Différences entre les versions de « Émission Libre à vous ! diffusée mardi 21 juin 2022 sur radio Cause Commune »

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche
Ligne 47 : Ligne 47 :
 
==Chronique « In code we trust » de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune, sur le thème de la musique et du droit==
 
==Chronique « In code we trust » de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune, sur le thème de la musique et du droit==
  
<b>Étienne Gonnu : </b>Pour commencer
+
<b>Étienne Gonnu : </b>Pour commencer cette émission placée sous le signe de la musique, Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune, nous propose une chronique sur le thème de la musique et du droit. C’est la chronique « In code we trust ».<br/>
 +
Bonjour Noémie. Est-ce que tu es bien avec nous ?
 +
 
 +
<b>Noémie Bergez : </b>Bonjour Étienne. Bonjour à toutes et à tous.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>Nous t’écoutons.
 +
 
 +
<b>Noémie Bergez : </b>Merci Étienne.<br/>
 +
La chronique de ce jour est consacrée à la musique et au droit, en d’autres termes le droit de la musique.
 +
 
 +
Les règles appliquées à la création musicale et à l’exploitation de cette création vont se retrouver dans le Code de la propriété intellectuelle. On y trouve des dispositions communes avec les autres créations et des dispositions spécifiques.
 +
 
 +
En France, il faut savoir que la musique est appréhendée sur le plan juridique d’une part par le droit d’auteur, qui correspond au droit qu’ont les auteurs, et, d’autre part, aux droits voisins qui n‘ont rien à voir avec le domaine immobilier, mais qui sont bien les voisins des auteurs, ce sont notamment les artistes-interprètes, les producteurs de phonogrammes, les producteurs de vidéogrammes, les entreprises de communication audiovisuelle.
 +
 
 +
Dans le Code de la propriété intellectuelle on ne retrouve pas le terme « musique » à proprement parler. À l’article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle, on découvre que sont considérées comme œuvres de l’esprit notamment les œuvres drammatico-musicales, à savoir les opéras qui sont des œuvres littéraires et musicales, mais également les compositions musicales avec ou sans paroles, donc la musique instrumentale ou la musique chantée.<br/>
 +
Comme pour les autres œuvres protégées, je rappelle que les compositions musicales, pour bénéficier de la protection par le droit d’auteur, doivent être originales. Là on a trois parties d’une composition musicales qui peuvent être protégées : la mélodie, c’est-à-dire l’air, le thème, d’autre part l’harmonie, les accords des sons, leur enchevêtrement, la combinaison des sons qui sont perçus par l’oreille et enfin les rythmes, les mesures, les cadences qui peuvent aussi être protégées.<br/>
 +
Dans l’analyse de l’originalité on voit toujours ressortir en place prépondérante la mélodie qui est la plus évidente à caractériser. Ce sont toujours les juges qui reconnaissent l’originalité d’une œuvre lorsqu’elle est remise en cause dans le cadre d’un contentieux, je renvoie pour cela à la chronique que nous avions préparée sur l’originalité des œuvres. Il faut savoir que parfois certains juges ne vont appliquer l’originalité de la même manière pour les compositions musicales et, pour déterminer si l’œuvre est originale, ils vont se fonder sur l’absence d’antériorité, le critère de la nouveauté qui normalement n’est pas appliqué en droit d’auteur, mais on le retrouve souvent dans les décisions de justice qui concernent la musique.<br/>
 +
C’est vrai que la musique est extrêmement large. On part du classique, aujourd’hui nous avons les musiques électroniques et c’est un domaine dans lequel on retrouve aussi beaucoup d’œuvres dérivées. Ce sont des adaptations d’œuvres préexistantes, leur définition juridique est prévue à l’article l112-3 du Code de la propriété intellectuelle qui protège les œuvres dérivées de la même manière que les œuvres préexistantes. C’est vrai que la protection par le droit d’auteur qui, je vous rappelle, permet de bénéficier de droits patrimoniaux donc à l’auteur de pouvoir exploiter son œuvre, mais aussi de droits moraux pour protéger l’œuvre. Les droits moraux sont attachés à la personne de l’auteur.<br/>
 +
À côté des auteurs nous avons aussi d’autres acteurs de la musique qui bénéficient, comme je le disais tout à l’heure, de droits voisins, à savoir les producteurs de phonogrammes, qui sont définis dans le Code de la propriété intellectuelle comme « les personnes physiques ou morales qui sont à l’initiative et à la responsabilité de la première fixation d’une séquence de sons ». On peut aussi trouver dans le droit de la musique les artistes-interprètes qui vont interpréter une œuvre musicale et, enfin, il y a un acteur dont on entend assez souvent parler, ce sont les sociétés de gestion collective qui ont en charge de collecter les droits d’exploitation et de les reverser aux auteurs. On en parle beaucoup parce que, évidemment, l’activité même des sociétés de gestion collective a été, de temps à autre, remise en question et elle l’a été récemment, dans le domaine de la musique libre. Il n’existe pas de définition légale de la musique libre de droit, on peut considérer que c’est un auteur qui va décider d’autoriser les tiers à exploiter son œuvre dans les conditions d’une licence libre. Ce qui est compliqué pour cet auteur c’est qu’il va être confronté au poids des sociétés de gestion collective auxquelles il ne va pas forcément adhérer. On a eu un cas de jurisprudence récent qui concernait la plateforme Jamendo et plus spécifiquement la société Saint Maclou. Vous allez me demander que fait la société Saint Maclou spécialisée dans la décoration des sols et fenêtres dans un sujet sur la musique sous licence libre.<br/>
 +
La société Saint Maclou avait signé, en 2009, un contrat avec l’éditeur de la plateforme Jamendo pour pouvoir diffuser de la musique libre de droit dans ses boutiques. Deux sociétés de gestion collective ont poursuivi la société Saint Maclou pour lui réclamer le paiement d’une rémunération équitable. La rémunération équitable est prévue par l’article L214-1 du Code de la propriété intellectuelle et prévoit que l’utilisation de phonogrammes publiés à des fins de commerce ouvre droit à une rémunération au profit des artistes-interprètes et producteurs. Sur ce fondement, les sociétés de gestion collective reprochaient à la société Saint Maclou de ne pas avoir reversé de rémunération équitable, ce qui était évidemment contesté par la société Saint Maclou mais également par les éditeurs de la plateforme Jamendo.<br/>
 +
Devant la cour d’appel de Paris, il a été fait droit aux demandes des sociétés de gestion collective puisque la cour d’appel a considéré que les musiques qui étaient diffusées dans les magasins devaient être soumises à une rémunération équitable même si leurs auteurs n’étaient pas adhérents des sociétés de gestion collective. La société Saint Maclou s’est retrouvée condamner à payer 120 000 euros au titre de cette rémunération. Un pourvoi a été formé devant la cour de cassation. La cour de cassation s’est prononcée le 11 décembre 2019 et a confirmé l’arrêt de la cour d’appel considérant que la rémunération aurait dû être versée aux sociétés de gestion collective, tout en relevant que les auteurs pouvaient se rapprocher des sociétés de gestion collective pour toucher leur part de rémunération équitable ce qui paraît, en réalité, vraiment totalement improbable.<br/>
 +
Cet arrêt a été beaucoup commenté et critiqué ; c’est vrai que sa motivation empêche véritablement les artistes d’émerger, d’exploiter leur musique comme ils le souhaitent. C’est vrai que ça reste quand même une restriction importante à la liberté, d’autant qu’on reproche aussi à ces sociétés de gestion collective, de temps à autre, des frais de gestion, une façon de gérer les fonds de manière un peu opaque. Cet arrêt aurait pu être rendu de manière différente, on s’attendait à quelque chose de différent, ça a été confirmé, malheureusement.<br/>
 +
C’est un contentieux qu’on voit de temps en temps ressurgir. Pour l’instant, ça n’évolue pas trop, mais on espère peut-être qu’à l’avenir les choses vont évoluer, on sait que le monde de la musique est en pleine mutation. On a les plateformes NFT, je rappelle qu’on avait fait une chronique sur les <em>Non fungible tokens</em>, on sait qu’il va y avoir encore des évolutions dans le domaine de la musique. On espère qu’un jour le tournant va se faire de manière peut-être plus équilibrée pour tous ces acteurs. Le domaine de la musique est un domaine dans lequel les contentieux sont très variés, on peut avoir des sujets sur la rémunération des artistes, on peut avoir des sujets sur le contenu de la pochette d’un disque, on peut avoir, plus récemment et à regret, des fermetures de salles de spectacle au moment du covid, tout ça fait vraiment partie de la construction du droit de la musique. On peut avoir, malheureusement, des litiges. Il y a des difficultés qui peuvent intervenir. Tout cela ne nous empêchera pas de nous amuser. Je souhaite à tout le monde une très bonne fête de la musique.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>Merci beaucoup Noémie. À toi de même, bel été, bonne fête de la musique.<br/>
 +
Merci pour ton analyse, pour ces réflexions effectivement très intéressantes, notamment juste avant d’échanger avec des artistes qui diffusent justement leur musique sous licence libre.<br/>
 +
Un grand merci à toi Noémie et une belle fête de la musique.
 +
 
