Émission Libre à vous ! diffusée mardi 19 mars 2024 sur radio Cause Commune

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Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 19 mars 2024 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Gee - Carolne Desprat - Maxime Vanza - Vincent Calame - à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 19 mars 2024

Durée : 1 h 30 min

[URL Podcast PROVISOIRE]

[URL Page de présentation de l'émission]

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisir choisi pour vous offrir une heure trente d’information et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Panama Papers, Uber Files, peut-être que cela vous dit quelque chose. Cela vous évoque peut-être l’évasion fiscale, la corruption, le travail d’investigation fait par des journalistes, un travail d’enquête qui peut nécessiter l’usage de logiciels et justement, aujourd’hui, notre sujet principal portera sur les logiciels libres pour les journalistes d’investigation. Avec également, en début d’émission, la chronique de Gee, « Canonical a 20 ans », et, en fin d’émission, la chronique de Vincent Calame, « Un journalisme héroïque ».

Soyez bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Le site web de l’émission, c’est libreavous.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours ou à nous poser toute question.

Nous sommes mardi 19 mars 2024, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission du jour Élise. Bonjour Élise.

Élise : Bonjour à tous.

Frédéric Couchet : Nous vous souhaitons une excellente écoute

[Jingle]

Chronique « Les humeurs de Gee », « Canonical a 20 ans »

Frédéric Couchet :




[Jingle]

Frédéric Couchet : Nous allons passer sujet principal.

[Virgule musicale]

Les logiciels libres pour les journalistes d’investigation avec Caroline Desprat et Maxime Vanza Lutonda du Consortium international des journalistes d’investigation

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter aujourd’hui sur les logiciels libres pour les journalistes d’investigation, avec nos deux invités Caroline Despra et Maxime Vanza Lutonda, qui font partie du Consortium international des journalistes d’investigation, ICIJ en anglais, avec mon anglais !
N’hésitez pas à participer à notre conversation. Pour cela, vous pouvez aller sur le salon web dédié à l’émission, sur le site de causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous, ou sur le site libreavous.org. Vous pouvez également appeler au numéro de téléphone suivant 09 72 51 55 46.
Bonjour Caroline. Bonjour Maxime.

Caroline Desprat : Bonjour.

Maxime Vanza Lutonda : Bonjour Frédéric.

Frédéric Couchet : Nous allons parler de logiciels libres pour les journalistes d’investigation, peut-être que les mots-clés que j’ai employés tout à l’heure Panama Papers, Pandora Papers, Uber Files plus récemment, diront quelque chose aux personnes, on en parlera tout à l’heure un petit peu en détail. On va d’abord commencer par une petite présentation personnelle rapide pour savoir qui vous êtes. On va commencer par Caroline Desprat.

Caroline Desprat : Merci. Je suis Caroline Desprat, je suis docteur en informatique. J’ai rejoint le Consortium en 2021 en tant que développeuse et, depuis quelques mois, je suis adjointe CTO, directrice technique adjointe. Après un petit stage aux Inrocks et un court passage chez OWNI, j’ai découvert le data journalism et j’ai eu l’opportunité de rejoindre le Consortium en 2021 et ça a été une sorte d’évidence de pouvoir participer à ce travail entre les journalistes et la tech.

Frédéric Couchet : Avant de passer la parole à Maxime, les gens qui nous écoutent connaissent sans doute les Les Inrocks, par contre les gens ne connaissent pas OWNI. Dans les années 2010, c’était un site d’information français spécialisé dans la culture numérique et qui avait aussi participé à quelques révélations à l’époque, aux alentours de l’année 2010. OWNI c’est avec un « w », c’est « objet web non identifié », c’est bien ça ?

Caroline Desprat : Tout à fait. C’est un des pure players pionniers dans le data journalism qui a aidé à révéler les Wikileaks, etc., par un travail, avec Julian Assange.

Frédéric Couchet : Maxime Vanza Lutonda.

Maxime Vanza Lutonda : Pour ma part, je suis diplômé de l’ENSIIE [École nationale supérieure d’informatique pour l’industrie et l’entreprise], une école d’ingénieur en informatique et, au cours de mon cursus, je me suis concentré sur le traitement automatique des langues. Et, comme j’ai toujours eu un grand un intérêt pour les questions politiques et sociales à travers le journalisme d’investigation, j’ai rejoint l’ICIJ en 2020.

