Émission Libre à vous ! du 28 septembre 2021

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Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 28 septembre 2021 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Marie-Odile Morandi - Morgane Péroche - Jean-Luc Cazaillon - Laurent Costy - Luk - Étienne Gonnu - Isabella Vanni à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 28 septembre 2021

Durée : 1 h 30 min

Podcast PROVISOIRE de l'émission

Page des références utiles concernant l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Avez-vous déjà entendu parler des CEMEA, les Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Éducation Active ? Notre sujet principal sera aujourd’hui consacré à ce mouvement d’éducation populaire et à la place du logiciel libre dans son activité. Également au programme un hommage à Wikipédia à l’occasion de ses 20 ans et aussi une sombre affaire de complotisme et d’intelligence artificielle. Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, en charge des affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’April est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours et à nous poser toute question.

Nous sommes le 28 septembre 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, ma collège Isa. Salut Isa.

Isabella Vanni : Bonjour.

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture » de Marie-Odile Morandi, animatrice du groupe Transcription et administratrice de l'April, au sujet des 20 ans de Wikipédia

Étienne Gonnu : Le 15 janvier 2021 Wikipédia fêtait ses 20 ans. Est-il d’ailleurs encore besoin de présenter cette incroyable encyclopédie en ligne, entièrement collaborative et librement accessible.
Aujourd’hui, dans sa chronique « Les transcriptions qui redonnent le goût de la lecture », Marie-Odile Morandi a décidé de rendre hommage à Wikipédia.
Salut Marie-Odile

Marie-Odile Morandi : Bonjour Étienne. Bonjour à toutes et à tous.

Étienne Gonnu : À toi la parole.

Marie-Odile Morandi : Merci.
Chaque semaine, un membre de l’April, Emmanuel Charpentier, publie une revue de presse. Dans la revue de presse de la semaine 29, parue au mois de juillet, il nous propose la lecture d’un article intitulé « Le cofondateur de Wikipédia avoue lui-même ne plus avoir confiance en l'encyclopédie en ligne », « On y trouve les informations que l’on veut bien nous donner », estime Larry Sanger.
Le titre et la lecture de cet article m’ont laissée perplexe, c’est pourquoi aujourd’hui je souhaite vous parler de Wikipédia, l’encyclopédie en ligne mondiale qui a fêté ses 20 ans au début de cette année 2021. Diverses transcriptions ont été réalisées, depuis janvier, concernant Wikipédia et vous retrouverez les liens sur la page concernant l‘émission d’aujourd’hui.

Wikipédia a été lancée le 15 janvier 2001 sur un projet utopique, quasiment fou, de Jimmy Wales et justement Larry Sanger, de vouloir mettre à disposition de l’entièreté de l’humanité l’intégralité du savoir humain.

À ses débuts, la réputation de l’encyclopédie était plutôt négative, en particulier dans le monde de l’éducation. Elle était considérée comme le temple du n’importe quoi, des inexactitudes et de l’approximation. Elle était critiquée, voire méprisée par certains et certaines qui n’ont compris son fonctionnement que plus tard. Pourtant le succès est arrivé. L’encyclopédie s’est imposée comme un outil de travail et de recherche pour bon nombre d’entre nous. Wikipédia est devenue indispensable, l’un des sites les plus riches et les plus consultés, 500 millions de visiteurs chaque jour, le 5e site le plus visité au monde.
Ce succès est dû à l’hyperlien, invention dont Diderot et d’Alembert auraient sans doute été friands ! On peut ainsi bondir d’article en article alors que l’on ne savait même pas que les sujets qui y sont traités pouvaient nous intéresser, favorisant ainsi une incomparable expérience de découverte de la connaissance.

L‘encyclopédie est complètement autogérée par les contributeurs et contributrices qui participent – 100 000 par jour –, se partagent le pouvoir et sont bénévoles. Wikipédia, contrairement à beaucoup de structures dans notre société, n’a pas de rédacteur en chef, pas de patron. C’est probablement aussi l’un des rares endroits sur Internet où il n’y a pas de publicité. Il n’y a ainsi personne sur qui faire pression, ce qui garantit l’indépendance de l’encyclopédie.

La communauté des contributeurs a réussi à mettre en place des pratiques, des façons de collaborer qui ont grandement amélioré l’encyclopédie et qui font qu’aujourd’hui elle est de plus en plus fiable.
Beaucoup de contributeurs deviennent des experts de sujets au fur et à mesure qu’ils approfondissent un article qu’ils souhaitent créer ou auquel ils souhaitent participer, et cela ne manque pas de questionner la place de l’expert dans la diffusion des savoirs.

Le but sur Wikipédia c’est d’écrire de manière neutre en citant des sources publiques, vérifiables, donc un article scientifique, une publication, un article dans un journal grand public. Il s’agit de rapporter juste ce que l’on sait sur un sujet c’est-à-dire les faits, les différents points de vue. C’est une synthèse du savoir existant. Ensuite, libre à chacun, quand il lit une information, de se faire son avis, d’exercer son esprit critique, d’aller voir les références, de vérifier les sources. Un effort de réflexion est ainsi requis.

Le principe de fonctionnement est collaboratif et participatif. Que ce soit pour rédiger les articles ou pour définir les règles de la communauté, il y a recherche d’un compromis ce qui amène beaucoup de discussions. Wikipédia est un endroit où des gens de tous horizons, qui ont des tendances politiques différentes, des cultures différentes, arrivent à discuter pour chercher puis trouver un consensus et des formulations qui soient neutres, sur lesquelles ils vont pouvoir tous être d’accord, quelle que soit leur opinion, pour réussir à cerner une sorte de vérité sur un sujet.
L’encyclopédie est modifiable très facilement. Elle est corrigée, complétée, recorrigée en permanence, mais ne nous y trompons pas, certains contributeurs sont particulièrement attentifs, vigilent au respect des règles et des principes de fonctionnement. Grâce à l’onglet « historique », il est possible de suivre toutes les contributions, quelles sont les personnes qui les ont faites et quand. Des logiciels automatisés ou semi-automatisés détectent les actes de vandalisme, les essais de publicité même à l’intérieur d’articles et ils sont alors supprimés en très peu de temps.

Wikipédia est entièrement sous licence libre, la GNU General Public License. N’importe qui peut, aujourd’hui, copier tout ce qu’il y a dans Wikipédia, se créer sa propre encyclopédie personnelle, imprimer le livre de l’ensemble des articles et le vendre. La seule condition c’est de citer les auteurs et ça en fait beaucoup à citer !
La Fondation Wikimedia, qui se situe aux États-Unis, héberge tous les Wikipédia mais n’est pas propriétaire des articles et n’intervient pas au sujet du contenu éditorial.

Wikipédia est disponible en 300 langues. Ainsi, l’encyclopédie n’incarne pas une vision du monde, mais 300 visions du monde.
Un tel succès entraîne aussi de lourdes responsabilités. Les sources sont indiquées, doivent passer avant tout, leur traçabilité doit être garantie ; Wikipédia a fait le pari de la transparence. Un bandeau d’avertissement est apposé sur les articles jugés insuffisants ou sur lesquels il y aurait des controverses de neutralité.
Non seulement sur Wikipédia sont publiés de nouveaux articles en fonction de l’actualité, mais surtout, des articles déjà existants sont actualisés en fonction des événements en cours et cela de manière très rapide, tout en prévenant le lecteur que les informations ne sont pas forcément tout à fait justes ou avérées. Ainsi, si on veut toucher à la réalité d’un personnage ou d’un phénomène, non seulement il faut lire la fiche Wikipédia, mais il faut accepter de revenir la lire un mois plus tard, un an plus tard, et, pourquoi pas, un siècle plus tard !

Wikipédia réalise depuis 20 ans, à l’échelle planétaire, le projet encyclopédique des Lumières avec, en plus, sa gratuité. Cependant des pans entiers de savoir et de culture manquent. En effet, Les articles sont écrits en majorité dans les langues principales ce qui crée des biais linguistiques. À cause du manque de diversité des contributeurs, beaucoup plus d’hommes que de femmes, les biais de genre restent importants : on compte 500 000 biographies de personnes sur Wikipédia, mais moins de 20 % sont des biographies de femmes.
Une des missions de Wikimédia France est d’inciter les gens à contribuer, en tout cas de leur en donner les moyens. Plus de personnes participeront, contribueront, plus cela permettra au projet de remédier aux biais soulignés.

Wikipédia est une encyclopédie gratuite, libre. Elle est restée fidèle à ses principes, même si son modèle économique est en train d’évoluer, ce que vous découvrirez à la lecture des transcriptions.
Elle a réussi à s’installer comme une référence en prenant une place très spécifique dans le monde numérique. La culture qu’elle nous offre permet à chacun et chacune d’évoluer en tant que personne, d’être plus ouvert aux différents points de vue.
Pour terminer de façon un peu cavalière, puis-je me permettre de conseiller à nos auditeurs et auditrices, à tous les acteurs du monde de l’éducation et aussi à Larry Sanger de lire ou relire les transcriptions qui ont été réalisées par notre groupe pour les 20 ans de Wikipédia. C’est son projet, sa création, un modèle de service non commercial, sous licence libre, dont il peut être fier.
Excellent anniversaire et longue vie à Wikipédia !

Étienne Gonnu : Merci beaucoup Marie-Odile. Je pense qu’on peut aussi être fiers de l’April, particulièrement de ce groupe Transcriptions, pour l’incroyable travail réalisé. J’ai trouvé très intéressant, je ne sais pas si on peut parler de limite de l’exercice, mais de l’importance de la vigilance que tu évoquais sur les différends biais qui peuvent exister parce qu’effectivement il y a un souci de neutralité, mais Wikipédia, dans toute son importance, reste un objet politique extrêmement important, notamment parce qu’il participe à la transmission des savoirs.
Merci beaucoup Marie-Odile. Un autre remerciement parce que tu m’as rappelé un petit plaisir auquel je m’adonnais il y a quelques années, parcourir un peu des articles avec l’option aléatoire, et tomber, découvrir des choses comme ça dans Wikipédia. C’est vrai que c’est quelque chose de plaisant à faire, d’ailleurs j’invite les auditrices et auditeurs à le faire à l’occasion.