 +
<b>Noémie Bergez : </b>Merci Étienne.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>Puisque Noémie a beaucoup parlé des sociétés de gestion, je vais en profiter, je vais me permettre de rajouter une petite couche à la liste de leurs qualités que Noémie a beaucoup citées. L’April agit beaucoup au niveau de l’action institutionnelle, auprès des décideurs publics, des parlementaires. Il y a un an maintenant, lors d’une proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France qui a touché un petit peu au pré-carré de ces sociétés de gestion de droits puisqu’elle concernait le réemploi de biens reconditionnés, ça touchait ce qui s’appelle la copie privée qui est une manière, pour elles, de se financer. Dans le cadre de ces débats des députés ont parlé, se sont exprimés publiquement en pleine Assemblée, ce qui est rarissime, pour signaler la pression mise, voire les menaces exprimées par certains représentants de ces sociétés de gestion. Je me suis permis de rappeler cette considération.<br/>
 +
Je vous propose maintenant de faire une pause musicale.
 +
 
 +
[Virgule musicale]
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>Pour cette première pause musicale, puisque c’est la fête de la musique libre, j’ai voulu partager à nouveau avec vous un de mes morceaux préférés de la Playlist de <em>Libre à vous !</em>, un morceau que j’ai découvert justement en cherchant des musiques libres. Nous allons écouter <em>Arcane</em> par CloudKicker. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
 +
 
 +
<b>Pause musicale : </b> <em>Arcane</em> par CloudKicker.
 +
 +
<b>Voix off : </b>Cause Commune, 93.1.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>Nous venons d’écouter <em>Arcane</em> par CloudKicker, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, une licence libre qui protège les droits des utilisateurs, des « écouteurs et des écoutrices », inventons des mots, pourquoi pas ! Cette licence permet la réutilisation, la modification, la diffusion, le partage de cette musique pour toute utilisation, y compris commerciale, à condition de créditer l’artiste, le nom, la source du fichier original, d’indiquer la licence et d’indiquer si des modifications ont été effectuées. Puisque nous parlons de fête de la musique libre, j’en profite pour rappeler que toutes nos pauses musicales sont sous licences libres qui permettent le partage le plus libre et le plus large possible à nos proches, de les télécharger parfaitement légalement, de les remixer y compris pour des usages commerciaux, comme justement cette licence Creative Commons Attribution ainsi que la Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA, ou encore la licence Art Libre.
 +
 
 +
[Jingle]
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>Nous allons passer à notre sujet principal.
 +
 