Frédéric Couchet : Aux personnes qui écoutent l’émission Libre à vous ! depuis quelques années, ce n’est pas la première fois que nous recevons des personnes du Consortium. En 2019 ou 2020 – j’ai bien révisé ! –, nous avions reçu et j’avais eu l’occasion d’interviewer rapidement Bruno Thomas et Anne L’Hôte, parce que, à l’époque, l’un des logiciels dont on va parler avait reçu un prix, le prix du Meilleur projet logiciel libre remis au salon Paris open source Summit, j’avais donc fait une petite interview de 15 minutes ; là, on va rentrer un peu plus dans le détail.
On va commencer par expliquer un petit peu ce qu’est ce Consortium international de journalistes d’investigation dont les gens n’ont sans doute pas du tout entendu parler, mais peut-être, si vous nous écoutez, avez-vous entendu parler de certaines révélations plus ou moins récentes parce que le Consortium existe depuis quelques années. On va donc peut-être commencer par un rappel de ce qu’est le Consortium, sa mission puis son fonctionnement, son impact. Qui veut commencer là-dessus ? Maxime.

Maxime Vanza Lutonda : Le Consortium international des journalistes d’investigation, l’ICIJ, est un réseau indépendant de journalistes qui enquêtent sur des affaires internationales. Son objectif est de creuser les problématiques qui ne s’arrêtent pas qu’aux frontières. Les sujets sont autour de la criminalité, de la corruption systémique et de la transparence des pouvoirs, que ce soit dans les institutions publiques et privées. L’ICIJ s’associe ensuite à des rédactions du monde entier pour révéler et diffuser les affaires.
Veux-tu ajouter quelque chose sur l’organisation ?

Caroline Desprat : Oui, pour compléter. L’ICIJ a commencé en 2013 avec les Offshore Leaks et ça a été une des premières fois où il y a une coordination internationale de cette envergure.
L’ICIJ, c’est aussi une newsroom en ligne, une rédaction en ligne, afin, justement, de coordonner tous ces journalistes qui participent aux enquêtes. C’est aussi un endroit où on met en place des outils pour collaborer autour des fuites de données, des documents, on fournit aussi de la formation et, évidemment, une partie essentielle c’est le fact-checking, donc la vérification des faits qui sont dans les données qu’on récupère.

Frédéric Couchet : D’accord. Pour bien comprendre, c’est un Consortium de journalistes dans le monde entier, est-ce que vous savez à peu près combien journalistes ?

Maxime Vanza Lutonda : Environ 280 actuellement.

Frédéric Couchet : D’accord. C’est assez précis. Est-ce ce qu’il y a des journalistes français, potentiellement connus ?

Caroline Desprat : En fait, les 280 journalistes sont des membres qui ont été recrutés par l’ICIJ sur candidature. Il y a, par exemple, Édouard Perrin, Fabrice Arfi, Aurore Gorius et aussi Maria Ressa qui a partagé le Prix Nobel de la paix en 2021.
L’ICIJ ce sont aussi des partenaires. Pour chaque enquête, en fonction de là où se situent les histoires, en fonction du pays, on va faire appel à nos partenaires, par exemple, en France, ça va être une rédaction comme Le Monde, Radio France et Premières Lignes qui fait l’émission Cash Investigation.
Après, pour le corps vraiment de l’ICIJ, nous sommes un staff de 40, quasiment la moitié c’est l’équipe tech et data, une partie éditoriale et une partie fundraising, levée de fonds, parce que c’est une organisation à but non lucratif qui est basée sur des dons et sur les réponses d’appels à projet.

Frédéric Couchet : D’accord. Ce sont donc des journalistes, dans le monde entier, qui travaillent dans l’investigation et à chaque fois, dans les pays, vous menez des partenariats avec un certain nombre de journaux pour leur communiquer, en avant-première, le résultat des enquêtes. Typiquement, par exemple en France, Le Monde, Radio France et puis Premières Lignes, France Inter faisant partie de Radio France, pour rendre visibles ces révélations qui tournent principalement, pour beaucoup, autour de la corruption, de l’évasion fiscale notamment, c’est ce qui vous a rendus, entre guillemets, « célèbres », si j’ose dire. En tout cas, c’est ma vision peut-être qu’elle est fausse !

Maxime Vanza Lutonda : Ça a gagné en notoriété surtout grâce aux Panama Papers.