Marie-Odile Morandi : Voilà. Et aussi à participer pour ceux qui en ont le temps et l’envie.

Étienne Gonnu : Bien sûr. Il y a différentes manières de collaborer, de participer, sans y passer forcément des heures par semaine. Je pense que c’est une communauté qui est assez accueillante et bienveillante et on peut collaborer à la hauteur de ses capacités, de ses envies. Un bon rappel, utile.
Merci beaucoup Marie-Odile et je te dis, j’espère, au mois prochain pour une prochaine chronique.

Marie-Odile Morandi : Entendu. À la prochaine fois. Bonne fin d’émission.

Étienne Gonnu : Merci Marie-Odile.
Nous allons faire une courte pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Nous allons écouter 29 Years par DishTone. On se retrouve juste après. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : 29 Years par DishTone.

[Coupure de son]

Les CEMEA, Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Éducation Active, et le logiciel libre

Étienne Gonnu : site causecommune.fm, bouton « chat ».
Je vous propose de commencer somme toute de manière très classique par un tour de table de présentation. Jean-Luc Cazaillon, bonjour.

Jean-Luc Cazaillon : Bonjour.

Étienne Gonnu : Est-ce que vous pourriez vous présenter en quelques mots ou te présenter, je pense qu’on peut se tutoyer.

Jean-Luc Cazaillon : On peut se tutoyer, tout à fait. Donc je suis Jean-Luc Cazaillon, je suis effectivement ancien directeur général des CEMEA, j’ai quitté mes fonctions au premier septembre dernier. Mon parcours professionnel c’est d’abord d’être enseignant, j’ai été enseignant pendant une quinzaine d’années. puis ensuite permanent des CEMEA d’abord en Haute-Normandie où j’ai assumé les fonctions de directeur des CEMEA de Haute-Normandie, donc Rouen, et ensuite une arrivée à Paris en 2004.

Étienne Gonnu : Morgane Péroche, bonjour.

Morgane Péroche : Bonjour. Mes débuts avec les CEMEA ont commencé par la Fédération internationale des CEMEA qui regroupe une quarantaine d’associations des CEMEA à travers le monde. C’est dans le cadre-là que, du coup, j’ai rencontré les CEMEA France, qui est mon étiquette aujourd’hui puisque je travaille avec les CEMEA France officiellement maintenant depuis janvier 2021, notamment sur la dimension européenne et internationale des CEMEA.

Étienne Gonnu : Super. Laurent, toi tu es membre du CA de l’April, tu es même vice-président je l’ai dit. Dans ton engagement militant tu es particulièrement sensible aux enjeux de l’éducation populaire et du logiciel libre dans le monde associatif. Ce n’est pas uniquement à ce titre qui tu interviens aujourd’hui dans cet échange, tu as toi-même récemment rejoint les CEMEA. Peux-tu préciser, justement, de ce qu’il en est, de quelle position tu interviens ?

Laurent Costy : Oui effectivement, j’ai une position un petit peu particulière. Je vais être à la fois animateur et j’ai commencé à mettre un pied au sein de l’équipe salariée à partir du premier septembre, ça n’a rien à voir avec le départ de Jean-Luc tout à l’heure. Néanmoins je vais effectivement prendre la suite d’une mission qui existait déjà sur la question du Libre au sein du mouvement et même à l’extérieur.
On ne peut pas dire que, pour l’instant, je suis vraiment dedans parce que je n’ai pas encore fait la formation ???, c’est une blague interne que mes camarades vont comprendre. Donc je ne suis pas encore tout à fait dedans, ce qui me donne une position un petit peu intermédiaire qui est assez intéressante parce que j’ai des questions un peu de nouvel arrivant qui vont être assez intéressantes, je pense, pour le déroulement.

Étienne Gonnu : Super. Peut-être qu’on va commencer par la première question qui me paraît classique. C’est quoi les CEMEA ? Comment ça fonctionne ? Laurent, tu seras peut-être pas mal pour animer cette partie-là de l’échange.

Laurent Costy : Du coup je vais en apprendre aussi à ce moment-là. Je pense que je vais me retourner vers Jean-Luc pour les grandes dates des CEMEA. Jean-Luc, on n’a qu’une heure, moins d’une heure même, il ne faut pas non plus refaire toute l’histoire, mais disons les grandes dates des CEMEA, de l’éducation nouvelle qui est peut-être quelque chose de très particulier aux CEMEA.

Jean-Luc Cazaillon : L’éducation nouvelle n’est pas particulière aux CEMEA. Il y a plusieurs mouvements associatifs qui se revendiquent aujourd’hui de l’éducation nouvelle, les CEMEA font partie de cet ensemble. Je ne revendiquerai pas ici une spécificité, une singularité propre.
Grandes dates, je vais en donner une : la naissance des CEMEA 1937. C’est symbolique parce que c’est juste après le Front populaire, c’est l’apparition des colonies de vacances et puis la préoccupation des fondateurs des CEMEA de la formation des cadres qui allaient s’occuper des enfants durant le temps de vacances. C’est là où est né on dirait aujourd’hui le premier stage de formation sauf qu’en 1937 ce concept-là n’existait pas. Donc c’est le premier centre d’entraînement où des éducateurs viennent s’entraîner, pratiquer ensemble de nouvelles méthodes d’éducation qu’on appelle d’éducation active.
Les CEMEA sont partis de là et après c’est un élargissement des champs de préoccupation. Des colonies de vacances, donc du monde des loisirs, on est passé bien sûr au monde de l’école, comment parler d’éducation aujourd’hui sans s’intéresser à ce qui se passe autour de l’école, dans et autour de l’école, et bien sûr la santé mentale, la psychiatrie parce que les questions de vie collective, de vie quotidienne, de relations entre médecins, patients, parents, touchent aussi l’ensemble des champs d’intervention, notamment celui de la santé.
Et puis bien sûr aussi une implication assez rapidement présente au sein du mouvement qui est celle du monde de la culture avec notamment le festival d’Avignon où Jean Villard vient chercher les CEMEA, en 1954, pour essayer de faire que le festival d’Avignon accueille des publics qui n’y viendraient pas spontanément.
Donc culture, éducation, animation, jeunesse, tout ça fait partie un peu de l’histoire du mouvement qui a grandi au fil des ans et qui est encore présent aujourd’hui.

Étienne Gonnu : Merci.
On avait effectivement perdu le réseau. Je propose peut-être pour les personnes qui nous rejoignent, qui interviennent, qui arrivent en cours d’échange, je vais repréciser très rapidement que nous discutons des CEMEA, donc des Centres d'Entraînement aux Méthodes d'Éducation Active, et de leur pratique autour du logiciel libre. Nous venons d’entendre Jean-Luc Cazaillon qui est l’ancien directeur général et militant aux CEMEA, Morgane Péroche, qui est une des permanentes au sein du mouvement, qui travaille notamment sur les dimensions européenne et internationale du réseau et je suis avec Laurent Costy qui est à la fois membre du conseil d’administration de l’April et qui vient d’arriver dans l’équipe des permanents du CEMEA, qui va intervenir un petit peu avec cette double casquette et qui va apporter justement un regard que je pense intéressant.
Laurent, je te rends la parole.

Laurent Costy : La question que j’avais c’était le lien avec l’Éducation nationale, comment peut-être le retracer au fil de l’histoire. Moi je découvre qu’effectivement les CEMEA sont complémentaires de l’Éducation nationale, c’est un organisme complémentaire. Est-ce que tu peux en dire un peu plus par rapport à ça ?

Jean-Luc Cazaillon : Tout à fait. Le lien commence simplement en fait. Les premiers militants et premières militantes des CEMEA ce sont des enseignants. À l’époque où on s’occupe des colonies de vacances, en 1937/38/39/40 et après, ce sont des enseignants qui sont militants, qui viennent dans des centres, donc dans des stages pour se former et qui participent à l’encadrement des colonies de vacances. Donc la première histoire du rapport des CEMEA avec l’école, c’est l’accueil d’enseignants dans un espace militant, nouveau pour eux, pour réfléchir à des pratiques éducatives en dehors de l’école en fait. Donc cette perméabilité, cette complémentarité s’est construite par l’engagement militant d’enseignantes et d’enseignants qui venaient chez nous.
Après, de fil en aiguille, je dirais qu’on a quand même développé un certain nombre de compétences, des actions de formation, donc on a toujours travaillé en lien avec l’Éducation nationale. C’est là où on peut définir, trouver la notion de complémentarité, c’est-à-dire que ce l’on développe comme intervention aujourd’hui, à la fois dans l’école et hors l’école, se situe en complémentarité des programmes scolaires et des différentes orientations des différents ministres qu’on a pu croiser.

Laurent Costy : D’accord. Merci. Est-ce que, éventuellement, tu peux expliquer un peu ce qu’est l’éducation nouvelle, en quelques mots aussi, avant de passer peut-être à l’organisation du réseau ?