 +
[Virgule musicale]
 +
 
 +
==La Fête de la musique==
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>Pour cette émission spéciale fête de la musique libre nous avons voulu donner la parole à des artistes qui publient leur musique sous licence libre, des musiques que nous avons diffusées dans <em>Libre à vous !</em>. Nous entendrons Corentin des Gueules Noires qui interviendra en direct par téléphone, Minda Lacy, une artiste américaine dont nous avons enregistré et traduit l’interview. Avant cela je vous propose d’écouter Thibaut Dallery, du projet musical Lumpini, interview que nous avons également pré-enregistrée faute de disponibilité ce jour. On écoute cet échange et on se retrouve juste après toujours sur Cause commune, la voix des possibles.
 +
 
 +
===Interview de Thibaut Dallery, à l’initiative du projet musical Lumpini===
 +
 
 +
[Virgule sonore]
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>J’ai le plaisir de recevoir aujourd’hui Thibaut Dallery dans cette émission spéciale sur la musique libre, sur la musique, en ce 21 juin. Thibaut, bonjour.
 +
 
 +
<b>Thibaut Dallery : </b>Bonjour. Bonjour Étienne.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>Est-ce que vous pourriez déjà vous présenter, s’il vous plaît ?
 +
 
 +
<b>Thibaut Dallery : </b>Je m’appelle Thibaut Dallery, j’ai 30 ans. Je viens parler de mon projet qui s’appelle Lumpini. C’est un projet de composition que j’ai réalisé ces dernières années. L’idée c’était de finaliser puis d’enregistrer plusieurs compositions que j’avais écrites depuis longtemps, certaines depuis 10/15 ans quand j’étais au lycée. J’ai eu l’inspiration, l’idée d’enfin les finaliser et ça a donné ce projet Lumpini.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>Super. Je crois qu’il y a une ou deux semaines nous avons diffusé un de vos morceaux puisque l’album Lumpini est sous licence libre, on y reviendra plus tard. Vous êtes musicien ? Vous êtes musicien professionnel ? C’est une passion que vous avez depuis longtemps ?
 +
 
 +
<b>Thibaut Dallery : </b>Ce n’est pas mon métier. Je suis professeur des écoles. C’est une passion que j’ai, j’ai commencé à 13 ans et elle ne m’a pas lâché. C’est vraiment une passion super importante que j’essaie de poursuivre.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>De quoi jouez-vous comme instrument ?
 +
 
 +
<b>Thibaut Dallery : </b>Je joue principalement de la guitare, c’est surtout ça que je joue sur ce projet avec aussi un petit peu de basse et de clavier. L’idée, sur ce projet-là c’était surtout, pour moi, de jouer de la guitare, et, pour tout ce que j’ai du mal à jouer comme instrument, il y a aussi de la batterie, du saxophone, un peu de flûte, pour les parties de basse et de clavier compliquées, eh bien j’ai demandé aux copains qui font ça beaucoup mieux que moi.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>Du coup, si je comprends bien ce que vous dites, c’est un projet entre amis.
 +
 
 +
<b>Thibaut Dallery : </b>Oui, c’est ça. J’avais aussi joué dans plusieurs groupes avant. Là, par contre, l’idée c’était vraiment de prendre mes compositions, de faire tous les arrangements et de donner un matériel déjà bien ficelé aux musiciens.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>Pouvez-vous nous donner un peu plus de détails sur l’histoire, sur la genèse de ce projet ? Comment vous l’avez construit ? Vous nous dites que vous l’avez construit sur plusieurs années. Je crois que vous avez fait un album et c’est le résultat de ce projet, pour le moment, si je ne me trompe pas, vous pourrez me corriger bien sûr .
 +
 
 +
<b>Thibaut Dallery : </b>Oui, c’est ça. Comme je disais l’idée c’était de finaliser des compositions que j’avais depuis longtemps. Ce qui m’a un peu donné le déclic c’est que j’ai eu l’occasion de vivre en Thaïlande et j’ai rencontré là-bas un musicien qui était très fort pour faire ça, arriver avec des compositions, trouver des musiciens, les jouer, les enregistrer, et tout ça en quelques mois. Je me rendais que j’avais des morceaux qui traînaient depuis longtemps. En rentrant j’ai acheté le matos pour enregistrer et ça m’a donné l’inspiration pour essayer d’aller jusqu’au bout de ce projet. D’ailleurs il y a une référence à la Thaïlande dans le nom du projet puisqu’il s’appelle Lumpini. Lumpini c’est un parc à Bangkok, c’est aussi la forêt dans laquelle est né Bouddha suivant la légende, c’est aussi stade de boxe thaïlandaise. Ça m’amusait d’avoir ce mot qui a plein de connotations et qui fait référence à la Thaïlande comme nom du projet.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>J’ai pris énormément de plaisir à écouter tout l’album, pas seulement le morceau qu’on a déjà diffusé, <em>Elevating</em>. Je trouve la qualité remarquable, on dirait vraiment que ça a été enregistré dans des conditions professionnelles. Est-ce que c’est le cas ? Y a-t-il eu des « difficultés », entre guillemets, que vous avez dû surmonter dans la réalisation de ce projet ? Est-ce que ça s’est passé relativement facilement ?
 +
 
 +
<b>Thibaut Dallery : </b>Déjà merci, ça fait plaisir d’entendre ça. On n’a pas fait ça dans un studio pro, ça a été vraiment chacun chez soi avec son matériel, une carte son et un logiciel, un séquenceur pour pouvoir ensuite mettre ensemble tous les morceaux. Après il y a quand même eu un long travail de mix et de <em>mastering</em>, ce sont les deux étapes une fois que tout a été enregistré et je pense que c’est ça qui a permis d’améliorer et de faire vraiment prendre un peu de niveau au rendu sonore. Ça a été assez long mais ça a permis de bien avancer avec des enregistrements de base finalement assez simples et assez modestes.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>Je pense que ce n’est pas toujours facile de qualifier un style sur une musique parce que ça enferme peut-être, si vous deviez décrire ce qu’est la musique Lumpini, comment la qualifierez-vous ?
 +
 
