Vidéastes & Capitalisme de surveillance - Pouhiou/Framasoft
Titre : Vidéastes & Capitalisme de surveillance : Pouhiou / Framasoft
Intervenants : Pouhiou - Guillaume Desjardins
Lieu : RougeVertBleu
Date : 15 mars 2022
Durée : 56 min 40
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : À prévoir
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Description
Interview de Pouhiou, codirecteur de Framasoft, dans laquelle il nous expose le capitalisme de surveillance pratiquée par les grandes plateformes de diffusion ainsi que les enjeux pour les créatrices et créateurs de contenu mais également pour les spectateurs. Il nous partage sa vision de l'émancipation des vidéastes sur internet et explique en quoi l'initiative libre de PeerTube, soutenue par Framasoft, peut y participer.
Transcription
Guillaume Desjardins : Salut Pouhiou.
Pouhiou : Salut.
Guillaume Desjardins : Merci d’être là pour cette interview.
Pouhiou : Merci à vous.
Guillaume Desjardins : Elle est dans la lignée des interviews que j’ai pu faire où on se pose des questions sur les monopoles de diffusion de vidéos en ligne. Tu es codirecteur de l’association Framasoft[1] et je pense que tu vas pouvoir nous apporter des éléments de réponse, en tout cas une compréhension plus large des enjeux autour de l’auto-diffusion, maintenant j’utilise ce terme-là, est-ce que les créateurs ne devraient pas s’auto-diffuser plutôt que confier leurs contenus à des plateformes !, et voir les enjeux qu’il y a à la fois pour les créateurs mais aussi se rendre compte que ce sont aussi des enjeux politiques, plus larges.
Pouhiou : C’est vraiment la conclusion que nous avons eue à Framasoft, que c’est, finalement, une question beaucoup plus large que juste les outils qu’on utilise, que juste les données, etc., c’est une question de choix de société en fait. C'est-à-dire que derrière les outils que vont proposer un Google avec YouTube ou un Amazon avec Twitch, il y a vraiment des choix de société et ces outils vont formater la création. Attention !, je ne vais absolument pas blâmer les créateurs et les créatrices, j’ai été créateur, il n’y a pas de problème là-dessus. À l’époque où je le faisais, on est en 2015/2016, j’ai bien vu comment Google transformait déjà la création. Au départ ce qui était important c’était le nombre de vues des vidéos donc tout le monde faisait des vidéos courtes, de trois à cinq minutes, à l’époque c’était ça. Après c’est le view time qui a commencé à être plus important donc on a réduit nos génériques au maximum parce que les gens zappaient les génériques et qu'il ne fallait pas perdre de temps de vue. On a aussi augmenté le temps des vidéos qui est passé à 7 minutes puis à 10/15 minutes et tout le monde faisait ça. Et même, je ne sais pas si tu te souviens de ça, à partir de 2000 abonnés tu avais carrément une formation Google pour mieux faire tes vidéos, mieux paramétrer.
Guillaume Desjardins : Toujours aujourd’hui.
Pouhiou : Voilà. Ça existe toujours et ce n’est pas pour rien, c’est parce que derrière ces outils il y a une culture, derrière ces outils il y a une proposition politique, il y a une proposition d’organisation de la société qui a été identifiée, elle est étudiée aujourd’hui, ça s’appelle de capitalisme de surveillance[2]. Le capitalisme de surveillance c’est quoi ? En fait ce sont des entreprises qui font la captation de nos comportements présents pour pouvoir vendre, principalement à des commerçants, des choses comme ça, la prédiction de nos comportements futurs. Et tu remarqueras que là, à aucun moment, je n’ai parlé de données. Souvent on parle des données personnelles et tout ça, quand tu parles données personnelles les gens vont se dire ma date de naissance. Mais ta date de naissance tout le monde l'a ! Elle ne vaut plus rien sur le marché des données, on s’en fout ! Par contre, ce qui est intéressant, c’est que j’ai donné mon 06 à un de tes collaborateurs, nos deux téléphones sont côte à côte, donc nous sommes des personnes qui sont récemment entrées en contact et qui sont dans la même pièce. Et ça c’est hyper intéressant ; ce sont nos comportements qui sont captés. Google, parce que j’ai un téléphone Android, va se dire « tiens !, ils commencent à être en relation ». Si ton collaborateur a récemment acheté des pompes peut-être que Google va se dire « tiens !, peut-être qu’il va aimer les mêmes pompes vu qu’ils sont en relation ». On est vraiment sur des questions de comportement, donc de numériser, de capter l’ensemble de nos vies. Une des manières c’est notamment de capter l’attention pour ça et, pour capter l’attention, il faut des contenus, il faut de la création, donc on va essayer de capter tout ce que créent les vidéastes sur Internet.
Guillaume Desjardins : Cette captation de l’attention n’est-elle pas dans le même intérêt que celui des créateurs ?
Pouhiou : Il peut y avoir des intérêts qui vont ensemble, évidemment, par exemple moi aussi je ne voulais pas absolument que tout le monde, mais je voulais qu’un maximum de gens partagent mes vidéos, regardent et s’intéressent ; en général tu donnes quelque chose pour que les gens le reçoivent, c’est clairement ça. Mais leur intérêt ce n’est pas ça, ils se fichent fondamentalement que ce soit ta vidéo ou une autre qui soit vue. Ce qui est important c’est que les gens restent. Tu penses qu’il y a un intérêt commun mais ce n’est pas un véritable intérêt.
Typiquement un truc s’est passé avec les sous-titres sur YouTube, je ne sais pas si tu te souviens. À une époque, Google incitait vraiment un maximum à ce que tu mettes les textes de tes vidéos et à ce que les traductions se fassent, avec des outils, en disant « il faut de l’accessibilité pour les personnes sourdes ou malentendantes ». C’était totalement du bullshit ! Leur intérêt c’était de pouvoir indexer le texte des vidéos parce que quand je peux analyser un fichier texte, ce n’est rien du tout un fichier texte, je peux analyser les thèmes, ce qu’il s’y dit, les mots qui reviennent, etc., donc je peux l’indexer et la faire remonter dans les résultats de recherche, je peux la vendre à des publicitaires parce qu’on va parler de fleurs, parce qu’on va parler de chaussures ou d'un truc qui n’est pas vendeur. C’était ça leur véritable intérêt. Quand ils ont commencé à avoir des robots qui étaient suffisamment entraînés pour indexer le texte des vidéo et le faire, ils ont coupé des outils de sous-titrage communautaire des vidéos YouTube ; depuis quelques années, depuis un ou deux ça n’existe plus. En tout cas ils ont coupé totalement l’outil de sous-titrage communautaire parce que ça n’est plus dans leur intérêt.
On est vraiment sur des choses comme ça. Ce qui est intéressant c’est de se rendre compte que Google est dans cette économie de l’attention, est enfermé dans cette économie de l’attention et ne peut pas réfléchir autrement, est enfermé dans ses choix de capitalisme de surveillance et ne peut pas réfléchir autrement.
Guillaume Desjardins : Tu penses que c’est dû au modèle économique de la publicité ou même si tu enlèves la publicité – on peut voir que Netflix ne fonctionne pas sur la publicité, c’est un abonnement payant – finalement ils sont dans la même logique de « il faut te garder sur la plateforme à mort » ?
Pouhiou : La publicité c’est la façon dont on voit le plus le capitalisme de surveillance, c’est-à-dire qu’ils captent mes comportements et ils revendent mes données à des publicitaires pour des annonceurs. Mais il y a d’autres manières dont les données sont utilisées aujourd’hui et pas qu’aux États-Unis, en France. Ce qui se passe c’est qu’en général tes données sont captées et sont ensuite rachetées par ce qu’on appelle des courtiers en données, les data brokers, qui vont les mélanger avec les données par exemple de ta carte fidélité Carrefour, de tes points Total, que sais-je. Il y a un mix de ces données et ça va être aussi revendu à des assurances parce que si tu achètes beaucoup de Coca, ça peut être intéressant pour une assurance-vie ou pour une assurance maladie de te faire payer un peu plus cher parce que tu vas peut-être avoir des problèmes cardiovasculaires. C’est aussi revendu à des banques pour déterminer les prêts immobiliers ; si tu as des amis pauvres sur Facebook, tu es peut-être pauvre, donc on va te faire payer ton prêt immobilier plus cher. C’est totalement pratiqué.
