L'open source, « contributeur » essentiel au GreenIT

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Titre : L'open source, « contributeur » essentiel au GreenIT

Intervenant·e·s : Agnès Crepet - Véronique Torner - Tristan Nitot - Richard Hanna - Cyrille Chausson

Lieu : Salon Open Source Experience - Paris

Date : 10 novembre 2021

Durée : 1 heure

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Quel est le maillon entre l’open source et le GreenIT ? C’est la question que nous nous poserons lors de cette table ronde.
Les principes de l’open source, à la fois communautaires et techniques, offrent la possibilité de réduire l’empreinte du numérique et d’agir directement sur les cycles de vie de la déferlante d’appareils digitaux ou encore sur les sensibilités éco-responsables et d’éco-conception. L’open source demeure un levier à activer, reste alors à identifier les bonnes pratiques.

Transcription

Cyrille Chausson : Bienvenue dans cette nouvelle table ronde. Aujourd’hui nous allons parler de l’open source, « contributeur » essentiel au GreenIT. À travers cette table ronde, on va essayer d’attirer un petit peu de la COP 26 vers nous.
Aujourd’hui, pour parler justement de cette association open source et GreenIT, j’aimerais aussi vous donner quelques chiffres, quelques statistiques.
D’abord un contexte un peu alarmiste parce que quand on parle de GreenIT c’est important de montrer qu’il y a aujourd’hui une forme d’urgence. Alors c’est quoi ? Quels sont ces chiffres ?
D’abord une étude du GIEC montre qu’en matière de réchauffement de la planète on est un petit peu en avance et c’est un gros problème, on a, en fait, dix ans d’avance pour atteindre ce réchauffement climatique de 1,5 degré et c’est une vraie urgence aujourd’hui. Nous allons voir, justement, comment l’open source compte résoudre ce problème.
Autre chiffre tout autant alarmiste, c’est un chiffre publié par le baromètre, le Benchmark Green IT 2021, greenit.fr. Il dit justement qu’aujourd’hui on a complètement explosé notre capacité à consommer des gaz à effet de serre en matière de numérique sur le bureau. On serait aujourd’hui à 27 % de cette part de gaz à effet de serre ce qui, aujourd’hui, est très important et cela montre que les entreprises ont vraiment du mal à baisser ce niveau.
Mais ce n’est pas que du négatif, il y a aussi du positif. Le positif c‘est notamment en matière de régulation. Le Sénat a adopté une loi, je crois que c’est début novembre, qui justement travaille à réduire l’empreinte environnementale du numérique. À travers les mesures il y a notamment une chose très importante qui est limiter le renouvellement des terminaux. C’est justement quelque chose qu’on va aborder aujourd’hui à travers cette table ronde.
Pour répondre à ces questions, j’accueille Agnès Crepet qui est directrice Software Longevity chez Fairphone.

Agnès Crepet : Bonjour à toutes et à tous.

Cyrille Chausson : J’accueille aussi Véronique Torner qui est cofondatrice d’Alterway et représentante de Planet Tech'Care.

Véronique Torner : Oui.

Cyrille Chausson : Tristan Nitot qui est le fondateur du podcast Octet Vert que vous connaissez tous, évidemment

Tristan Nitot : Bonjour.

Cyrille Chausson : Et bien sûr Richard Hanna qui est chargé de mission interministérielle Green Tech à la DINUM.

Richard Hanna : Bonjour.

Cyrille Chausson : Vous pouvez les applaudir.

Agnès Crepet : Il y a un fan ! Tristan Nitot : Ce sont quand même nos impôts ! C’est la DINUM.

[Applaudissements]

Véronique Torner : Où sont les fans d’Alterway, s’il vous plaît ?

Agnès Crepet : En fait il applaudissait tout le monde, c’est ça, tous les intervenants et intervenantes. Même pas, il dit non.

Tristan Nitot : Qui écoute l’Octet Vert dans la salle ?

Public : Moi.

Tristan Nitot : Les autres vous savez, octet comme mégaoctet et vert comme la couleur et ça fait un mauvais jeu de mots « Oh ! Que t’es vert », comme ça vous vous en souviendrez. Je me fais siffler !

Cyrille Chausson : Merci Tristan.

Tristan Nitot : C’est à but non lucratif, il faut le savoir, je me permets.

Cyrille Chausson : Puisque tu as la parole, est-ce que tu peux nous dire justement, pour bien comprendre ce qu’il y a comme leviers à activer aujourd’hui, car il faut bien comprendre où se situent les points d’urgence quand on parle de réduction de l’empreinte du numérique ?

