À l'ère d'Internet, alerter & agir au nom de la liberté - avec Héloïse Pierre

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Titre : À l'ère d'Internet, alerter & agir au nom de la liberté - avec Héloïse Pierre

Intervenant·e·s : Héloïse Pierre - Perrine Tanguy

Lieu : Podcast(Dé)clics responsables

Date : 23 mars 2021

Durée : 41

Podcast

Page de présentation du podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Dans ce troisième épisode de (Dé)clics responsables, j’ai le plaisir de recevoir Héloïse Pierre pour discuter de nos libertés à l'ère d'Internet, un sujet qui fait l'objet d'un livre qu'elle a coécrit et où elle parle de big data, profilage de masse, démocratie, surveillance… Des mots qui peuvent faire peur mais qui sont pourtant le reflet de la réalité. Un épisode qui interroge donc, et qui remet en question notre propre définition de la liberté, nos valeurs et l'avenir que l'on souhaite avoir pour notre société.

Transcription

Perrine Tanguy : Salut et bienvenue à toi dans ce troisième épisode du podcast (Dé)clics responsables, le podcast qui met à l’honneur les initiatives responsables dans le secteur du numérique.
Je suis Perrine Tanguy, consultante en stratégie digitale et e-commerce responsable. En tant qu’experte, je m’intéresse beaucoup aux impacts sociaux, éthiques et environnementaux du numérique sur nos sociétés et notre planète. Il me tient à cœur d’éveiller les consciences sur ces dangers qu’on n’évoque pas, ou trop peu aujourd’hui, et de valoriser les nombreuses initiatives positives qui existent déjà.
Mon invitée du jour s’appelle Héloïse Pierre. Avec Amélie Delalain, elle a coécrit le livre Libre et humain à l’ère d’internet, un livre qui traite des dérives qu’Internet peut entraîner sur nos libertés. On y parle de big data, profilage de masse, démocratie, surveillance, des mots qui peuvent faire peur mais qui sont pourtant le reflet de la réalité. Avant de parler de solutions il faut informer et alerter et on peut dire qu’avec ce livre accessible à tous la mission est plutôt réussie.
Sans plus attendre, on retrouve Héloïse et je te retrouve à la fin de l’épisode pour un wrap-up. Bonne écoute !
Hello à tous. Salut Héloïse.

Héloïse Pierre : Bonjour Perrine.

Perrine Tanguy : Est-ce que tu peux te présenter ?

Héloïse Pierre : Oui, bien sûr. Je suis Héloïse Pierre de l’association Etikya pour un Web plus éthique. Comme tu me demandais mon parcours pro, en fait j’ai débuté en faisant une licence en sciences de l’information et de la communication pour apprendre, on va dire, les différentes techniques de communication, que ce soit les relations publiques, le journalisme, la publicité, communication d’entreprise, etc. Ensuite j’ai travaillé dans différents domaines toujours en lien avec la communication. J’ai démarré dans l’événementiel, ensuite dans le secteur de l’édition, aussi dans la communication pour des petites entreprises, notamment dans le milieu culturel. Il y a quelques années je me suis spécialisée dans la communication sur Internet, notamment le référencement naturel, et puis j’ai switché avec tout ce qui se passait par rapport au numérique, d’ailleurs ce dont on va parler au cours de ce podcast, j’ai switché vers la création d’Etikya pour un Web plus éthique.

Perrine Tanguy : Super. Sacré parcours déjà ! Première question que j’ai envie de te poser parce qu’on parle de liberté et de ton livre Libre et humain à l’ère d’internet, est-ce que tu peux nous donner ta définition de la liberté ?

Héloïse Pierre : C’est une sacrée question que tu me poses, pas facile ! Ce que je pourrais dire, en tout cas aujourd’hui, à mon sens la liberté commence vraiment par l’indépendance d’esprit, de conscience et cela passe par la liberté de penser par soi-même, sans influence et aussi de décider de sa vie justement librement. Donc forcément c’est en contradiction totale avec les notions de dépendance et d’addiction qui sont notamment connues dans le domaine du numérique et des écrans et aussi incompatible avec l’idée ou l’acceptation de manipulation, de soumission, qui sont ou qui font aussi partie des bases, des stratégies employées par certaines entreprises numériques et aussi, parfois, les gouvernements et aussi la base de la publicité utilisée également sur le Web et de l’ingénierie sociale.
Ce que j’aimerais aussi dire aux gens c’est que la liberté c’est aussi un idéal, qui mérite qu’on se batte pour elle, pour la défendre et la protéger, et ça à chaque époque. À notre époque, actuellement, il y a un enjeu de taille la concernant qui passe par le secteur des technologies et du numérique. On va sûrement développer ça avec toi.

