par exemple le cas du HDH, le fameux Health Data Hub a utilisé la solution cloud de chez Microsoft en l’achetant via l’UGAP parce que la solution était référencée par l’UGAP.
Et puis, dans tous les grands projets, le vrai souci c’est que l’État, n’ayant pas forcément la capacité à faire son expression de besoin utilise, a recours à des entreprises qui sont des intégrateurs, qui font à la fois du consulting au départ pour définir le besoin de l’administration, du conseil, et une fois que le conseil est passé ces intégrateurs deviennent prescripteurs de solutions, donc le conseil dévie forcément vers du commercial et, dans la plupart des cas, c’est du commercial parce qu’ils ont des accointances ou parce qu’ils connaissent un certain nombre de personnes dans l’entreprise commerciale donc ils vont proposer naturellement ces solutions-là.
Aujourd’hui, le levier de la commande publique est très important parce que, au-delà des montants, ça permettrait aussi une transformation de l’administration justement pour intégrer, dès le départ, dans l’expression du besoin, tout ce qu’on a évoqué tout à l’heure : l’ouverture des données, l’ouverture des algorithmes, le développement futur. Si ce travail est fait par un prestataire extérieur, ça ne marche pas. Il faut absolument qu’il soit fait par l’administration elle-même.
Donc la commande publique ce n’est pas simplement une question de gros sous, ce qui est important déjà, mais c’est aussi une question de transformation managériale et de gestion de projet au sein de l’administration. Et c’est parce que l’administration aura mis en expression de besoin, en priorité, dès le départ, la transparence, l’ouverture, la possibilité de pouvoir changer, migrer, faire des choix, comme on le disait, différents dans quelques années, c’est ça qui doit faire l’expression de besoin donc ensuite la recherche de solutions. C’est pour ça que c’était important pour nous de pouvoir avancer sur ce sujet-là.
Le deuxième sujet c’est de se dire aussi qu’il faut que l’administration soit dans la prospective et c’est là où on parle deep techs. Aujourd’hui les acheteurs publics, et ce n’est pas une critique, sont un peu biberonnés aux conflits administratifs sur les appels d’offres, c’est-à-dire que la principale crainte qu’ils ont c’est que le marché public soit invalidé parce qu’ils ont raté la contractualisation à un moment ou ils ont raté l’appel d’offres. Du coup ils ne font pas du tout de travail de prospection en amont pour dire « peut-être qu’il y a des solutions qui pourraient être intéressantes à utiliser et pourquoi ne pourrait-on pas aller faire du sourcing sur des solutions ? » Aujourd’hui les acteurs sont uniquement sur cette partie-là, ils ne sont pas en proposition en amont, ils ne sont pas intégrés dans les projets au départ. Donc forcément ils arrivent en fin de parcours à simplement devoir exécuter ce qui leur a été proposé par l’administration.
On a besoin d’avoir ces prospectives-là, d’avoir ce sourcing-là de la part des acheteurs publics, donc qu’ils sachent à l’avance quelles sont les évolutions technologiques qui sont en cours pour qu’ils puissent intégrer ça dans les futurs process. C’est très important parce que, du coup, ça veut dire qu’ils pourraient s’intéresser à des entreprises qui, aujourd’hui, sont juste à la phase entre la partie technologique et la partie commerciale, c’est la transformation entre la partie technologique et la partie commerciale. Donc ils pourraient transformer de façon assez importante le tissu du monde de la tech notamment en Europe où on peut avoir des solutions allemandes qui sont très abouties et qu’on pourrait utiliser en France et inversement. On en a besoin aussi pour pouvoir ensuite faire en sorte que les entreprises françaises puissent être en capacité de s’exporter. Généralement la plupart des pays disent : « Est-ce que vous avez, entreprise Dupont, des références nationales ? Est-ce que l’État français vous fait confiance ? » C’est donc une sorte de preuve à l’export : l’État français faisant confiance à l’entreprise, elle peut être fiable et répondre à des marchés en Europe et même ailleurs.
Donc la commande publique a un effet de levier très important.

Étienne Gonnu : Vous avez balayé assez largement et on va peut-être s’arrêter sur quelques-uns de ces points, d’ailleurs vous en avez cité un qui m’a évoqué, qui a fait écho : nous avons reçu Éric Bothorel qui parlait déjà de ce sujet, nous avons également reçu Henri Verdier qui est ambassadeur pour les affaires numériques, et je pense que vous rejoignez les deux justement là. On mesure bien, au sein des administrations, l’importance pour les agents de monter aussi en compétences sur ces sujets. On a aussi besoin d’expertise pour être en mesure de donner corps dans les administrations elles-mêmes aux ambitions politiques, les intégrer. Ça ne veut pas dire forcément que tous les développements doivent être faits en interne, il faut qu’il y ait au moins l’intelligence nécessaire pour pouvoir exprimer les choix, on y revient, les choix techniques pour répondre aux impératifs politiques.