Tristan Nitot : En fait, je vous encourage à aller lire une étude qui s’appelle iNum2020, qui a été faite par greenit.fr, dont je tire ce tableau que vous ne pouvez pas lire mais dont je vais vous parler. En fait le tableau lui-même est très intéressant.
Chez greenit.fr ils ont étudié où on produisait des gaz à effet de serre, où on consommait de l’énergie, de l’eau et des ressources abiotiques, en gros des minerais, dans le numérique. Ils ont divisé ça en trois tranches classiques : est-ce que c’est au niveau des terminaux ? Est-ce que c’est au niveau du réseau ? Ou est-ce que c’est au niveau des datacenters ? Pour chacun de ces trois postes, ils ont déterminé si c’est la partie la fabrication, parce qu’on a tendance à l’oublier, on ne la voit pas, ce n’est fabriqué en France, les minerais ne sont pas produits en France. On voit juste arriver des petites boîtes par avion ou par cargo, on sort un machin tout brillant qu’on utilise et on a oublié qu’en amont il y a toute la phase de fabrication. Et puis nous, en fait, nous ne voyons, éventuellement si on regarde, que la consommation électrique de ces choses-là. Ça, en fait, ça pose un vrai problème : ça nous rend aveugles face à tout le problème lui-même.
Quand on regarde de près cette étude iNUM 2020, on se rend compte que le gros des gaz à effet de serre – les gaz à effet de serre ne sont pas le seul problème, mais si on parle de réchauffement climatique ce qui est mon sujet, c’est là-dessus que je me focalise, mais il n’y a pas que ça, il y a aussi la consommation d’eau, la consommation de ressources abiotiques. Si on parle gaz à effet de serre, en fait on se rend compte que c’est la fabrication des terminaux qui fait la plus grosse production de gaz à effet de serre ; c’est énorme ! Sur l’ensemble des gaz à effet de serre, sur les 100 % de gaz à effet de serre produits, donc ce qui fait le réchauffement climatique de la planète, 76 % c’est la fabrication des terminaux. Le reste, du coup, en devient négligeable. On regarde, par exemple, les datacenters, eh bien la fabrication d’un datacenter c’est 2 %, donc on peut dire « il y a trop de datacenters », c’est vrai qu’un datacenter ça consomme beaucoup, ma is à côté de la fabrication des terminaux c’est peanuts.
Le deuxième plus gros poste c'est l’utilisation des terminaux et c’est seulement 8 %. Pour vous dire qu’on est très loin de la fabrication des terminaux.
Donc toute la problématique c’est ça : il faut faire durer les terminaux.
On parlait d’open source, c’est-à-dire plutôt de logiciel – pas que mais surtout du logiciel – et pourquoi je vous réponds les terminaux utilisateurs ? Parce que déjà il faut voir où est le problème, on sait qu’il est là, et ensuite voir comment l’open source peut aider à résoudre ce problème.
On va mettre les pieds dans le plat, désolé pour les camarades qui travaillent chez Microsoft, par exemple Windows 11 est une gabegie écologique hallucinante. Pourquoi ? Parce que Windows 11 exige du matériel dernier cri pour tourner et ça prouve bien qu’en gros si vous êtes un Microsoft Shop, vous êtes habillé Microsoft de pied en cap, vous avez un problème c’est que vous allez devoir tôt ou tard passer à Windows 11 et donc remplacer tout votre matériel. Là où l’open source lui, par exemple avec GNU/Linux, on sait faire tourner sur ces matériels, qui s’usent finalement très peu, des logiciels légers qui permettent de faire durer le matériel, donc cela réduit les émissions de gaz à effet de serre qui étaient le problème de départ.
J’ai été un peu long, mais il fallait.

Cyrille Chausson : Non. C’est bon. En même temps Windows 11 est un vrai sujet aujourd’hui d’actualité donc c’est important de le mentionner.
Véronique Torner, quant à vous les points d’urgence qu’il y a justement à résoudre sur ce problème de contexte écologique et de numérique ?

Cyrille Chausson : Je vais compléter ce que dit Tristan. Évidemment, je partage complètement ce que vient de dire Tristan. En fait il y a aussi une urgence qui est importante à intégrer c’est qu’on ne peut pas réussir aujourd’hui la transition écologique du secteur industriel au sens large sans numérique. Donc on a, quelque part, une équation qui est à résoudre : à la fois le numérique a une empreinte environnementale qui progresse de manière assez importante et, par ailleurs, on a besoin de beaucoup de numérique pour réussir la transition écologique. Donc on a cette équation à résoudre.
Vous allez me demander pourquoi a-t-on besoin de numérique pour aider à la transition écologique ? Parce que, aujourd’hui, on a besoin de collecter de la donnée. Le salon Open Source Experience est accolé au SIDO, on a besoin de beaucoup d’IOT, donc on a besoin de capter de la donnée, on a besoin de la stocker, on a besoin de la traiter et de la restituer, donc vous voyez qu’on a besoin d’outils numériques. Et si on faisait le bilan de l’empreinte environnementale du numérique à la fois du côté positif et négatif, clairement aujourd’hui, dans beaucoup de secteurs industriels qui sont fortement consommateurs de gaz à effet de serre et pas sur le sujet du numérique, le numérique est clairement positif dans son bilan.
Je peux prendre l’industrie de l’énergie, le retail, le transport, la construction, l’agriculture, le numérique va aider tous ces secteurs-là à baisser leur empreinte environnementale. Donc il y a cette urgence-là qui est majeure, il faut résoudre cette équation et le moyen de résoudre cette équation c’est de développer un numérique responsable et l’open source, on y vient, est une des briques du numérique responsable. En propre, il a des vertus qui sont, je dirais, positives, notamment par rapport au fait qu’on n’a pas besoin de renouveler régulièrement je dirais le software. Le fait que depuis très longtemps l’industrie de l’open source est très sensible à l’efficience, notamment sur des sujets énergétiques.
Il y a dix ans ça ne s’appelait pas Open Source Experience, ça s’appelait Solutions Linux et à Solutions Linux il y avait déjà des premières conférences sur le sujet numérique et environnement.

Cyrille Chausson : On comprend qu’il y a là deux sujets. Il y a à la fois un sujet technologique et un deuxième sujet qui est de la sensibilisation.
D’abord d’un point de vue technologique, Agnès Crepet, c’est complètement votre rôle. Là-dedans quel rôle a à jouer justement l’open source ?