Perrine Tanguy : Oui. Super. 20/20 à ton examen de philo.

Héloïse Pierre : Merci Madame la professeure.

Perrine Tanguy : Du coup, comment en es-tu arrivée à te spécialiser sur le sujet du numérique et des libertés ?

Héloïse Pierre : Ce n’était pas prévu, c’est sûr. Comme je disais j’étais dans la communication et quelque part, dans la communication, on nous apprend à être un bon petit soldat de la com, donc utiliser les réseaux sociaux à fond, Internet à fond, toutes les techniques, etc., sans se poser de questions éthiques ou fondamentales, elles n’interviennent presque pas, en fait, quand on apprend la communication. Les stratégies des médias m’intéressaient aussi beaucoup, j’avais vu aussi, notamment en fac et ensuite, tous les travaux d’Edward Bernays, le père des relations publiques – à l’époque, au début du 20e siècle, cette discipline s’appelait la propagande. Il a notamment écrit un livre fondateur qui est Propaganda – Comment manipuler l’opinion en démocratie. C’est vrai que les techniques de manipulation des masses, qui sont aujourd’hui appliquées partout, m’intéressaient beaucoup, donc je suis très attentive à ça dans ce qui se passe dans le monde, dans l’actualité, le traitement médiatique, les mots, le choix des mots, l’aspect émotionnel, la stratégie du choc, etc.
C’est vrai que quand il y avait eu le PATRIOT Act suite aux attentats en Amérique ça avait été quand même déjà un sacré pas dans la surveillance de masse par les gouvernements sur leur peuple. C’est vrai que ça m’avait choqué je dirais dans mes tripes. Quelques années plus tard, suite à l’attentat de Charlie Hebdo, la France a fait exactement le même parcours : alors que tout le monde était en choc émotionnel, profondément bouleversé, ils ont fait passer à vitesse grand V, sans aucun débat et sans texte explicite, ce qui est la loi renseignement, qui est une loi qui autorise et rend légale la surveillance par l’État français du peuple.
Pour moi c’est intolérable, il y a quelque chose qui se réveille et qui fait que ce n’est pas possible. Suite à ça on m’a proposé de créer une émission radio, l’émission s’appelait justement TIC – éthique, et de cette émission radio va fouiller. On voulait parler de l’impact de la technologie dans notre vie. Le plus grand dossier qu’on a fouillé c’est celui de la vie privée et de la surveillance de masse. En fait, j’ai été tellement choquée, je ne pensais pas être naïve, etc., de ce qui se passait et à quel point c’était pénétrant que je me suis dit je ne peux pas juste rester sans rien faire. Du coup on a créé le livre Libre et humain à l’ère d’internet et ensuite on nous a appelées pour faire des conférences, des ateliers de sensibilisation dans les lycées, pour les entreprises, les associations. Du coup ça me semblait important de le faire, même si ce n’était pas prévu.

Perrine Tanguy : OK. C’est super. En tout cas j‘ai trouvé le livre incroyable, hyper-riche en informations. Est-ce qu’il y a un concept clef que tu retiens particulièrement du livre et que tu aimerais partager avec nous aujourd’hui ?

Héloïse Pierre : J’ai été intriguée parce que c’est vrai que c’est un sujet qui nous concerne tous, mais, en fait, tout le monde accepte un petit peu cette surveillance, cette intrusion de plus en plus grande, on va dire, dans nos vies. En fait, je pense qu’une chose importante c’est déjà de dépasser un peu le dogme du « ce n’est pas si grave, je n’ai rien à cacher », cette célèbre phrase on va dire. Avec Etikya on a fait de nombreuses conférences d’information et de sensibilisation dans des lieux très divers, avec des gens d’origines très diverses également et d’âges variés, et ce qui était étonnant c’est que ça ressortait toujours « ce n’est pas si grâce, je n’ai rien à cacher » pour plein de raisons différentes. Cette phrase, ce concept provient de Google, notamment de l’ancien PDG, Eric Schmidt, qui avait énoncé ça dans les médias et ça a été repris ensuite dans les sphères médiatiques et politiques puisque les politiques s’en servent également aujourd’hui en disant « si vous n’avez rien à cacher – c’est-à-dire si vous êtes honnêtes, si vous êtes des citoyens honnêtes – vous allez accepter cette intrusion puisque seuls les gens malhonnêtes ont des choses à cacher ». Donc ça renverse complètement les valeurs de protection de la vie privée qui sont pourtant une des bases, un des piliers de la vie en société.