Frédéric Couchet : Justement. Avant de préparer l’émission j’ai demandé autour de moi, j’ai cité quelques noms de vos dossiers, plus ou moins connus en tout cas, Panama Papers, Pandora Papers, Offshore Leaks, Uber Files, et, globalement, ça disait quelque chose aux gens, mais vaguement, sans forcément pouvoir raccrocher précisément. Peut-être qu’on pourrait, sans rentrer forcément dans le détail de chaque, en prendre au moins deux qui ont un peu marqué les esprits. Peut-être que celui qui a le plus marqué les esprits, même si ce n’est pas le plus ancien c’est Panama Papers justement. Qu’est-ce que c’était que Pamnama Papers, quel était ce scandale, quelles sont ces révélations ? Maxime.

Maxime Vanza Lutonda : Panama Papers est un scandale qui a eu lieu en 2016. En fait, il y a eu une fuite de documents d’un cabinet d’avocats panaméen, 11 millions de documents ont fuité qui détaillaient, sur plus de 200 000 sociétés offshore, leurs noms d’actionnaires. Ça impliquait des hommes politiques, des milliardaires, des célébrités et des entreprises dans le monde entier.

Caroline Desprat : Il faut aussi ajouter que le fait de faire des sociétés offshore ce n’est pas interdit par la loi, c’est ce qu’on en fait et c’est surtout que, souvent, le bénéficiaire ultime est caché derrière pour, justement, faire pour le coup, de l’évasion fiscale, mais,, si tout est bien déclaré, on a le droit de faire des sociétés offshore, on a le droit d’avoir un compte en Suisse.

Frédéric Couchet : J’avais cru comprendre qu’on fait que des sociétés offshore justement pour cacher des choses, mais bon !

Caroline Desprat : Dans l’exemple des Panama Papers, en octobre 2021, on avait fait un petit récapitulatif pour voir un peu ce que ça avait rapporté aux institutions publiques en termes d’impôts avec les gens qui étaient revenus suite aux révélations, et c’était environ un milliard 360 millions de dollars, dans le monde entier.

Frédéric Couchet : Et en France, on a une idée ?

Caroline Desprat : Il y a eu récemment un article dans Le Monde, ce sont 460 millions d’euros, depuis 2016, qui sont retournés dans les caisses de l’État grâce à ces révélations. L’article dit, de tête, que cela correspond à peu près à l’équivalent, au moins, de quatre hôpitaux.

Frédéric Couchet : La plupart de cet argent, qui est revenu dans les caisses, ce sont des gens qui ont pris peur, ce ne sont pas simplement les gens qui ont été trouvés, ce sont d’autres qui se disent « si ça se trouve, dans la prochaine enquête de ce Consortium, je vais tomber dans les filets, donc je régularise ». Après, je ne sais pas si vous savez, mais est-ce que vous avez une idée du pourcentage que ça représente par rapport à l’évasion fiscale mondiale, globale ? Avez-vous une idée ? Peut-être pas.

Caroline Desprat : Non.

Frédéric Couchet : Non, OK. On demandera aux gens qui nous écoutent s’ils ont une idée ou ici dans le studio peut-être. Sur le salon web, lonugem nous précise que près de 33 % de la somme de la fraude était en France, en fait. Par rapport à ce que tu as dit, c’est, en gros, 33 % en France.

Caroline Desprat : Oui parce que, par exemple, il y a très peu d’évasion fiscale aux États-Unis vu que la fiscalité est très avantageuse, elle est très différente, ils n’ont pas besoin de partir !

Frédéric Couchet : Tout à fait. Au-delà de révéler des pratiques effectivement totalement frauduleuses, on voit tout de suite l’impact que ça a par rapport, notamment, aux finances publiques. On peut juste espérer que les gouvernements mènent une lutte beaucoup plus acharnée contre ce problème-là plutôt que d’aller chercher des solutions ailleurs, mais bon !
Ce sont donc les Panama Papers, c’est un peu, entre guillemets, ce qui a fait « le plus parler » peut-être de ce Consortium et, plus récemment, il y a eu les Uber Files, alors je ne sais pas si ça a le même succès, visiblement c’est moins connu même si on en a parlé très récemment, en plus, au plus haut sommet de l’État français, on est concerné, directement concerné, avec le président Macron. Qui veut rappeler ce que sont les Uber Files ? Maxime.

Maxime Vanza Lutonda : Ça s’est passé en 2022. En gros, il y a eu plus de 120 000 documents confidentiels qui ont révélé comment Uber influençait de nombreux pays pour faire changer les législations en sa faveur, notamment grâce à des hommes politiques, dont Emmanuel Macron, comme vous venez de le dire, à l’époque où il était ministre de l’Économie. C’est un autre type de scandale, parce que ça implique directement nos politiciens.