Philippe Latombe : On est sur une technologie qui bouge beaucoup. L’informatique des années 90 n’est plus du tout l’informatique telle qu’on l’a aujourd’hui. Donc on a besoin d’avoir des compétences qui évoluent. La meilleure façon de faire évoluer les compétences c’est soit d’attirer les talents dès le départ, et pour ça il faut avoir des grilles de salaire qui permettent de le faire, ce qui n’est pas forcément évident, on le voit. On a notamment, dans le rapport, fait un focus sur la partie sécurité intérieure avec la DGSI [Direction générale de la sécurité intérieure], l’ANSII [Agence nationale de la sécurité de systèmes d'information], avec d’autres agences, etc., les grilles de salaires ne permettent pas forcément systématiquement d’attirer les talents comme on le voudrait parce que des grosses entreprises privées payent beaucoup plus.
Et puis il y a la question de l’actualisation des connaissances. Quand on rentre dans au départ l‘administration on est expert, on devient ensuite responsable d’équipe, responsable de service et on a plutôt tendance, on lâche un peu la technique. À un moment ou à un autre, je ne sais pas pourquoi, il y a une sorte de plateau qui fait qu’on a perdu une certaine forme de technicité et qu’on est moins ouvert, forcément, au changement parce qu’on n’a pas l’habitude d’être dans quelque chose qui change, etc. Donc, de temps en temps, il pourrait être intéressant de faire des allers-retours entre le privé et le public, je ne parle pas du tout de hauts fonctionnaires mais de techniciens, d’ingénieurs qui, du coup, sortant de l’administration vont se former dans le privé à de nouvelles techniques, de nouvelles technologies et reviennent dans l’administration pour les réinjecter, je ne sais pas comment dire, ré-insuffler ces nouvelles technologies. Et le passage en sens inverse, de l’administration vers le privé, permet aussi aux entreprises privées de se rendre compte de ce qu’est la gestion de projet du domaine public et de l’administration. Donc ça permet d’avoir des échanges et de pouvoir mutualiser des bonnes pratiques.

Étienne Gonnu : C’est intéressant. Cette idée pourrait être un peu polémique. On reproche parfois des phénomènes de porte tambour, c’est-à-dire ces passages. On voit aussi l’importance d’encadrer ça. Je n’y vois pas forcément intrinsèquement un problème, mais on a pu constater quand même des critiques faites à certaines de ces pratiques alors que je trouve vos arguments également convaincants dans ce que ça peut apporter.

Philippe Latombe : S’il faut simplement l’encadrer, ça s’encadre, c‘est assez facile. Enfin ! On peut y mettre des limites, ce n’est pas le souci principal. Se dire « puisque j’étais dans la fonction publique, je suis parti dans telle entreprise et quand je vais revenir dans la fonction publique je vais faire la promotion de telle entreprise », non ! Si j’ai les garde-fous dont je parlais tout à l’heure et en disant qu’on privilégie systématiquement le logiciel libre, ça limite un peu le risque que vous évoquez.

Étienne Gonnu : Tout à fait, Vous devancez ma question suivante.
Effectivement, avec le logiciel libre on ne part pas sur des solutions spécifiques et strictement commerciales mais bien, en fait, sur des projets qui sont des communs informationnels et qui bénéficient à toutes et tous.
Je crois que vous avez aussi évoqué comment ça faisait partie de ce levier de la commande publique, ce que vous avez pu évoquer comme étant le soutien à des écosystèmes d’entreprises du numérique. Je pense que dans la grille de lecture qui est celle de l’April, on peut percevoir plus spécifiquement qu’il y a un enjeu à ce que les pouvoirs publics soutiennent l’écosystème du Libre en général au-delà des entreprises qui constituent une partie importante des communautés qui se construisent autour des différents projets logiciels. Ce qui est vraiment intéressant c’est de développer un soutien au logiciel libre en tant que commun informationnel. J’ai l’impression qu’il serait important de sortir de la logique d’une forme de consommation passive de ce que sont les outils logiciels, mais à rentrer et, en fait, c’est l’étape suivante à l’ouverture, c’est la contribution, que les pouvoirs publics soient vraiment des contributeurs, des acteurs, que ce soit à travers les agents, que ce soit à travers les moyens qui sont donnés, à travers les politiques menées. Des contributeurs qui font vivre les projets logiciels qui sont, finalement après, au bénéfice de tous, et on voit bien les effets boule de neige positifs que ça peut avoir. Je ne sais pas ce que vous en pensez.