Guillaume Desjardins : Aujourd’hui c’est totalement pratiqué ? En France et peut-être à l’étranger ?
Pouhiou : C’est totalement pratiqué. Je ne peux pas te le confirmer totalement. Ce que je peux te confirmer c’est que des grands groupes bancaires français, des grandes assurances françaises, sont clients des data brokers. Je ne peux pas te dire ce qu’ils font vu que ce n’est pas affiché clairement, par contre ces courtiers en données se vantent de leur clientèle sur leurs sites, il suffit juste de regarder.
Guillaume Desjardins : Un créateur ou une créatrice qui n’a pas envie de participer à ça, quels choix ont-ils ?
Pouhiou : C’est hyper-compliqué ! C’est hyper-compliqué parce que ça veut dire qu’il faut s’émanciper de tout ça. C’est comme quand on dit aux gens qu’il faut quitter Facebook. Aujourd’hui la plupart des gens que je rencontre, même sans être militants ou militantes comme moi, se disent que Facebook est un mal nécessaire ! « Je n’aime pas, mais il y a tout le monde qui est là, mais j’ai un groupe machin où je m’organise, mais j’ai Messenger ou Instagram. » Bref ! C’est hyper-compliqué. Vraiment, encore une fois c’est dit avec beaucoup d’amour, il y a quelque chose de la même manière que Tanguy. C’est-à-dire que vous êtes chez papa Google et maman Amazon, j’y étais aussi et c’est hyper-agréable, c’est hyper-confortable : le frigo est tout le temps rempli, tu n’as pas à te demander comment tu paieras ton loyer le mois prochain, tu ne sais même pas d’où vient le canapé.
Guillaume Desjardins : OK, pour la métaphore, mais pour les créateurs ?
Pouhiou : Ça incite à ce que tu ne payes pas ton espace disque pour ton hébergement. Tu ne payes pas l’espace disque de tes vidéos. C’est open bar Nutella, tu peux télécharger des gigas et des gigas autant que tu veux, mais les gigas ça coûte, c’est juste que ce coût a été caché, offusqué. Aujourd’hui on croit que c’est gratuit, mais ça n’est pas le cas dans la réalité. Donc il y a ce côté papa/maman et le jour où tu prends ton appartement, d’un coup d’un seul comment je fais pour remplir mon frigo ? Comment je fais pour payer mon loyer ? C’est compliqué, je dois apprendre à réparer mon robinet ou mes chiottes qui fuient. C’est lourd et c’est compliqué, mais tu deviens autonome, tu t’émancipes et souvent tu vas commencer notamment par de la collocation, à t’entraider et tout ça.
Guillaume Desjardins : Mutualiser, quoi.
Pouhiou : C’est ça. La première chose, c'est d’abord qu'il ne faut pas culpabiliser les gens en disant « vous êtes sur YouTube c’est mal ! ». Il faut arrêter ça parce que ça ne sert à rien ni à personne. Il y a des personnes qui ne sont pas capables, aujourd’hui, de quitter ce giron-là et c'est OK. Il faut penser à y aller doucement. Typiquement, ce que je vois faire des créateurs et des créatrices de contenus, c’est avoir en parallèle une chaîne YouTube et une chaîne sur une autre plateforme où ils ou elles se sentent plus indépendantes.
Guillaume Desjardins : TikTok par exemple.
Pouhiou : Ce n’est pas la même chose, tu sais très bien qu’on ne va pas faire les mêmes contenus pour YouTube même si c’est lié à YouTube Shorts maintenant.
Guillaume Desjardins : Ça m’intéressait de revenir un peu avant sur comment tu vois l’influence de ces plateformes sur la création et sur les choix des créateurs. Tu avais aussi remarqué que les plateformes formatent les contenus des créateurs.
Pouhiou : Totalement. Ça formate les communautés. C’est aussi hyper-intéressant de voir comment ça formate les communautés. Jusqu’à récemment il y avait les points Facebook pour remonter dans l’algorithme : quand tu mettais un pouce pour « liker » un post, c’était un point pour le faire remonter dans l’algorithme ; quand tu mettais une colère ou un cœur c’était cinq points !
Guillaume Desjardins : Ils ont communiqué ça ?
Pouhiou : Ils ont communiqué ça mais ça n’est plus le cas aujourd’hui, le « like » est à 0,5 et c’est un point pour les autres ; l’algorithme change régulièrement. Avec les algorithmes de recommandation, avec les interfaces, avec tout ça, il y a vraiment un design qui est une architecture de la persuasion, ça s’appelle comme ça. On connaît tous et toutes l’architecture de la persuasion : quand tu vas à la supérette, bizarrement, quand tu es planté à la caisse et que tu attends, à hauteur de vue d'enfant il y a des bonbons et à hauteur de vue d'adulte il y a des magazines qu’on a envie de feuilleter. Ce n’est pas pour rien ! C’est l’architecture de la persuasion. C’est la même chose qui est utilisée sur ces sites-là, donc qui influence nos comportements. Tu as 1000, peut-être 100 000 personnes qui vont visiter un supermarché dans l’année si c’est un énorme supermarché. Quand Google fait un changement ce sont deux milliards de personnes qui sont influencées ; c’est une influence culturelle qui est énorme ! Cette influence vient de qui ? Elle vient de quels types de public sociologiquement ? Étasuniens, mâles, blancs, ingénieurs informatiques, trentenaires. C’est évidemment un cliché que je suis en train de faire, c’est une généralisation, mais elle n’est pas si fausse que ça.
Tu vois Edward Snowden[3], je rappelle un peu qui c’est. Edward Snowden était analyste pour un sous-traitant de la NSA, il traitait les données que les gens s’envoyaient notamment par SMS, entre autres, et il expliquait que c’étaient des ingénieurs informaticiens de 24/25 ans à la machine à café qui s’échangeaient des news, parce que c’est la culture de mâles blancs, sexistes, c’est comme que j’ai moi-même été élevé dans ce sexisme-là, patriarcal. À un moment donné, les tétons sur Facebook c’est cette culture protestante américaine. Est-ce qu’on a envie que ce soit la seule culture disponible dans l’espace numérique et si on n’en a pas envie, qu’est-ce qu’on fait ?
Guillaume Desjardins : Au-delà de cette vision politique qu’on peut participer à orienter en tant que créatrices et créateurs, est-ce que tu vois d’autres raisons, limite plus capitalistes, de se casser de ces plateformes, ou pas forcément. Quand je dis se casser, je précise qu’on est conscients qu’on ne peut pas se casser du jour au lendemain, comme tu disais il faut y aller doucement et tout, et qu’il faut peut-être continuer à les utiliser pour ramener trafic.
Pouhiou : Je pense qu’il faut vraiment réfléchir ça dans des termes de transition. Personnellement je fais une transition vers le véganisme, mais je n’y suis pas encore. Il m’arrive encore de manger des œufs, j’essaie de faire attention à leur provenance, des choses comme ça ; ça fait des années que je fais ça et OK, c’est l’ancien slogan de Framasoft « La route est longue mais la voie est libre ! ». C’est une chose.
