Le numérique, un objet diplomatique - Henri Verdier
Titre : B-Boost 2021 : Conférence - Le numérique, un objet diplomatique
Intervenants : Henri Verdier - Jean-Christophe Elineau
Lieu : B-Boost 2021
Date : 15 octobre 2021
Durée : 1 h 00 min 56
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : À prévoir
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Résumé
« Le numérique est devenu un objet diplomatique ».
Nous partagerons plusieurs réflexions avec Henri Verdier quant à ses missions, et sa vision de la souveraineté numérique française et européenne.
Transcription
Jean-Christophe Elineau : Nous sommes très intéressés pour savoir aujourd’hui ce que tu fais en tant qu’ambassadeur du numérique et nous expliquer un petit peu en quoi consiste ta vie professionnelle
Henri Verdier : J’espère qu’on ne va pas parler que de ça, mais ça peut être une manière de commencer la conversation.
Jean-Christophe Elineau : Exactement.
Henri Verdier : Je connais pas mal de gens, je crois, dans la salle, je t’ai connu comme star de l’open data dans les Landes.
Je suis tombé dans la révolution du numérique en 1995. À l’époque je n’avais pas conscience d’être à ce point pionnier, mais maintenant, quand je me rends compte qu’il y avait 15 000 internautes en France et 10 000 sites web sur le monde, je me rends compte que finalement c’était les tout débuts. J’ai créé une première boîte qui faisait des services numériques et puis, petit à petit, on s’est spécialisés dans l’éducation au numérique. Puis j’ai eu une vie d’entrepreneur avec un vrai goût de l’action collective qui fait que, pour les Parisiens, j’étais dans les fondateurs de Silicon Sentier, de La Cantine par Silicon Sentier, de NUMA, de Cap Digital qui est un plus joli pôle de compétitivité, j’ai travaillé un peu avec Télécom Paris tech en prospective ce qui m’a donné un certain nombre de convictions que j’ai écrites dans un livre qui s’appelle L'Âge de la multitude : entreprendre et gouverner après la révolution numérique il y a bientôt dix ans.
Là j’ai eu une chance incroyable, on m’a proposé de rejoindre l’État d’abord pour porter la politique d’open data avec Etalab, qui a quand même été un des grands moments de ma vie, puis pour diriger la Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État qui était un peu la DSI Group de l’État. Du coup, en tant que DSI Group, elle avait quand même un regard sur la conduite des grands projets, des questions interministérielles et un regard sur la transformation numérique.
Je ne vais pas être long. En tout cas j’ai essayé, d’abord, d’apporter des convictions qui venaient de ma pratique de patron de PME et de ma pratique de vieux mec du numérique. Je crois quand même, c’est vous qui le direz, qu’on a essayé de rappeler à l’État, pour ce qui nous occupe aujourd’hui, que l’open source ça marche, que l’autonomie stratégique de ce qui est le droit de rouvrir le code et même de le modifier c’est important et que l’État devrait toujours rester en autonomie stratégique. J’ai aussi essayé de montrer que les méthodes agiles marchent mieux et que ça permet d’épouser des usages réels donc de mieux servir les usagers. Que pour faire ça il fallait savoir recruter des profils bizarres, différents et qu’un très bon développeur, même s’il vient au bureau en short déchiré et en trottinette, il peut être quand même le meilleur développeur de la bande et il faut que l’État sache accueillir des gens comme ça. Que la sous-traitance à outrance ça fait que finalement on paye dix fois trop cher des choses qui finissent par rater leur cible et qu’il faut quand même savoir faire des choses soi-même. Et qu’on pouvait appliquer à notre profit, au profit de l’intérêt général, ce qui est au cœur de la stratégie des big techs, ces stratégies de plateformes. C'est-à-dire que si au lieu de croire que notre informatique est seulement faite pour régler des problèmes et qu’on comprend qu’en faisant des petites briques, des petits modules très ouverts, très interopérables, réutilisables par d’autres, qu’on prend la peine de les exposer aux usages externes, aux innovateurs, aux citoyens, on peut créer un meilleur service public à la fois parce qu’on fait une meilleure informatique en interne, on crée plus de valeur et d’usage en externe.