 +
<b>Thibaut Dallery : </b>En effet ce n’est pas facile. Déjà c’est de la musique instrumentale et je pense, peut-être, que ce qui est au centre, ce qui est important pour moi c’est d’avoir la liberté instrumentale qu’on retrouve par exemple dans le jazz avec beaucoup d’improvisations. Je pense qu’il y a aussi l’énergie du rock, parce que c’était pas mal cette musique que j’écoutais aussi à l’époque où j’ai composé la plupart de ces morceaux. Il y a aussi, parfois, un peu des couleurs orientales et puis tout un travail sur la progression de l’énergie, par exemple celle qu’on peut retrouver dans du rock progressiste ou du post-rock. Donc il y a un petit peu de tout ça et peut-être encore d’autres choses, je ne sais pas.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>En tout cas, la manière dont vous avez décrit fait écho à ce que j’ai pu ressentir en écoutant la musique. J’aime écouter de la musique, comme beaucoup de gens, je n’ai pas du tout une oreille professionnelle, experte, mais c’est vrai que j’aime bien, quand j’écoute de la musique, retrouver un petit grain de folie. C’est un peu ce que j’ai ressenti en écoutant Lumpini. Est-ce que ça vous parle quand je vous dis ça ?
 +
 
 +
<b>Thibaut Dallery : </b>Oui ! Ça me parle. C’était un peu l’idée aussi. Le morceau qu’on va écouter est peut-être le moins aventureux, on peut dire ça. Il y a des morceaux pour lesquels c’est assez expérimental. Du coup je vous invite, si le petit aperçu qu’on va avoir là vous plaît, à écouter aussi les cinq autres titres. L’idée c’était aussi de prendre un peu des risques avec la musique et de voir où ça peut nous amener.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>De la manière dont vous l’avez décrit j’ai l’impression que, pour vous, le but c’était de vous faire plaisir.
 +
 
 +
<b>Thibaut Dallery : </b>Oui, c’est ça. Comme je disais ce n’est pas mon métier, donc je n’ai pas d’impératif. J’ai vraiment la chance de pouvoir faire la musique comme je l’entends et aussi avec des amis qui suivent. C’était vraiment pour le plaisir et voir un petit peu ce que ça pouvait donner en poussant ce processus d’enregistrement jusqu’au bout.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>Vous avez dit qu’on va écouter, après notre échange, le morceau <em>Elevating</em>. Nous invitons bien sûr toutes les personnes qui nous écoutent à découvrir tout l’album, il y a cinq morceaux. On mettra le lien sur la page de l’émission pour que les personnes puissent le retrouver facilement. Peut-être pouvez-vous nous parler un peu plus précisément, vous avez déjà commencé à le faire, de ce qu’est ce morceau <em>Elevating</em>, comment vous l’avez construit.
 +
 
 +
<b>Thibaut Dallery : </b>C’est le morceau qui laisse le plus de place à la guitare. Il commence par une introduction avec des harmoniques de guitare, ensuite un thème un petit peu plus rythmé, une mélodie un peu plus rythmée. Ça évolue ensuite vers une deuxième partie un peu plus rock, un peu plus lourde. L’idée c’était aussi d’utiliser la guitare pour avoir des sons qui nous enveloppent, qui viennent un peu de tous les côtés et qui deviennent de plus en plus denses. Ensuite ça se résout sur une partie plus calme vers la fin. Voilà.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>Nous allons écouter juste après l’échange. J’aurais quand même une dernière question pour vous. Dans <em>Libre à vous !</em> nous diffusons exclusivement des musiques sous licence libre et c’est parce que vous avez placé votre musique sous licence libre que nous avons eu le plaisir de la diffuser. Quelle place prend ce choix ? Est-ce que ça s’est fait juste comme ça parce que ce n’était pas le but de faire de l’argent ? Est-ce qu’il y a vraiment eu une conviction derrière sur la libre diffusion de votre musique ? Quelle était votre démarche ?
 +
 
 +
<b>Thibaut Dallery : </b>Je ne suis pas un spécialiste des licences libres, mais c’était quand même important pour moi que ce soit en diffusion libre. Il y a aussi dessus, quand même, une réflexion sur la propriété en général et encore plus dans l’art. Je trouve que quand on fait de la musique on est vraiment influencé par tout un tas de choses et c’est assez difficile de dire « ça c’est ma musique et ça m’appartient », je ne vois pas les choses comme ça, donc ça reflétait ça. Je pense que dans le jazz il y a cette tradition de reprendre des morceaux, de reprendre des standards et chaque groupe, chaque artiste en fait sa version. Du coup c’est un peu s’inscrire là-dedans. Je serais très content si des gens veulent reprendre ces morceaux et faire quelque chose à partir de ce matériel, avec grand plaisir. C’était aussi cette idée-là.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>C’est amusant. La manière dont vous décrivez cela est vraiment, je pense, dans l’idée de l’éthique du logiciel libre. Je pense notamment à cette idée de récupérer ce qui a pu être développé ailleurs, de construire ensemble. Il n’y a pas une propriété exclusive. La progression, qu’elle soit créative ou technologique, est incrémentale, etc. Je trouve finalement très amusant et intéressant le pont entre la création musicale et le logiciel. Ça en dit beaucoup sur la connaissance en général.<br/>
 +
Un grand merci pour ce temps d’échange, Thibaut. Nous allons écouter le morceau <em>Elevating</em>. Je vous souhaite une excellente journée.
 +
 
 +
<b>Thibaut Dallery : </b>Merci beaucoup à vous pour la diffusion et pour cet échange. Très bonne journée également. Merci.
 +
 
 +
[Virgule sonore]
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>Comme nous l’évoquions en fin d’interview, nous allons écouter <em>Elevating</em> par Lumpini. On se retrouve dans environ cinq minutes. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
 +
 
 +
<b>Pause musicale : </b><em>Elevating</em> par Lumpini.
 +
 
 +
<b>Étienne Gonnu : </b>Nous venons d’écouter <em>Elevating</em> par Lumpini, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Merci encore à Thibaut Dallery de nous avoir consacré du temps. Nous vous encourageons vivement à écouter tout l’album.
 +
 