Pour les raisons de changer, il faut se rendre compte, ne serait-ce qu’au niveau thune, que Google vous file des miettes, Twitch vous file des miettes. Ce n’est pas pour rien que ce sont les entreprises les plus riches au monde, à la fois la capitalisation boursière, mais ça ce sont des chiffres, c’est la valeur qu’on leur donne sur un marché, ce n’est pas le cash, mais même dans le cash qu’ils ont. Mon collègue avait calculé qu’ils avaient autant de cash qu’un pays comme le Luxembourg, ce qui n’est pas n’importe quoi ! Ces entreprises les plus riches du monde vous refilent des miettes avec la pub que vous avez et l’attention que vous avez, en fait vous faites le maximum du travail et vous avez les miettes du gâteau qu’ils se partagent, même du gâteau attentionnel. Ce système-là est fondamentalement injuste surtout pour les créateurs et les créatrices qui sont les exploités. Je pense que dans 10 ans, 50 ans et tout ça, on aura les mêmes films sur l’exploitation des travailleurs et des travailleuses du clic et des créateurs et créatrices de contenus que ce qu’on a aujourd’hui sur Germinal ou des choses comme ça.
En vous émancipant, c’est plus de boulot, c’est moins de confort, ça ne va pas être facile, par contre vous pouvez en retirer beaucoup plus de pouvoir et, en fait, c’est ça l’autonomie, c’est reprendre le pouvoir sur ses contenus.
On voit très clairement que dans le capitalisme de surveillance il n’y a pas que la surveillance qui soit le problème, c’est le capitalisme, et dans l’anticapitalisme il y a la question de se réapproprier les moyens de production, mais pour les artistes ça ne suffit pas. Aujourd’hui les artistes ont les moyens de production. On peut vraiment créer avec pas grand-chose, c’est hyper-accessible et les savoir-faire sont accessibles aussi en ligne, c’est formidable. Par contre, il faut se réapproprier les moyens de diffusion et c’est là qu’il y a un énorme chantier à faire.
14’40
Guillaume Desjardins : Framasoft aide à construire PeerTube[4], un logiciel de diffusion en ligne.
Pouhiou : Nous développons, nous sommes le développeur principal du logiciel PeerTube, oui.
Guillaume Desjardins : Est-ce que PeerTube est une réponse à ça ?, tu vas détailler. En gros, qu’est-ce que PeerTube et pourquoi c’est intéressant ?
Pouhiou : En gros. Comme teaser, c’est une partie de la réponse. Nous, Framasoft, avons eu toute une démarche par rapport au monopole des géants Web et au capitalisme de surveillance et, dans cette démarche, à un moment donné nous avons voulu trouver une solution technique au problème YouTube. Je dis bien une solution technique. Je prends YouTube qui est le symbole de ces plateformes de vidéo ; Twitch et TikTok aujourd’hui,avec des variantes importantes, sont la même chose. Ce sont trois choses en une. Aujourd’hui YouTube c'est un petit peu comme de la télévision, ça reprend les mêmes principes. Ce sont trois outils : c’est un outil d’hébergement et de diffusion de vidéos. C’est aussi un outil de monétisation qui est lié à ça. Et c’est enfin un outil d’éditorialisation, c’est-à-dire les recommandations. YouTube te propose de voir du contenu, donc il le choisit avec le fameux algorithme.
Nous, sur ce trois problèmes, nous n’en avons pris qu’un seul, celui qu’on se sentait d’attaquer, qui est le problème technique de diffusion des contenus. On s’est demandé comment démocratiser ces moyens de diffusion ? Il existait déjà des logiciels libres. Il y avait MediaGoblin[5], il y en avait quelques-uns qui existaient pour créer sa petite plateforme. Tu installes le logiciel sur un serveur – il faut avoir les capacités, OK –, tu mets tes vidéos dessus et là tu es content, tu as ton site avec tes vidéos. Personne ne vient dessus, juste tes amis ou les gens qui veulent voir tes vidéos, mais c’est tout. Il y avait déjà ce premier problème de comment on fait pour avoir une plateforme de vidéo attractive ? Il faut qu’un maximum de monde puisse mettre ses vidéos dessus. Mais si tu dois héberger les vidéos de tout le monde il va te falloir des fermes de serveurs, il va te falloir des relais dans tous les pays, etc., il va te falloir avoir la puissance de feu de Google et les moyens de Google. Là on s’est dit « comment a-t-on fait avant que Google et les géants existent ? Quelles sont les bases d’Internet ? » Eh bien les bases d’Internet c'est un réseau distribué où chaque ordinateur peut à la fois donner et recevoir et peut, comme ça, être un acteur, donc comment peut-on faire ça ? On s’est intéressé aux protocoles de fédération, on en parlera. PeerTube a intégré de la fédération, ce qui permet quoi ? Quand j’installe PeerTube sur mon serveur et que j’y mets mes vidéos, je peux aussi me fédérer avec ton serveur, avec son serveur, avec son serveur, mais je ne prendrai pas vos vidéos sur mon serveur, sur mon disque dur, j’afficherai votre catalogue de vidéos, donc j’aurai un catalogue de vidéos plus grand qui peut intéresser plus de monde. C’est ce premier principe.
Il y a un autre souci quand techniquement tu décides d’héberger de la vidéo, c’est le succès. Tu en parlais déjà dans une précédente interview.
Guillaume Desjardins : C’étaient des questions qu’on se posait : est-ce que vous avez pu faire des tests sur PeerTube avec un afflux énorme de spectateurs et qu’est-ce qui se passe ? Le player, tu viens de le dire, fonctionne, sur le peer-to-peer parce que maintenant c’est intégré dans les navigateurs, ce qui permet que ce ne soit pas que le serveur qui t’envoie la vidéo, mais tous ceux qui la regardent peuvent aussi t’envoyer la vidéo. Et comme ça, s’il y a succès, hop !, ça répartit charge. Est-ce que ça marche ?
Pouhiou : Exactement. On ne demande que ça. Si vous voulez faire des tests à grande échelle et nous expliquer où est-ce que ça pointe. Au bout d’un moment ce sont des paramétrages qu’il va falloir affiner pour passer, comme ça, sur ce qu’on appelle la scalabilité horizontale, c’est-à-dire qu’à grande échelle ça fonctionne. On ne demande que ça. Pour l’instant les tests qui ont été faits c’était notamment à l’université d’été du Canard réfractaire, pour le live en peer-to-peer. PeerTube fait aussi du live maintenant et du live en pair-à pair. Pour l’instant on a entre 30 secondes et une minute de lag.
Guillaume Desjardins : OK. En vrai, la latence c’est normalement 20 secondes.
Pouhiou : Cette latence peut être réduite si on paramètre tout ça. Là aussi, il va falloir que des gens nous disent à quel point c'est prioritaire par rapport à d’autres développements. Qui sont les gens qui utilisent PeerTube, quels sont les besoins, on va avoir besoin que des voix s’expriment. Mais ça peut encore être réduit techniquement, on a des pistes, c'est plutôt une bonne nouvelle !
Donc il y a eu des tests avec le Canard réfractaire et qui sont disponibles sur notre forum ; on a forum qui s’appelle framacolibri.org où on peut voir ces tests-là. On a plusieurs fois des organisateurs qui disaient « je vais faire une grande conférence, il va y avoir plein de gens qui vont se connecter en même temps ». On a dit « on ne peut pas vous assurer la scalabilité, mais si vous voulez qu’on la teste et qu’on soit là pour accompagner ça, let’s go ». Pour l’instant personne n’est venu faire ces tests avec nous.
Guillaume Desjardins : Il faut déjà avoir une bonne audience pour tester vraiment les limites. Vous avez quand même pu comparer juste en termes de trafic, voir s’il y a une réduction. Avez-vous fait des tests en activant en peer-to-peer et en désactivant. Il y a vraiment une différence ? Ça marche, ça fonctionne ?
Pouhiou : Oui. Bien sûr. Ça fait cinq ans qu’on développe le logiciel, si ça ne marchait on aurait arrêté ou on l’aurait dit, on n’a pas de problème à dire nos échecs, on en a eu plein et c’est comme ça qu’on apprend.