Philippe Latombe : C’est exactement l’objectif, c’est de se dire que ça a un effet d’entraînement très important. Simplement il ne faut pas oublier deux choses.
La première c’est que l’État français ce n’est pas simplement une administration centrale. Ce sont aussi beaucoup de collectivités territoriales ou de grosses collectivités comme les régions pour lesquelles cet effet d’entraînement est un effet d’entraînement qui n’est pas encore suffisamment fait. C’est parce que l’État imposera un certain nombre de standards, un certain nombre de règles au sein de ses administrations que ces collectivités locales-là seront obligées de se plier aussi à ces standards pour pouvoir communiquer avec l’État central.
La deuxième chose c’est que l’État c’est une commande publique très importante en volume, mais c’est aussi très concentré sur des projets de grande taille. Alors que les collectivités, c’est une manne aussi importante, mais sur des projets qui sont de taille beaucoup plus petite. Ça veut dire que la commande publique s’adresse à deux types d’entreprises un peu différentes. L’État peut s’adresser à des PME sur des sujets très particuliers, mais il aura quand même besoin, vu l’ampleur de la commande et des chantiers, d’avoir des entreprises d’une certaine taille, qui feront appel à des sous-traitants peut-être différents, mais il y a quand même un volume important, une concentration importante. Alors que les collectivités, elles, peuvent faire appel à des entreprises de taille beaucoup plus petite sur leur territoire.
Donc on voit que la commande publique est à la fois un outil pour aider l’ensemble du monde de la tech et du numérique, mais c’est aussi une capacité à pouvoir gérer l’espace et permettre d’avoir des entreprises au plus proche des citoyens. Donc c’est un effet important pour éviter des concentrations trop importantes de start-up ou d’entreprises du numérique au sein des grandes métropoles. Et, de plus en plus, on va avoir besoin d’avoir des entreprises de taille beaucoup plus petite, mais au plus proche de nos concitoyens, au plus proche de la mairie pour laquelle elles assurent le système informatique parce que c’est de là que viendront les réponses à nos concitoyens sur la cantine, sur un certain nombre de choses.
Donc l’ensemble de la commande publique sert à ça. C’est un effet d’entraînement certes, mais c’est aussi un effet de réimplantation du numérique et des entreprises au plus proche des citoyens.

Étienne Gonnu : Du coup je vais peut-être faire un peu de promotion. Je pense à une solution logiciel libre qui n’est qu’un exemple parmi d’autres et je crois qu’on avait déjà reçu, on cherchera, on mettra en référence si c’est bien le cas, typiquement la solution openMairie qui est une suite de différents logiciels métiers pour les collectivités municipales, qui existe de manière standardisée. Ensuite les entreprises, à l’échelle locale, vont pouvoir travailler avec les collectivités pour répondre plus spécifiquement à leurs besoins d’adapter aux spécificités locales.
Ce que vous disiez m’évoque aussi un autre enjeu, en fait c’est le même, c’est l’équilibre entre centralisation et effectivement, on voit très bien l’importance de développer des standards qui soient les mêmes pour tout le monde et, en même temps, une forme de décentralisation pour pouvoir aussi respecter les spécificités locales, permettre aux agents d’apporter leur savoir-faire spécifique par rapport à leur propre métier. Et, pour tout cet équilibre-là, ne pas avoir un État trop préconisateur qui dicterait contre vents et marées une attitude à suivre au détriment, finalement, des spécificités locales.

Philippe Latombe : C’est important ce que vous dites. L’informatique et le numérique doivent aider l’être humain, aider l’homme, ce n’est pas lui qui doit tout décider. Ce n’est pas à coups de standards qu’on pourra toujours tout faire. Une mairie de bord de mer n’a pas forcément les mêmes besoins en informatique et en numérique qu’une mairie de montagne. Ce ne sont pas du tout les mêmes enjeux, ce ne sont pas forcément les mêmes besoins, ce ne sont pas les mêmes types de transport, donc il n’y a pas forcément les mêmes besoins. Donc il faut absolument avoir cette possibilité de s’adapter à la spécificité locale.
Pour autant, il y a un certain nombre de règles. Par exemple, pour toutes les mairies c’est la comptabilité publique. Il faut qu’il y ait une règle commune pour la comptabilité publique et qu’on puisse avoir un système informatique qui permette aux mairies de discuter avec les directions des impôts qui soit le même pour gagner en efficacité. Là on a besoin que l’État définisse le standard.
Le logiciel libre permet de faire des adaptations. C’est aussi ça son avantage et c’est pour ça qu’on le préconise au sein des collectivités, des préconisations sur des problématiques locales très importantes à certains endroits qui ne le sont pas du tout 150 km plus loin.

Étienne Gonnu : On me précise, et je remercie apitux, que l’émission sur openMairie est en projet, ce n’est pas une émission qui a déjà eu lieu. On ne manquera pas de communiquer dessus quand la date sera fixée.
On voit effectivement l’importance de porter matériellement au cœur de l’administration ces usages quotidiens, de permettre ces adaptations. On pense aussi et on voulait avoir votre avis là-dessus. Je disais que l’April défend historiquement une priorité au logiciel libre et aux formats ouverts dans le secteur public et, à ce titre, on pense qu’il est important qu’il y ait une inscription d’un principe normatif fort dans le droit de la commande publique, donc un principe de portée générale qui serait une priorité au logiciel libre et qui ne dit pas autre chose, finalement, que ce que suggère votre proposition. Quelle est votre lecture sur cette question de poser un principe normatif fort ?