Perrine Tanguy : Hyper-intéressant. Si je peux citer un concept qui m’a marquée dans le livre c’est « des jeux et du pain », ce que le gouvernement antique à l’époque, la civilisation romaine appliquait finalement au peuple, des jeux et du pain, pour manipuler les masses. Je trouve ça assez incroyable. On a le recul nécessaire pour voir qu’à l’époque ils fonctionnaient comme ça et, à notre époque, on parle aussi des jeux et du pain avec notamment les jeux, tu le disais toi-même, qui sont maintenant les écrans. Je trouve ça assez fort de comparer avec Rome.

Héloïse Pierre : Et puis là on est, en plus, dans une société de divertissement et de loisirs, donc c’est typiquement une des stratégies pour soumettre justement les populations, c’est connu et reconnu. C’est vrai qu’aujourd’hui, quand on sait que les gens passent en moyenne six heures sur leurs écrans, c’est bien plus que les jeux de Rome qui étaient très événementiels. Je crois que quand on a un smartphone on le regarde environ une centaine de fois par jour, etc., donc on est presque addict à ces jeux, à ces écrans. Du coup, oui, en effet, je pense qu’aujourd’hui aussi il y aurait beaucoup à dire et beaucoup de recul à prendre sur la société dans laquelle on vit.

Perrine Tanguy : Oui. C’est clair. Justement en parlant des gouvernements et des régulations qui sont mises en place, l’Union européenne a sorti le RGPD, le Règlement général sur la protection des données, qui a été imposé en mai 2018 à tous les acteurs du numérique. D’après toi, est-ce que ça suffit à nous protéger ?

Héloïse Pierre : Non, absolument pas. On va dire que c’est un pas, mais ce n’est vraiment pas suffisant du tout. D’ailleurs ça ne change pas, ça ne retourne pas le problème, ça ne change pas la donne en termes de vie privée, de surveillance de masse ou d’intrusion. Certes, les entreprises sont maintenant soumises à cette loi, mais pour la plupart des internautes, peut-être toi également, en fait c’est à l’internaute à chaque fois de faire un, deux ou trois clics pour dire qu’il n’accepte pas certains cookies, etc. La plupart des gens veulent avoir accès à l’information ou au contenu du site très rapidement, donc souvent ils acceptent, ils acceptent, ils acceptent. Je trouve que c’est penser à l’envers : de fait les entreprises ne devraient pas prendre des données ou les partager à des entreprises tierces, la plupart du temps c’est quand même vraiment ça, sans le consentement des gens et point à la ligne. Que la personne autorise si elle le souhaite, qu’il y ait des clics ou des efforts à faire pour autoriser et pas l’inverse parce que, du coup, dans la pratique, ça fait que la plupart du temps les gens autorisent et cliquent. Si, par exemple, on visite une cinquantaine de sites pour faire des recherches ou autre on passe à chaque fois dix secondes juste à configurer les cookies du site ; c’est l’enfer !

Perrine Tanguy : Oui, c’est pénible.
Dans le livre vous faites un focus sur les outils de surveillance de masse. Selon les gouvernements on ne parle pas d’outils de surveillance de masse, en tout cas les gouvernements n’en parlent pas comme ça, déjà ils n’en parlent pas et, s’ils en parlent, c’est pour évoquer la sécurité des citoyens. Du coup il y a un vrai débat : est-ce que ces outils assurent vraiment notre sécurité ou bien est-ce qu’ils nous aliènent totalement ? Qu’est-ce que tu penses de ce débat sécurité versus liberté ?

14’ 00

Héloïse Pierre : Déjà je pense que le problème