Agnès Crepet : Je travaille chez Fairphone, une entreprise qui est connue pour faire un téléphone modulaire, durable, qui essaie de mettre sur le marché des appareils qui vont durer non pas deux ans, comme c’est le cas en moyenne aujourd’hui pour n’importe quel téléphone, mais plutôt cinq, six et potentiellement sept ans. Pour ce faire, d’un point de vue logiciel, on a évidemment besoin d’open source. Pourquoi ? Parce que si je parle des principales solutions logicielles dans le monde de la téléphonie – je ne parle pas d’Apple, parce que, du coup, je ne suis pas Apple – aujourd’hui on utilise Android, on pourra parler, si ça vous intéresse, des solutions alternatives à Android qui nous intéressent aussi mais sur lesquelles on n’a pas fait le choix d’aller en termes d’entreprise même si on soutient ces communautés-là. Donc aujourd’hui on fait un téléphone Android et, quand vous faites un téléphone Android, vous êtes pris entre Google – après m’être excusée auprès de Microsoft, je m’excuse auprès de Google, s’il y a des gens de Google ici – qui du coup, en termes de longévité, même si ça progresse un peu, ne va pas faire durer ses solutions Android, sa version 8 d’Android pendant dix ans. Donc si vous êtes un fabricant de téléphones, il va falloir trouver des solutions pour porter des versions récentes d’Android sur les téléphones que vous produisez.
Le problème du téléphone c’est que, du point de vue matériel, vous avez des composants, notamment les puces, qui ne vont pas supporter des versions récentes d’Android. Donc vous avez, si vous me permettez l’expression, le cul entre deux choses. Vous êtes entre votre puce qui a un support sur une période donnée, par exemple qui va supporter Android 4, 5, 6, 7 et va s’arrêter là et encore, quatre versions d’Android c’est beaucoup. Et puis vous avez Google qui vous dit « j’arrête de supporter cette version d’Android qui a sept ans, qui a cinq ans. » Il faut donc trouver des solutions pour pouvoir arriver à supporter des versions récentes d’Android sur un chipset qui n’est plus supporté et là, l’open source est crucial.
Vous avez des communautés comme LineageOS dans le monde d’Android qui sort, qui chip des versions d’Android récentes sur des puces qui sont anciennes. Chez Fairphone, on essaye justement de promouvoir ces solutions-là sur nos téléphones.
On a aussi des partenariats avec des entreprises comme eFoundation qui s’appuie sur LineageOS. On soutient des communautés Linux based comme PostmarketOS ou Selfishnet linux. Bref ! On essaye de supporter ces communautés-là parce que aujourd’hui sur la longévité logicielle, on n’a pas le choix dans le monde de la mobilité.
La Commission européenne a sorti une étude il y a un an, qui donne ce chiffre assez ahurissant : dans 20 % des cas de non-usage du téléphone, quand vous arrêtez d’utiliser votre téléphone, dans 20 % des cas c’est parce que le logiciel n’est plus supporté. 20 % vous pouvez vous dire que ce n’est pas beaucoup, mais si, c’est énorme ! Votre téléphone fonctionne, il est parfait, il n’y a pas d’écran cassé, la batterie est parfaite et vous arrêtez de l’utiliser parce que le logiciel a un problème, soit parce que Tik Tok ne fonctionne plus, soit parce que vous avez des mises à jour de sécurité à faire qui ne sont plus disponibles.
Je fais juste un petit aparté là-dessus. Je viens là de dire deux choses : la partie app, applications, et la partie OS. La partie applications est un problème à part entière. En fait, vous avez des applications qui vont elles-mêmes ne plus être compatibles avec la version d’Android, donc là je rajoute un niveau dans l’échelle de la complexité de maintenance et vous avez aussi la partie OS. Quand je dis que l’OS n’est plus maintenu c’est-à-dire que les security updates ne sont plus disponibles. Si j’en parle à mon père – je cite tout le temps mon pauvre père dans les conférences –, il peut me dire que ce n’est pas très grave ! Mais si c’est grave ! Les mises à jour de sécurité c’est c rucial, on ne lâche pas ça ! J’imagine que jhe parle à des gens qui connaissent le sujet : si votre appareil ne reçoit pas de mises à jour de sécurité ça veut dire qu’il est troué et que vos data sont mises à mal. Là on touche au problème de la vie privée, etc. On sait très bien que le téléphone est aujourd’hui le moyen privilégié des aspirateurs de données pour récupérer votre vie privée.
J’ai essayé de faire court.

Cyrille Chausson : On comprend aussi que confier tout le support et la maintenance, en fait la longévité de l’OS à des communautés et à l’intelligence collective qu’il y a derrière les communautés est essentiel à ce moment-là parce que ce sont elles qui vont finalement drainer tout cela et permettre que la durée de vie du téléphone soit allongée, ou du terminal, quel que soit le terminal d’ailleurs.

Agnès Crepet : Oui. Tout à fait. On s’est même appuyés sur cette communauté open source non pas que pour porter des solutions open source mais aussi pour nous aider à avoir le Stock Android sur le téléphone. Ce qu’on appelle le Stock Android c’est l’Android certifié. Quand vous êtes un producteur de téléphone, vous chipez Android et vous devez avoir une certification Android qui est donnée par Google ; ce sont 477 000 tests, qu’on appelle aussi ??? et la suite Google. Sur le Fairphone 2 qui est un téléphone qui va avoir six ans, on a porté Android 9, on a fini Android 10 qui va sortir dans pas longtemps, sur les 477 000 tests il y en avait quatre qui faillaient à la fin. À cause de ça on aurait pu échouer la certification et on aurait pu ne pas porter cette dernière version d’Android. Pour résoudre ces quatre bugs, on s’est aussi servis de la communauté, donc même sur des solutions non open source. Je considère Android comme pas complètement open source sachant que le core l’est quand même, IOSB.

Cyrille Chausson : Richard HAnna, vous êtes à la DINUM. Quel est votre sentiment sur cette question? Comment l’open source permet d’accroître cette longévité des terminaux ?