Je crois que j’ai porté ça pendant cinq ou six ans. Je pense que certaines choses ont reculé un peu, d’autres ont continué très bien et d’autres ont laissé de belles traces et on m’a appelé au Quai d’Orsay pour diriger la diplomatie numérique. J’ai souri quand toi, comme beaucoup d’autres, vous dites que je suis ambassadeur du numérique. Oui, il y a des gens qui croient que je suis l’évangéliste du numérique dans l’État. Parfois ça m’arrive, on est quand même de moins en moins rares, il y en a d’autres maintenant. En fait, je suis ambassadeur pour les affaires numériques. Je défends la France, et pas le numérique, dans les dossiers numériques.
Là je m’arrête deux secondes parce je vais arriver sur des choses qui sont peut-être moins familières, mais je veux juste vous dire que quand on a vécu, comme moi et comme d’autres dont certains dans cette salle, 25 ans d’histoire du numérique, c‘est assez frappant de voir que finalement, il y a 25 ans, c’était quand même une affaire de geeks et d’innovateurs. Il y avait des gens qui disaient : « Qu’est-ce que je peux faire avec le lien hypertexte, qu’est-ce que je peux faire avec ci, est-ce qu’on va enseigner différemment, et si et si ? »
Disons qu’il y a 10 ou 15 ans c’était devenu aussi une affaire de disruption, notamment de filières industrielles entières. La musique, le cinéma, la presse, ont vacillé sur leurs bases et puis la banque, l’assurance et beaucoup d’autres secteurs de l’activité ont eu très peur de la révolution numérique. C’était l’époque où on citait beaucoup l’article de Marc Andreessen, Software is eating the world, « le logiciel dévore le monde ». Tout ça reste vrai. Je voulais juste partager avec vous que maintenant il y a aussi une couche qui est vraiment de la géopolitique. C’est aussi devenu un terrain d’affrontement entre les États, un terrain de rapport de forces. Je vous donne juste trois exemples.
Vous voyez comme moi que les États-Unis et la Chine ont ouvert une course à la maîtrise de l’intelligence artificielle en se disant que le pays qui serait le maître de l’intelligence artificielle serait, en fait, un peu le maître du monde. L’Europe essaye à la fois de suivre quand même un peu la course pour ne pas décrocher, mais essaye aussi de dire qu’il faut une régulation de l’intelligence artificielle, il faut qu’elle respecte les droits de l’homme, il faut qu’on en parle tous ensemble et puis qu’il faut peut-être veiller, ça va plaire à Nouvelle-Aquitaine Open Source, à ce que ce ne soit pas privatisé par deux/trois super puissances et qu’il y ait aussi quand même assez d’algorithmes en open source, de données pour éduquer les modèles, que tout le monde ait le droit de faire de l’intelligence artificielle, même si elle n’a pas toutes les performances de celles d’Amazon ou d’Alibaba. C’est un exemple d’enjeu géopolitique.
Les en jeux de gouvernance d’Internet quand même. Régulièrement on se réunit pour changer les règles de nommage ou un certain nombre de règles de gouvernance d’Internet ; ce sont des enjeux auxquels les États participent. C’est aussi en train de devenir, hélas, de la géopolitique. Je ne sais pas si tout le monde, dans la salle, a vu que la société chinoise Huawei a réussi, à l’Union internationale des télécommunications, à faire créer un groupe de travail pour discuter d’un nouveau protocole TCP-IP donT les Chinois nous disent : « Regardez, il est beaucoup plus efficace que votre vieux truc bordélique et décentralisé », ce à quoi nous répondons : « Il est peut-être plus efficace, ça reste à prouver, en tout cas il est moins résilient et surtout il est plus contrôlable, parce que votre truc est vertical, centralisé ». Savoir, par exemple, comment on s’organise dans la conversation internationale pour défendre les principes de base l’Internet qu’on connaît, c’est un sujet aussi de diplomatie puisque c’est un sujet de relations internationales.