 +
[Jingle]

Version du 23 juin 2022 à 10:18


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 21 juin 2022 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Noémie Bergez - Thibaut Dallery - Corentin - Minda Lacy - Laure-Élise Déniel - Lorette Costy - Laurent Costy -Étienne Gonnu - Isabella Vanni à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 21 juin 2022

Durée : 1 h 30 min

Podcast provisoire

Références concernant l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Étienne Gonnu : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
Cela ne vous aura sans doute pas échappé, aujourd’hui c’est le solstice d’été. Qui dit été, dit fête de la musique et chez Libre à vous ! c’est la fête de la musique libre. Nous vous proposons aujourd’hui de découvrir trois artistes qui diffusent leur musique sous licence libre. Également au programme « La musique et le droit » dans la chronique « In code we trust » de Noémie Bergez et, en fin d’émission, les Costy nous chanterons un petit « Popop imap Pou ! » dans leur chronique « À cœur vaillant la voie est libre ».

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Étienne Gonnu, chargé de mission affaires publiques pour l’April.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 21 juin, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission ma collègue Isabella. Salut Isa.

Isabella Vanni : Salut Étienne. Bonne émission.

Étienne Gonnu : Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « In code we trust » de Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune, sur le thème de la musique et du droit

Étienne Gonnu : Pour commencer cette émission placée sous le signe de la musique, Noémie Bergez, avocate au cabinet Dune, nous propose une chronique sur le thème de la musique et du droit. C’est la chronique « In code we trust ».
Bonjour Noémie. Est-ce que tu es bien avec nous ?

Noémie Bergez : Bonjour Étienne. Bonjour à toutes et à tous.

Étienne Gonnu : Nous t’écoutons.

Noémie Bergez : Merci Étienne.
La chronique de ce jour est consacrée à la musique et au droit, en d’autres termes le droit de la musique.

Les règles appliquées à la création musicale et à l’exploitation de cette création vont se retrouver dans le Code de la propriété intellectuelle. On y trouve des dispositions communes avec les autres créations et des dispositions spécifiques.

En France, il faut savoir que la musique est appréhendée sur le plan juridique d’une part par le droit d’auteur, qui correspond au droit qu’ont les auteurs, et, d’autre part, aux droits voisins qui n‘ont rien à voir avec le domaine immobilier, mais qui sont bien les voisins des auteurs, ce sont notamment les artistes-interprètes, les producteurs de phonogrammes, les producteurs de vidéogrammes, les entreprises de communication audiovisuelle.