15’ 15

Richard Hanna : Je vais peut-être juste faire un petit historique puisque je me suis pris quelques baffes en 2018 avec la démission de Nicolas Hulot, le rapport du GIEC et aussi un rapport sur le numérique, le rapport « Pour une sobriété numérique » du Shift Project. Je suis un techos, un développeur, j’ai tout de suite proposé de développer un outil open source. Ça a abouti à Carbonalyser, une extension de navigateur qui permet d’avoir des éléments sur la navigation internet, finalement c’est très peu, en fait. Dès qu’on ne tient pas compte des impacts environnementaux de la fabrication des équipements dont parlait Tristan et dont parlait aussi Agnès, en fait c’est très peu, donc il faut inclure l’impact de la fabrication des équipements.
Ma première action c’était de développer des outils, un outil open source.
J’ai aussi lancé un podcast du coup, avant Tristan. Tristan ne l’a pas dit, mas il s’est beaucoup inspiré de « techologie ». Techologie c’est le podcast qui tente de lier technologie et écologie. Ça m’a permis de rencontrer pas mal de monde et d’aboutir à la DINUM. À la DINUM, en fait, on fait beaucoup de choses, on a notamment tout l’aspect open source qui est porté par Bastien Guerry qui était là hier. Tous les outils qui sont développés par la DINUM et par l’État sont bien sûr destinés, la plupart du temps, à être open sourcés. Depuis un an, un an et demi, je travaille sur le sujet numérique et environnement, numérique écoresponsable, Green Tech, il y a plusieurs noms. On est en train de porter à l’échelle de l’État, à l’échelle des administrations, d’abord les ministères, mais on échange aussi beaucoup avec les collectivités territoriales vraiment sur tous les sujets, l’achat. On a sorti un guide d’achats numériques responsables à destination des acheteurs.

Cyrille Chausson : On va y revenir un petit après.
Carbonalyser sera justement dans ce… ?

Richard Hanna : On a sorti une boîte à outils. On a identifié une dizaine d’outils principalement sur les aspects mesure, mesure d’une page web, mesure de la consommation du cloud, mesure aussi à l’intérieur du code, donc principalement des packages Python pour de l’intelligence artificielle là où ça demande beaucoup de ressources. Ça a été publié hier, justement à l’occasion de cet évènement Open Source Experience.

Cyrille Chausson : On va pouvoir y revenir également.
Tristan, du coup le rôle de l’open source, encore une fois, pour accroître cette durabilité ?

Tristan Nitot : Je crois que j’ai tout dit. Je veux bien y retourner.

Cyrille Chausson : Tout a déjà été dit ?

Tristan Nitot : Non, tout n’a pas été dit. Open source – je préfère dire logiciel libre, c’est mon côté stallmannien si vous voulez – fondamentalement c'est la liberté que ça donne aux utilisateurs qu’ils soient entreprises ou individus. En fait plutôt entreprises parce que, en entreprise, on a plus de moyens, on peut demander à des collaborateurs spécialisés de travailler sur ces sujets-là alors que quand vous êtes un individu, à moins d’en avoir la capacité technique, d’être un peu geek, développeur, c’est difficile, on a plutôt tendance à prendre des produits sur étagère.
La liberté c’est la liberté de choisir des outils qui vous correspondent le mieux. Typiquement, quand vous avez un terminal qui fonctionne – parce que globalement il faut être très clair, le silicium ça ne s’use quasiment pas, il n’y a pas de frottements, ça ne bouge pas, donc ça peut durer des années. Je crois que récemment ils ont envoyé dans l’espace un processeur qui avait genre 35 ans parce que c’était un PowerPC, pour ceux à qui ça rappelle quelque chose, qui était utilisé dans les premiers Mac, parce qu’il est super solide, il a 35 ans et il fonctionne encore. Si ça ne s’use pas, la problématique ce n’est pas tant de mettre un Windows 11 dessus, c’est plutôt de trouver un logiciel qui sait fonctionner sur du matériel de cette époque-là.
En tant qu’industrie on a un problème, on a un genre d’addiction, on est un peu des accros au crac mais chez nous ça ne s’appelle pas le crac, ça s’appelle la loi de Moore. La loi de Moore fait tourner l’industrie du numérique depuis 50 ans. Je vous la rappelle. C’est une loi qui a été observée – une loi empirique, ce n’est pas une loi physique – par Gordon Moore cofondateur d’Intel qui dit que la puissance d’une puce, d’un processeur ou d’une mémoire double, en gros, tous les 18 à 24 mois et ça depuis les années 60. C’est-à-dire qu’un développeur qui fait aujourd’hui son logiciel, ça « marchouille », ça se traîne un peu, mais bon, ça reste utilisable. Il sait que le temps que ça soit validé, distribué, etc., et sur l’ordinateur ou le smartphone de monsieur et madame Tout-le-monde, dans deux ans en gros, eh bien dans deux ans monsieur et madame Tout-le-monde auront une machine deux fois plus puissante, donc ce machin qui se  « traînouille » aujourd’hui va marcher à peu près correctement sur les machines de tout le monde. Ça fait donc 40 ans qu’on ne s’est jamais décarcassé à optimiser du code. Juste pour vous donner une idée, la taille d’une page web été multipliée par 115 en 15 ans. Est-ce qu’elles sont mieux ? Oui, les pages web d’aujourd’hui sont mieux que celles d’avant, généralement. Mais est-ce qu’elles sont 115 fois mieux ? Ce n’est pas sûr ! Word, Office et Windows nécessitent 60 fois plus de mémoire ou de processeur, je ne sais plus, et 150 fois plus de ??? ; des ordinateurs aujourd’hui plus de 100 fois plus puissants versus Windows 98. Est-ce que nos documents Word et Excel sont 100 fois mieux ? Vos documents Word, je suis sûr que non ! Ils sont mieux, on peut mettre des émojis. D’accord ! On peut mettre plusieurs langues, le correcteur grammatical est mieux. D’accord ! Mais est-ce que c’est vraiment 100 fois mieux ? Non ! C’est sûr que non. En fait on a fait une industrie de feignasses parce qu’on a été bercés par cette loi de Moore qui a été vachement pratique. Aujourd’hui on pourrait faire du numérique de façon beaucoup plus sobre si on prenait le temps d’optimiser les choses pour tourner sur des processeurs qui seront 20, 50 ou 100 fois moins puissants que ce qu’on a aujourd’hui.