Guillaume Desjardins : En effet, quand on se renseigne sur les hébergeurs de vidéos et les players qui existent, hors de YouTube et tout, généralement ils facturent à la donnée. Déjà à la donnée que tu stockes sur leurs serveurs et ensuite au trafic que tu génères et ça peut faire peur. On peut dire « OK !, il n’y a peut-être d’algorithme qui va me formater mon format de vidéo parce qu’il faut faire tant de minutes », mais au final tu sais que si tu fais une vidéo d’une heure tu risques de payer plus cher si la personne regarde en entier, donc tu vas être encouragé à faire des vidéos courtes. Il y a d’autres contraintes qui entrent en jeu.
Pouhiou : Et Google paye tout cet argent-là et il le paye avec les fruits de ton travail. C’est de l’argent qu’il ne te montre pas et, en plus, Google s’enrichit et se prend une marge de dingue. C’est bien qu’il y a un problème.
Guillaume Desjardins : Même sur YouTube ? Longtemps de l’info que j’ai eue… En tout cas sur YouTube, le groupe Google évidemment.
Pouhiou : Ils étaient déficitaires ! Oui, Bien sûr !
Guillaume Desjardins : Il faut bien payer aussi les data et la bande passante de toutes les vidéos qui ne sont pas monétisées. Évidemment ils monétisent, ils rajoutent de la pub sur le côté.
Pouhiou : Déjà, oui, ils les ont monétisées. Mais derrière, encore une fois, quelle est la valeur produite ? La valeur n’est pas qu’une valeur en termes d’argent, c’est une valeur en termes de monde, parce que tu es obligé de te créer un compte Gmail pour utiliser YouTube, c'est une valeur en termes de données, etc., donc c'est assez facile dans les comptes de ne pas…
Guillaume Desjardins : Ce n’est pas juste chiffré par la publicité qui atterrit dans ta vidéo.
Pouhiou : Tu ne peux pas séparer, tu ne peux pas segmenter Google vu que les produits ne sont pas segmentés. Tout est interconnecté.
Guillaume Desjardins : Tu disais, avant qu’on filme, que PeerTube est un outil parce que c’est aussi un enjeu pour un pays de se diffuser avec ses outils qu’il maîtrise, où le code peut être ouvert ou pas.
Pouhiou : Tu te souviens du scandale des impôts sur le revenu ? En France, on est passé de l’impôt payé après à l’impôt à la source. Au moment où on passe à ça, avant de faire ta déclaration tu étais obligé de regarder une vidéo qui était hébergée sur YouTube. Il y a eu un scandale de dingue parce que l’État français a obligé tous les contribuables à regarder une vidéo YouTube et a filé…, parce que même si tu n’es pas connecté à un compte Google, dans le lecteur de YouTube, quand tu regardes un vidéo, il y a des pisteurs.
Guillaume Desjardins : C’est-à-dire qu’on récolte tes données.
Pouhiou : C’est ça. Donc il y a quand même en enjeu grave. Comment c’est possible, à un moment donné, que l’État donne en pâture à YouTube les données de tous ses contribuables. Il y a quelque chose de grave au niveau de l’indépendance d’une nation.
Guillaume Desjardins : Tu disais que même l’Éducation nationale pouvait utiliser des plateformes comme YouTube. Tu viens d’expliquer, mais en quoi c’est aussi un enjeu pour l’Éducation nationale, pour un pays ?
Pouhiou : C’est simple. La vidéo est partout aujourd’hui dans notre vie et il y a des contenus de vulgarisation pédagogique formidables, notamment sur YouTube. Évidemment, à un moment donné, que les profs ont envie de s’en servir, c’est bien normal, et aussi d’y contribuer. Le problème c’est que si on demande aux élèves d’aller sur YouTube, encore une fois on va les habituer à un produit, on va donner leurs données et leur comportement en pâture à Google. C’est un petit peu comme si on disait qu’on va confier les cantines scolaires à Mac Do. Est-ce que c’est le choix de société qu’on a envie de faire ? Il y a plein de gens pour qui c’est très clair sur Mac Do, ce n’est pas si clair que ça sur Google. Attention. Il y a une différence. On a commencé Dégooglisons Internet[6] en 2014, un an après Snowden, et tout le monde s’en cognait, à part les quelques excités du bulbe comme nous, mais sinon c’était simple. Aujourd’hui, je pense que si tu demandes à des personnes dans la rue « est-ce Google est ton ami ? », la plupart vont te dire dire non. Ce n’est plus la même chose. Cette bataille culturelle là est gagnée, mais quand même comment fait-on ?
L’Éducation nationale est notamment venue nous voir. Il y a un projet dans l’Éducation nationale qui s’appelle apps.education.fr[7], qui offre une plateforme aux agentes et aux agents de l’Éducation nationale, les profs notamment, où ils peuvent utiliser des services en ligne. Il y a un équivalent à tout ce qui va être Dropbox et Google Drive qui s’appelle Nextcloud qui est du logiciel libre ; un équivalent pour écrire des textes à plusieurs qui s’appelle Etherpad, nous l’avons sur Framapad et il y a PeerTube pour les vidéos. Le problème c’était qu’ils voulaient mettre ça à disposition des agents, mais les agents utilisent leurs identifiants de l’académie pour ouvrir la plateforme. Ce sont des protocoles d’identification – il y a le LDAP, le OAuth et des trucs un peu plus exotiques. Ils avaient besoin que PeerTube puisse fonctionner avec ces identifiants. Ce n’était pas encore développé, ils nous ont demandé de le développer donc ils nous ont financé ce développement. Ça c’était en 2018. Et là, allez, je te le dis un peu en exclusivité, on est en train de travailler sur des outils très légers d’édition de vidéo depuis PeerTube pour pouvoir ajouter un petit générique de début, pour pouvoir ajouter un petit logo à un endroit, etc. Et ça aussi c’est financé par les besoins du ministère de l’Éducation nationale.
Ce qui est très bien aussi et, de toutes façons, nous le souhaitions c’est qu’ils ont d’autres besoins que nous ne sentions pas d’inclure dans notre feuille de route et dans notre charge de travail, donc ils ont pris d’autres développeurs, qui ne sont pas chez nous, pour développer sur PeerTube. On collabore évidemment avec joie avec des développeurs externes parce que nous avons tout intérêt à ce qu’il y ait d’autres personnes qui puissent apprendre, se spécialiser sur le code PeerTube.
Guillaume Desjardins : Et contribuer à le faire évoluer.
Pouhiou : Exactement.
Guillaume Desjardins : Comme tu disais c’est avant tout, si on parle en termes de briques, une brique très technique de distribution de vidéos, mais vous vous destinez avant tout à enrichir cette brique. Mais tout ce qui va être monétisation ou service de newsletter, tout ce qui pourrait aider un créateur à se rendre autonome, il ne faut pas attendre de PeerTube que ça arrive.
Pouhiou : Exactement. En fait c’est simple, Framasoft c’est une association qui n’est pas plus grande que ton club de pétanque, on va le dire très honnêtement. Nous sommes 40 membres dont 10 salariés, par contre il y a 10 salariés. On est en train de boucler les comptes de 2021, ce sera publié à la fin du mois, je te donne des approximations. Pn a un budget, à peu près, de 600 000 euros par an ce qui énorme pour une association, d’autant plus que c’est 98 % de dons, ce sont des gens qui nous donnent des sous, à peu près 12 000 personnes qui nous donnent des sous, qui nous font confiance, qui nous financent comme ça, on est ravis, mais, par rapport à Google, ce sont des moyens ridicules.
On doit être à cinq ans de développement de PeerTube, déjà on a une personne équivalent temps plein et encore le développeur qui fait PeerTube n’est pas à temps plein dessus, donc un développeur qui fait un temps plein et pas trop temps plein et on a dû mettre 250 000/300 000 euros dessus. Avec ça on a fait une super brique technique, mais on ne va pas pouvoir faire tous les problèmes du monde et la monétisation n’est pas un problème auquel on va savoir s’attaquer. C’est très important de pouvoir rémunérer la culture, de pouvoir rémunérer les créateurs et créatrices de contenus, mais on va se tenir à ce qu’on sait faire.