Philippe Latombe : C’est ce que je disais tout l’heure. Je pense qu’on doit aller maintenant au-delà de la simple préconisation. On doit mettre un principe qui est que c’est d’abord le logiciel libre et ensuite, si jamais ça ne marche pas et on documente pourquoi ça ne marche pas, on va vers une solution de type commercial, propriétaire, en gardant toujours la possibilité de pouvoir rebasculer sur du Libre si jamais le Libre a une évolution. C’est le principe de la fameuse réversibilité et de continuité du choix qu’on doit pouvoir avoir. Il peut y avoir des cas dans lesquels ce n’est pas possible d’utiliser du Libre mais ça le sera peut-être dans trois ans. Ça veut dire que sur tout ce qui va se passer entre maintenant et dans trois ans on soit en capacité de pouvoir migrer, basculer sur du logiciel libre dans trois ans. Et ça nécessite aujourd’hui, là encore, un changement de paradigme au sein de l’administration. Il faut faire de l’expression des besoins et il faut que cette expression des besoins soit séquencée dans le temps. Qu’on sache, aujourd’hui, voilà le besoin immédiat, voilà comment j’y réponds. Mais si, dans un an, j’ai une solution qui commence à émerger, je vais réfléchir à nouveau pour pouvoir l’intégrer et le jour où ça sera possible, dans trois ans, je le fais. Donc ça nécessite de réinvestir le temps et c’est quelque chose qui est un peu différent dans notre société ; on est dans le temps court, le temps très rapide, alors que le fait d’avoir de la réversibilité à chaque moment sur des projets de ce type-là nécessite de pouvoir repenser le temps en se disant il faut que je me mette des points d’étape, il faut que je surveille ce qui va arriver comme proposition en logiciel libre pour voir si, du coup, je ne suis pas en capacité de pouvoir migrer.
Je reviens sur le HDH, c’est ça qui nous a inquiétés, le fait qu’à un moment ou à un autre il n’y a pas eu d’étude de réversibilité. Ça veut dire qu’une fois qu’on a mis le doigt dans l’engrenage on est obligé d’y rester. Ce n’est pas comme ça qu’on voit les choses, ce n’est pas comme ça que l’administration doit les voir et ce n’est d’ailleurs pas comme ça que la circulaire Castex les prévoit. Il faut pouvoir avoir de la réversibilité à chaque fois.

Étienne Gonnu : Je trouve extrêmement intéressant ce que vous dites sur ce rapport au temps et je pense qu’on gagnerait vraiment effectivement à se réinscrire dans cette perspective.
Je vois que le temps avance et j’aimerais quand même qu’on aborde le sujet que j’évoquais, l’éducation. Ce que je trouve aussi très intéressant dans votre rapport, dans le sommaire, vous avez fait de l’émancipation individuelle un des enjeux constitutifs de la souveraineté numérique, ce qui n’est pas toujours le cas, je trouve, sur ces débats qui ont tendance, parfois, à se centrer sur des enjeux économiques et industriels. Je trouve que remettre cette considération de l’émancipation individuelle est extrêmement important. Effectivement nos libertés fondamentales, nos relations avec les pouvoirs publics, nos intimités dépendent de plus en plus d’outils informatiques et il me semble donc évident que ces questions doivent être centrales pour toute politique publique cohérente menée sur ces enjeux. Au sein de tout ça, bien sûr, l’éducation déjà dès le premier âge. Étudier avec des logiciels libres, en tant qu’outil informatique, mais aussi étudier les logiciels libres comme objet d’enseignement, c‘est-à-dire développer un esprit critique avec le logiciel libre.
Pourquoi, pour vous, cette question de l’émancipation individuelle en général et plus particulièrement de l’éducation est-elle centrale finalement ?

Philippe Latombe : On ne peut opérer ses choix en tant que citoyen que si on connaît et si on sait pourquoi on va s’exprimer et ce pourquoi on s’exprime. Donc forcément, si je veux pouvoir dire à l’administration que ce qu’elle fait ne va pas il faut que je sois en capacité de comprendre ce qu’elle a fait. Pour ça j’ai besoin d’avoir un certain bagage. C’est valable aussi pour les réseaux sociaux, c’est valable pour pas mal de choses dans le numérique. Il faut qu’on réapprenne collectivement, que l’ensemble de la population sache de quoi elle parle, qu’elle sache ce qu’est un algorithme. Pour certains, un algorithme est une sorte de boîte noire qui donne un résultat blanc ou noir à l’arrivée. Non, ce n’est pas ça. Vous l’avez dit tout à l’heure, c’est une suite de choix logiques qui ont été faits à un certain moment par des hommes avec des biais, bais raciaux, etc. C’est une suite logique et il faut comprendre pourquoi, il faut arriver à retrouver la logique.
Et puis il faut comprendre ce que sont les libertés fondamentales dont vous parliez, comment est-ce qu’elles s’appliquent dans le cadre du numérique : qu’est-ce que j’ai le droit de faire ? Qu’est-ce que je n’ai pas le droit de faire ? Qu’est-ce que j’ai le droit de demander ? Quels sont mes droits minimums sur le numérique ? Aujourd’hui on se rend compte que chez beaucoup de nos jeunes – et quand je dis le mot jeune il n’y a pas d’âge de fin, on est tous jeunes en numérique –, il y a un manque de bagage. Comme en plus c’est un domaine dans lequel les innovations techniques et les innovations commerciales vont très vite il faut se réactualiser en permanence sur ces choses-là.
Donc l’émancipation individuelle c’est surtout d’abord l’apprentissage : qu’est-ce que c’est qu’un algorithme, qu’est-ce c’est que du code. Ça ne veut pas dire que tout le monde doit devenir un codeur ; c’est simplement savoir à peu près ce que c’est et comment ça fonctionne. Un ordinateur ce n’est pas simplement un écran avec un clavier, il y a quelque chose derrière. C’est quoi ? Comment ça fonctionne ?, pas forcément de façon très précise mais au moins dans les grandes masses, pour que derrière on puisse passer du consommateur au consom'acteur. Que la personne ne soit pas simplement dans la consommation du numérique mais aussi dans la capacité à comprendre, donc à exprimer ses choix tels qu’elle les veut.
Je vous donne un exemple qui est assez marquant. Quand vous interrogez une personne dans la rue en disant « est-ce que vous voulez que l’État puisse faire de la reconnaissance faciale ? — Non, je ne veux pas, mon visage m’appartient, je ne veux pas ». D’accord. Cette même personne va acheter un nouvel ordinateur et pour ouvrir son ordinateur on va lui demander de prendre une photo parce que ça va être beaucoup plus simple, quand elle va ouvrir l’ordinateur, que la photo, par la reconnaissance faciale, permette de débloquer l’ordinateur. Quand vous dites : « Il y a une incohérence entre les deux ! — Non ce n’est pas la même chose ! » Si, en fait le principe de base c’est la même chose, c’est simplement votre perception de ce qu’est la reconnaissance faciale et le chemin commercial qu’on vous a imposé en achetant l’ordinateur pour faire en sorte que vous puissiez l’ouvrir avec simplement votre photo fait que vous n’avez pas l’impression que c’est la même chose.
C’est quelque chose sur lequel il faut que le citoyen puisse s’exprimer, mais pour ça il faut qu’on lui ait expliqué ce qu’est la reconnaissance faciale, comment ça fonctionne, etc.