Cyrille Chausson : Excuse-moi, Tristan. Je crois qu’Agnès voulait réagir par rapport à ça.

Agnès Crepet : Par rapport à ce que tu dis Tristan. Tu viens de dire, en début de ton talk, que 76 % des émissions de gaz à effet de serre sont dus à la production d’appareils. Si on veut faire durer ces appareils, parce que c’est quand même la clef aujourd’hui – on pourrait y revenir, mais, dans le monde de la téléphonie, il n’y a pas vraiment de R&D sur comment être meilleur sur la production de ces téléphones – donc si on veut les faire durer, ce serait la clef, du coup on aurait moins à les remplacer, mais le problème c’est que votre téléphone qui a cinq ans, quand vous lui installez une version récente d’Android, qu’est-ce qui va se passer ? Eh bien les concepteurs d’Android, désolée Google encore une fois, ne vont pas optimiser la conception de l’OS pour des vieux, pour des vielles puces, donc ça va ramer. C’est toute la problématique de cette approche, justement loi de Moore, etc., de toutes façons on présuppose que le processeur va être meilleur dans deux ans. Eh bien non, surtout sur les appareils. Si on veut qu’ils durent, il faut justement arriver à créer des solutions softwares qui soient durables et qui soient sobres.

Tristan Nitot : Au final, c’est quand même une problématique de gouvernance, de qui décide ce qu’on veut faire tourner et quelles sont les fonctionnalités qu’on rajoute. Si vous êtes dans une approche qui est propriétaire, où vous avez un Microsoft ou un Google qui décrète. En substance, les gens sont restés dans le monde d’avant et considèrent que la loi de Moore va continuer à s’appliquer, et il faut continuer à en profiter et il faut continuer à être dans un monde de feignasses ou bien on a des gens qui décident qu’il faut faire durer le matériel et ce n’est pas de la pingrerie, c’est simplement qu’on veut réserver un avenir pour l’humanité. Avec le logiciel libre on a cette possibilité de décider qu’on peut optimiser, qu’on veut optimiser, parce qu’on a la liberté, on a l’accès au code source, on optimise, donc on peut garder son matériel plus longtemps et on n’en a rien à cirer si Windows 11 exige [sa voisine lui touche le bras, NDT]… je termine ma phrase.

Cyrille Chausson : Richard un commentaire et ensuite véronique.

Richard Hanna : Je voudrais rapidement juste citer quelque chose qui m’a beaucoup marqué ces derniers temps, c’est la lecture d’Ivan Illich, un penseur de l’écologie politique et techno-critique qui disait que l’outil simple, pauvre, transparent est un humble serviteur ; un outil qui est élaboré, complexe, secret est un maître arrogant. Ça parle finalement de tout ce qui est low tech, tout ce qui est technologie appropriée, tout ce qui est open source. Effectivement l’open source c’est aussi ça. Peut-être qu’on parlera aussi de l’open hardware, en tout cas appliqué au logiciel libre c’est du code, du logiciel qui peut être critiquable, qui est transparent, qu’on peut aussi maintenir, réparable. Il y a effectivement des questions de gouvernance qui se posent aussi sur le monde de l’open source. En tout cas aujourd’hui on peut forker quoi qu’il arrive, on peut forker, on peut créer une copie et continuer le développement, un peu comme ce que tu fais Agnès, pour justement, encore une fois, réduire la contribution à l’obsolescence des équipements.

Cyrille Chausson : Merci. Véronique.

Véronique Torner : Trois éléments. On vient de partager quelque chose d’important, c'est de dire que dans la trajectoire de réduction de son empreinte environnementale sur le numérique, allonger la durée de vie de son matériel est un élément primordial, c'est une bonne pratique. On ne peut pas toujours à moment donné allonger ad vitam aeterman. Il y a aussi le remploi, je voudrais qu’on cite aussi cet élément-là et puis le recyclage qui est le dernier axe. C’est le premier point.
Deuxième point, on a parlé également quelque part, en sous-jacent, d’obsolescence logicielle, qui est plutôt aujourd’hui une obsolescence qui est programmée, qui est commerciale. En effet, il faut lutter contre l’obsolescence logicielle. Il y a aujourd’hui, au niveau européen, une réglementation qui est en train, je dirais, d’évoquer ces sujets-là. Je crois qu’en France, au Parlement, il y a eu un certain nombre de discussions sur l’obsolescence logicielle. Aujourd’hui elle est beaucoup sur des éléments de matériels électroniques qui ne touchent pas encore forcément le téléphone.

Cyrille Chausson : L’allongement des terminaux est vraiment inscrit dans la loi.

Véronique Torner : Tout à fait. Et puis le troisième point et je vais quand même un peu pondérer. C’est vrai que je l’ai dit en introduction, l’open source est une brique essentielle du numérique responsable, sur le sujet environnemental, mais on pourrait parler de sujets comme l’éthique, la transparence, la souveraineté. Évidemment il faut que l’open source réponde à des bonnes pratiques. Je veux quand même rappeler cet élément-là, c’est que tout l’open source ne répond pas à tous les bons critères, donc il faut bien développer en open source. C’est-à-dire que l’ADN de l’open source présente des caractéristiques importantes qui peuvent répondre à ces problématiques de numérique responsable, mais il faut quand même bien développer. Si on développe salement, l’open source ne résout rien.