Pour l’instant sur PeerTube tu as un pauvre bouton « Soutenir » que tu peux activer sous chaque vidéo. L’avantage c’est que derrière le bouton « Soutenir » le ou la vidéaste peut mettre ce qu’iel veut, c’est-à-dire mettre « Pour me soutenir voici mon Paypal, mon Utip », que sais-je, mais aussi « Pour me soutenir envoyez une carte postale choupinou à ma grand-mère, elle adorera ça et voici l’adresse », on peut !
Mais là il va falloir que d’autres personnes s’en chargent, par contre on sera ravis de les aider dans leurs besoins.
28’ 22
Guillaume Desjardins : Très bien.
Et pour tout ce qui est question d’interopérabilité, tu vas pouvoir nous expliquer ce que c’est, tu as commencé. Ce sont des questions qu’on se pose, pouvoir se fédérer, comme tu disais, si on commence à sortir de ces grandes plateformes. PeerTube permet de relier les instances entre elles et tout. Là l’idée c’est que si on imagine un site pour créateurs que chaque créateur, créatrice, puisse se relier, recommander les vidéos les uns des autres. Il y a déjà des technologies qui le permettent comme les flux RSS et autres. Est-ce qu’il n’y a pas encore des choses encore plus belles à inventer. Je sais que Framasoft pousse dans cette direction, en tout cas explore cette direction avec ce qu’on appelle Fediverse. C’est quoi le Fediverse ?
Pouhiou : Fediverse[8], federated universe, l’univers fédéré. C’est un bien grand mot pour tout ce qui va être un protocole. Les protocoles ce sont des langages mais numériques. Tu en connais déjà, tout simplement. Le protocole pour afficher des pages web sur un navigateur c’est le protocole HTTP. Par contre, les e-mails ne vont pas utiliser le même protocole, souvent ce sont des protocoles qu’on appelle SMTP, POP, etc. Comment faire en sorte que n’importe quel ordinateur, serveur, qui a un site web et n‘importe quel navigateur puissent se comprendre et afficher ? Il faut qu’ils parlent le même langage.
Du coup, pour les médias sociaux, un protocole a été créé, inventé, accepté, mais surtout a été intégré au Web par le W3C[9], un consortium qui dit « ça il faut le mettre pour tout le monde et que ça marche ; ça on verra plus tard ». Ce protocole s’appelle ActivityPub[10]. Il permet de créer des formats d’information qui pourront être affichés d’une manière ou d’une autre.
J’ai un exemple. À Framasoft on a fait une vidéo pour expliquer PeerTube. On a mise sur notre PeerTube qui s’appelle Framatube. La vidéo c’est What is PeerTube? et je peux te le faire très bien parce que c’est moi, avec mon accent anglais pourri, qui ai fait ça. Les dessins sont magnifiques c’est une association qui fait ça trop bien, on leur a demandé. Et pour la voix on n’avait personne. J’ai un pote qui avait une carte son, je suis allé chez lui, je suis allé faire la voix. Du coup sous la vidéo quelqu’un, à un moment donné, a commenté en disant « l’accent est un peu pourrave » et là j’ai répondu « c’est moi, désolé, mais si tu peux faire un meilleur son, vas-y, tente-là et on remontera la vidéo, ce serait cool ». On parle comme ça.
Guillaume Desjardins : Tu peux changer le fichier parce tu n’es pas bloqué par YouTube qui t’empêche de modifier ta vidéo une fois que tu l’as publiée.
Pouhiou : C’est une des fonctionnalités qu’on voudrait peut-être faire.
Guillaume Desjardins : Elle n’est pas encore présente sur PeerTube ?
Pouhiou : Elle n’est pas encore sur la v5. Pouvoir écraser la vidéo c’est possible, tout est possible, il faut juste le coder. Tout est permis. Si ce qu’on fait avec PeerTube ne te va pas, comme c'est un logiciel libre, tu peux faire ce qu’on appelle « forker » le logiciel, je le fourche, je prends le code, je vais l’appeler « BetterTube » et puis je vais donner une tout autre direction au code. Tu as le droit, c’est libre, on te donne le droit.
Pour en revenir à cette conversation du mec qui se foutait de ma gueule avec mon accent, on fait ça dans les commentaires de la vidéo, on papote et puis, à un moment donné, je vais sur l’équivalent de Twitter dans le Fediverse qui s’appelle Mastodon[11], je vais sur mon compte Fediverse et quand je publie une vidéo sur FramaTube je sais que dans le Fediverse ça fait une espèce de tweet, on appelle ça un pouet, avec la vidéo. C’est-à-dire que les informations qui donnent une vidéo sur FramaTube, ça va donner un tweet vidéo sur Mastodon. Et je vois toute la conversation en commentaires, une série de tweets qui se répondent. C'est ça le Fediverse, ça permet vraiment d’afficher les commentaires de YouTube comme des tweets. Finalement je peux utiliser mon compte pas Tweet mais Mastodon, mon compte c’est Framapiaf, pour répondre à des vidéos. Pourquoi ? C’est parce que tout ça parle le même langage.
À l’époque Facebook et Google le faisaient. Est-ce que tu te souviens que Messenger, à une époque, et là je vais me faire engueuler parce que je n’ai plus le bon…, c’est un protocole de chat, bref !, je suis désolé pour les techniciens qui m’écoutent, j’ai juste un trou, ça arrive [Protocole XMPP, Extensible Messaging and Presence Protocol, NdT]. À une époque Messenger utilisait un protocole ouvert et tu pouvais lire Messenger depuis Google Chat avant Hangouts et avant Google Plus. Je suis vieux ! À une époque c’était ouvert. Et Facebook a été ouvert tant qu’ils voulaient attirer des personnes sur la plateforme, une fois qu’ils ont eu l’audience ils ont fermé et ils ont fermé leur protocole.
Guillaume Desjardins : Comme le flux RSS. J’ai observé ça au niveau du flux RSS. Au début Facebook générait un flux RSS de tes publications et au bout d’un moment ils ont arrêté de le publier.
Pouhiou : Est-ce que tu sais que toutes les chaînes YouTube génèrent des flux RSS qui sont hyper difficiles à trouver parce que Google les cache, parce que tu peux, du coup, regarder des vidéos depuis un flux RSS donc sans trop passer par Google, ça ils n’aiment pas.
Guillaume Desjardins : Mais ils ne mettent pas le code de l'embed, je crois qu’ils mettent très peu d’infos.
Pouhiou : Il y a des extensions, notamment sur Firefox, pour avoir les flux RSS de YouTube, tu peux les avoir facilement comme ça. Sur Android il y a une application qui s’appelle NewPipe pour regarder les vidéos YouTube, c’est le top, parce que, du coup, tu n’as plus rien de Google, même pas le lecteur.
Guillaume Desjardins : Tu as quand même la publicité.
Pouhiou : Tu as les sponsorings, mais tu n’as pas les pubs.
Guillaume Desjardins : OK. NewPipe.
Pouhiou : C’est une application d’Android. Elle n’est plus sur le Play Store parce que Google l’a quand même interdite, mais sur le Play Store tu as une application guide pour installer NewPipe. C’est parfait, tu as le document pour t’expliquer comment faire.
Guillaume Desjardins : Pour illustrer un peu ce que tu viens de dire, ça voudrait dire que c’est comme si tu avais un compte Twitter et que tu puisses commenter un vidéo YouTube sans avoir un compte chez Google.
Pouhiou : Exactement et ensuite partager dans la vidéo YouTube une photo Instagram.
Guillaume Desjardins : C’est ce qu’on appelle l’interopérabilité ?
Pouhiou : Ça s’appelle interopérabilité en effet, c’est-à-dire que ça peut marcher entre plusieurs logiciels. Typiquement quand tu veux ouvrir un document Word avec le logiciel de traitement de texte de Apple ou avec Google Drive c’est difficile. Pourquoi ? Parce que Microsoft ne dit pas aux développeurs de logiciels comment lire le document Word. Tandis que si tu le fais avec LibreOffice[12], c'est un format ouvert qu’on appelle ODT, Open Document Text, donc tout développeur peut savoir comment afficher le gras, les titres, les marges, ce que tu veux, donc interpréter ça. Toi demain, si tu es développeur, tu peux développer une application Android pour faire du traitement de texte avec ce format-là parce qu’il est interopérable.