Pour donner deux derniers exemples. Probablement que la prochaine guerre mondiale commencera par une frappe cyber, qui tapera d’ailleurs des hôpitaux, des aéroports ou des banques centrales, pas forcément des infrastructures militaires. Les diplomates du monde entier travaillent pour essayer de s’entendre sur le fait qu’il faut appliquer le droit international dans le cyberespace et comment on va comment l’appliquer, c'est aussi un sujet de diplomatie.
Peut-être un tout dernier, je le dis là-devant vous parce que, parfois, la presse dit : « C’est une diplomatie pour parler aux GAFA ». Non, ce n’est pas une diplomatie pour parler aux GAFA. Certains pays ont fait cette erreur. Le Danemark avait créé un tech ambassador qu’ils ont envoyé dans la Silicon Valley pour négocier avec les GAFA. Nous, les Français, comme d’ailleurs tous les Européens maintenant, les Danois eux-mêmes ont changé d’avis, ne traitent pas les GAFA comme des États, les GAFA et les autres, c’est une commodité d’appeler ça les GAFA. Il va bien sûr falloir trouver des manières de réguler la haine, les ingérences étrangères dans les élections, le terrorisme quand il utilise Internet, etc., et, pour ça, il faudra s’assurer d’une coopération loyale des entreprises de la tech et, pour ça, il faut des coalitions d’États qui disent la même chose sinon on n’a aucune chance, on se fait atomiser. Donc il y a une partie de mon travail qui est consacrée aussi à la régulation des plateformes, notamment par les textes européens.
Pour terminer de répondre à la question, le numérique maintenant c’est aussi de la lourde géopolitique et il y a plein de gens au Quai d’Orsay qui travaillent là-dessus, dans plein de directions. Maintenant il y a un ambassadeur pour le numérique à la fois pour coordonner tous ces gens-là et pour, parfois, représenter la France dans certaines instances.
Pour lancer une perche pour la discussion qu’on va avoir avec vous, ce qui est peut-être intéressant, qui permet de boucler la boucle. Bien sûr un des sujets qui nous préoccupe tous, en tout cas les diplomates et d’ailleurs les gouvernements, c’est la souveraineté numérique européenne. Est-ce que l’Europe peut-être un continent pas esclave, qui ait de l’autonomie stratégique, qui puisse décider de protéger les données personnelles, qui puisse décider d’avoir une politique culturelle, etc. ? Pour faire ça, il faut avoir une sorte de puissance, d’autonomie, que nous appelons souveraineté. C’est dommage, le problème de ce mot c’est qu’il est un peu ambigu. Il y a des gens qui craignent, quand on dit souveraineté, que ça veut dire qu’on veut contrôler Internet. Bien sûr, quand les Russes, les Chinois ou d’autres disent « souveraineté », eux parlent de mettre Internet sous tutelle et nous disons non, nous voulons juste être libres dans Internet. Il y a aussi des gens qui se souviennent que trop souvent, en France, quand on a dit souveraineté c’était en fait du protectionnisme déguisé, c’était pour protéger et sauver des boîtes françaises. Là on dit non, c’est pareil, on ne parle pas forcément de sauver les canards boiteux qui ne vont plus bien. On parle juste d’avoir le choix. Ce qui, peut-être, pourra vous intéresser c’est qu’on a fait un gros travail, depuis deux/trois ans, pour convaincre les diplomates français, les diplomates des autres pays d’Europe, les commissions, que les communs numériques, que ce soit les logiciels libres, parfois l’open source, que ce soit les open data, que ce soit les grands modèles pour éduquer l’IA pour qu’elle comprenne le Français, que ce soit OpenStreetMap, Wikipédia et les autres, en fait c’est vraiment un levier de souveraineté.