Jean-Luc Cazaillon : L’éducation nouvelle. Je vais faire simple parce que la question qu’on nous pose c’est pourquoi est-ce qu’elle est nouvelle encore aujourd’hui. Elle le sera tout le temps parce que l’éducation nouvelle c’est l’éducation constamment renouvelée. C’est-à-dire qu’au lieu de se satisfaire de pratiques qui marchent et que l’on pourrait retranscrire, redévelopper, répéter, réitérer sans rien changer d’année en année, l’éducateur qui milite ou qui agit en éducation nouvelle remet en cause ses pratiques constamment, chaque année, changement de public, changement d’orientation, changement de cadre, ça entraîne des renouvellements. Ce qui caractérise l’éducation nouvelle c’est cette dimension de la permanence du renouveau. C’est un courant d’éducation qu’on pourrait remonter à Rousseau, Piaget, Vallon, ???, on trouve là Winnicott, beaucoup de références de noms de pédagogues, de psychologues, de philosophes qui réfèrent et qui ont alimenté le courant de l’éducation nouvelle avec cette approche d’une prise en compte de l’individu dans sa spécificité. La volonté de l’éducation nouvelle c’est de faire que l’éducation soit active, c’est-à-dire que chacune des personnes, les élèves, les enfants, les adultes que l’on accueille, soient eux-mêmes porteurs de leur propre dynamique d’éducation.

Laurent Costy : On passe très souvent par la pratique. Il y a toujours, systématiquement, une phase par la pratique. On rentre directement, il faut toucher, il faut essayer, il faut expérimenter, ça fait un peu partie de ces logiques.

Jean-Luc Cazaillon : Oui et surtout, c’est faire en sorte que chacun puisse trouver les moyens de répondre à ses propres besoins. C’est la différence qu’il y a entre un programme préétabli pour tout le monde et cette dynamique-là, c’est qu’un programme préétabli correspond à certains mais pas à tous. Quand on est dans une dynamique d’éducation nouvelle, la recherche permanente que l’on a c’est de faire en sorte que chacune des personnes qu’on accueille, dans une dynamique d’accompagnement de formation, trouve et construise ses propres dynamiques éducatives ; je suis acteur de ma propre éducation.

Laurent Costy : Merci. Avant de passer à la question du Libre au sein des CEMEA, je voudrais juste qu’on aborde un peu le fonctionnement global des CEMEA, au niveau de la métropole et Morgane nous parlera un peu de comment ça s’organise aussi à l’international et les actions qui y sont menées, comme ça nous permettra aussi de voir la complexité qu’il y a, peut-être, à engager une démarche vers le Libre.

Jean-Luc Cazaillon : Les CEMEA c’est un peu moins de 400 salariés permanents aujourd’hui, un réseau de 5 à 6000 bénévoles, volontaires, militants, militantes, c’est comme ça qu’on se qualifie entre nous. Présents en hexagone et en Outre-mer, c’est une de nos spécificités, on est présents dans les sept territoires d’Outre-mer, structurés en associations régionales, coordonnés, animés par une association nationale qui est une tète de réseau en quelque sorte. Voilà un peu la structure et l’assise des CEMEA aujourd’hui.

Laurent Costy : Oui, les associations territoriales sont autonomes, ce sont des associations à part entière.

Jean-Luc Cazaillon : Il y a une forme d’autonomie politique, juridique, économique, mais il y a surtout l’appartenance à un même mouvement. Les CEMEA c’est UN mouvement militant d’éducation nouvelle et cette unicité du mouvement prend appui sur la richesse que nous offre cette composition, cette réalité – je laisserai après Morgane développer la dimension Europe, internationale –, mais c’est ça qui fait notre singularité. C’est donc un réseau d’associations avec une part d’autonomie mais qui sont associées, militantes, engagées dans un même mouvement et un seul mouvement d’éducation nouvelle.

Laurent Costy : Morgane, peut-être sur la dimension internationale.

Morgane Péroche : Je peux compléter un petit peu. Comme je vous le disais, je suis arrivée directement dans la dimension internationale du mouvement des CEMEA, donc avec la FICEMEA, la Fédération internationale. De là j’ai découvert un petit peu toute cette pluralité d’acteurs et d’actrices qu’il y avait à travers le monde et qui étaient dans la même dynamique de la question de l’éducation nouvelle.
J’ai aussi été très lien à échelle politique, à l’échelon international, sur la question de la marchandisation de l’éducation. C’est à travers cette dimension politique de la marchandisation de l’éducation que j’ai découvert tout l’enjeu du Libre et pourquoi le Libre avait sa place aussi dans cet aspect-là.
Aujourd’hui il y a la Fédération internationale des CEMEA, mais il y a aussi tout le travail qu’on a avec des partenaires différents à l’échelle européenne et internationale et qui sont toujours dans cette dimension, du coup, de l’éducation nouvelle, mais là ce ne sont pas forcément des organisations CEMEA étant donné que chacune d’entre d’elles, même au sein de la Fédération internationale, est indépendante.

Laurent Costy : Merci. Je vais repasser la parole à Étienne qui va vous questionner un petit peu sur le Libre au sein des CEMEA.

Étienne Gonnu : Oui. La première question que je me pose c’est un peu comment s’est développée cette prise de conscience. C’est vrai qu’en entendant Jean-Luc qui parlait d’être acteur de sa propre éducation et moi, du coup, venant plus d’une association du logiciel libre, de ce mouvement-là, je faisais tout de suite un parallèle avec ce qu’on défend : l’importance d’avoir un rapport politique, éclairé, être acteur finalement de ses outils informatiques sans être forcément expert mais au moins avoir ce rapport politique pour finalement être émancipé, être dans une logique d’émancipation. Le pont me paraît évident, mais j’imagine que ça n’a pas forcément été tout de suite évident au sein de votre mouvement parce que vous aviez aussi d’autres sujets à traiter. Comment s’est construite cette prise de conscience et ensuite la décision de développer l’usage et la promotion du Libre ?

Jean-Luc Cazaillon : Il n’y a rien d’évident !

Étienne Gonnu : Non jamais rien n’est si évident que ça.

Jean-Luc Cazaillon : Il n’y a jamais rien d’évident. C’est une prise de conscience progressive. Ce que je peux dire c’est qu’en fait les premières approches au Libre, au sein du mouvement CEMEA, ont été portées par des militantes et des militants qui, eux-mêmes, étaient déjà engagés, convaincus, avaient une réflexion à la fois politique, une approche aussi j’allais dire technique, ce n’est pas technique, mais je pense à la dimension des communautés en fait, la dimension collective qui environne aussi et qui s’appuie sur ce que je connais de l’univers du Libre. Ça a commencé par des préoccupations personnelles, des pratiques aussi qui ont fait tache d’huile après, souvent dans des équipes un peu restreintes, à l’échelle territoriale. Petit à petit ça a fait tache d’huile parce qu’effectivement l’environnement nous a aussi amenés à réfléchir sur ces questions-là. Il y a peut-être 15 ou 20 ans on se posait beaucoup moins de questions sur le propriétaire, sur ce qu’on faisait de nos données, de ce qui se passait quand on surfait sur Internet et comment on se retrouvait avec des publicités correspondant au dernier site qu’on avait fréquenté.
Donc on est aussi en phase avec un environnement qui a beaucoup bougé et qui nous a aussi, petit à petit, amenés à interroger nous-mêmes cette réalité entre le rapport au monde propriétaire et au monde du Libre. Ce sont d’abord des préoccupations individuelles et après des groupes, des collectifs qui se sont montés pour arriver, ensuite, à quelque chose qui prenait un peu plus d’ampleur à l’échelle du mouvement. Mais surtout une première approche qui est une approche technique ou de résistance en opposition à des copains qui étaient au contraire très promoteurs mais qui avaient du mal à se faire entendre parce que ce n’était pas un enjeu situé comme propriétaire et parce que, à l’époque, le Libre n’était pas joli, pas fonctionnel et qu’il y avait beaucoup d’éléments qui jouaient en défaveur de l’usager en fait. Quand on regardait ce qu’on faisait sur Internet c’était moins facile de le faire avec Open Office à l’époque qu’avec Word pour ceux qui étaient les plus affûtés.
Donc tout ça a pris du temps jusqu’à, effectivement, une prise de conscience et une mission qu’on a installée il y a trois années maintenant pour essayer, justement, de développer et d’asseoir cette réflexion politique au sein d’un mouvement d’éducation comme le nôtre.

Étienne Gonnu : C’est vrai que ça a toujours été un sujet politique. Plus nos usages, plus les outils informatiques conditionnent l’exercice de nos droits, nos relations intimes vont passer de plus en plus par ces outils-là, plus, peut-être, cette évidence politique apparaît comme telle, c’est-à-dire une évidence et c’est pour ça que c’est important. Peut-être que c’était moins évident, excusez-moi de répéter ce terme, d’avoir des personnes qui sont en mesure dans la pratique ???.

Jean-Luc Cazaillon : Oui, qui n’ont pas lâché le morceau. Ça veut dire qu’en fait ce n’était pas un effet de mode, c’était un enjeu fort, sauf que cet enjeu fort n’était pas identifié repéré par toutes et tous.
L’environnement, je le redis, l’évolution dans la société, la place du numérique aujourd’hui, fait que les préoccupations paraissent normales. Après, chacun se positionne et il y en a qui ne se positionnent, mais en tout cas on ne peut pas échapper à cet enjeu-là. En plus on sort d’un épisode de confinement qui a quand même révélé beaucoup de choses de ce point de vue. Mais à l’époque, effectivement, l’environnement était beaucoup moins pesant, beaucoup moins présent dans ces enjeux politiques. Donc il a fallu aussi convaincre à l’interne du mouvement pour, y compris, démontrer que cet enjeu politique est complètement en phase avec ce que l’on défend par ailleurs, ce que l’on promeut par ailleurs sur les questions de l’éducation. Tu le disais, l’éducation active c’est un rapport au pouvoir d’agir que j’ai moi-même sur ma destinée, ma vie, mon destin, mais aussi sur mes données. Donc là il y a des points de convergence évidents, qui sont évidents aujourd’hui, mais qui ne l’étaient pas il y a 10 ou 15 ans, en tout cas pour le plus grand nombre.