Encore une fois c’est la force de l’ouverture, on peut vraiment faire des choses beaucoup plus grandes et beaucoup plus intéressantes.
Guillaume Desjardins : Selon toi est-ce qu’il faut attendre que ces géants se mettent à jour, quelque part, avec ces protocoles ?
Pouhiou : Je ne sais pas. On parle de papa Noël ? Comment ça se passe ?
Guillaume Desjardins : On voit La Quadrature du Net[13] qui essaye de militer dans cette direction.
Pouhiou : La Quadrature du Net milite pour de la régulation. Il faut les forcer, il va falloir leur arracher les dents, il va falloir leur faire pan-pan cul-cul très fort pour y arriver. Encore une fois on est sur des entreprises qui ont le pouvoir d’États, qu’on soit bien d’accord. On est sur des entreprises qui ont permis à la CIA d’espionner les téléphones portables du président Sarkozy et de la chancelière Merkel. À un moment donné il faut arrêter, ce ne sont pas des petits joueurs. On est sur des entreprises qui ont les plus gros budgets de lobbying que ce soit au niveau de l’Europe, que ce soit au niveau de Washington. Je suis totalement pour et en ce moment, au niveau de l’Europe, on a de la régulation qui commence à être hyper-violente au niveau des GAFAM et tant mieux et merci. Il faut de la régulation, mais ce n’est pas grâce à ça qu’on arrivera. À un moment donné, il faut aussi commencer à construire un monde sans eux, à part d’eux. Aujourd’hui Internet est devenu « Googleternet » ou « Facebookternet ». On parle des GAFAM, je peux te faire les NATU – Netflix, Airbnb, Tesla et Uber –, je peux te faire les BATX – Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi. Tout ça c’est le capitalisme de surveillance. Tu en coupes un il y en trois qui poussent.
Guillaume Desjardins : C’est hyper-dur, je l’observe à ma petite échelle, si j’essaie de construire un site, si je veux avoir des outils un peu cool, si je veux analyser le trafic sur mon site, l’outil sur lequel je vais tomber en premier c’est Google Analytics, en fait tu restes dans le truc de Google. Si tu veux faire en sorte d’éviter les spams tu vas utiliser Google Captcha, donc tu utilises encore des trackers de chez Google. C’est hyper-dur !
Pouhiou : Google Captcha qui te fait travailler quand tu dois identifier les bus et les machins.
Guillaume Desjardins : Tu veux dire qu’on entraîne leur intelligence artificielle ?
Pouhiou : C‘est ça. À l’époque, avant de faire travailler leur intelligence artificielle, je ne sais pas si tu te souviens que les captchas c’étaient des numéros, des lettres. En fait, tu faisais de la reconnaissance des numéros de rue et tout ça pour Google Maps et Google Streetview.
Guillaume Desjardins : C’est vrai. Même pour apprendre à leur moteur à lire des pages d’écriture, de la reconnaissance de texte, quand ils numérisaient les livres. En plus on bosse gratuitement pour eux, ils font bosser les internautes.
Pouhiou : Le capitalisme de surveillance fait de nous du bétail, c’est Aral Balkan qui dit ça. Il faut vraiment se rendre compte, encore plus quand tu es créateur de contenu, que tu es le bétail de Google, dans la ferme industrielle de Google. Ils te traient de ta création, de tes données, de tes comportements et ils te vendent leur foin de publicité, de machins et de trucs. Ils te gavent d’un côté et ils te traient de l’autre ou ils prennent ta viande de l’autre. C’est affreux dit comme ça et l’objectif n’est pas de faire chier tout le monde.
Guillaume Desjardins : Ce sont de bonnes images.
Pouhiou : Malheureusement c’est la métaphore la plus juste.
Guillaume Desjardins : Est-ce que Framasoft peut aider ? Je sais que vous référencez plein de sites alternatifs en gros. Est-ce qu’en termes d’analytics il y a quelque chose ? Est-ce que pour les captchas il y a d’autres choses ?
Pouhiou : Ce n’est pas juste nous, Framasoft, qui allons aider, c’est plus la communauté du Libre qui va aider. Le Libre c’est quoi ? Le logiciel libre ? Attention à ne pas confondre avec l’open source, on fera peut-être le distinguo tout à l’heure, on ne sait jamais. Le principe du Libre c‘est rendre le pouvoir aux utilisateurs et aux utilisatrices. L’idée c’est que des informaticiens, des ingénieurs, se sont rendu compte que parce que ces personnes-là avaient la connaissance, le savoir du code – qui est juste une connaissance – alors ils avaient le pouvoir. Pourquoi ? Parce que dans le monde numérique, quand tu fais le code tu fais la loi, tu écris dans le code ce qu’il sera possible de faire ou de ne pas faire.
On parlait tout à l’heure de PeerTube, que ce n’est pas encore possible d’écraser sa vidéo et j’ai dit « c’est possible, il faut juste qu’on le code », mais pour l’instant on ne l’a pas autorisé, on fait la loi quelque part, on a ce pouvoir-là.
Des ingénieurs se sont dit « c’est trop de pouvoir pour nous, on va devenir une élite ou alors des gens vont pouvoir acheter notre travail et devenir des élites — ce qui s’est passé avec les GAFAM —, donc c’est trop de pouvoir. » Comment fait-on pour rendre le pouvoir aux gens et pour que ce soit finalement les utilisateurs et les utilisatrices qui contrôlent le logiciel et la machine et pas l’inverse ? C’est vraiment la base de tout ça.
Guillaume Desjardins : Le Libre c’est redonner le pouvoir aux utilisateurs et aux utilisatrices.
Pouhiou : Framasoft ne développe pas tout le Libre. On est juste une toute petite association du Libre parmi des milliers. Tu as, par exemple, Matomo[14] qui existe et il y a encore un autre.
Guillaume Desjardins : Le Libre c’est une espèce de label que tu t’auto-attribues ?
Pouhiou : Absolument pas ! Ce n’est pas juste « oui, je veux partager le pouvoir, je suis gentil bisous ! » Non !
Guillaume Desjardins : Tu as l’air de dire qu’on pourrait être libre sans être open source.
Pouhiou : Le Libre c’est tu vas signer un contrat légal, mais, quand tu es développeur, tu ne sais pas qui seront les utilisateurs, c’est un contrat ouvert, on appelle ça une licence et c’est vraiment un contrat, les gens peuvent t’attaquer en justice si tu ne respectes pas le contrat, c’est légalement opposable. Dans ce contrat tu vas assurer quatre libertés aux utilisateurs et aux utilisatrices : le fait d’utiliser le logiciel comme tu veux ; le fait de pouvoir l’étudier, aller regarder sous le capot, donc connaître le code source ; le fait de pouvoir le modifier si jamais tu veux et le fait de pouvoir distribuer, que ce soit le logiciel d’origine ou celui que tu as modifié, ce sont ces quatre libertés.
L’open source ne demande qu’une seule de ces libertés, que le code source soit ouvert. En fait l’open source c‘est quoi ? C’est une méthode pour créer du logiciel de manière collaborative. On va dire « plutôt que mon logiciel soit une recette secrète, mes développeurs le savent, mais ils ont des contrats de non disclosure agreement, etc., je vais mettre mon code à disposition de tout le monde, je vais dire si vous voulez aider c’est open ». C’est donc une méthode qui est hyper-efficace pour développer logiciel, qui ne coûte pas cher parce que plein de bénévoles vont venir travailler gratos ton code. Tu parles ! Le capitalisme s’en est servi et aujourd’hui les plus gros contributeurs open source c’est Google, c’est Facebook ; Tesla est aussi assez doué là-dessus, Microsoft maintenant aussi parce que c’est hyper-compatible avec le capitalisme.