Finalement, on était en train d’entrer dans un monde où il y avait des supers puissances incroyablement fortes, que parfois par commodité on appelle les GAFA, et les Européens se disaient toujours « mon dieu, on est menacés d’être écrasés par des monopoles, alors il faut faire des contre-monopoles aussi forts ». Je répète depuis trois ans que je suis Quai d’Orsay « vous savez, on peut aussi rêver d’un monde où il n’y a pas de monopoles du tout. Pour ça, chaque fois qu’il y a une ressource qui est un commun, personne peut vous en exproprier. En fait vous êtes plus libre ». Et c’est en train de prendre. On travaille à ce que pendant la présidence française de l’Union européenne, qui commencera au premier janvier prochain, la France essaye de porter une initiative pour que l’Europe reconnaisse que l’existence et la pérennité des communs est une partie intégrante de notre stratégie de souveraineté, ce n’est pas la seule. Il faut aussi de la sécurité, il faut aussi le service industriel, voire, c’est notre rêve – on y travaille, mais je ne peux rien promettre cet après-midi – que l’Europe s’organise pour être capable financer les communs qui en ont besoin. C’est nécessaire à leur pérennité.
Voilà. Jean-Christophe, j’ai peut-être trop parlé, je ne sais pas. Je suis sûr d’une chose c’est que j’ai donné 12 000 accroches possibles pour qu’on puisse lancer un débat.
13’ 12
Jean-Christophe Elineau : C’était très intéressant. Il y a déjà des gens qui lèvent la main dans la salle, notamment un certain Stéfane Fermigier, que tu connais forcément, du Conseil National du Logiciel libre.
Henri Verdier : Si vous saviez depuis quand je le connais et pourquoi ! C’était bien avant.
Jean-Christophe Elineau : Oui, tu le connais. Je vais le laisser prendre la parole. Je voulais simplement te dire, pour rebondir, qu’au B-Boost on a parlé de souveraineté numérique, on a parlé de communs, on a parlé de data, on a parlé de cyber, donc effectivement ces enjeux-là sont aujourd’hui absolument déterminants pour la suite de la souveraineté de l’Europe, la souveraineté de la France. Je passe tout de suite la parole à Stéfane qui veut échanger avec toi.
Public, Stéfane Fermigier : Merci. Henri, tu as évoqué l’Europe et tu as évoqué la présidence française qui commence dans deux mois, deux mois et demi. C’est un sujet qui nous intéresse et qui nous préoccupe. La Commission européenne a sorti, il y a deux ans et quelque, un document qui s’appelle « Think Open » et qui donne une stratégie open source pour la Commission, essentiellement pour les côtés internes à la Commission, les usages du logiciel libre au sein de la DigiConnect, donc essentiellement de la DSI de la Commission, avec plein de principes, plein de choses intéressantes, pas de politique industrielle, mais intéressant.
Tout récemment, la Commission a publié une étude économique qui montre tous les bénéfices que l’open source peut apporter à l’Europe, des gains de PIB, des gains en termes de création de startups et d’emplois et on pense que c’est aussi un élément à apporter au débat.
Et puis le député Philippe Latombe a sorti un rapport au début de l’été et il est intervenu hier au B-Boost pour confirmer qu’il voyait le logiciel libre comme l’un des piliers de ce qui pourrait être fait sur le sujet de la souveraineté numérique. J’ai aussi lu dans son rapport qu’il y a plus d’une dizaine, peut-être une quinzaine de propositions, qui concernent directement le niveau européen.
Ma question : dans le cadre de cette présidence française de l’Union européenne et aussi dans le cadre des différentes régulations qui sont en cours de négociation à Bruxelles, qu’est-ce que tu peux nous dire concrètement sur les intentions de la France et, en gros, comment ça va passer pour le Libre les six mois de présidence européenne ?
Henri Verdier : Malheureusement, je ne peux faire qu’une réponse partielle. Après on peut creuser, on peut aussi s’organiser entre amis pour aller creuser un peu plus. Il faut quand même que vous réalisiez que je suis au Quai d’Orsay, je m’occupe de relations internationales, donc je n’ai pas une vue sur l’ensemble des dossiers numériques de la présidence française. Par ailleurs, comme vous le savez, la Commission, fort heureusement, ne change tous les six mois, il y a des agendas européens qui sont portés par des commissions successives et puis la présidence peut, bien sûr, hâter les choses, en faciliter certaines, en ralentir d’autres et après elle fait un travail de mise en cohérence et de mise sur agenda.