Étienne Gonnu : Bien sûr, tout ça se construit. Du coup comment ça se construit au sein des CEMEA. On imagine qu’il y a d’abord tout un pan qui va être dans les usages quotidiens au sein de votre mouvement et aussi, peut-être, dans le développement en termes de formation et de communication, de comment se positionne le Libre ? Déjà, peut-être, en termes plus ou moins techniques, comment ça se passe au niveau des outils au sein des CEMEA ? Est-ce que vous utilisez des logiciels libres ?

Jean-Luc Cazaillon : Oui. On a fait un grand pas en avant il y a trois quand on a créé la mission « Libre et éducation nouvelle » où, effectivement, l’un des premiers actes qui a été posé par Pascal Gascoin qui a occupé cette responsabilité jusqu’au premier septembre dernier, a été de soutenir le développement d’une plateforme libre qui s’appelle Zourit, Zourit veut dire la pieuvre en créole. Donc on a accompagné le développement de cette plateforme qui permet de mettre en lien et en fluidité à la fois messagerie, carnet d’adresses, agenda partagé, visioconférence, voilà, quelques outils comme ça. Aujourd’hui tous les CEMEA utilisent Zourit au quotidien, donc toutes les associations territoriales des CEMEA, ici ou ailleurs, utilisent Zourit.
Il y a eu deux chocs. Le premier c’est le fait qu’on finance et qu’on participe économiquement au développement, donc qu’on s’inscrive dans la logique de communauté et de soutien à cette entreprise, une association qui est basée à La Réunion. Et ensuite qu’on arrive à convaincre chacun de nos camarades d’en faire un outil d’usage au quotidien. Tout ne s’est pas fait en un jour mais aujourd’hui je pense, sans me tromper, que toutes les structures associatives des CEMEA utilisent Zourit.

Étienne Gonnu : Je sais que Laurent voulait passer un petit temps sur Zourit qui est effectivement un très bel exemple, un très bel outil. Tu veux en parler tout de suite ou plutôt en fin d’émission ?

Laurent Costy : J’avais plutôt une question pour Morgane pour savoir, elle, à quel niveau la prise de conscience s’était faite. Est-ce que finalement c’est la rencontre avec Pascal, que tu évoquais tout à l’heure, Pascal Gascoin qui a été finalement un pivot dans ce processus-là, mais qui n’aurait pas pu agir s’il n’y avait pas eu une décision politique à un échelon du conseil d’administration ? Ou est-ce que c’est finalement aussi par la formation que ça s’est consolidé ? Parce que ça aussi c’est quelque chose de central chez les CEMEA et je pense que ça a joué aussi en faveur de l’évolution de la prise en considération du Libre au sein des CEMEA.

Morgane Péroche : Moi je suis arrivée aux CEMEA il y a deux ans et demi, donc au moment même où Zourit, en fait, se mettait en place. De mon côté c’est vraiment Pascal qui a été un peu révélateur de plein de choses. Je me suis entretenue avec plusieurs personnes au niveau des CEMEA, je travaillais à la Fédération internationale, c’est quelque chose qui est venu petit à petit. Comme le disait Jean-Luc, à un moment donné il y avait des personnes qui se sentaient concernées par cela et qui l’ont porté à plus grande échelle. Pascal a pu faire ça dans sa mission, mais ensuite il y a plusieurs associations qui se sont emparées de cette dimension-là et qui en ont fait quelque chose. D’où, aujourd’hui, le fait que Zourit soit devenu un pro-logiciel que la plupart des associations territoriales utilisent, ce qui fait que ça a pris énormément d’ampleur. On aura l’occasion d’en discuter, Zourit a même pris de l’ampleur à l’externe des CEMEA et je pense que n’est pas anodin.

Laurent Costy : Merci. J’essaie de résumer. De fait il y a la rencontre entre des gens pour qui ça résonne, puis ça s’amplifie et ça converge, je pense à Pascal, et effectivement toi tu as eu une action politique. Là je prends ma casquette April, Libre Association où on observe un peu cette question du Libre dans les associations et où effectivement, dans tous les mouvements, dans toutes les fédérations d’éducation populaire, on repère des gens sur les territoires qui sont convaincus, qui sont politiquement convaincus, qui ont fait des choses. Mais c’est vrai que la jonction avec le niveau national n’est pas effective, elle est rarement effective, il y a rarement une convergence qui fait que ça va résonner. Il y a aussi des prises de conscience au niveau national, il peut y avoir des signatures de conventions, des choses comme ça, mais ça ne converge pas.

Jean-Luc Cazaillon : Il y a eu un déclic dans mon parcours personnel parce que je ne suis pas non plus un bébé du Libre, donc il a fallu aussi me convaincre.
Pour moi le déclic a été la rencontre avec Framasoft, une soirée à l’Université d’été des CEMEA, un débat avec Framasoft et là je percute en fait quand Pierre-Yves nous dit que la lutte du Libre ce n’est pas contre Microsoft ou contre Windows, c’est autre chose.

Étienne Gonnu : Pierre-Yves Gosset qui est le délégué général de Framasoft.

Jean-Luc Cazaillon : Pour moi ça a été une révélation, en tout cas ça a mis des mots sur ce qu’on m’avait déjà dit, que je percevais, mais voilà. Cette rencontre-là a été fondamentale.
Par rapport à ce que tu dis sur la dimension politique, moi je crois qu’aujourd’hui si on veut que d’autres associations d’éducation populaire comprennent les enjeux, il faut montrer, démontrer les convergences en termes d’enjeux politiques. Cet enjeu de la citoyenneté, de la démocratie, du pouvoir citoyen, du pouvoir d’agir, c’est l’enjeu central de tout ce qui se joue aujourd’hui en grande partie autour du Libre.
Le deuxième point que je trouve très fort c’est la question de l’approche aux communs, c’est-à-dire l’approche du collectif. Et aujourd’hui, dans beaucoup de structures, beaucoup de mouvements d’éducation populaire, il y a cette volonté de continuer à agir au quotidien pour émanciper, c’est-à-dire donner à chacun les moyens de comprendre et le pouvoir d’agir et, en même temps, de le faire dans un cadre collectif, avec d’autres.
Ce sont les deux enjeux forts que j’ai identifiés à ce moment-là dans le rapport au Libre et c’est pour ça que j’ai dit que ce n’est pas possible qu’un mouvement comme le nôtre ne soit pas dans cette dynamique-là et ne comprenne pas l’enjeu politique qui est derrière le débat que nous avons et derrière les situations du quotidien.

Étienne Gonnu : Morgane.

Morgane Péroche : Je vais suivre Jean-Luc, sur ce qu’il dit. Je pense qu’il y a déjà une dimension individuelle de chacun et de chacune quand on parle du numérique en règle générale. En fait on va se rendre compte que c’est très facile de parler de ce genre de sujet puisque les sujets sont souvent alertes, en tout cas s’intéressent à cette question-là et sont à même d’avoir une discussion autour de cela.
Après il y a la question où nous en tant qu’individu, quand on est militant et militante de différentes associations, on prône certaines valeurs, on prône des engagements et au moment où on fait le lien entre le numérique à grande vitesse, d’aujourd’hui, et les engagements que l’on a en tant que militant et militante, on arrive à construire des choses ensemble. Je pense que Zourit c’est typiquement ce genre de projet. C’est-à-dire qu’effectivement il y a des engagements de la part d’un mouvement éducatif et qui, après, vont prendre de l’ampleur. En fait quelles solutions on va essayer de mettre en place pour que, dans le même temps, on puisse continuer à utiliser du numérique puisque c’est la question aussi du lien avec la permanence du nouveau dans l’éducation nouvelle – aujourd’hui on ne peut plus faire sans le numérique – et comment on fait pour trouver des alternatives ? Et aujourd’hui on a essayé d’en proposer.

Laurent Costy : Oui. Apporter des solutions parce que, effectivement, le Libre est longtemps dans « il ne faut pas faire ça, il ne faut pas faire ça », sauf qu’il n’y avait pas d’alternative, on dirait, vite utilisable par le commun des mortels, et c‘était un souci pour le Libre.
J’essaye de résumer. Je résume par rapport à ce qu’on vient de se dire.
Effectivement il faut des gens convaincus qui vont finir par se croiser et convaincre.
Il y a des rencontres et des réseaux, donc là typiquement Framasoft a joué pour convaincre.
Il y a la formation, je le mesure après un mois passé, mais ça me semble effectivement extrêmement important dans le processus aussi.
Et puis vous avez un facteur complémentaire aussi, je pense aux CEMEA, qui est un technicien compétent et militant, on en a parlé tout à l’heure en introduction. Je termine à-dessus et après je repasse la parole à Étienne. On va citer François Audirac qui est au système d’information des CEMEA et qui, par ailleurs, est président d’un Groupe d’utilisateurs de logiciels libres dans sa région. Donc c’est quelqu’un qui est à la fois technicien et qui est, par ailleurs, absolument convaincu politiquement et en interne c’est précieux.

Étienne Gonnu : Merci Laurent. Très bien, cette petite synthèse est bienvenue parce que je vous propose de faire une pause musicale. Nous allons écouter Ça part par Tintamare. On se retrouve dans environ quatre minutes. Belle journée à l‘écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Ça part par Tintamare.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Ça part par Tintamare, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA.
Tintamare est décrit sur le site ziklibrenbib.fr grâce auquel nous avons découvert ce morceau. Tintamare est un collectif d’une dizaine de musiciens de Montréal qui délivre une musique pleine fanfare rock, de post punk-folk et de paroles contestataires. Vous pouvez retrouver ces informations sur ziklibrenbib.fr. Le lien sera bien sûr en référence sur le site de l’April.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je mentionnais le site de l’April. Je vous rappelle que nous avons un tout nouveau site, libreavous.org, qui est en préouverture. Vous pourez par exemple retrouver les références de cette émission sur libreavus.org/116, 116 comme le numéro de l’émission.
Nous allons poursuivre notre discussion.
Je suis Étienne Gonnu de l’April et j’ai le plaisir d’échanger avec Laurent Costy, Jean-Luc Cazaillon et Morgane Péroche sur les CEMEA et leur rapport au logiciel libre.
On l’a un petit peu évoqué en première partie d’émission, mais peut-être qu’on peut revenir sur une question qui me parait parfaitement d’actualité. Il n’aura échappé à personne que nous sommes dans le contexte d’une pandémie mondiale. On a aussi passé un certain temps en confinement et on sait que ça a pu avoir certains impacts, j’imagine notamment dans le cadre de votre travail. Qu’en est-il ? Est-ce que vous pouvez nous dire quelque chose Morgane.