Dans le Code de la propriété intellectuelle on ne retrouve pas le terme « musique » à proprement parler. À l’article L112-2 du Code de la propriété intellectuelle, on découvre que sont considérées comme œuvres de l’esprit notamment les œuvres drammatico-musicales, à savoir les opéras qui sont des œuvres littéraires et musicales, mais également les compositions musicales avec ou sans paroles, donc la musique instrumentale ou la musique chantée.
Comme pour les autres œuvres protégées, je rappelle que les compositions musicales, pour bénéficier de la protection par le droit d’auteur, doivent être originales. Là on a trois parties d’une composition musicales qui peuvent être protégées : la mélodie, c’est-à-dire l’air, le thème, d’autre part l’harmonie, les accords des sons, leur enchevêtrement, la combinaison des sons qui sont perçus par l’oreille et enfin les rythmes, les mesures, les cadences qui peuvent aussi être protégées.
Dans l’analyse de l’originalité on voit toujours ressortir en place prépondérante la mélodie qui est la plus évidente à caractériser. Ce sont toujours les juges qui reconnaissent l’originalité d’une œuvre lorsqu’elle est remise en cause dans le cadre d’un contentieux, je renvoie pour cela à la chronique que nous avions préparée sur l’originalité des œuvres. Il faut savoir que parfois certains juges ne vont appliquer l’originalité de la même manière pour les compositions musicales et, pour déterminer si l’œuvre est originale, ils vont se fonder sur l’absence d’antériorité, le critère de la nouveauté qui normalement n’est pas appliqué en droit d’auteur, mais on le retrouve souvent dans les décisions de justice qui concernent la musique.
C’est vrai que la musique est extrêmement large. On part du classique, aujourd’hui nous avons les musiques électroniques et c’est un domaine dans lequel on retrouve aussi beaucoup d’œuvres dérivées. Ce sont des adaptations d’œuvres préexistantes, leur définition juridique est prévue à l’article l112-3 du Code de la propriété intellectuelle qui protège les œuvres dérivées de la même manière que les œuvres préexistantes. C’est vrai que la protection par le droit d’auteur qui, je vous rappelle, permet de bénéficier de droits patrimoniaux donc à l’auteur de pouvoir exploiter son œuvre, mais aussi de droits moraux pour protéger l’œuvre. Les droits moraux sont attachés à la personne de l’auteur.
À côté des auteurs nous avons aussi d’autres acteurs de la musique qui bénéficient, comme je le disais tout à l’heure, de droits voisins, à savoir les producteurs de phonogrammes, qui sont définis dans le Code de la propriété intellectuelle comme « les personnes physiques ou morales qui sont à l’initiative et à la responsabilité de la première fixation d’une séquence de sons ». On peut aussi trouver dans le droit de la musique les artistes-interprètes qui vont interpréter une œuvre musicale et, enfin, il y a un acteur dont on entend assez souvent parler, ce sont les sociétés de gestion collective qui ont en charge de collecter les droits d’exploitation et de les reverser aux auteurs. On en parle beaucoup parce que, évidemment, l’activité même des sociétés de gestion collective a été, de temps à autre, remise en question et elle l’a été récemment, dans le domaine de la musique libre. Il n’existe pas de définition légale de la musique libre de droit, on peut considérer que c’est un auteur qui va décider d’autoriser les tiers à exploiter son œuvre dans les conditions d’une licence libre. Ce qui est compliqué pour cet auteur c’est qu’il va être confronté au poids des sociétés de gestion collective auxquelles il ne va pas forcément adhérer. On a eu un cas de jurisprudence récent qui concernait la plateforme Jamendo et plus spécifiquement la société Saint Maclou. Vous allez me demander que fait la société Saint Maclou spécialisée dans la décoration des sols et fenêtres dans un sujet sur la musique sous licence libre.
La société Saint Maclou avait signé, en 2009, un contrat avec l’éditeur de la plateforme Jamendo pour pouvoir diffuser de la musique libre de droit dans ses boutiques. Deux sociétés de gestion collective ont poursuivi la société Saint Maclou pour lui réclamer le paiement d’une rémunération équitable. La rémunération équitable est prévue par l’article L214-1 du Code de la propriété intellectuelle et prévoit que l’utilisation de phonogrammes publiés à des fins de commerce ouvre droit à une rémunération au profit des artistes-interprètes et producteurs. Sur ce fondement, les sociétés de gestion collective reprochaient à la société Saint Maclou de ne pas avoir reversé de rémunération équitable, ce qui était évidemment contesté par la société Saint Maclou mais également par les éditeurs de la plateforme Jamendo.
Devant la cour d’appel de Paris, il a été fait droit aux demandes des sociétés de gestion collective puisque la cour d’appel a considéré que les musiques qui étaient diffusées dans les magasins devaient être soumises à une rémunération équitable même si leurs auteurs n’étaient pas adhérents des sociétés de gestion collective. La société Saint Maclou s’est retrouvée condamner à payer 120 000 euros au titre de cette rémunération. Un pourvoi a été formé devant la cour de cassation. La cour de cassation s’est prononcée le 11 décembre 2019 et a confirmé l’arrêt de la cour d’appel considérant que la rémunération aurait dû être versée aux sociétés de gestion collective, tout en relevant que les auteurs pouvaient se rapprocher des sociétés de gestion collective pour toucher leur part de rémunération équitable ce qui paraît, en réalité, vraiment totalement improbable.
Cet arrêt a été beaucoup commenté et critiqué ; c’est vrai que sa motivation empêche véritablement les artistes d’émerger, d’exploiter leur musique comme ils le souhaitent. C’est vrai que ça reste quand même une restriction importante à la liberté, d’autant qu’on reproche aussi à ces sociétés de gestion collective, de temps à autre, des frais de gestion, une façon de gérer les fonds de manière un peu opaque. Cet arrêt aurait pu être rendu de manière différente, on s’attendait à quelque chose de différent, ça a été confirmé, malheureusement.
C’est un contentieux qu’on voit de temps en temps ressurgir. Pour l’instant, ça n’évolue pas trop, mais on espère peut-être qu’à l’avenir les choses vont évoluer, on sait que le monde de la musique est en pleine mutation. On a les plateformes NFT, je rappelle qu’on avait fait une chronique sur les Non fungible tokens, on sait qu’il va y avoir encore des évolutions dans le domaine de la musique. On espère qu’un jour le tournant va se faire de manière peut-être plus équilibrée pour tous ces acteurs. Le domaine de la musique est un domaine dans lequel les contentieux sont très variés, on peut avoir des sujets sur la rémunération des artistes, on peut avoir des sujets sur le contenu de la pochette d’un disque, on peut avoir, plus récemment et à regret, des fermetures de salles de spectacle au moment du covid, tout ça fait vraiment partie de la construction du droit de la musique. On peut avoir, malheureusement, des litiges. Il y a des difficultés qui peuvent intervenir. Tout cela ne nous empêchera pas de nous amuser. Je souhaite à tout le monde une très bonne fête de la musique.

Étienne Gonnu : Merci beaucoup Noémie. À toi de même, bel été, bonne fête de la musique.
Merci pour ton analyse, pour ces réflexions effectivement très intéressantes, notamment juste avant d’échanger avec des artistes qui diffusent justement leur musique sous licence libre.
Un grand merci à toi Noémie et une belle fête de la musique.

Noémie Bergez : Merci Étienne.

Étienne Gonnu : Puisque Noémie a beaucoup parlé des sociétés de gestion, je vais en profiter, je vais me permettre de rajouter une petite couche à la liste de leurs qualités que Noémie a beaucoup citées. L’April agit beaucoup au niveau de l’action institutionnelle, auprès des décideurs publics, des parlementaires. Il y a un an maintenant, lors d’une proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France qui a touché un petit peu au pré-carré de ces sociétés de gestion de droits puisqu’elle concernait le réemploi de biens reconditionnés, ça touchait ce qui s’appelle la copie privée qui est une manière, pour elles, de se financer. Dans le cadre de ces débats des députés ont parlé, se sont exprimés publiquement en pleine Assemblée, ce qui est rarissime, pour signaler la pression mise, voire les menaces exprimées par certains représentants de ces sociétés de gestion. Je me suis permis de rappeler cette considération.
Je vous propose maintenant de faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Étienne Gonnu : Pour cette première pause musicale, puisque c’est la fête de la musique libre, j’ai voulu partager à nouveau avec vous un de mes morceaux préférés de la Playlist de Libre à vous !, un morceau que j’ai découvert justement en cherchant des musiques libres. Nous allons écouter Arcane par CloudKicker. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Arcane par CloudKicker.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Arcane par CloudKicker, disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, une licence libre qui protège les droits des utilisateurs, des « écouteurs et des écoutrices », inventons des mots, pourquoi pas ! Cette licence permet la réutilisation, la modification, la diffusion, le partage de cette musique pour toute utilisation, y compris commerciale, à condition de créditer l’artiste, le nom, la source du fichier original, d’indiquer la licence et d’indiquer si des modifications ont été effectuées. Puisque nous parlons de fête de la musique libre, j’en profite pour rappeler que toutes nos pauses musicales sont sous licences libres qui permettent le partage le plus libre et le plus large possible à nos proches, de les télécharger parfaitement légalement, de les remixer y compris pour des usages commerciaux, comme justement cette licence Creative Commons Attribution ainsi que la Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA, ou encore la licence Art Libre.