Étienne Gonnu : Le savoir c’est du pouvoir. Je trouve votre exemple intéressant. On peut aussi poser comme postulat que dans un cas il perçoit immédiatement la portée politique de la question puisqu’il s’agit de l’État, donc on peut imaginer toute de suite la portée en termes de surveillance, d’atteinte à ses libertés. Dans l’autre cas on rentre dans le geste banal, quotidien, banalisé de consommation et, finalement, l’aspect politique et l’impact politique du choix n’apparaissent pas forcément.
Là où je vous rejoins absolument c’est qu’il faut redonner aux personnes le bagage culturel, le savoir basique – ce n’est pas péjoratif, je n’utilise pas ce terme de manière péjorative –, le minimum de connaissances pour pouvoir aborder de manière émanciper, en tant que citoyen à part entière, le monde dans lequel on évolue.

Philippe Latombe : Il faut lui donner deux choses supplémentaires. Il y a le bagage et il y a ensuite la transparence dont on a déjà parlé. Et puis il faut lui donner du résultat concret. Quand on a interrogé un certain nombre de pays qui ont mis en place des solutions numériques très importantes — je pense au Luxembourg, je pense à Monaco, je pense à l’Estonie —, en fait ils ont fonctionné en disant aux citoyens « voilà ce à quoi ça va vous servir, concrètement, ce à quoi ça va vous servir tout de suite ». On a besoin de faire une carte d’identité nationale numérique pourquoi ? Parce que, comme ça, vous pourrez avoir accès à tous les services publics, dans 99 % des cas de chez vous avec un ordinateur, sans avoir besoin de redonner l’ensemble de vos informations. On va éviter les redondances.
Ça permet, par contre, de mettre sur un serveur commun par exemple vote déclaration de revenus qui va servir ensuite à calculer le coût de la cantine de l’enfant, le coût du transport parce que vous habitez bien dans la bonne ville, donc on n’a pas besoin de vous le redemander. La contrepartie est que dès que l’État a besoin d’une information vous savez qu’il a eu accès à l’information.
Donc il faut donner un bagage : à quoi ça sert. Il faut donner une vision concrète de ce à quoi ça va servir concrètement au quotidien et il faut donner de la transparence. C’est avec ces trois bagages-là, ces trois outils-là qu’on arrivera à avancer. L’éducation est absolument nécessaire parce qu’il faut comprendre les principes technologiques de base : ce qu’est la reconnaissance faciale, à quoi ça sert, comment est-ce que fonctionne un ordinateur, c’est quoi un réseau social. Comment on sort de la spirale, de cette sorte de caisse de résonance des réseaux sociaux. Quand vous posez la question à Aurélie Jean, elle vous dit « moi spécialiste des algorithmes je sais qu’il faut de temps en temps interroger un sujet que je n’ai pas l’habitude d’interroger. Du coup je casse l’algorithme, il va me donner des informations beaucoup plus larges, pour essayer de se recentrer ensuite. » Eh bien ça il faut l’apprendre dès le plus jeune âge aux enfants pour qu’ils puissent avoir cette capacité à faire de la critique. Critiquer ce n’est pas simplement râler dans un coin en faisant des manifestations. Critiquer c’est aussi dire ça je l’interroge : est-ce que je suis d’accord, pas d’accord, est-ce que je veux ça pour moi ou pas. C’est cette capacité critique-là qu’il faut qu’on réapprenne à nos enfants à l’ère du numérique.

Étienne Gonnu : Je ne peux qu’être d’accord et je ne vous demanderai pas de réagir mais pour taquiner : j’espère que certains de vos collègues députés entendront aussi votre appel. Notamment sur certains projets de loi, ça peut être discutable.
Il nous reste à peu près deux minutes. Peut-être une double question, vous répondez à celle qui vous plaît davantage : d’un côté quelles sont vos attentes sur les suites de ce rapport ? Et si une personne lit votre rapport, est-ce qu’il y a une chose en particulier que vous aimeriez qu’elle retienne finalement ?