Morgane Péroche : Au niveau de l’international il y a plusieurs choses.
Pour faire un petit de lien avec ce que Marie-Odile a dit en début d’émission sur la question de la marchandisation des savoirs, au début je disais qu’on travaille aussi sur la question de la marchandisation de l’éducation, donc on milite contre la marchandisation de l’éducation.
Aujourd’hui, à l’échelle mondiale, il y a eu tous ces épisodes de confinement, de Covid, peu importe les mots qu’on a employés à l’échelle mondiale, en tout cas il y a eu un énorme essor de l’utilisation des outils du numérique. Aujourd’hui il semble nécessaire de devoir s’intéresser à nouveau à ces questions-là : quels outilss peut-on mettre en place à échelle mondiale pour lutter contre les grands de la technologie ? Nous, aux CEMEA, on essaye de porter cette voix-là. On a déjà parlé de Zourit. C’est vraiment faire comprendre aux organisations, faire comprendre aussi au système éducatif, qu’il est nécessaire de devoir trouver des alternatives qui ne collectent pas les donner des individus.
Aujourd’hui les CEMEA sont présents sur différents réseaux. Nous on travaille beaucoup avec un réseau européen qui s’appelle Solidar. Aujourd’hui on a pu, en fait, mettre en avant la dimension de la marchandisation d’éducation au niveau européen donc devant la Commission, etc.
Donc il y a des choses qui sont en cours au niveau politique à plus grande échelle ; ça prend du temps, on le verra. Même en France, aujourd’hui, il y a des choses qui ont été proposées par le ministre de l’Éducation nationale mais qui sont, à notre sens, pas forcément mises en avant ou suffisamment mises en avant, au détriment d’avoir des Microsoft, des Windows qui sont encore dans les écoles et c’est un réel combat qu’on doit mener au niveau des CEMEA.
C’est un combat qui est mené en France, aujourd’hui, mais qui intéresse beaucoup de personnes dans les différents systèmes éducatifs que l’on a à échelle mondiale.

Laurent Costy : Peut-être enchaîner justement sur l’outil qui a été promu un peu dans ce cadre-là. On en a parlé à plusieurs reprises, mais Zourit, du coup, a été développé par les CEMEA, en appui avec une structure qui est sur l’île de La Réunion, d’où d’ailleurs le nom que tu évoquais tout à l’heure à Jean-Luc.
C’est quoi Zourit ? Pour l’expliquer rapidement, on va dire que c’est une agrégation de plusieurs logiciels libres qui ont été rendus facilement accessibles, facilement compréhensibles. C’est ce qu’on évoquait tout à l’heure, c’est vrai que les débuts du Libre étaient un peu compliqués parce que les interfaces n’étaient pas forcément jolies, ne pouvaient pas concurrencer des grosses structures commerciales qui avaient des designers à foison et qui avaient énormément d’argent pour faire développer de magnifiques logos qui brillaient. Effectivement, les gens qui ont l’habitude de travailler sur une interface en noir et blanc ça ne les dérangeait pas, ce qu’on appelle généralement les geeks. Néanmoins, pour l’utilisateur qui avait l’habitude de ces logos brillants c’était un peu compliqué.
L’idée ce Zourit c’est de dire qu’on va agréger des outils libres – évidemment on est très attaché à la question du Libre – dans une interface et centraliser ces outils-là. On y retrouve de l’édition collaborative, on y retrouve le moyen de gérer ses mails, son agenda, ses contacts. On utilise finalement un logiciel libre qui existe depuis très longtemps qui s’appelle Zimbra, qui est assez connu et pas mal utilisé. On facilite la question des listes de diffusion, les sondages. On peut y déposer des fichiers dans un nuage, évidemment les fichiers peuvent être partagés par les utilisateurs de Zourit. On peut gérer les accès pour les administrateurs de la session. Il y a maintenant l’option visioconférence. Potentiellement on peut y ajouter, y adjoindre un autre logiciel libre qui permet de gérer son association de manière plus globale qui s’appelle Garradin par exemple. On peut synchroniser ses données entre son téléphone et son ordinateur. Finalement Zourit n’est pas un nouveau logiciel qui a été inventé à partir de zéro, mais bien finalement une agrégation et une mise en beauté on va dire, soyons poétiques, de plein de logiciels libres pour répondre vraiment aux besoins de structures.
Certes il a d’abord été utilisé en interne pour répondre à cette logique des CEMEA qui est d’abord de se confronter au quotidien. Il y a eu pas mal d’échanges avec les différentes communautés de logiciels pour faire remonter des bugs, pour poser des questions, comprendre, etc., et contribuer. Après, avec la pandémie, c’est vrai que s’est développé un peu un service potentiel aux associations, un service contre rétribution pour payer par exemple l’hébergement, pour que les associations puissent utiliser simplement ces outils-là.
Je trouve que c’est intéressant : on notera que les associations payent à la quantité d’espace de stockage – ce n’est plus du tout dans l’air du temps, Google offre gratuitement des espaces de stockage pratiquement infinis. Les CEMEA tenaient à ça par rapport à la question de la sobriété numérique. Il faut que les gens prennent bien conscience qu’une quantité de données, eh bien ça se met sur un serveur, ça demande de l’énergie, de l’électricité pour entretenir cette quantité de données, etc.
Donc il y a eu plein de réflexions autour de cette constitution et de cette création de Zourit.
C’était pour vous donner un peu un exemple de ce que peut être Zourit.

Étienne Gonnu : Merci beaucoup. Ça m’évoque beaucoup de choses. Est-ce que, Morgane ou Jean-Luc, vous souhaitez apporter des précisions sur ce que vient de dire Laurent ?

Jean-Luc Cazaillon : Non, je pense que Laurent est complet. Pour ceux qui veulent en savoir plus il faut aller voir, taper zourit.net et aller voir, se faire son idée.
Ce que je veux simplement dire, tu faisais référence au confinement, enfin vous faisiez référence au confinement et au monde associatif, mais le monde enseignant a beaucoup utilisé aussi Zourit par exemple durant la période du confinement pour deux raisons.
La première parce que, effectivement, il trouvait techniquement avec Zourit les moyens de répondre à des besoins qui étaient les siens. Donc constituer des groupes classes, pouvoir faciliter le lien entre les enfants, mais aussi par choix politique. Durant le confinement on a été quand même abreuvés de propositions de plateformes de nature propriétaire, marchandes et il y a aussi aujourd’hui un enjeu à chercher des solutions libres, c’est-à-dire qui s’inscrivent dans la philosophie de ce que l’on évoque depuis le début de cette émission. Donc beaucoup d’enseignants, même parfois des écoles complètement, collèges, lycées, ont trouvé dans Zourit la convergence à la fois d’un choix politique, d’une motivation, et puis d’une réponse technique adaptée à leurs besoins. C’est important de le souligner.

Étienne Gonnu : Je vais juste ouvrir une parenthèse avant de rendre la parole à Morgane Péroche sur un autre outil. Plus tôt on parlait de l’importance qu’il y ait des forces vives au sein des structures et des mouvements comme les CEMEA. Il y en a aussi au sein du ministère. On sait qu’une poignée a bataillé et a mis en place des outils libres, apps.education.fr. Ils ont dû batailler, maintenant finalement ils sont soutenus par leur hiérarchie et ils ont aussi offert aux enseignants des outils, les ont rendus disponibles. Je tenais à saluer leur excellent travail.
Morgane Péroche.

Morgane Péroche : Juste pour revenir sur Zourit. Honnêtement quand je vois ce qu’est devenu Zourit et la façon dont je l’utilise au quotidien parce que je travaille complètement avec ce pro-logiciel, ça répond un petit peu à ce qu’on disait en début d’émission sur la question de l’esthétique du Libre, la facilité d’utilisation, etc. Zourit prouve que c’est complètement possible aujourd’hui d’utiliser des logiciels libres qui correspondent à nos attentes, à nos besoins, en tout cas en tant qu’organisation d’éducation populaire. Je salue toutes les personnes qui ont travaillé à l’élaboration de ce pro- logiciel et qui font en sorte que ça fonctionne encore aujourd’hui. Je souhaite que ça puisse perdurer dans le temps et que ça donne aussi envie à d’autres organisations de pouvoir créer leur propre pro-logiciel en tout cas de s’en donner les moyens. Aujourd’hui pour répondre à cette question de « oui, mais bon, c’est plus facile avec tel ou tel logiciel propriétaire ». Oui, mais on peut aussi très vite changer ses habitudes, c’est possible, et c’est toujours la dimension politique que l’on donne à changer ses habitudes.
Pour revenir sur ce que tu disais Étienne, sur la question des outils qui sont proposés par le ministère. C’est pareil, pour moi c’est un élan d’espoir vis-à-vis de ce qu’on peut faire et maintenant le but c’est qu’il y ait davantage de communication là-dessus, que les enseignants et les enseignantes soient au courant que ces outils--là existent, puisque, malheureusement, je pense qu’on est au début de tout ça, qu’il y a peu de communication là-dessus et qu’on est encore sur des logiciels propriétaires.