[Jingle]

Étienne Gonnu : Nous allons passer à notre sujet principal.

[Virgule musicale]

La Fête de la musique

Étienne Gonnu : Pour cette émission spéciale fête de la musique libre nous avons voulu donner la parole à des artistes qui publient leur musique sous licence libre, des musiques que nous avons diffusées dans Libre à vous !. Nous entendrons Corentin des Gueules Noires qui interviendra en direct par téléphone, Minda Lacy, une artiste américaine dont nous avons enregistré et traduit l’interview. Avant cela je vous propose d’écouter Thibaut Dallery, du projet musical Lumpini, interview que nous avons également pré-enregistrée faute de disponibilité ce jour. On écoute cet échange et on se retrouve juste après toujours sur Cause commune, la voix des possibles.

Interview de Thibaut Dallery, à l’initiative du projet musical Lumpini

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : J’ai le plaisir de recevoir aujourd’hui Thibaut Dallery dans cette émission spéciale sur la musique libre, sur la musique, en ce 21 juin. Thibaut, bonjour.

Thibaut Dallery : Bonjour. Bonjour Étienne.

Étienne Gonnu : Est-ce que vous pourriez déjà vous présenter, s’il vous plaît ?

Thibaut Dallery : Je m’appelle Thibaut Dallery, j’ai 30 ans. Je viens parler de mon projet qui s’appelle Lumpini. C’est un projet de composition que j’ai réalisé ces dernières années. L’idée c’était de finaliser puis d’enregistrer plusieurs compositions que j’avais écrites depuis longtemps, certaines depuis 10/15 ans quand j’étais au lycée. J’ai eu l’inspiration, l’idée d’enfin les finaliser et ça a donné ce projet Lumpini.

Étienne Gonnu : Super. Je crois qu’il y a une ou deux semaines nous avons diffusé un de vos morceaux puisque l’album Lumpini est sous licence libre, on y reviendra plus tard. Vous êtes musicien ? Vous êtes musicien professionnel ? C’est une passion que vous avez depuis longtemps ?

Thibaut Dallery : Ce n’est pas mon métier. Je suis professeur des écoles. C’est une passion que j’ai, j’ai commencé à 13 ans et elle ne m’a pas lâché. C’est vraiment une passion super importante que j’essaie de poursuivre.

Étienne Gonnu : De quoi jouez-vous comme instrument ?

Thibaut Dallery : Je joue principalement de la guitare, c’est surtout ça que je joue sur ce projet avec aussi un petit peu de basse et de clavier. L’idée, sur ce projet-là c’était surtout, pour moi, de jouer de la guitare, et, pour tout ce que j’ai du mal à jouer comme instrument, il y a aussi de la batterie, du saxophone, un peu de flûte, pour les parties de basse et de clavier compliquées, eh bien j’ai demandé aux copains qui font ça beaucoup mieux que moi.

Étienne Gonnu : Du coup, si je comprends bien ce que vous dites, c’est un projet entre amis.

Thibaut Dallery : Oui, c’est ça. J’avais aussi joué dans plusieurs groupes avant. Là, par contre, l’idée c’était vraiment de prendre mes compositions, de faire tous les arrangements et de donner un matériel déjà bien ficelé aux musiciens.

Étienne Gonnu : Pouvez-vous nous donner un peu plus de détails sur l’histoire, sur la genèse de ce projet ? Comment vous l’avez construit ? Vous nous dites que vous l’avez construit sur plusieurs années. Je crois que vous avez fait un album et c’est le résultat de ce projet, pour le moment, si je ne me trompe pas, vous pourrez me corriger bien sûr .

Thibaut Dallery : Oui, c’est ça. Comme je disais l’idée c’était de finaliser des compositions que j’avais depuis longtemps. Ce qui m’a un peu donné le déclic c’est que j’ai eu l’occasion de vivre en Thaïlande et j’ai rencontré là-bas un musicien qui était très fort pour faire ça, arriver avec des compositions, trouver des musiciens, les jouer, les enregistrer, et tout ça en quelques mois. Je me rendais que j’avais des morceaux qui traînaient depuis longtemps. En rentrant j’ai acheté le matos pour enregistrer et ça m’a donné l’inspiration pour essayer d’aller jusqu’au bout de ce projet. D’ailleurs il y a une référence à la Thaïlande dans le nom du projet puisqu’il s’appelle Lumpini. Lumpini c’est un parc à Bangkok, c’est aussi la forêt dans laquelle est né Bouddha suivant la légende, c’est aussi stade de boxe thaïlandaise. Ça m’amusait d’avoir ce mot qui a plein de connotations et qui fait référence à la Thaïlande comme nom du projet.

Étienne Gonnu : J’ai pris énormément de plaisir à écouter tout l’album, pas seulement le morceau qu’on a déjà diffusé, Elevating. Je trouve la qualité remarquable, on dirait vraiment que ça a été enregistré dans des conditions professionnelles. Est-ce que c’est le cas ? Y a-t-il eu des « difficultés », entre guillemets, que vous avez dû surmonter dans la réalisation de ce projet ? Est-ce que ça s’est passé relativement facilement ?

Thibaut Dallery : Déjà merci, ça fait plaisir d’entendre ça. On n’a pas fait ça dans un studio pro, ça a été vraiment chacun chez soi avec son matériel, une carte son et un logiciel, un séquenceur pour pouvoir ensuite mettre ensemble tous les morceaux. Après il y a quand même eu un long travail de mix et de mastering, ce sont les deux étapes une fois que tout a été enregistré et je pense que c’est ça qui a permis d’améliorer et de faire vraiment prendre un peu de niveau au rendu sonore. Ça a été assez long mais ça a permis de bien avancer avec des enregistrements de base finalement assez simples et assez modestes.