Frédéric Couchet : Tout à fait. Caroline.

Caroline Desprat : C’est sur la base, du coup, d’une révélation d’un lanceur d’alerte, qui était lobbyiste d’Uber.

Frédéric Couchet : Uber, l’entreprise que tout le monde connaît, ce n’est pas le cousin Hubert !

Caroline Desprat : Bien sûr. C’est une enquête qui a quand même réuni 180 journalistes et qui a eu un impact important en France, justement dû au fait que Macron était président.

Frédéric Couchet : Tout à fait et, si je me souviens bien de l’actualité, il est toujours concerné, je crois qu’il y a une commission d’enquête sur le sujet. Je pose la question en même temps à mon collègue qui est sur le salon, il suit plus ces dossiers que moi, il pourra me répondre. Il y en a d’autres : Pandora Papers, Offshore Leaks, vous allez sur le site du Consortium ou sur la page Wikipédia, il y a un petit résumé.
Vous avez parlé du nombre de journalistes impliqués, ça va nous permettre d’en parler dans les outils que vous utilisez.
Il y a une question par rapport à la commission d’enquête, il y a effectivement une commission d’enquête sur le sujet Uber Files : quel regard portez-vous sur les travaux de la commission d’enquête qui a remis son rapport en juillet 2023 ? Avez-vous un avis ?

Maxime Vanza Lutonda : Personnellement , non.

Caroline Desprat : Non, je n’ai pas d’avis.

Frédéric Couchet : OK. D’accord.
Avant d’aborder la partie des outils, est-ce que, finalement, vous pensez qu’on peut y arriver, cette lutte contre la corruption systémique, l’évasion fiscale systémique ? Vous mettez en valeur des choses, vous révélez des choses qui sont monstrueuses en termes de niveau de corruption, et c’est très bien, est-ce que vous pensez que, au fur et à mesure des années, avec ce travail-là et d’autres, on va réussir à mettre un terme, en tout cas à fortement limiter ces problèmes d’évasion fiscale, de corruption ? Caroline.

Caroline Desprat : On voit déjà les impacts, les retombées économiques pour certains aspects. Je sais aussi que des listes qui avaient été sorties d’enquêtes de l’ICIJ ont aidé à créer des listes de sanctions contre des oligarques russes lors de l’invasion de l’Ukraine. Ce sont donc des petites choses qui arrivent parfois quelques années plus tard. On sait aussi que, par exemple, les révélations sur les Uber Files donnent lieu à des commissions d’enquête, même si on sait que le lobby est très important à Bruxelles, ça va peut-être aussi changer des choses à ce niveau-là. Et, par exemple, ça va aussi fournir des bases de données pour pouvoir construire par-dessus, après, de nouvelles enquêtes. On sait aussi que des gens ont un peu plus peur, pensent aux conséquences lorsqu’ils vont ouvrir des sociétés offshore. C’est donc quelque chose qui est quand même présent dans les esprits.

Frédéric Couchet : D’accord. Je crois que c’est un extrait de la commission d’enquête, en tout cas un extrait d’un article qui a été publié, que je vais lire : « Les journalistes et les lanceurs et lanceuses d’alerte ont un rôle important à jouer dans les enquêtes et la révélation des violations potentielles de la législation fiscale ainsi que de la corruption du crime organisé et du blanchiment d’argent. » Cette commission d’enquête salue effectivement le travail à la fois des journalistes et des lanceurs et des lanceuses d’alerte qui sont plus ou moins bien protégés. N’étant pas spécialiste du sujet, plusieurs lois sont passées, mais ces gens nécessitent encore plus de protection parce qu’ils prennent des risques considérables qui peuvent avoir des conséquences très néfastes sur leur vie privée.

Caroline Desprat : Tout à fait. Je sais qu’en France il y a la Maison des lanceurs d’alerte que, globalement, il y a quand même une bonne protection des lanceurs d’alerte en France, mais financièrement, moralement, ça a l’air compliqué.

Frédéric Couchet : Ça a l’air très compliqué, oui. Tu voulais rajouter quelque chose ?

Maxime Vanza Lutonda : Personnellement, je pense que le fait de mettre en lumière tous ces scandales aux yeux de la population c’est ce qui importe le plus. Ensuite les institutions feront ou ne feront peut-être pas le travail, mais tant que les gens sont éclairés sur ce genre de sujet, je pense que ça ne peut porter que du positif.