Étienne Gonnu : Tout à fait. On voit en fait la différence il y a eu une initiative et comme ça fonctionnait très bien ça a été à peu près soutenu. On voit vraiment la différence de ce cas de figure avec une vraie politique publique, une approche systémique, en fait, où on donnerait véritablement une priorité au logiciel libre dans les usages, que ce soit en tant qu’outil à disposition des enseignants, en tant qu’objet d’éducation : on n’enseigne pas le rapport à l’informatique avec des outils privateurs, mais on l’enseigne bien de manière émancipée avec du logiciel libre, ce qu’est logiciel libre, etc. Je pense que cette distinction est importante, également encore clairement en termes de politique publique.
Laurent tu voulais reprendre la parole.

Laurent Costy : En fait je trouve ça extrêmement intéressant. On est en train de passer en revue différents outils, différents structures qui mettent en place des solutions et finalement c’est encourageant parce que ça donne l’impression qu’on va quand même vers une décentralisation d’Internet, enfin ! Ce sont peut-être les prémices de la décentralisation d’Internet où, finalement, l’utilisateur va pouvoir choisir entre plein d’objets en fonction de ses besoins et puis, surtout, ne pas laisser ses données sur des structures centralisées.
Certes, s’il utilise zourit.net il va laisser sur des serveurs, mais encore une fois toutes les garanties sont données par la structure, mais au moins il ne va mettre ça dans un unique silo comme quand on fait ça chez des GAFAM, etc. Du coup ça limite le profilage, ça limite tous les effets néfastes qu’à l’April, évidemment, on énonce.

Étienne Gonnu : Je ne sais pas si vous voulez revenir là, on parlait de Framasoft. On sait qu’il y a l’excellente initiative CHATONS. Je vais tenter sans notes, le Collectif des Hébergeurs, Alternatifs, Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires qui est effectivement dans cette approche éthique d’un Internet fédéré, basé sur des outils de confiance, sur du logiciel libre parce qu’il n’y a pas non plus de confiance sans transparence. On délègue toujours de la confiance, mais il faut savoir sur quelle base on la délègue et aussi quand on peut. Je pense que c’est ça qui est intéressant chez CHATONS et je pense que c’est assez cohérent.
Le masque de Jean-Luc Cazaillon vient de casser.

Morgane Péroche : Il l’a fait exprès !

Étienne Gonnu : Je pense qu’on est tous masqués, si à un moment donné c’est trop inconfortable…

Laurent Costy : Tu voulais peut-être parler la convention qu’il y a entre les CEMEA et Framasoft ?

Étienne Gonnu : On peut revenir à ça. Mais ce que je trouve intéressant aussi c’est qu’en fait ça ramène de l’humain et ça ramène une dimension de proximité. En fait quand ce sont des géants un peu éthérés, voilà, le service est là, on peut discuter de sa pertinence, mais quand on peut rencontrer quelque part et que les structures se rapprochent de nous, je trouve que ça change complètement le paradigme.
Du coup, il y a effectivement il y a une convention. Quel est le lien, quelle est l’action des CEMEA vis-à-vis de ce Collectif CHATONS. Moi je trouve qu’il y a quelque chose de très intéressant, qu’on pousse à l’April par rapport notamment aux pouvoirs publics : c’est bien d’utiliser du logiciel libre mais c’est encore mieux quand on contribue, quand on devient véritablement acteur et contributeur et contributrice des projets libres, du logiciel libre en général ; CHATONS est un bel exemple de ça.
Jean-Luc Cazaillon.

Jean-Luc Cazaillon : Sur CHATONS je ne suis pas le mieux placé pour répondre. Il a fallu qu’on m’explique plusieurs fois ce que c’est. J’ai bien compris le sens et l’intérêt, mais je ne suis pas le mieux placé pour répondre.
Ce que je peux dire simplement c’est que, d’une part, la collaboration avec Framasoft s’inscrit aussi dans une histoire. Les CEMEA ont été très mobilisés à La Réunion, c’était encore Pascal Gascoin à l’époque où il était réunionnais, dans l’accueil des mondiaux du Libre.

Étienne Gonnu : Des Rencontres Mondiales délocalisées.

Jean-Luc Cazaillon : Voilà, des Rencontres mondiales des logiciels libres.
Donc c’est une collaboration, aussi une histoire forte, mais la rencontre se fait sur la complémentarité. C’est-à-dire que Framasoft a besoin de découvrir ce qu’est le monde de l’éducation populaire et nous on a aussi besoin de Framasoft pour utiliser à la fois leur réflexion politique et leurs capacités à développer les choses. C’est cette complémentarité, cette convergence d’analyse, de lutte d’une certaine façon, qui donne le sens de collaboration.
Et puis tu as raison Étienne, on est rentré dans Zourit par le fait de soutenir le développement de Zourit. Pour moi, déjà, c’était fort de pouvoir se dire qu’au lieu d’acheter quelque chose, on allait soutenir un développement porté par une association et que nous aussi on a contribué, qu’on contribue aujourd’hui dans l’approche collective à faire progresser cet outil-là. Et ça c’est génial !

Étienne Gonnu : Morgane Péroche.

Morgane Péroche : J’ajouterais aussi, en revenant sur ce que tu dis Jean-Luc, en tant que mouvement d’éducation populaire, on est dans une dimension, on est dans l’idée que chacun et chacune est acteur ou actrice de son éducation aussi. La question du Libre au-delà de l’aspect technique qu’on peut avoir et où, des fois, on se dit mais qu’est-ce que c’est que ça, comment ça fonctionne – moi j’ai découvert le Libre plus avec une vision politique qu’une vision technique. Je disais à tout le monde de ne pas compter sur moi, je n’y arriverai pas, etc. En fait si, et, du coup, c’est dire à chacun et chacune qu’il est possible aujourd’hui de trouver des alternatives et, en plus de ça, tu peux y contribuer. On ne te demande pas de passer et des heures derrière un ordinateur, loin de là, mais il y a plusieurs façons de contribuer au Libre aujourd’hui puisque c’est la notion de commun et Marie-Odile nous en parlait avec Wikipédia juste avant. On peut le faire de plein de façons différentes et, pour ça, vous avez toutes les références je pense sur les différents sites qui ont été nommés précédemment.

Étienne Gonnu : Et puis il ne faut pas hésiter à prendre contact avec des associations comme l’April, comme les CEMEA. Il y a aussi des groupes d’utilisateurs et d’utilisatrices qui seront ravis de vous accompagner dans la démarche.
Laurent.

Laurent Costy : Je voulais revenir sur la question d’éducation populaire. D’abord préciser que les CEMEA c’est un mouvement d’éducation nouvelle et une association d’éducation populaire, j’ai retenu ça du congrès, j’espère que j’ai bon !

Jean-Luc Cazaillon : C’est bien ! Tu peux rester !

Laurent Costy : Là j’ai bon, merci, c’est parfait !
Effectivement et c’est pareil, l’éducation populaire reste d’actualité. La preuve, Framasoft se revendique désormais d’éducation populaire et a demandé l’agrément éducation populaire. C’est aussi là qu’on converge entre associations et entre réseaux, qu’on se reconnaît et qu’on est capables après de travailler ensemble et d’aller un peu dans le même sens avec chacun nos spécificités, notre histoire, évidemment.
C’est vraiment une question actuelle et l’éducation populaire a bien raison de se saisir de cette thématique-là qui me paraît essentielle.

Étienne Gonnu : Parfait. On parlait du CHATONS l’objet n’est pas d’en discuter ici, mais si nos auditeurs et auditrices souhaitent creuser le sujet, vous pouvez retrouver l’émission qu’on avait consacrée, on avait discuté en détail du CHATONS, libreavous.org/30.
Laurent justement tu disais, tu sembles apprendre finalement les CEMEA et je trouverais intéressant que tu nous dises, toi qui viens d’arriver, comment tu as perçu – on parle parfois de rapport d’étonnement – comment tu as perçu, comment tu perçois notamment avec ton regard April, ton expérience par rapport au logiciel libre ? Tu arrives dans cette structure, comment as-tu perçu tout ce qui a été mis en place ?

Laurent Costy : En fait, j‘ai un petit peu répondu tout à l’heure à la question. J’avais aussi ce regard Libre Association, je m’interrogeais, savoir pourquoi ça bien marché aux CEMEA. J’ai donné un peu d’éléments de réponse.
Il y a la question des personnes. Pour moi, finalement, c’est assez essentiel, le croisement des personnes. Ce que j’expliquais tout à l’heure c’est qu’effectivement, quand on regarde les mouvements d’éducation populaire, on trouve sur tous les territoires des militants qui sont convaincus par le Libre, qui font des actions, qui essayent de le promouvoir à leur réseau en le faisant remonter. Il y a souvent une prise de conscience politique, mais la jonction reste finalement assez ténue, on va dire qu’il n’y a pas une convergence.
Là ça a fonctionné parce que c’est la rencontre de personnes à un moment donné, au bon moment, plus effectivement, et ça c’est primordial, je l’avais constaté dans mon propre réseau quand j’étais à la Fédération française des MJC, il faut faire venir parler quelqu’un d’extérieur. Ce que j’expliquais toujours c’est que quand moi je parlais de logiciel libre à la Fédération française des MJC les gens se disaient « oh non, encore Laurent qui va nous parler de ce truc-là » et hop !, les gens fermaient leurs oreilles et arrêtaient d’écouter. Alors que quand on faisait intervenir quelqu’un qui disait exactement la même chose mais qui venait de l’extérieur, les gens se disaient « mais finalement Laurent ne dit peut-être pas que des bêtises ! ». Du coup ce tiers regard, ce tiers intervenant est primordial. C’est exactement ce qu’expliquait Jean-Luc tout à l’heure. C’est quand Framasoft est venu redire ce que Pascal disait depuis déjà des années au sein des CEMEA que le déclic s’est produit.
Donc ne pas négliger ce point-là. Je pense qu’il est assez central dans le déclenchement des processus.
Après, je découvre toute la machine formation qui me semble vraiment très avancée au sein des CEMEA et qui joue aussi un rôle primordial, on ne peut pas le négliger. C’est-à-dire qu’il y a une machine qui se met en place chaque année sur les formations programmées. Très tôt, en amont, on sait qu’à telle date il y aura une formation Zourit donc les associations territoriales peuvent s’y inscrire, se former. Après on est aussi dans le déclenchement de formations de formateurs qui vont pouvoir relayer sur le terrain. Donc on a vraiment un effet qui permet de démultiplier l’efficacité des messages qui sont passés sur le thème du Libre et après, évidemment, tous les thèmes qui sont travaillés au sein des CEMEA.
C’est ce que je découvre depuis un mois, c’est une grosse machine qui n’est pas du tout organisée comme mon réseau précédent, mais qui une force de frappe assez intéressante sur cette logique-là.