Étienne Gonnu : Je pense que ce n’est pas toujours facile de qualifier un style sur une musique parce que ça enferme peut-être, si vous deviez décrire ce qu’est la musique Lumpini, comment la qualifierez-vous ?

Thibaut Dallery : En effet ce n’est pas facile. Déjà c’est de la musique instrumentale et je pense, peut-être, que ce qui est au centre, ce qui est important pour moi c’est d’avoir la liberté instrumentale qu’on retrouve par exemple dans le jazz avec beaucoup d’improvisations. Je pense qu’il y a aussi l’énergie du rock, parce que c’était pas mal cette musique que j’écoutais aussi à l’époque où j’ai composé la plupart de ces morceaux. Il y a aussi, parfois, un peu des couleurs orientales et puis tout un travail sur la progression de l’énergie, par exemple celle qu’on peut retrouver dans du rock progressiste ou du post-rock. Donc il y a un petit peu de tout ça et peut-être encore d’autres choses, je ne sais pas.

Étienne Gonnu : En tout cas, la manière dont vous avez décrit fait écho à ce que j’ai pu ressentir en écoutant la musique. J’aime écouter de la musique, comme beaucoup de gens, je n’ai pas du tout une oreille professionnelle, experte, mais c’est vrai que j’aime bien, quand j’écoute de la musique, retrouver un petit grain de folie. C’est un peu ce que j’ai ressenti en écoutant Lumpini. Est-ce que ça vous parle quand je vous dis ça ?

Thibaut Dallery : Oui ! Ça me parle. C’était un peu l’idée aussi. Le morceau qu’on va écouter est peut-être le moins aventureux, on peut dire ça. Il y a des morceaux pour lesquels c’est assez expérimental. Du coup je vous invite, si le petit aperçu qu’on va avoir là vous plaît, à écouter aussi les cinq autres titres. L’idée c’était aussi de prendre un peu des risques avec la musique et de voir où ça peut nous amener.

Étienne Gonnu : De la manière dont vous l’avez décrit j’ai l’impression que, pour vous, le but c’était de vous faire plaisir.

Thibaut Dallery : Oui, c’est ça. Comme je disais ce n’est pas mon métier, donc je n’ai pas d’impératif. J’ai vraiment la chance de pouvoir faire la musique comme je l’entends et aussi avec des amis qui suivent. C’était vraiment pour le plaisir et voir un petit peu ce que ça pouvait donner en poussant ce processus d’enregistrement jusqu’au bout.

Étienne Gonnu : Vous avez dit qu’on va écouter, après notre échange, le morceau Elevating. Nous invitons bien sûr toutes les personnes qui nous écoutent à découvrir tout l’album, il y a cinq morceaux. On mettra le lien sur la page de l’émission pour que les personnes puissent le retrouver facilement. Peut-être pouvez-vous nous parler un peu plus précisément, vous avez déjà commencé à le faire, de ce qu’est ce morceau Elevating, comment vous l’avez construit.

Thibaut Dallery : C’est le morceau qui laisse le plus de place à la guitare. Il commence par une introduction avec des harmoniques de guitare, ensuite un thème un petit peu plus rythmé, une mélodie un peu plus rythmée. Ça évolue ensuite vers une deuxième partie un peu plus rock, un peu plus lourde. L’idée c’était aussi d’utiliser la guitare pour avoir des sons qui nous enveloppent, qui viennent un peu de tous les côtés et qui deviennent de plus en plus denses. Ensuite ça se résout sur une partie plus calme vers la fin. Voilà.

Étienne Gonnu : Nous allons écouter juste après l’échange. J’aurais quand même une dernière question pour vous. Dans Libre à vous ! nous diffusons exclusivement des musiques sous licence libre et c’est parce que vous avez placé votre musique sous licence libre que nous avons eu le plaisir de la diffuser. Quelle place prend ce choix ? Est-ce que ça s’est fait juste comme ça parce que ce n’était pas le but de faire de l’argent ? Est-ce qu’il y a vraiment eu une conviction derrière sur la libre diffusion de votre musique ? Quelle était votre démarche ?

Thibaut Dallery : Je ne suis pas un spécialiste des licences libres, mais c’était quand même important pour moi que ce soit en diffusion libre. Il y a aussi dessus, quand même, une réflexion sur la propriété en général et encore plus dans l’art. Je trouve que quand on fait de la musique on est vraiment influencé par tout un tas de choses et c’est assez difficile de dire « ça c’est ma musique et ça m’appartient », je ne vois pas les choses comme ça, donc ça reflétait ça. Je pense que dans le jazz il y a cette tradition de reprendre des morceaux, de reprendre des standards et chaque groupe, chaque artiste en fait sa version. Du coup c’est un peu s’inscrire là-dedans. Je serais très content si des gens veulent reprendre ces morceaux et faire quelque chose à partir de ce matériel, avec grand plaisir. C’était aussi cette idée-là.

Étienne Gonnu : C’est amusant. La manière dont vous décrivez cela est vraiment, je pense, dans l’idée de l’éthique du logiciel libre. Je pense notamment à cette idée de récupérer ce qui a pu être développé ailleurs, de construire ensemble. Il n’y a pas une propriété exclusive. La progression, qu’elle soit créative ou technologique, est incrémentale, etc. Je trouve finalement très amusant et intéressant le pont entre la création musicale et le logiciel. Ça en dit beaucoup sur la connaissance en général.
Un grand merci pour ce temps d’échange, Thibaut. Nous allons écouter le morceau Elevating. Je vous souhaite une excellente journée.

Thibaut Dallery : Merci beaucoup à vous pour la diffusion et pour cet échange. Très bonne journée également. Merci.

[Virgule sonore]

Étienne Gonnu : Comme nous l’évoquions en fin d’interview, nous allons écouter Elevating par Lumpini. On se retrouve dans environ cinq minutes. Je vous souhaite une belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Elevating par Lumpini.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Elevating par Lumpini, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions. Merci encore à Thibaut Dallery de nous avoir consacré du temps. Nous vous encourageons vivement à écouter tout l’album.

[Jingle]