Cyrille Chausson : C’est une vraie phrase !
Richard, vous avez évoqué tout à l’heure la boîte à outils, est-ce que vous pouvez nous en parler un petit plus s’il vous plaît ?

27’30

Richard Hanna : Je commence à évoquer rapidement. Il y avait le guide d’achats dédié aux acheteurs. On a un guide de bonnes pratiques qui arrive à la fin de l’année. On a aussi sorti un référentiel d’écoconception de services numériques. Je ne sais pas si on a le temps de citer quelques exemples de critères de ce référentiel, tu me diras.

Cyrille Chausson : On va prendre un petit peu le temps.

Richard Hanna : Je peux en citer quelques-uns avant d’arriver à la boîte à outils qui est notamment complémentaire à ce référentiel. Je vais vous en citer quelques-uns que j’ai notés, qui sont un peu en rapport avec l’open source.
Le référentiel est un ensemble de questions, 79 questions sur la réduction du numérique finalement, la réduction de consommation de numérique, la réduction de l’obsolescence des équipements. Vous trouvez tout ça sur ecoresponsable.numerique.gouv.fr. Il y a actuellement une consultation publique sur le référentiel, désolé je fais un peu ma pub, mais c’est de la pub pour l’intérêt général et c’est payé par vos impôts.
Trois critères sont aussi liés à l’open source : le service numérique est-il utilisable sur des terminaux datant de cinq ans minimum ?, très important pour réduire l’obsolescence des équipements. Le service numérique a-t-il été conçu avec des technologies standards plutôt que des technologies propriétaires ou spécifiques à une plateforme ou à un système d’exploitation ?, tu pourras peut-être nous en parler Agnès. Le service numérique garantit-il la mise à disposition de mises à jour correctives pendant toute la durée de vie prévue des équipements et des logiciels liés au service ? Pourquoi cette question ? Parce que parfois on a des services numériques liés à des équipements, à de l’IOT, qui sont supportés pendant deux ans, alors que l’équipement va durer davantage. En tout cas, on grave dans ce référentiel-là ce critère.
Le référentiel reste une démarche volontaire. Il n’y a pas aujourd’hui d’obigation légale. On aurait pu l’avoir dans la proposition de loi qui est passée. La loi qui est passée le 2 novembre est déjà très bien, c’est une grande avancée, tu en parlais tout à l’heure. On est vraiment en avance au niveau de la France par rapport à l’Europe sur ce sujet. L’Europe nous regarde de près sur nos sujets, à la fois sur l’indice de réparabilité, on n’en a pas encore parlé, l’indice de réparabilité sur les équipements, sur les smartphones, sur les ordinateurs, mais aussi sur les tondeuses à gazon, si vous en avez.

Cyrille Chausson : On a croisé de l’open source dans les tondeuses à gazon.

Richard Hanna : Oui ! Ce n’est pas un sujet qui m’intéresse. Je te fais confiance.
La boîte à outils qu’on a sortie est effectivement une boîte à outils dans laquelle on a listé les outils qu’on connaissait. Ce sont des logiciels libres, parce que ça peut être open source et pas libre. C'est un ensemble d’outils qui permettent à la fois de mesurer une page web, du code, etc. On a voulu donner différents indicateurs pour différents profils, parce que c'est tout public : est-ce que c’est plutôt profit développeur ? Est-ce que c’est de la sensibilisation ? Est-ce que c’est de l’intelligence artificielle ? Toutes sortes d’outils qui peuvent aider les équipes. C’est complémentaire au référentiel général d’écoconception pour mesurer telle ou telle pratique avec parfois des indicateurs environnementaux, parfois non. Ça peut être des indicateurs de performance. Faute de mieux on s’est basés juste là-dessus.

Cyrille Chausson : Véronique, je crois que vous voulez ajouter quelque chose.

Véronique Torner : Je voudrais compléter. Ce que dit Richard est important. On a parlé beaucoup de l’open source embarqué dans des solutions logicielles. Là, en fait, tu parles d’une boîte à outils qui permet notamment de mesurer, à un moment donné, son empreinte. Je trouve que c’est aussi un point important, c’est la valeur de l’open source, parce que déployer des outils en open source qui permettent de faire de la mesure permet aussi d’accélérer actuellement la trajectoire des entreprises. C’est compliqué aujourd’hui, pour une entreprise, de faire une mesure de l’empreinte environnementale sur le volet numérique. C‘est donc important d’avoir des outils en open source, ça permet d’ouvrir plus grandement l’accès, en fait, à la mesure.
Il y a un autre sujet qui fâche un petit peu, ce sont les données. Quand vous voulez faire une mesure d’empreinte environnementale, vous avez besoin d’avoir des données qui permettent de faire des conversions, à un moment donné, sur ce que vous êtes capable de mesurer, puis de pouvoir le convertir en équivalent CO2 si on veut parler des gaz à effet de serre. Il y a aussi il y a un sujet concernant les données, sur lequel il faut travailler aujourd’hui pour que ces données soient en open data, ce qui permet au plus grand nombre d’accéder. Ce n’est pas forcément le cas. Aujourd’hui beaucoup d’outils ne sont pas en open source et payants et beaucoup de données, aujourd’hui, ne sont pas en open dataet payantes. Donc nous œuvrons. Chez Numeum nous avons notamment a développé un programme qui s’appelle Planet Tech'Care, dont la mission interministérielle de la DINUM est partenaire. Aujourd’hui il y a 23 partenaires du monde associatif. Vous allez retrouver des gens comme l’ADEME, vous allez donc retrouver la mission interministérielle de la DINUM, vous allez retrouver des gens comme The Shift Projetc, l’INR, greenit.fr, des noms qui ont été cités. Tous ces gens-là sont fédérés autour de Planet Tech'Care et mettent gratuitement à dispositions leurs contenus. Si vous êtes des entreprises, là dans la salle, vous pouvez venir entrer dans la communauté Planet Tech'Care, c’est gratuit. Vous avez quand même à signer une charte qui dit que vous avez envie de réduire votre empreinte environnementale et, une fois que vous êtes dans cette communauté, vous avez accès tous les mois à des ateliers, gratuitement, qui vous permettent de monter en compétence sur le sujet du numérique et environnement.