Étienne Gonnu : Super. Peut-être une question qu’on peut se poser. Maintenant que vous êtes riches aussi d’une expérience, d’un parcours, quel bilan en tirez-vous ? Est-ce que vous avez notamment identifié des difficultés ? Je pense que ça pourrait intéresser notamment des structures qui pourraient nous écouter, qui auraient envie de s’engager, est-ce qu’il y a des difficultés clefs que vous avez perçues que vous avez pu surmonter et comment ?

Jean-Luc Cazaillon : Avant de parler de difficultés, en écoutant Laurent je me disais que ce qui est assez intéressant au fil des années c’est que cette question de l’enjeu que l’on évoque, du logiciel libre, a pénétré quasiment tous les champs d’intervention des CEMEA. Grosso modo, ce n’est pas quelque chose qu’on réfléchit à part ou à côté de l’école, de l’animation, du travail social, de la culture. Au contraire, ça vient irriguer l’ensemble des champs. Je trouve ça intéressant parce que c’est aussi une problématique qu’on pourra aborder sous l’angle culturel, on parle bien de culture d’entreprise, on a aussi des cultures de logiciels. C’est une évolution qu’on a pu mesurer au fil des années, notamment aussi à travers la dimension européenne et internationale, parce que les plateformes qu’évoquait Morgane tout à l’heure, elle évoquait notamment Solidar, ça regroupe des syndicats à l’échelle européenne par exemple. Comment aujourd’hui un syndicat s’empare-t-il de ces questions-là qui sont un enjeu politique mais qui sont aussi en enjeu d’usage ?
C’est un premier effet positif.

Étienne Gonnu : Je suis très sensible à cet argument. Toutes les structures ont leur cœur de métier, un peu l’objet de leur lutte. Finalement, moi je crois à l’approche un peu holistique, on va dire, de l’objet politique et de l’éthique. Et les moyens qu’on met en œuvre, la manière dont on met en œuvre dans la pratique, matériellement finalement, l’objet de notre lutte, c’est essentiel. Ça va être aussi prendre en compte les questions d’antisexisme par exemple, d’antiracisme, etc., dans la façon dont on pratique au quotidien. Bien sûr, ça n’est pas en faire l’objet principal, l’objet des CEMEA n’est pas la défense du logiciel libre. Mais je trouve très intéressant que tu évoques que ça fait partie des pratiques et que ça irrigue, en fait, tous les champs. Je tenais à dire que je suis sensible à ce point moi aussi.

Jean-Luc Cazaillon : Je pense que c’est un enjeu important, surtout parce qu’il y a un risque pour les champs qu’on évoque, c’est le risque d’avoir des tuyaux d’orgue ou de boîtes Tupperware, c’est-à-dire des choses fermées qui ne communiquent pas ou à la marge. Tout le travail que j’ai conduit, entre autres, qui a été aussi porté par Morgane et Laurent aujourd’hui, c’est justement d’arriver ces éléments de transversalité, ces éléments de pénétration, qui font que les problématiques ne sont pas les unes à côté des autres, elles sont forcément étroitement mêlées. Le monde de l’animation, par exemple à travers les pratiques des jeunes, les pratiques du quotidien, ne peut pas être absent de la réflexion que l’on porte sur le rapport au Libre. Ça a même commencé par là. Il y a 30 ans quand on disait qu’on allait monter un groupe jeux vidéo on se faisait tuer parce que ce n’était pas un jeu traditionnel comme les CEMEA aiment parfois les promouvoir. 30 ans après le jeu vidéo fait partie d’un univers du quotidien. On voit que ça peut aussi créer du collectif.
Tout le rapport au numérique ne peut pas être absent d’un quotidien dans lequel les militants sont engagés.
Cette dimension idée de pénétration est fondamentale pour justement en faire un objet commun et pas des objets spécifiques, ce qui permet aussi de résister à une première approche qui a été une difficulté qui était de dire que c’est un débat de geeks, c’est un débat de spécialistes. C’est vrai que pendant très longtemps ça a été perçu par un grand nombre d’entre nous comme un débat de spécialistes : ceux qui étaient capables de dire en quoi le Libre était différent du propriétaire et ceux qui ne l’étaient pas. C’est pour ça que j’évoquais tout à l’heure le fait qu’il faut passer d’un débat de spécialistes à un débat de citoyens, donc un débat de militants et ça, ça prend du temps. Et c’est par l’approche politique, au sens large du terme, que l’on arrive petit à petit à ramener cet élément-là pour en faire un objet central, une réflexion toujours en cours.
Cette difficulté-là est encore présente, moins maintenant, mais ce n’est pas un débat de geeks et ce ne sont pas des fous furieux d’un côté qui passent une nuit pour développer un logiciel quand d’autres vont...

Laurent Costy : Ou qui culpabilisent potentiellement les personnes en disant « oh ! Là, là, tu n’es pas encore sous système d’exploitation libre ».

Jean-Luc Cazaillon : « Comme je n’y comprends rien, je ne peux rien dire ». Non, on ne te demande pas d’intervenir comme tu peux le faire, Laurent, ou comme d’autres peuvent le faire pour développer un logiciel ou comme Morgane ne sait pas le faire. Et heureusement qu’elle ne sait pas le faire parce que c’est grâce au fait qu’elle ne sait pas le faire que ça n’empêche pas, pour autant, d’avoir un débat politique, une réflexion justement sur l’approche marchande. Cette question de la marchandisation que Morgane a évoquée tout à l’heure est fondamentale. Regardez comment les industries du numérique se sont engouffrées dans les pays dits en voie de développement pour développer des kits prêts à penser, prêts à éduquer. Ce n’est pas de la philanthropie, c’est du business !

Morgane Péroche : Je suis complètement en accord avec ce que dit Jean-Luc. À partir du moment où on a compris que nous sommes tous et toutes politiques, qu’il y a du politique partout, dans tout ce que nous faisons, les difficultés qui sont rencontrées aujourd’hui je pense que ça a été la question des habitudes, c’est toujours l’étiquette des habitudes qui est sortie. Quand je travaille avec différents partenaires, avec différentes personnes c’est toujours « oui, mais bon », ce que je disais auparavant, « j’utilise ce logiciel-là » – sans les citer, mais on les connaît très bien – « du coup c’est facile et puis tout le monde a ça ». On se rend compte aussi qu’il est facile de changer. Je vois à l’échelle individuelle, de mon côté, où j’ai fait un peu ce qu’on appelle de la propagande dans mon entourage et aujourd’hui on est capables d’avoir plus de discussions sur Signal que sur une autre plateforme de messagerie instantanée. Ces personnes-là se reconnaîtront.
Après, plus on arrive à proposer à chaque fois des solutions, parce qu’à chaque fois qu’on arrive avec ça, il faut qu’on soit capable d’amener des solutions. Par exemple, quand j’ai des rendez-vous avec des partenaires, etc., il y a eu toutes la question de la visioconférence, c’est de dire « au lieu de me donner votre Zoom, on va vous donner un petit lien BigBlueButton, vous allez voir comment ça fonctionne ». En fait on force un peu la main, je sais que moi je force un peu beaucoup la main avec certaines personnes avec « je t’envoie un lien BigBlueButton ». Le fait que pour les gens ce soit la première fois, on leur explique un petit peu et au final ils trouvent que l’outil est plutôt adapté ou simple d’utilisation et derrière on arrive à débattre. On peut avoir cet argument en disant « j’utilise ça aujourd’hui pour des raisons qui sont purement politiques. Et toi en tant qu’organisation, si tu penses défendre des engagements, dans ces cas-là tu ne peux pas ne pas tenir compte de la dimension du logiciel libre ».
Étienne, tu disais que nous ne sommes pas des défenseurs du logiciel libre, mais en fait c’est plutôt l’inverse. Oui, nous sommes des défenseurs du logiciel libre aujourd’hui en fonction de ce que nous souhaitons amener dans la société et quels changements nous amenons avec l’éducation. Donc de fait nous sommes des promoteurs et des promotrices du Libre.

Étienne Gonnu : Parfaitement dit tout ça. Super.
Jean-Luc Cazaillon.

Jean-Luc Cazaillon : Tu me posais la question sur les difficultés.
II y a une deuxième difficulté, en tout cas un facteur de réalité qui ne joue pas forcément toujours, qui n’a pas forcément toujours joué en faveur du Libre, c’est le rapport au temps. C’est-à-dire que soutenir le développement ça prend du temps et ça prend plus de temps que d’acheter un logiciel clefs en main. Cette question du rapport au temps est aussi extrêmement importante au sein des CEMEA, mais n’importe où.
Je pense à ça aussi : il a fallu, il faut encore résister un moment à la facilité de l’achat d’un logiciel propriétaire quand, par ailleurs, on peut soutenir ou s’engager dans une communauté, prendre un peu de temps pour développer un logiciel, un progiciel, en tout cas une plateforme qui soit libre. Ce facteur temps est important aussi et il a joué dans beaucoup de décisions internes. Mais je pense que c’est valable à d’autres endroits.

