Émission Libre à vous ! du 5 octobre 2021
Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 5 octobre 2021 sur radio Cause Commune
Intervenant·e·s : Vincent Calame - Bernadette - Armony Altinier - Véronique Bonnet - Frédéric Couchet - Isabella Vanni - Étienne Gonnu à la régie
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 5 octobre 2021
Durée : 1 h 30 min
Podcast PROVISOIRE de l'émission
Page des références utiles concernant l'émission
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Déjà prévue
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription
Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Isabella Vanni : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
L’accessibilité en informatique, c’est le sujet principal de l’émission du jour avec également au programme la chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame sur le thème « Mon code n’est pas propre » et aussi la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet sur le thème « Logiciel libre et autonomie ». Nous allons parler de tout cela dans l’émission du jour.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April.
Le site web de l’April est april.org, vous pouvez y trouver une page consacrée à cette émission avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter. N’hésitez pas à nous faire des retours et à nous poser toute question.
Nous sommes le mardi 5 octobre 2021, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission ce jour, mon collègue Étienne Gonnu. Bonjour Étienne.
Étienne Gonnu : Salut Isa.
Isabella Vanni : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame, bénévole à l'April, sur le thème « Mon code n'est pas propre »
Isabella Vanni : Nous allons commencer par la chronique « Jouons collectif » de Vincent Calame. Aujourd’hui sur le thème « Mon code n'est pas propre ». Vincent est avec nous au studio. Bonjour Vincent. À toi la parole.
Vincent Calame : Bonjour Isabella.
Cette chronique est peu le prolongement de l’échange que j’ai eu avec Frédéric à la fin de ma chronique précédente. Lors de cet échange, nous avions évoqué le travail d’importation des anciennes émissions du site de l’April vers le nouveau site de Libre à vous, travail pour lequel j’avais écrit un script, c’est-à-dire quelques lignes de code informatique. Quelques jours après, Frédéric Couchet m’a demandé de lui transmettre ce script pour faire l’importation des toutes dernières émissions de septembre et je lui ai alors demandé si c’était pour un usage ponctuel, en attendant le basculement définitif vers le nouveau site, ou si c’était pour un usage pérenne. Comme nous étions dans le premier cas, un usage temporaire, j’ai lui ai fait une remarque, je cite « Ça m'arrange, il faudrait que le programme soit un peu plus propre avant de te le transmettre ». C’est alors qu’il m’a posé la question à l’origine de cette chronique : « « plus propre » dans quel sens ? »
Isabella Vanni : Si on a du code qui n’est pas propre, cela voudrait dire qu’on a du code sale ?
Vincent Calame : Effectivement, l’opposition propre/sale est la première qui vient à l’esprit, mais je ne pense pas qu’on puisse parler de « code sale » comme il y a de l’argent sale. En réfléchissant aux images que m’évoquait cette expression « pas propre », que j’utilise souvent, je me suis aperçu que je la liais au monde de la petite enfance. En effet, on dit d’un bambin qui porte encore des couches qu’il « n’est pas encore propre » ! On ne dit pas qu’il est sale ! C’est un stade normal dans notre croissance, nous sommes tous passés par là. En revanche, un enfant doit être « propre » pour entrer à l’école maternelle ; la fin des couches est une étape importante dans la vie d’un enfant et aussi, d’ailleurs, dans celle des parents…
Donc, si on me permet de comparer l’évolution d’un code informatique à celui d’un enfant, « ne pas être propre » est un état normal pour un code qui vient de commencer à être rédigé. L’équivalent à l’entrée à l’école maternelle pour du code, c’est sa diffusion à d’autres personnes que celle qui l’a créé. C’est pourquoi il faut qu’il soit « propre » à ce moment-là. C’est évidemment encore plus vrai pour du logiciel libre dont la vocation est d’avoir la diffusion la plus large possible.
Isabella Vanni : Qu’est-ce qu’un code « propre » ?
Vincent Calame : Je vais prendre un exemple concret pour illustrer cette idée en espérant que cela passe bien à la radio.
Pratiquement tous les codes informatiques ont besoin, à un moment ou à un autre, de manipuler des fichiers présents sur le disque dur de l’ordinateur, pour les lire ou les écrire. Pour accéder ces fichiers, le code informatique doit avoir l’information de leurs chemins complets, c’est-à-dire leurs positions dans l’arborescence des dossiers de l’ordinateur. Il faut pouvoir dire en langage informatique ce qu’on dirait en langage humain : lis le fichier « Bidule » qui se trouve dans le dossier « Truc » qui se trouve dans le dossier « Mes documents » de mon compte utilisateur. La façon la plus rapide et la plus simple est d’indiquer ce chemin complet tel quel à un endroit du code, c’est ce qu’on appelle « coder en dur ». On voit le problème : si le code est transmis à une autre personne, pour que ça marche sur son poste, il faut que le fichier soit exactement au même emplacement, même dossier, même arborescence, ce qui, dans le cas de mon script, était compliqué puisque le chemin complet comprend mon nom, à moi, d’utilisateur. Bien sûr, Frédéric n’aurait eu qu’à ouvrir mon fichier de script et modifier ce chemin « en dur » directement pour que cela fonctionne. La manipulation n’était pas énorme, mais elle restait tout de même source d’erreurs. Sans compter qu’en cas de mise à jour du script – si par exemple je lui envoie une nouvelle version –, les modifications faites « en dur » sont perdues et doivent être refaites.