Si je résume le Libre c’est de l’open source + de l’éthique. Et si tu fais un peu de maths, une toute petite équation, et si seulement si, l’open source c’est du Libre sans éthique.
Guillaume Desjardins : Belle démo.
Pouhiou : Merci. Des années de conf.
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Guillaume Desjardins : Est-ce que Framasoft s’intéresse aussi aux autres devices, en gros pas seulement aux smartphones et aux ordis, mais aussi, par exemple, aux télés connectées, etc. ?
Pouhiou : On ne travaille pas trop sur les objets connectés. Par contre dans le monde du Libre, tu en as évidemment qui travaillent dessus, tu as notamment tout ce qui est Pine64[15] qui travaille sur le Pinephone. Je ne sais plus exactement, il y a une montre connectée libre, il y a un téléphone libre, il y a des choses comme ça avec un maximum d’hardware libre aussi.
Tu as la Fondation Mozilla, le navigateur Firefox, si tu veux contribuer au Libre sans coder une seconde, contribue au projet Common Voice[16]. Common Voice c’est quoi ? C’est faire de la reconnaissance de texte mais libre pour que, à un moment donné, tu puisses intervenir avec ton smartphone, ton ordinateur ou ta télé, en lui parlant, et qu’elle puisse reconnaître ta voix. Pour ça, il faut que des gens lisent des textes et que des gens écoutent des textes qui sont lus pour savoir si ça marche. C’est donc un projet qui s’appelle Common Voice. Tout le monde peut contribuer en lisant ou en écoutant des lectures d’autres pour savoir si ça marche, pour vérifier. Ça te prend deux minutes, tu vas sur Common Voice, tu peux aider Mozilla et ça aide énormément de développeurs et de développeuses derrière.
Guillaume Desjardins : Je pensais vraiment aux télés connectées, je reste dans mon sujet de la vidéo et de la diffusion de la vidéo. J’ai l’impression que c’est aussi un enjeu parce qu’il devient de plus en plus facile de regarder ton Nexflix, même ton YouTube sur ta télé. Du coup comment donner ce pouvoir aussi aux créatrices et créateurs : pouvoir se diffuser eux-mêmes sur ces smart télés ? Finalement Internet permettrait ça normalement à la base, mais l’environnement des smart télés a l’air plutôt fermé.
Pouhiou : Pas tant que ça. C’est hyper-intéressant. En fait Android et notamment Android TV ou Android des smartphones, etc., à l’origine d’Android tu as AOSP, Android Open Source Project qui est un projet open source dont n’importe qui peut s’emparer pour faire de l’Android sans Google. Sauf que Google a été très malin, et c’est pour ça que je dis que Google est un des principaux de l’open source : en fait, le système d’exploitation Android ne va pas te servir à grand-chose si tu n’as pas les notifications, si tu n’as pas la synchronisation des agendas, la synchronisation des comptes du carnet de contact, un magasin d’applications, si tu n’as pas tout un tas de petites choses ça. Google a dit « je vais mettre tout ça open source, c’est ouvert, vous pouvez l’utiliser sans moi si vous voulez », mais ils ont verrouillé tous les trucs clefs et essentiels. Or aujourd’hui tu as des gens qui font le boulot pour les smartphones, par exemple, et pour les tablettes, de comment dégoogliser tout ça tout en restant utilisable par les gens normaux, toi et moi.
Guillaume Desjardins : Et compatible avec les services que tout le monde utilise.
Pouhiou : Totalement. Tu as la fondation /e/, e.fondation[17], qui fait ça et qui vend même des smartphones. Ils ont une marque qui s’appelle Murena et ils vendent des smartphones, ils vendent des smartphones reconditionnés. Ils sont aussi avec le Fairphone[18], le téléphone équitable. À partir de ce travail qu’ils font, qui est libre lui aussi, on peut peut-être, à un moment donné, l’adapter pour Android TV. Mais, encore une fois, personne d’autre que toi le fera. Et c’est ça le truc, c’est que dans le numérique on est tellement habitués à se laisser porter, à ne s’occuper de rien et les autres s’en occupent.
Guillaume Desjardins : Les services sont là, on les utilise.
Pouhiou : Et en même temps ce n’est pas pour rien. Le monde numérique nous est tombé dessus en tant que civilisation, il a fallu s’en occuper en plus de s’occuper de ce qu’on avait avant, la bouffe, l’énergie, l’éducation, les loisirs, etc. C'est devenu un nouveau truc dont il faut s’occuper. On a carrément envie que d’autres s’en chargent pour nous. Mais si tu veux des espaces de liberté il va falloir les construire toi-même, malheureusement.
Guillaume Desjardins : Quelle est la suite de Framasoft ?
Pouhiou : Hou ! Là !
Guillaume Desjardins : De Framasoft et de PeerTube, je voulais dire PeerTube, les deux du coup.
Pouhiou : Il faut bien se rendre compte que PeerTube c’est à peu près 10 % de nos ressources, et c’est un de nos 80 projets actuellement. À Framasoft on fait énormément de choses parce qu’on aime ça et que Framasoft est une association d’expérimentation.
La suite de Framasoft ça va être justement, à un moment donné, d’assumer ce virage politique c’est-à-dire qu’on a eu tout un cheminement. Au départ on pensait que c’était juste le logiciel libre qui était la clef, la solution. On s’est rendu compte que c’était juste une première étape, une base, une fondation, mais que ça ne suffisait pas, qu’il fallait plein d’autres choses en plus. Ensuite on s’est rendu que le problème ce n’était pas Google, que ce n’était pas les GAFAM, BATU, NATX, que c’était un choix de société, une proposition de société qui est le capitalisme de surveillance, donc quels autres choix de société fait-on et quels autres outils dans ces choix de société ? Donc assumer un peu plus cette position politique. Du coup, maintenant, à qui va-t-on s’adresser ? Pour qui va-ton faire des outils et comment va-t-on apporter ces outils à ces gens-là ? Je pense que c'est un peu ça la suite de Framasoft.
Concernant PeerTube, typiquement on est facilement en contact avec les gens qui administrent des instances PeerTube. Il y a plus de 1000 installations de PeerTube sur des serveurs aujourd’hui, plus de 570 000 vidéos, plus de 170 000 comptes, bref ! On est en contact avec les gens qui ont installé, qui ont plus un profil de technicien, de dev ou d’admin-sys. On a envie d’être en peu plus en contact avec des gens qui ont des profils de créateur et créatrice de contenu, et je ne parle pas juste des gens qui sont aujourd’hui identifiés comme des youtubeurs, des streamers ou des streameuses. Ça peut être aussi la petite boutique en ligne de tricot qui, pour vendre ses pelotes et tout ça, met des vidéos sur comment on fait tel point. Ça aussi c’est une personne qui crée des contenus. Le ou la prof qui a envie de mettre ses cours universitaires en ligne. La convention militante ou geek qui a envie de mettre ses vidéos militantes en ligne sans forcément avoir des la fame ou de l’argent derrière. Être un peu plus en contact avec ces personnes-là et trouver un peu plus comment améliorer ce qu’on propose pour ces personnes-là. C’est une des premières étapes pour PeerTube.
L’autre étape qui nous semble essentielle et importante ça va être de trouver des partenaires qui ont envie d’apporter d’autres briques à PeerTube. Le problème de la monétisation, typiquement nous ne le prendrons pas en charge, mais c’est important de financer les créateurs et créatrices de contenus. Quelqu’un, quelqu’une, levez la main et si vous avez besoin qu’on soit là pour vous aider à travailler dessus et que PeerTube s’adapte à votre solution, eh bien parlons-en. On n’est pas contre. Clairement la pub ne va pas être notre tasse de thé, mais il y 10 000 manières à inventer, il y a 10 000 choses à inventer, donc allons-y.