Philippe Latombe : Je vais essayer de répondre aux deux de façon très rapide.
La première c’est que je suis très heureux de pouvoir être là aujourd’hui parce que c’est un début de la suite du rapport que de pouvoir d’abord en parler, exprimer les idées qui sont dedans, montrer pourquoi on a retenu ces propositions et en quoi elles sont concrètes.
Ce rapport n’est pas fait pour caler une porte. Il est épais, il fait trois tomes. Pourquoi ? Parce qu’on a voulu que l’ensemble des auditions puisse être répercuté dans les deux derniers tomes, pour qu’on n’ait pas à refaire le travail qu’on a fait.
On veut essayer de faire en sorte que ce rapport puisse servir à d’autres, qu’il puisse servir à des universitaires, qu’il puisse servir à qui veut et je ne suis pas propriétaire de ce rapport. C’est-à-dire que si quelqu’un veut prendre toutes les propositions qui sont dedans pour en faire un nouveau projet de loi ou quelque chose, ça sera avec le plus grand des plaisirs. Je pense que l’important c’est que ce rapport puisse avoir une vie après le rapport et qu’il se porte dans la vie quotidienne et dans les futurs projets de loi.
C’est là où mon travail, maintenant, va être de prendre mon bâton de pèlerin, d’aller voir ministère après ministère, d’aller voir DSI après DSI, pour leur dire c’est ce vers quoi on souhaite aller. Et puis essayer de convaincre le plus possible mes collègues députés et sénateurs que dans chacun des projets de loi qui arrivent il faut qu’on pense à ces préconisations pour pouvoir les intégrer.

Étienne Gonnu : Merci beaucoup Philippe Latombe, député de Vendée et auteur d’un rapport intitulé « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne ». Merci de nous avoir consacré votre temps. Courage et meilleurs vœux pour votre mission de pèlerin.

Philippe Latombe : Merci à vous.

Étienne Gonnu : Je vous propose que nous fassions une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Nous allons écouter Twenties par Peyruis. On se retrouve juste après. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Twenties par Peyruis.

Voix off : Cause Communbe, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Twenties par Peyruis, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu, nous allons passer à notre dernier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy sur le thème « Les navigateurs »

Étienne Gonnu : Laurent et Lorette Costy explorent pour nous aujourd’hui des grands navigateurs internet. C’est la chronique « À cœur vaillant, la voie est libre », une séquence enregistrée il y a quelques jours.

[Virgule sonore]

Laurent Costy : Hello Lorette, je prépare une chronique sur les navigateurs et je m’aperçois que, comme j’utilise majoritairement un ordinateur, j’y pipe queue d’ale pour les outils utilisés sur les ordiphones. Tu pourrais m’aider ?

Lorette Costy : En remerciement de tout ce que tu as fait pour moi depuis ma naissance, je veux bien condescendre à brûler un peu de temps pour toi alors même que j’avais az miyards de choses vraiment passionnantes de prévues ! Dis-moi tout, qu’est-ce que tu veux savoir ?

Laurent Costy : Tout d’abord, il me serait agréable de savoir quel outil tu utilises pour interroger un serveur distant et lui demander d’afficher la page résultante du langage HTML et PHP.

Lorette Costy : Tu te la pètes un peu, non ? Tu ne peux pas juste me demander plus simplement quel navigateur internet j’utilise ?

Laurent Costy : Chut, c’est un subterfuge pédago-radiophonique discret pour glisser le fait que les pages internet sont majoritairement codées dans ces langages !

Lorette Costy : Bravo papa ! C’est réussi pour la discrétion ! Tu veux que j’en profite pour préciser que nous en sommes désormais à la version 5 d’HTML et à la version 7 de PHP, ce qui n’empêche pas de croiser régulièrement les versions antérieures, parfois avec quelques soucis. d’ailleurs. pour les web-masters.

Laurent Costy : Inutile, tout le monde le sait ça ! Laisse-moi plutôt deviner le navigateur que tu utilises. Je dirais que tu as laissé celui qui t’était proposé par défaut. Donc, puisque tu es sous Android 10 sur ton smartphone, je dirais que ton navigateur est Chrome dans sa version 92.0.4515.131. J’ai bon, je gagne un cookie ?

Lorette Costy : Et toi, comme tu es monomaniaque du logiciel libre, j’aurais tendance à penser que, sur ton ordinateur, tu utilises Firefox dans sa dernière version, soit la 78.12.0esr. Non, ça c’est la fin de la phrase ! Tu me rends mon cookie ?

Laurent Costy : Tu as fait comment pour savoir ça ? Tu es parvenue à hacker mon mot de passe ?

Lorette Costy : Non, j’ai juste lu le dialogue de cette chronique avant ! Rusée comme une renarde je suis.

Laurent Costy : Ah oui, ça confine au génie dis donc. Je m’incline. Comme quoi, préserver la sécurité des informations en informatique n’est pas chose aisée : les failles sont parfois là où on ne les attend pas.

Lorette Costy : Certes, mais tu t’égares papounet, on badinait autour des navigateurs.