Frédéric Couchet : Nous sommes d’accord, effectivement.
Tout à l’heure, vous avez cité le nombre de journalistes qui pouvaient travailler sur ces enquêtes, plusieurs centaines, plus d’une centaine répartis sur la planète. C’est effectivement un travail important et c’est là où, dans ce travail, l’équipe tech, l’équipe technique, les outils, peut-être des principes vont entrer en action et c’est là où on va parler un petit peu des outils que vous développez.
Déjà, j’aimerais que vous nous expliquiez cette notion de radical sharing, que je traduis par « partage radical » je ne sais pas comment vous le traduisez en français, donc le radical sharing lors du travail collaboratif. Qui peut m’expliquer cette philosophie ? Caroline.

Caroline Desprat : Je peux expliquer. En fait, c’est une philosophie qui est portée à l’ICIJ, qui est assez unique, en tout cas dans ce que j’ai pu croiser dans ma vie professionnelle. Même si on travaille dans le secret, par exemple, sur Pandora Papers, ce sont 600 journalistes qui travaillent pendant deux ans sur une enquête, l’idée c’est que plus on partage ce qu’on trouve, plus on aura des histoires intéressantes parce qu’on a 12 millions de documents, une personne ne peut pas tout parcourir, donc on va partager un maximum. Cette philosophie va s’insinuer dans plusieurs détails qu’on retrouve dans notre travail au quotidien. Par exemple, on a un système de chat et on va toujours préférer parler sur le chat à tout le monde plutôt que passer par messages privés, c’est juste un petit détail, et, dans la conception des logiciels on va partir du principe et on va essayer de faire que chaque production d’utilisateur, utilisatrice soit publique. Par exemple, j’ajoute un tag sur un document, ce n’est pas un tag pour moi, c’est un tag pour tout le monde. Ce sont ces petites choses-là qui font qu’on va encourager la participation générale et collaborative aux logiciels, aux histoires. La partie open source est évidemment aussi un autre aspect de cette philosophie qui est de partager en source ouverte ce qu’on produit avec la communauté, sans l’aspect, pour le coup, secret ; c’est partager ce qu’on produit et bénéficier aussi, en retour, des contributions des autres.

Frédéric Couchet : D’accord. J’ai une petite question, que je n’avais pas prévue, avant de parler de l’outil Datashare, tu viens de parler de chat. Je me demande quel outil vous utilisez pour ce chat. C C’est de la messagerie instantanée, ce sont des forums ? C’est quoi ?

Caroline Desprat : Rocket. Chat.

Frédéric Couchet : Rocket. Chat ! On utilise les mêmes outils, le salon web de l’émission est aussi sur Rocket. Chat. OK. C’est donc l’outil vous utilisez, c’est la version de base ou c’est une version sur laquelle vous avez fait des modifs.

Maxime Vanza Lutonda : C’est la version de base.

Caroline Desprat : En fait, pour tout ce qui est données confidentielles, l’idée c’est d’utiliser, d’aller vers des outils open source, peut-être que ça dérive un peu sur les questions suivantes.

Frédéric Couchet : Ce n’est pas grave, ça fait l’enchaînement.

Caroline Desprat : L’idée, c’est que si on en utilise des outils qui sont propriétaires sur des données sensibles ou confidentielles, on n’a pas la main sur ce qui peut se passer derrière. Pour nous, c’est justement très important sur tout ce qui est en interne de pouvoir savoir comment c’est traité et s’il n’y a pas de fuites ou d’autres regards.

Frédéric Couchet : En fait, c’est la possibilité, pour l’équipe technique, de faire de l’audit, si vous avez envie d’en faire ; c’est du logiciel libre, donc le code source est disponible, vous pouvez l’installer, vous le maîtrisez, par rapport à outil externe, privateur, sur lequel vous n’auriez pas ce contrôle.

Caroline Desprat : Tout à fait.

Frédéric Couchet : D’accord. Tout à l’heure, je disais en 2019 ou 2020, je ne sais toujours pas en quelle année c’était, l’un de vos outils, en tout cas un peu l’outil phare, j’ai l’impression, qui s’appelle Datashare, on va expliquer, a reçu le prix du meilleur développement logiciel libre à l’Open Source Experience. C’est un outil phare. Qu’est-ce que Datashare et à quoi sert-il au niveau des journalistes du Consortium ?

Maxime Vanza Lutonda : Datashare est un logiciel open source qui permet à un utilisateur de faire des recherches sur ses propres documents quel que soit le format. Ces documents peuvent être des scans, des images, des fichiers excel, des fils de mails ou des boîtes mail entières. Il peut arriver que ces fichiers ne soient pas toujours facilement exploitables. Avec Datashare, il va être possible d’indexer tous ces documents afin de pouvoir faire des recherches dans ces derniers ; en gros Datashare extrait le texte.