Étienne Gonnu : Bien sûr. Laurent tu souhaites réagir et on arrive sur la fin.

Laurent Costy : Je termine. Je tempérerais un tout petit peu les propos de Morgane qui dit que c’est facile de changer ses habitudes, en fait ça dépend des personnes. Il faut être plutôt prudent sur la manière dont on amène ça. Il y en pour qui changer ses habitudes ça va être compliqué, il faut les accompagner, ça demandera plus de formation. Il faut vraiment être attentif à qui on s’adresse. Effectivement il y a des gens qui sont agiles, qui ont l’habitude de changer de logiciel, ça va être hyper-facile, et il y en a d’autres pour qui ce sera plus compliqué. C’est juste ça que je voulais préciser.

Étienne Gonnu : Dans la même veine, je pense justement que c’est rarement facile de changer ses habitudes, mais quand on en fait un objectif éthique et politique, ça remet un petit peu de joie dans la démarche et je pense que c’est comme ça qu’on peut faire. Il est important, je pense qu’on sera d’accord, que l’objet n’est pas non plus de culpabiliser qui que ce soit. Parfois on n’a pas le temps et c’est une bonne raison, on n’a pas le temps de changer son habitude et ça ne remet pas en cause sa cohérence. On fait tous des choix, l’important c’est de faire un choix éclairé, de savoir quel choix on fait.
On arrive vraiment sur la fin. Morgane, Jean-Luc, en une minute chacun, une idée sur laquelle vous voudrierz revenir, quelque chose que vous n’avez pas dit que vous souhaiteriez quand même dire.
Jean-Luc.

Jean-Luc Cazaillon : Je cherche ce que je n’ai pas dit, que j’aurais voulu dire. En fait, s’il fallait revenir sur une idée force, je crois beaucoup à la question de la dimension de l’émancipation et du projet d’émancipation. Je crois qu’aujourd’hui il faut que les associations d’éducation populaire, les mouvements éducatifs soient convaincus de la cohérence qu’il y a à réfléchir et à travailler autour de cette question du Libre par rapport au projet associatif et aux ambitions éducatives, aux ambitions politiques dont nous sommes porteurs les uns et les autres. Il y a forcément de la convergence et il faut absolument convaincre de la pertinence et de l’enjeu de cette convergence renforcée.

Étienne Gonnu : Morgane.

Morgane Péroche : Je rejoins une fois de plus Jean-Luc. Pour revenir sur ce que Laurent disait, effectivement il est important de pouvoir accompagner les personnes dans le changement de ces habitudes-là. C’est aussi notre rôle, en tant qu’association populaire, parce qu’on est dans une dimension de formation, donc on accompagne aussi les gens au changement et c’est notre rôle.
J’ai espoir que tout ça puisse évoluer. Il y a des choses qui ont bougé. On en discutait déjà auparavant, le Libre a beaucoup changé, ça n’a plus du tout la même allure que ça avait avant, on en entend davantage parler. Il est nécessaire qu’aujourd’hui on puisse sensibiliser à ces questions-là par la dimension politique et accompagner toute personne qui souhaiterait en connaissance de cause pouvoir modifier ses habitudes d’utilisation du numérique.

Étienne Gonnu : Parfait. Notre temps arrive à la fin.
. Jean-Luc Cazaillon, ancien directeur des CEMEA et militant CEMEA et Morgane Péroche permanente des CEMEA, notamment sur les dimensions européenne et internationale du réseau. Un grand merci pour ce temps échange que j’ai personnellement trouvé très intéressant, je suis sûr que les auditeurs et auditrices également.

Morgane Péroche : Merci à vous.

Étienne Gonnu : Je vous propose de faire une dernière pause musicale

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Nous allons écouter Words par Minda Lacy. On se retrouve dans deux minutes. Une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Words par Minda Lacy.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Words par Minda Lacy, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA. Je vais remercier ma collègue Isabella qui a fait la sélection musicale pour cette émission, que j’ai trouvée très agréable à écouter.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Je suis Étienne Gonnu de l’April.
Nous allons passer à notre dernier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « La pituite de Luk »

Étienne Gonnu : Pour ce sujet, Luk nous a fait parvenir sa dernière chronique. C’est vrai que ce n’est pas dans ses habitudes, mais il n’y a aucune raison d’être suspicieux. Quoi qu’il en soit, je vous propose d’écouter la nouvelle pituite de Luk, la première de cette saison 5 de Libre à vous !. Si j’ai bien compris il sera question de complotisme, d’intelligence artificielle et de plaques à induction.
On se retrouve juste après. Je vous souhaite une bonne écoute sur la radio Cause Commune, la voix des possibles.

[Virgule sonore]

Luk : J’aime bien commencer les rentrées par une petite rétrospective, juste par esprit de contradiction.
Ainsi donc, pour ma première pituite, j’avais expliqué que j’affectionne tout particulièrement lâcher un « je te l’avais bien dit » quand l’occasion se présente.
Plus tard, en novembre 2020, j’avais fait une proposition de stratégie audacieuse de promotion des libertés informatiques. Elle consistait à pousser en avant une nouvelle théorie du complot où une IA aurait pris le contrôle des cerveaux de nos stars du business liberticide pour s’acheter un accès à l’espace. Elle aurait utilisé les réseaux sociaux et l’informatique propriétaire pour leurrer et manipuler les humains afin qu’ils travaillent à la propulser dans les étoiles, détruisant la planète au passage.
Eh bien, je vous l’avais bien dit, cette théorie du complot a de l’avenir. J’ai découvert l’existence de la Dead Internet Theory selon laquelle Internet est mort depuis 2016 et que tout ce qui est produit sur Internet est l’œuvre d’IA pilotées par le gouvernement américain pour leurrer la population, bien sûr. La source de théorie a été retracée depuis un forum obscur dans un post de janvier 2021, tout juste 11 jours après ma proposition. Coïncidence ?

Ce qui manque à cette théorie complotiste, c’est un nouveau méchant. Le gouvernement américain, les extra-terrestres, c’est usé jusqu’à la corde. Et quand on sait qu’en 2015, les brillants cerveaux de Bill Gates, Stephen Hawking et Elon Musk ont affirmé que les IA constituaient un grave danger qui pèse sur l’humanité. Quand on sait que Musk a même déclaré que c’était le plus grand danger, soit pire que le réchauffement climatique, plus que la remilitarisation rapide ou que les épidémies. Quand on sait aussi que, curieusement, ils n’ont rien dit depuis sur le sujet… particulièrement Hawking qui est mort, comme c’est commode !, on comprend que ma théorie colle parfaitement. Coïncidence ?

Alors, je les entends les objections. Croire que ma chronique en français sur Cause Commune a inspiré une théorie fumeuse sur un forum complotiste en anglais serait naïf. Mais quand on pense que 73 % de la désinformation antivax sur le Covid-19 venaient de 12 personnes seulement comme l’a démontré l’étude d’une ONG britannique, alors un simple lien entre ma chronique et un misérable post dans un forum devient très probable. Et puis l’effet papillon ça existe, je ne suis pas assez bien pour en bénéficier, c’est ça ?

Et puis histoire d’IA est d’autant plus crédible que cet été, en Australie et en Afrique du Sud, une IA du nom de Dabus a légalement obtenu la paternité d’un brevet. La Chine a reconnu, en 2019, qu’une IA peut créer une œuvre au sens du droit d’auteur. En 2020, lassés par des affaires de plagiat dans la musique, des gens ont pondu un algorithme qui a généré 68 milliards de mélodies. Désormais la pop musique appartient aux machines, d’autant plus qu’il n’est même plus nécessaire de savoir chanter ou jouer d’un instrument pour produire un tube. Que reste-t-il à l’humanité si elle est dépouillée de sa capacité créatrice ?

Je sais bien que nombre d’entre vous ne sont toujours pas convaincus par mon raisonnement purement inductif. Eh bien moi, je dis que l’induction, c’est puissant. Les voitures électriques utilisent des moteurs à induction. Et pour la cuisine aussi, l’induction c’est bien mieux que la vitro-céramique. Alors si c’est vrai pour la technologie, il n’y a aucune raison que ce ne soit pas vrai dans le domaine du raisonnement.

Il y a des cuisinières ou des moteurs à déduction ? Non, parce que la déduction c’est nul. De toute façon, il faut bien regarder le truc en face : dans notre quotidien, nous faisons extrêmement peu de raisonnements déductifs. L’induction est la règle et nous évaluons la probabilité que nos raisonnements soient justes avec d’autres inductions.

Le monde occidental a tourné pendant des siècles avec, comme principe essentiel, que la bible était une vérité révélée et que Dieu gouvernait le monde et écoutait les prières. Se lamenter aujourd’hui sur l’avènement d’une prétendue ère de post-vérité, c’est se leurrer. Le vrai sujet est de savoir qui a le pouvoir de fixer la fiction officielle à laquelle il est obligatoire de croire.

Donc coïncidences… Malheureusement oui et c’est bien ça le problème. J’aurais tant préféré qu’il existe une IA qui nous soit supérieure. Ça nous aurait au moins fait une entité capable d’avoir un plan cohérent. Dans les films, j’ai toujours été pour les robots qui essaient d’éliminer les humains parce que les humains font et disent des trucs stupides et, au final, passent leur temps à faire encore et encore les mêmes erreurs avec l’arrogance de se sentir spéciaux. Et ce n’est peut-être que ça qui nous distingue des machines, finalement, et il n’y a vraiment pas de quoi se la péter !

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : Merci à distance à Luk pour sa nouvelle chronique et on espère le retrouver le mois prochain, à moins qu’il n’ait été remplacé par une IA.
Nous allons approcher de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

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Étienne Gonnu :