Un des gros leviers d’action de la présidence française ce sera, par exemple, le levier de grands sommets européens qui sont quand même importants. Par exemple nous allons réaliser une réunion début février – le calendrier n’est pas encore officiel – des ministres des Affaires étrangères et des ministres de l’Économie numérique pour parler de souveraineté numérique européenne. Ça va durer deux jours, ce que je peux vous assurer c’est qu’on va vraiment creuser, avec des témoignages, cette idée que l’existence et la pérennité des communs est une partie intégrante de stratégie de souveraineté. Typiquement d’ailleurs, la même semaine où on fera ça, je sais que le ministère de la Culture et la déléguée à la langue française montent aussi un colloque à Lille sur le traitement automatique du langage, l’intelligence artificielle et la culture. J’en profite pour le glisser là, c’est peut-être moins ce qui vous intéresse, mais on va vraiment essayer de mettre profondément au cœur de l’agenda européen l’idée que si on n’éduque pas les IA dans toutes les langues de l’Europe on sera tous obligés, à la fin, de parler en anglais. Pour ça il faut des grands méta-modèles et il faut les financer. La même semaine aussi Amélie de Montchalin, à Strasbourg, fait un colloque plus des ministres de la Réforme de l’État pour parler de e-administration et là, pour le coup, je pense savoir qu’il y aura une large place accordée au logiciel libre dans l’État, l’open data, etc. C’est ce qui est dans mon radar, il y en a peut-être aussi d’autres. Je suis désolé de vous dire que moi aujourd’hui, à l’heure où je vous parle, je ne peux pas vous donner une vision d’ensemble.
L’inconvénient de ça, ça peut aussi laisser des petits trous. Je me suis retrouvé parfois, rarement avec Stéfane, plus souvent avec certains amis de Stéfane dans des micros polémiques parce que donner une priorité au logiciel libre ce n’est pas forcément, pour autant, faire une politique industrielle. D’ailleurs une politique industrielle n’est pas forcément une politique de souveraineté, parfois on se rejoint et parfois on peut laisser des trous dans la raquette.
Je n’ai pas envie de trop parler. Stéfane, peut-être as-tu envie de répondre sur ce que je viens de dire, pour que je reprenne après ?
Public - Stéfane Fermigier : Les informations que tu donnes viennent évidemment éclairer cet agenda dont on comprend qu’il doit se situer assez tôt dans le semestre compte-tenu du cycle électoral qui va bientôt commencer également. Évidemment on est, et tu viens de l’évoquer, très attachés aussi à l’idée de la mise en place d’une politique industrielle, que ce soit en France ou au niveau européen, et ça s’insère tout naturellement dans le cadre du débat sur la souveraineté numérique puisqu’on estime que sans un tissu industriel à la fois de grandes entreprises du numérique mais aussi de PME, de TPE, de spécialistes, de communautés, etc., il ne peut pas y avoir de souveraineté numérique.
Henri Verdier : Bien sûr. Je me permets parce que j’ai l’impression qu’on est en comité restreint et on se connaît bien. Avec Etalab, l’open data, la Dinsic, j’ai creusé une dimension qui me semble essentielle, j’ai beaucoup travaillé avec le Libre en disant il faut que nous-mêmes soyons aussi contributeurs et qu’on sache produire dans cette logique-là, ce qui veut dire pas seulement libérer des droits sur ce qu’on fait, mais bien documenter, partager nos codes sources d’une manière qui soit vraiment réutilisable, etc. Et puis je me suis un peu plus intéressé aux grands communs contributifs parce que j’avais à faire face à certains problèmes, je voulais me débarrasser de Google Maps, j’avais besoin d’OpenStreetMap, etc.
Mon vieux camarade de promo, Jean-Paul Smets, m’a souvent titillé d’abord en privé et ensuite sur Twitter en me disant tu n’as pas fait de politique industrielle ! En même temps j’étais le DSI de l’État, pas le ministère de l’Industrie. Pour moi il faut les deux, ça n’a rien d’incompatible. En revanche, ce ne sont pas forcément les mêmes administrations qui ont les équipes et les budgets pour faire les deux.