Laurent Costy : Oui, c’est bien ça, les navigateurs ! En père peinard, je n’ai pas que Firefox, j’utilise aussi Chromium pour vérifier que le comportement est le même que Firefox dans cette vaste mare aux canards qu’est le World Wide Web !

Laurent Costy : Bisque-gaufrette ! Chrome et Chromium, ce n’est pas pareil ?

Lorette Costy : Pas tout à fait, mais ils sont fortement liés. Chrome utilise le code source ouvert de Chromium. Google ajoute à Chrome des fonctionnalités dont certains composants ne sont pas libres. Bref, j’en reviens à ce que je voulais te dire : il peut être important de multiplier les navigateurs en fonction de ses usages et d’en réserver certains pour tel ou tel usage.

Laurent Costy : Pour les navigateurs, ne pas mettre les œufs d’esturgeon dans le même baleinier… Mais ce n’est pas un peu fatiguant de devoir changer ses habitudes tout le temps ?

Lorette Costy : Si, bien sûr, mais c’est aussi pour ça qu’il faut se faire violence pour changer et essayer d’autres solutions, parce que les géants du Net flattent notre paresse. Ils nous maintiennent dans des silos où les cheminements restent les mêmes. Ça leur permet de collecter toujours plus de données !

Laurent Costy : Doncne pas abdiquer quand l’interface n’est pas celui que l’on connaît rend agile et permet de s’adapter plus facilement, je comprends la logique ! Bref, si on t’écoute, la diversité enrichit et rend intelligent !

Laurent Costy : C’est exactement ça ! C’est une analyse toute personnelle bien sûr ! Allez, installe-moi vite un ou deux autres navigateurs sur ton smartphone. À partir du magasin alternatif F-Droid, ceux que tu choisiras devraient être bien plus respectueux de tes usages que ceux que l’on trouve sur le Play Store de Google.

Lorette Costy : Supposons que j’accède à ta requête et que je décide effectivement de changer de navigateur sur mon smartphone. Tu me recommanderais lesquels ?

Laurent Costy : Pour les ordinateurs, j’y vois à peu près clair. Bien sûr, tu as clairement en tête la différence entre navigateur et moteur de recherche ? Bon, on causera plus tard des moteurs qu’il faut privilégier avec les navigateurs que tu auras choisis !

Lorette Costy : D’abord, éviter Chrome j’imagine. A minima, je suppose qu’il faut éviter de renforcer une position déjà largement dominante et écrasante.

Laurent Costy : Effectivement. Outre la montée en puissance fulgurante de ce navigateur cheval de Troie de Google – 6 % de parts de marché en 2006 et 58 % en 2021 –, les soupçons sont lourds quant au fait que Google a œuvré, pas toujours proprement, pour dominer ce marché des navigateurs, sans tuer pour autant les éventuels concurrents, ce qui se serait vu. Des articles de la presse spécialisée évoquent ce sujet et l’histoire de Firefox en témoigne.

Lorette Costy : Par ailleurs, j’imagine que l’utilisation simultanée Chrome-Google permet de maximiser la collecte et le croisement des données pour Google et de faire fructifier des bénéfices déjà indécents ? D’autant que tu me disais qu’un smartphone permet de collecter encore plus de métadonnées qu’un ordinateur !

Laurent Costy : Oui, mais ça n’a pas toujours été si simple. Il faut que je te résume l’histoire du navigateur Firefox. C’est très démonstratif de ce qui se passe dans le monde numérique et révélateur des luttes titanesques dont le Graal est désormais la donnée.

Lorette Costy : Je veux bien te remercier pour ma naissance mais il ne faut pas abuser !

Laurent Costy : Je résume. Pour l’histoire complète, du point de vue de la Fondation Mozilla en Europe, ça pourrait être une bonne idée que d’inviter Tristan Nitot dans l’émission Libre à vous! de l’April, car c’est passionnant ! Bref, en deux mots donc, la Fondation Mozilla aux States a été créée pour prendre la suite du navigateur Netscape. Mitchelle Baker, femme remarquable, a fortement contribué à cette création et au développement de Firefox.

Lorette Costy : Encore une femme discrète mais qui a œuvré pour une informatique plus respectueuse des utilisatrices et utilisateurs !

Laurent Costy : Oui ! Et au passage, Netscape est l’une des premières entreprises commerciales à ouvrir le code source de son logiciel et à agréger une communauté. Enfin, s’associer au moteur de recherche de Google a été une bonne opportunité à l’époque pour la fondation Mozilla. Cela répondait efficacement aux besoins des internautes, comparativement à Internet Explorer qui s’encroûtait et que Microsoft délaissait.

Lorette Costy : D’autant que si je me souviens bien, du haut de mes un an à l’époque, le slogan que Google s’était trouvé était Don’t be Evil, « ne soyez pas malveillants » en français. Il nimbait Google d’une aura de chevalier blanc et permettait de lutter contre le méchant de l’époque qui perdait des procès pour position dominante : Microsoft !

Laurent Costy : Dis donc, tu n’aurais pas fouillé dans mes tiroirs ? C’est exactement ça ! Mais avec le temps et l’argent, Google s’est perverti. Et puis Don’t be Evil s’adresse aux autres, pas à lui. Donc, même Google a été important au début dans la réussite de Firefox, entre autres en le soutenant financièrement. Mais il a fini par jouer un jeu trouble. Après avoir essayé d'influencer sans succès l’évolution de Firefox, Google a décidé de développer Chrome en débauchant des ingénieurs de chez Mozilla.