Ça va être trouver d’autres partenaires qui viennent contribuer à PeerTube et qui viennent l’amener à des endroits qu’on n’aurait pas imaginés.
Guillaume Desjardins : Très bien. On va rester en contact alors ! On va exploiter ça !
Comme tu le sais on est en train de travailler à essayer de construire un site qui sera accessible déjà pour les créatrices et créateurs, qu’ils puissent l’installer facilement, l’administrer facilement. La grosse problématique c’est aussi d’être hyper- user friendly, que ce soit hyper-facile pour les utilisateurs, tout en proposant un truc interopérable, limite avec ActivityPub, etc. Est-ce que tu penses qu’on va arriver à simplifier ces outils-là ou est-ce qu’ils sont déjà très simplifiés et je ne m’en rends pas compte ? Quand on arrive sur PeerTube, qu‘on veut s’abonner, je clique sur le bouton « S’abonner », j’ai une liste déroulante et je laisse tomber parce que je ne comprends pas, déjà je ne sais pas ce qu’est un flux RSS, tu dois mettre ton adresse ActivityPub sur une instance que tu as…
Pouhiou : Et c’est tout le problème qu’on a trouvé. Pour l’instant c’est en effet difficile d’être user friendly parce qu’en fait, quoi qu’il arrive, ça va être plus complexe que YouTube. Pourquoi ? Parce que, par exemple, est-ce qu’on connaît le logiciel YouTube ? Personne ne sait que YouTube c’est aussi un logiciel. Pour afficher des vidéos, afficher des recommandations, tout ça, il y a forcément du code derrière. Donc il y a un logiciel, il y a une plateforme, il y a un service et tout ça c’est un seul nom, YouTube. Plein de gens nous disent : « Comment je m’abonne à PeerTube, où est-ce que je vais sur PeerTube ? » En fait non, PeerTube est un logiciel. Il existe Framatube, tu as aussi QueerMotion qui existe, qui est une instance PeerTube tenue par un collectif Queer. Tu as skeptikon.fr qui est tenu par des vidéastes sceptiques qui sont formidables. Du coup c'est hyper-complexe parce que tu as plein de portes d’entrée et forcément on ne sait pas trop comment expliquer aux gens parce que c'est un nouveau terrain qu’on est en train de défricher, débroussailler on va dire, donc comment faire ? Sachant que, mine de rien, on connaît déjà ces questions de fédération. En fait le problème c’est que tu veux aller voir de la vidéo, tu t’inscris sur YouTube, c‘est facile il n’y a qu’une seule porte d’entrée. Pour PeerTube, il y a 50 portes d’entrée et on connaît déjà ça, du moins on l’a connu, c’est l’e-mail. Comment ça se fait que moi quand j’ai mon e-mail perso qui est chez Protonmail, que tu as ton e-mail qui est, je ne sais pas, mais je vais dire Gmail et que machin a son e-mail chez Outlook, ce sont trois portes d’entrée différentes et pourtant tout le monde communique ensemble. Tout simplement, je te l’ai dit tout à l’heure, c'est le même protocole, le protocole des e-mails , SMTP, POP, IMAP. On sait qu’il existe plusieurs portes d’entrée qu’on peut parler ensemble. Il va falloir trouver comment dans l’interface, dans les choses comme ça, simplifier ça, expliquer ça, qu’il y a des instances, il y a des machins.
Typiquement pareil, le mot « instance ». Je suis en train de former une nouvelle collègue, je commence à lui parler de ces choses-là, elle me fait « tu me parles d’instance, c‘est quoi ? C’est le conseil d’administration, l’assemblée générale ? », pour elle une instance c’était des gens. Or instance est un vocabulaire de développeur. Comment dit-on ça ? Si tu parles à des gamers plein de personnes diront « j’ai monté un serveur Discord ». Pareil, c’est en fait une instance.
Comment peut-on trouver des vocabulaires, des interfaces et des choses qui deviennent user friendly ?, eh bien pour ça on a besoin d’aide, tout simplement. Nous essayons de faire de notre mieux. On travaille évidemment avec des designers et on va continuer, mais , à un moment donné, on ne peut pas tout savoir, on ne peut pas tout faire, il va falloir expérimenter des choses.
Guillaume Desjardins : Donc il y a un vrai travail à fournir pour juste rendre user friendly tout ça.
Pouhiou : C’est ça. En fait quand tu donnes plus de liberté aux gens, quand tu donnes plus de pouvoir aux gens, forcément les options sont plus grandes donc c’est plus complexe. Tandis que quand tu enfermes les gens en leur donnant le minimum de choix possible, du coup ça peut être hyper-pratique, hyper-lisse. C’est exactement la technique d’Apple qui, en t’enfermant, du coup tu n’as pas beaucoup de choix, c’est très joli et c’est très intuitif. Il y a des équilibres à trouver.
Guillaume Desjardins : Comment allier les deux, le joli intuitif et l’indépendance.
Pouhiou : C’est du travail, c’est du talent, c’est du fric. Il n’y a pas de secrets, à un moment donné il va falloir mettre de la thune, des designers, des designeuses, il va falloir mettre du monde derrière tout ça.
Guillaume Desjardins : Qui peut financer ça ?
Pouhiou : Déjà nous le faisons à notre petit niveau et ce sera forcément insuffisant.
Guillaume Desjardins : Via des dons, via l’Éducation nationale qui participe finalement parce qu’elle est intéressée par le logiciel.
Pouhiou : Tout à fait. Quand ils nous financent pour du développement ça fait rentrer des sous, donc derrière on peut payer d’autres personnes, etc. Oui, en effet, via des dons, mais ça peut être, à un moment donné, des personnes qui disent « je vais contribuer, je vais installer PeerTube à un endroit, essayer d’autres trucs de design et faire des tests avec des gens, demander à des gens de tester, de regarder et vous donner les recommandations que j’ai » ; ça peut être ça.
Guillaume Desjardins : Tout le monde peut contribuer finalement.
Pouhiou : C’est ça. Dans les projets auxquels on participe et qu’on soutient, il y a ce qu’on appelle les Contribateliers[19], au pluriel, contribateliers.org. Ce sont des ateliers dans lesquels n’importe qui peut contribuer au Libre et surtout si on ne sait pas coder. On va te dire « viens tester Common Voice ». Il est arrivé que des designers et designeuses disent « viens tester PeerTube ou d’autres logiciels qu’on développe » pour avoir des retours.
Guillaume Desjardins : Pour se rendre compte si c’est accessible si non ne comprend rien à l’interface.
Pouhiou : Finalement toi, dans ton coin, tu peux embaucher une personne et faire des ateliers comme ça, il n’y a pas de souci.
Guillaume Desjardins : Très bien. Merci Pouhiou. Il y a de l’espoir ?
Pouhiou : Merci à vous. Il y a toujours de l’espoir. Notre ancien slogan c’était « La route est longue mais la voie est libre », on est toujours d’accord avec. Maintenant on dit « On veut changer le monde, un octet à la fois ». On reste modestes, mais on va quand même changer le monde et on le fait.
Guillaume Desjardins : On est en train de multiplier nos octets puissance 10 000.
Pouhiou : Plus on sera nombreuses et nombreux, plus on aura d’octets qui changeront le monde.
Guillaume Desjardins : C’est bon. OK. Merci.
Pouhiou : Avec plaisir.
- ↑ Framasoft
- ↑ Économie de la surveillance et Capitalisme de la surveillance
- ↑ https://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Snowden Edward Snowden]
- ↑ PeerTube
- ↑ GNU MediaGoblin
- ↑ Dégooglisons Internet
- ↑ Plateforme apps.education.fr
- ↑ Fediverse
- ↑ World Wide Web Consortium
- ↑ ActivityPub
- ↑ Mastodon (réseau social)
- ↑ LibreOffice
- ↑ La Quadrature du Net
- ↑ Matomo
- ↑ Pine64
- ↑ Common Voice
- ↑ e Foundation
- ↑ Fairphone
- ↑ Contribateliers