Peut-être, dans ce qui vous intéresse, avez-vous vu que Cédric O a confié une mission à Bruno Sportisse. L’avez-vous vu ou pas ? Je ne vous vois pas, quand je parle je ne vois pas s’il y a des approbations ou pas.
Jean-Christophe Elineau : Non.
Henri Verdier : Il a confié au directeur d’Inria une mission pour essayer de cartographier les briques libres qui sont absolument stratégiques pour l’industrie européenne. Très concrètement : est-ce qu’il nous faut un OS libre pour les téléphones portables, pour l’Internet des objets ? Dans leur tête ça devrait arriver à la définition d’une dizaine de briques très tactiques pour le coup, ce sont des questions d’ingénieur, ce ne sont pas des questions de politique. Quand je vais chercher OpenStreetMap, je fais aussi de la politique, je mobilise les citoyens.
J’espère qu’on arrivera à faire converger la mission Sportisse et ses conclusions et le travail que j’ai ouvert qui était plus sur la ligne de front des communs.
Il y a cette mission-là qui vient d’être donnée par Cédric O, dont on peut espérer des résultats assez intéressants. Si elle termine en disant « l’indépendance de l’Europe exige les dix logiciels suivants libres », je pense que ça donnera peut-être un peu plus satisfaction à ce qu’évoque Stéfane.
Jean-Christophe Elineau : Il y a des questions dans la salle. Je n’ai même pas encore passé mon déroulé. On va tout de suite interagir avec les gens qui sont dans la salle. Je voudrais commencer par te passer Vincent Bergeot d’OpenStreetMap.
Henri Verdier : J’espère qu’il ne va pas démentir ce que je viens de dire !
Jean-Christophe Elineau : Il ne démentira pas, il est aussi connu Vincent.
Public – Vincent Bergeot : Bonjour. Je m’interrogeais vraiment par rapport à la question du plan de soutien aux communs qui a été évoquée tout à l’heure. Je me demandais quelle est la pensée pour soutien aux communs par l’intention.
Aujourd’hui OpenStreetMap France, comme vous le devez le savoir, n’est absolument pas une structure qui fait de la presta, qui n’a pas d’envie de salariés, vraiment dans quelque chose qui est plutôt de l’ordre du lobbying. Je me demande comment soutenir un projet comme OpenStreetMap quand on est à l’endroit où vous êtes ? Qu’est-ce qu’on peut soutenir ?, et là je parle d’OpenStreetMap spécifiquement, c’est celui que je connais le mieux. Comment envisagez-vous un soutien à ce commun ? Ça peut-être communication politique et ainsi de suite, mais après ?
Henri Verdier : J’essaye de ne pas me limiter à la communication politique.
Public – Vincent Bergeot : Je sais. C’est pour ça que je voulais des pistes plus précises.
Henri Verdier : D’abord c’est parti justement comme ça. Un, j’ai essayé d’introduire dans le logiciel des diplomates l’idée que la souveraineté ce n’est pas que tenter d’opposer des monopoles aux monopoles existants et que ça pouvait être aussi distribuer différemment le pouvoir avec moins de domination, je le dis dans un registre très politique. Une fois qu’ils ont compris le truc, que c’était une autre orientation stratégique, celle qui s’assure que personne ne contrôlera le marché, ils ont adoré, ça a commencé à bouger. Après je me suis dit qu’l faut aller plus loin, qu’il faut joindre le geste à la parole.
Pour l’instant nous sommes dans une phase de mise sur agenda de ça. J’ai convaincu l’interministériel français, j’ai convaincu mes homologues dans quatre ou cinq pays d’Europe et je vois DigiConnect la semaine prochaine.