Lorette Costy : Qui connaît son allié, connaît ses faiblesses. Le temps venu, il les exploitera et enfin, il trahira !

Laurent Costy : Waouh !Joli ! C’est de qui ? César ? Yoda ?

Lorette Costy : Non, de moi.

Laurent Costy : Alors c’est le bon moment pour aller fouiller les principaux navigateurs que propose F-Droid, le magasin d’applications alternatif. Pour commencer, comme je dis souvent à mon frère : « utilise Tor, Brother ! »

Lorette Costy : Oui, mais je suis ta fille. Un autre peut-être ?

Laurent Costy : Comme Tor, DuckDuckGo, qui a d’abord été connu comme moteur de recherche, a aussi développé un navigateur pour ordiphone. Bien sûr, il y a la version de Firefox pour téléphone que l’on trouve sur F-Droid ou même Fennec, dérivé de Firefox sans les quelques composants non libres. Ce sont sans doute, plus ou moins, de bonnes alternatives je pense.

Lorette Costy : J’ai aussi entendu parler de Brave, qui bloque les pubs nativement. C’est un navigateur libre ? Il est recommandable ou pas ouf ?

Laurent Costy : Oui, c’est une licence libre, c’est même une MPL, Mozilla Public Licence si tu veux tout savoir. Ce navigateur ne fait pas l’unanimité, car son modèle repose sur une « redistribution », entre guillemets, des revenus publicitaires. En gros, il bloque des pubs mais affiche potentiellement celles que lui a choisies. Néanmoins, son travail sur le respect de la vie privée est plutôt à classer parmi les plus avancés.

Lorette Costy : Bon, ça me fait quelques suggestions intéressantes. Je vais regarder tout ça à oreilles reposées et je t’appelle si je rencontre des difficultés à les installer.

Laurent Costy : C’est justement pour cette raison que les papas ont été créés ! En attendant, je vais me boire une petite limonade. Après une chronique sur les navigateurs, c’est cohérent de produire un rot marin. La bise ma puce.

Lorette Costy : D’ici la prochaine chronique, s’il te plaît, promets-moi de travailler un peu ton humour ? En attendant, je te poutoute ! Bisous.

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : Nous sommes de rertour en direct sur radio Cause Coimmune. C’était la chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy que, je pense, nous retrouverons dès le mois prochain.
Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l'April et le monde du Libre

Étienne Gonnu : Je vous rappelle que vous pouvez trouver tous les évènements libristes près de chez vous sur l’Agenda du Libre, agendadulibre.org. Par exemple, jeudi 9 septembre il y a une réunion à distance du groupe de travail Sensibilisation de l’April à 17 heures 30, accueil dès 17 heures15 et ouvert à toute personne membre de l’April ou non.

Comme je disais en introduction, nous avons décidé de dédier cette émission à Philippe Aigrain.
C’est avec grande tristesse que nous avons après son décès le 11 juillet 2021. Intellectuel, auteur, penseur des communs, engagé contre les brevets logiciels, développeur, soutien actif du logiciel libre et du copyleft, Philippe était un vieux compagnon de route du logiciel libre et de l’April. Il avait cofondé La Quadrature du Net avec la continuelle volonté de réconcilier la liberté des internautes, partager des œuvres dans un cadre non marchand et le besoin pour les artistes d’assurer des revenus pour leur travail. L’April adresse ses sincères condoléances à sa famille et à ses proches.
Vous pouvez trouver, sur la page de l’émission, le lien vers le site linuxfr.org, qui recense un grand nombre d’hommages, individuels et collectifs, à Philippe Aigrain, dont celui de l’April, autant de témoignages de la très haute estime qui lui était portée.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission : Jean-Christophe Becquet, Philippe Latombe, Laurent et Lorette Costy.
Aux manettes de la régie aujourd’hui Isabella Vanni.
Merci également à l’équipe qui s’occupe de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang1, bénévoles à l’April, ainsi que Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci également à Quentin Gibeaux et Adrien Bourmault, bénévoles à l’April, qui découpent le podcast complet en podcasts individuels par sujet.

Vous retrouverez sur notre site web, april.org, toutes les références utiles ainsi que sur le site de la radio, causecommune.fm.
N’hésitez pas à nous faire des retours pour indiquer ce qui vous a plu mais aussi des points d’amélioration. Vous pouvez également nous poser toute question et nous y répondrons directement ou lors d’une prochaine émission. Toutes vos remarques et questions sont les bienvenues à l’adresse contact@libreavous.org.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission.
Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et également à faire connaître la radio Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu le mardi 14 septembre 2021. Nous vous proposerons un aperçu des coulisses de l’émission et les projets de l’association dans un sujet intitulé « Au cœur de l’April et de Libre à vous! ».

Belle fin de journée à vous. On se retrouve en direct le 14 septembre et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d'émission : Wesh tone par Realaze

Chronique « À cœur vaillant, la voie est libre » de Laurent et Lorette Costy sur le thème « Les navigateurs»