Cyrille Chausson : Je me permets, on est vraiment dans l’acculturation cette fois-ci. On est rentré dans la deuxième vague après la technologie qu’on a largement balayée, on entre dans la deuxième phase, sensibilisation et acculturation et c’est le rôle de Planet Tech'Care.

Véronique Torner : Je voulais dire que c’est vraiment important : l’objet open source est aussi intéressant sur ce sujet d’acculturation. Le fait de mettre à disposition des outils en open source facilite aussi l’acculturation. Donc oui, le sujet de l’acculturation est un sujet important. Quand vous discutez aujourd’hui avec des entreprises, le sujet de la mesure de l’empreinte environnementale du numérique est un sujet qui n’est pas connu, pas bien compris. C’est vrai que ce que fait par exemple Tristan sur Octet Vert est important parce que ça permet de sensibiliser, de mieux comprendre la problématique. Et puis des initiatives comme Planet Tech'Care permettent de partager des retours d’expérience. Vous avez à la fois des sachants qui sont toutes ces associations qui sont membres, mais vous avez aussi toute une communauté. Aujourd’hui on n’est pas très loin de 500 signataires qui chacun peuvent aussi partager, chacun, leur retour d’expérience.
Le sujet de l’acculturation est important parce que si on veut passer à l’échelle il faut qu’on soit en capacité de bien comprendre la problématique, être en capacité de la mesurer et ensuite de la réduire.

Cyrille Chausson : Agnès, je crois que vous avez aussi des travaux en matière de sensibilisation actuellement en cours.

Agnès Crepet : Je voulais dire que Fairphone, à la base, n’est absolument pas une boîte. L’histoire c’est vraiment un collectif de gens néerlandais qui essayent de changer l’industrie électronique à la base, avec le fait de dénoncer l’utilisation des minerais dits de conflit dans les appareils. Cette éthique-là a toujours suivi, ce qu’on essaye de faire même aujourd’hui, en open source aussi. Je n’en ai pas parlé, mais dans l’histoire première de Fairphone il y a aussi cette ambition d’arriver à utiliser des minerais fair trade, sans financement des conflits armés et sans travail d’enfants. Pour essayer de favoriser le fait que d’autres producteurs de téléphones, d’autres producteurs d’industrie électronique utilisent les mines fair trade, sans travail d’enfants ou sans financement des conflits armés, on publie la liste des partenaires avec lesquels on bosse. Parfois, pour ouvrir une mine de cobalt fair trade, ça nous prend quatre ans. On espère que d’autres industries vont utiliser ces partenaires-là. Tout est open sourcé. Vous allez sur le site de Fairphone, vous tapez List Suppliers for the Fairphone 2, vous trouvez la liste. C’est vachement important de lever le voile sur la supply chain de l’industrie électronique pour essayer de la changer et de la rendre plus responsable.
On est sur une table ronde qui s’appelle GreenIT, mais, je fais un petit passage là-dessus, il y a des problématiques environnementales, mais il y a un sacré paquet de problématiques sociétales. Allez visiter une mine en Afrique ou Asie, c’est plein de gamins, il y a des mafias partout, etc. et évidemment que c’est aussi un problème essentiel pour le respect des normes environnementales. Généralement, quand vous êtes sur une mine de cobalt tenue par des mafias et que vous arrivez avec votre drapeau green c’est compliqué d’arriver à les faire travailler différemment. Les problématiques sociétales et sociales, derrière le numérique, sont aussi essentielles à soulever. Je sais que ce n’est pas le thème de la table ronde, mais en général je suis bonne pour toujours rappeler ce sujet même si on ne veut pas en parler.

Cyrille Chausson : Ce n’est pas complètement le thème de la table ronde, mais c’est un thème open source. Quand on parle de cette lisibilité de la chaîne de valeurs, lisibilité de la supply chain, on parle de transparence, on est dans la transparence et la transparence est un des principes mêmes de l’open source, pas uniquement sur la lisibilité du code, mais la lisibilité des processus de développement, la lisibilité du processus de création derrière, donc c’est aussi important.

Agnès Crepet : Oui. Et puis on pense vraiment que c’est justement en expliquant les exactions environnementales sociales, les problématiques qui existent derrière l’industrie électronique, qu’on va arriver à créer un numérique différent. C’est en expliquant aux gens, aux utilisatrices, aux utilisateurs, comment ça se passe derrière la supply chain qu’on va pouvoir essayer de convaincre les personnes de ne pas changer leur téléphone tous les ans. À bon entendeur !

Cyrille Chausson : On a entendu ! Richard, justement l’intelligence collective à la DINUM, est-ce que c’est aujourd’hui quelque chose sur lequel vous travaillez ? On vient justement d’évoquer cette partie-là.