Justement, pour que ce ne soit pas que des mots, j’ai commencé par me dire que déjà si on avait un peu d’argent on pourrait aider de manière tactique quand les gens en ont besoin, ça serait peut-être bien, et on est assez grands pour comprendre qu’il ne faut pas que ce soit unilatéral et venant de l’État. J’ai commencé à dire qu’il faudrait faire une fondation pour gérer avec les grands commoners, pour que les règles de décision de où on met l’argent soit collectives et soient transparentes. Attention, je vous ne promets rien, je vous explique ce qu’on essaye de faire. Peut-être que dans six mois on se rendra compte qu’on s’est heurtés au mur du réel.
À la limite, à l’heure où je vous parle, je pense que ce n’est pas forcément très difficile d’arriver à trouver une cagnotte européenne de 100 millions d’euros pour pouvoir intervenir aussi de là.
On peut parler deux secondes d’OpenStreetMap. Je pense que de temps en temps vous pourriez être contents de pouvoir avoir plus de serveurs et on peut trouver une manière qui ne soit pas dominatrice de donner un coup de main. Ou alors il faut être intelligent, on décide qu’il faut des serveurs relais au moins pour les usages en Europe, je n’en sais rien.
Ce qui intéressant c’est que quand j’ai commencé à discuter avec les écosystèmes, j’ai vu qu’il y a aussi tous les communs émergents en fait, tous les gens qui sont en train de bâtir quelque chose qui a vocation à devenir un commun.
Si vous voulez je prends cinq minutes pour vous parler de l’Open Terms Archive. J’en fabrique un, j’essaye d’en fabriquer un, on verra si on y arrive et j’ai eu beaucoup de retours. Vous savez, quand on essaye vraiment de construire un commun, on se pose des questions incroyables : est-ce que si je prends le statut de fondation de droit européen je ne risque pas de faire perdre les exemptions fiscales aux entreprises françaises qui me donnent de l’argent ? Est-ce que je risque de perdre les grants américains ? Et à l’inverse, si je suis une fondation de droit américain, est-ce que je perds les subventions européennes ? J’ai vaguement l’impression, ça vient de conversations et on va continuer ces conversations, vous me direz si on se trompe, qu’il y a peut-être aussi la place pour une espèce d’incubateur des communs capable de donner de l’expertise technique, juridique et administrative. Au début on ne sait pas mieux que les autres, mais à force d’en aider un, puis deux, puis dix et de voir les problèmes des uns et des autres ! Il me semble qu’avec Cap Digital on avait par être utiles parce qu’il y avait une équipe de huit personnes qui passait sa vie à aider les startups. Au bout d’un moment son savoir de tout ce qui existait comme dispositifs d’aides était grand parce qu’elle avait vu les problèmes de milliers startups.
Je me demande s’il ne faut pas concevoir un truc qui soit à la fois un fond de soutien et une espèce d’équipe dédiée à trouver, dans les administrations nationales et européennes, l’expertise technique dont on a besoin.
Et tout ça est encore assez ouvert, notamment ouvert aussi aux bonnes suggestions, on est très preneurs d’idées. Dès qu’on aura eu le feu vert officiel pour porter l’idée, je pense qu’on ouvrira une phase de consultations ouverte. On va présenter le projet à l’Élysée dans 15 jours. Ils savent déjà, ils sont déjà favorables, mais j’attends le feu vert officiel pour le lancer.
Dites-moi tout de suite si vous pensez qu’on est en train de rater quelque chose ?
Public – Vincent Bergeot : Je ne prétendrais pas dire qu’on est en train de rater quelque chose. Je pense que ce sont des modèles qui sont justement complètement nouveaux dans les formats et je n’arrive pas à voir comment il peut y avoir des modalités classiques d’action, de soutien financier ou autre. J’entends les idées. Je pense aussi bien que les Local Chapter en Allemagne, en Croatie, en France et tout ça, c’est pareil, ce sont des structures non lucratives et ainsi de suite. Je ne suis pas sûr que ce soient les financements qui soient le meilleur endroit. En même temps comment trouver aussi d’autres structures peut-être effectivement de professionnels travaillant sur ces communs, en même temps sans tomber non plus dans l’alimentation d’entreprises classiques libérales.
29’ 08
Henri Verdier : Ni le patronising</em