Frédéric Couchet : C’est un logiciel, mais c’est aussi une plateforme. Si je comprends c’est une plateforme, en gros un site web sur lequel les journalistes peuvent rajouter du document, il y a un système d’indexation qui, ensuite, permet de trier, de faire des recherches sur les documents. C’est bien ça ?

Maxime Vanza Lutonda : C’est exactement ça. Les documents vont être indexés avec Elasticsearch, pour entrer dans les détails.

Frédéric Couchet : Un outil qui permet de faire des recherches très avancées, un outil libre, je précise.

Maxime Vanza Lutonda : On peut faire des recherches en utilisant de nombreux filtres, rechercher par terme avec une barre de recherche, filtrer les fichiers par article, par date de création ou même, chose un peu innovante avec Datashare, on peut trier avec des entités nommées. Les entités nommées, c’est le fait de dégager des noms d’un texte, des noms d’organisations, des lieux, etc. Pour cela, pour l’instant, on utilise ???, ??? pour dégager toutes ces entités.

Frédéric Couchet : D’accord. Si je comprends bien, c’est un outil que vous développez en interne, basé sur d’autres logiciels libres d’accord. Le choix du logiciel libre, de mettre Datashare en logiciel libre s’est fait dès le départ du développement ou après ?

Maxime Vanza Lutonda : Dès le départ. Tout à l’heure, Caroline a annoncé le sujet sur le fait qu’on traite des données confidentielles, donc il faut avoir la main, il faut avoir une connaissance du code que l’on utilise pour éviter tout risque de fuite.

Frédéric Couchet : Est-ce que c’est aussi une façon d’être en cohérence avec le fait que vous cherchez à favoriser la transparence sur les flux financiers, donc autant utiliser la transparence dans la partie logicielle.

Maxime Vanza Lutonda : Exactement, au niveau logiciel.

Frédéric Couchet : D’accord. Datashare est développé depuis combien de temps, à peu près ?

Maxime Vanza Lutonda : Depuis 2017/ 2018, me semble.

Frédéric Couchet : D’accord. Et aujourd’hui, il est utilisé uniquement au sein de l’ICIJ ou, à votre connaissance, d’autres structures l’utilisent ?

Maxime Vanza Lutonda : On sait qu’il y a d’autres utilisateurs, des utilisateurs externes, des universitaires l’utilisent parce qu’ils nous contactent et quand il y a des bugs ou des fonctionnalités à implémenter.

Frédéric Couchet : Le petit sourire que vous entendez, c’est parce que, pour communiquer avec la régie, j’utilise un petit panneau marqué « pause musicale à venir », donc vous le savez, il y aura une pause musicale. On va la faire tout de suite avant de rentrer un peu plus dans le détail de Datashare, notamment aussi par rapport à l’appropriation par les journalistes, parce que, parfois, les outils développés par des geeks ne sont pas forcément utilisables par d’autres personnes.
On va d’abord faire une pause musicale qui va être relativement courte. C’est une pause musicale qui va être un peu particulière puisque c’est la première fois qu’on va diffuser quelque chose qui est dans le domaine public. J’expliquerai après. Nous allons écouter Thanks a million par Louis Amstrong. On se retrouve dans deux minutes trente. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Thanks a million par Louis Amstrong.

Pause musicale : Cause Commune, la voix des possibles.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Thanks a million par Louis Amstrong, et c’est dans le domaine public, en tout cas selon la Bibliothèque nationale de France et le site gallica.bnf.fr, là d’où provient l’enregistrement. Cette musique est un choix de Vincent, pas le Vincent de la chronique, un Vincent qui a participé, fin 2023, à la campagne de financement participatif de la radio Cause Commune et Vincent nous a dit, dans Parcours libre ???, qu’il avait envie de célébrer de vieux enregistrements tombés – excusez-moi, j’ai fait l’erreur –, entrés dans le domaine public pour marquer, au-delà des licences libres justement célébrées toutes les semaines dans l’émission, l’intérêt du domaine public ou de ce qu’il en reste après les multiples extensions de la durée des droits. Un grand merci à Vincent. Vincent a accompagné son choix musical du message « La liberté ne se donne pas, elle se prend ! »

[Jingle]

Deuxième partie 40’ 45

Frédéric Couchet : Nous allons continuer