Richard Hanna : Déjà c’est une mission interministérielle, je ne l’ai pas dit, désolé, c’est à la fois copiloté par la DINUM et par le ministère de la Transition écologique. Notre périmètre ce n’est pas DINUM, c’est l’État. Aujourd’hui on a un référent dans chaque ministère et on travaille sur un plan d’action. On a des ateliers chaque semaine avec tous nos référents ministères. On prépare un plan d’action sur 2022, parfois même sur trois ans, 2022/2024, sur la réduction de l’empreinte environnementale du numérique. Le premier sujet qui nous vient c’est réduire les messages, supprimer les messages, OK, les mails, etc.
Après discussion, après réflexion avec tous nos référents, on va bien sûr sur l’allongement de durée de vie des équipements, sur réduire le gaspillage, il y a énormément de gaspillage même au sein de l’État. On dit qu’on n’a pas forcément les moyens, eh bien si, il y a les moyens, on a les équipements, etc., mais on en a trop. Parfois on a des téléphones pros dont on ne se sert pas. Donc ne pas systématiser forcément la mise à disposition de téléphones pros, notamment mutualiser les ressources. Il y a toute la doctrine cloud de l’État sur laquelle la DINUM a planché aussi. Il y a vraiment un souci de mutualiser les ressources, réduire les ressources finalement. Peut-être citer aussi est un des mantras qu’on utilise, ce sont les cinq « r » du zéro déchet : refuser, réduire, réemployer, recycler et finalement rendre à la terre. Pour notre sujet, rendre à la terre c’est open sourcer, c'est documenter la démarche, donc rendre aux communs d’autant plus que c’est payé, encore une fois, par les impôts.

Cyrille Chausson : On est très sensible merci.

Agnès Crepet : Je rajouterais juste un truc si c’est possible. Cyrille, tu m’as dit que je pouvais donc je prends la liberté de le faire.
Sur ces problèmes de sensibilisation et sur ce pourquoi c'est important d’essayer de promouvoir par l’open source des solutions pour sensibiliser les utilisatrices et les utilisateurs, je prends l’exemple du Minitel. Le Minitel c’était une solution française, gérée principalement par le gouvernement, avec un réseau de techniciens dans chaque ville et un réseau d’utilisateurs et utilisatrices qui étaient aussi capables de comprendre comment ça marchait. La maintenance du Minitel était déléguée au gouvernement de l’époque, mais il y avait une volonté, à l’époque, de pouvoir rendre les tutoriaux de réparation disponibles, ce qui, aujourd’hui, n’existe quasi plus. Je ne dis pas que le Minitel était une solution technologique incroyable, mais la gouvernance de ce produit-là était assez intéressante. Aujourd’hui, une des clefs de l’indice de durabilité, par exemple au niveau du ministère de la Transition écologique, c’est d’arriver justement à convaincre les fabricants d’appareils électroniques à rendre disponibles les tutoriaux de réparation, allonger la disponibilité de pièces détachées, non pas pour que chacun et chacune mais n’importe quelle personne puisse déléguer à un réparateur local la réparation de son appareil.

Cyrille Chausson : Tu ne serais pas en train d’aborder l’open hardware, finalement ? Est-ce que ça ne serait pas ça l’une des clefs.

Agnès Crepet : Pour moi l’open hardware c’est un petit peu différent dans le sens où là je parlais plutôt de réparation, promouvoir la réparation des appareils. Comment ça se passe ? À travers la diffusion des tutoriaux et la disponibilité des détachées.
L’open hardware c’est un petit peu différent. Dans le monde de la téléphonie, c’est triste à dire, mais ça n’existe quasi pas.
Une boîte américaine, que j’aime beaucoup, qui s’appelle Purism, fait un téléphone qui s’appelle Librem dont je suis très fan. Fairphone travaille un peu avec eux, mais eux sont les vrais avant-gardistes, on a besoin de gens comme ça. Qu’est-ce qu’ils ont fait pour pouvoir faire un peu d’open hardware dans leur téléphone ? Ils ont embarqué un chipset du monde des avions, de l’aéronautique, donc leur téléphone est assez épais. Aujourd’hui il n’y a pas de puce électronique open, ça n’existe pas. Ces gens-là essayent d’open sourcer les designs de leur mother board, de leur carte mère, etc., c’est très bien, mais sinon ça n’existe pas. On est dans un monde de brevets. On est dans un monde où on vend des puces nouvelles tous les six mois quand on est fabricant de puces, donc c’est très compliqué. Tout n’est pas négatif. Il y a des gens comme Purism qui font, de mon point de vue, des choses exceptionnelles. J‘espère que des gens, aux US, achèteront leur téléphone. On a aussi quelques promesses avec des architectures de puces différentes, on est principalement sur de l’ARM, il y a ??? qui arrive aujourd’hui . Il y a des choses qui se passent en open source, mais on est loin de ça aujourd’hui. Vous regardez les téléphones ou même d’autres types d’appareils en circulation, il y a très peu d’open hardwareaujourd’hui. Pour moi c’est une des clefs. On n’est pas du tout là-dessus avec Fairphone parce qu’on est une toute petit boîte, on est 100 employés ; dans mon équipe on est 15 ingénieurs, donc autant vous dire qu’il faut choisir un peu nos batailles. Par contre oui, c’est une clef pour les problèmes de durabilité. Mais on n’est pas Apple, on ne peut pas encore fabriquer nos puces !

Cyrille Chausson : On a parlé de mesure tout à l’heure, c’est quelque chose d’essentiel. On ne peut pas contrôler si on ne mesure pas, grosso modo, c’est un peu ça l’idée.
Tristan Nitot, est-ce que vous avez des recommandations justement pour cette mesure et ces évaluations ? Quelle métrique de notre côté, nous, pouvons-nous utiliser pour prendre conscience et éventuellement aller vers l’open source ?

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Tristan Nitot : Un mantra du management