Isabella Vanni : Un code « pas propre » est donc un code difficile à transmettre ?
Vincent Calame : Oui. Voilà. C’est un code qui fonctionne sur une machine particulière, dans un environnement particulier, mais qui n’a pas été testé dans d’autres contextes. Cela va de pair avec le fait qu’un code « pas propre », toujours entre guillemets je précise, répond souvent à un besoin spécifique, mais est compliqué à faire évoluer pour répondre à une nouvelle demande.
Pour filer la métaphore avec l’enfance, on pourrait parler des « maladies infantiles » du code. Ce ne sont pas des maladies graves, tout code doit en passer par là dans la construction de son système immunitaire. D’ailleurs, prétendre faire un code « propre » d’entrée de jeu est souvent une perte de temps car si le script n’est pas destiné à durer, à quoi bon dépenser de l’énergie pour avoir tout bien carré dès le départ. Trop de rigueur initiale peut brider la créativité et la souplesse. Et puis cela veut dire aussi que l’on sait dès le départ où on veut arriver, ce qui est rarement le cas en informatique, y compris pour des petits scripts.
Donc la prochaine fois qu’un codeur vous parle d’un code « pas propre », imaginez-le lui changer des couches ou lui apprendre à aller sur le pot, vous ne serez peut-être pas si loin de ça de la réalité.
Isabella Vanni : Merci beaucoup Vincent pour cette chronique. Une petite expérience personnelle : parfois, dans un langage encore plus familier, j’ai entendu « crade » au lieu de « pas propre ». Mais la métaphore des enfants et des couches est vraiment très claire, très pertinente. Merci beaucoup et je te dis à la prochaine chronique « Jouons collectif ».
Vincent Calame : À la prochaine Isabella.
Isabella Vanni : Nous allons maintenant faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Isabella Vanni : Pour cette première pause musicale nous allons écouter un morceau instrumental de Mel-P, un groupe de Le Mans. Le morceau débute avec un style plutôt funky, le refrain vire vers un rock qui rappelle la musique grunge des années 90 et ça se termine par une partie clairement metal, donc plusieurs styles dans le même morceau, c’est assez rigolo.
Nous allons écouter Fabulous Neo-Plastic Kaotic par Mel-P et on se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Fabulous Neo-Plastic Kaotic par Mel-P.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Fabulous Neo-Plastic Kaotic par Mel-P, sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA 3.0. Cette licence permet la réutilisation, la modification, la diffusion, le partage de cette musique pour toute utilisation, y compris commerciale, à condition de créditer l’artiste, d’indiquer la licence et d’indiquer si des modifications ont été effectuées. Dans le cas où vous effectuez un remix, que vous transformez ou créez du matériel à partir de cette musique, vous devez diffuser votre musique modifiée dans les mêmes conditions, c’est-à-dire avec la même licence.
C’est notre ami benj qui nous avait proposé le groupe Mel-P pour une pause musicale, merci à lui. Je vous rappelle d’ailleurs que vous pouvez vous aussi nous proposer des musiques, la seule condition c’est qu’elles soient sous licence libre comme la Creative Commons Partage dans les mêmes conditions dont je viens de vous parler, la Creative Commons Attribution ou encore la licence Art Libre.
[Jingle]
Isabella Vanni : Passons maintenant au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Accessibilité informatique et Web
Isabella Vanni : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur l’accessibilité en informatique. Le sujet a été enregistré il y a quelques jours. Nous allons écouter ce sujet enregistré et on se retrouve après.
[Virgule sonore]
Isabella Vanni : Bonjour. Je suis Isabella Vanni, coordinatrice vie associative et responsable projets à l’April. Nous sommes le jeudi 30 septembre 2021 et nous enregistrons un sujet à l’avance, c’était la condition pour faire intervenir nos personnes invitées. Nous allons parler d’accessibilité informatique et web et nous allons le faire avec Bernadette, de l’association ACIAH, au téléphone. Bonjour Bernadette.
Bernadette : Bonjour.
Isabella Vanni : Et Armony Altinier de la société Koena qui intervient, elle aussi, au téléphone. Bonjour Armony.
Armony Altinier : Bonjour Isabella.
Isabella Vanni : Notre échange sera normalement diffusé en direct le mardi 5 octobre 2021. Nous allons commencer notre échange. Comme je vous ai annoncé mes deux invitées interviennent à distance donc Bernadette, Armony, si vous souhaitez intervenir à un moment mais que vous n’avez pas la parole n’hésitez pas à m’appeler, Isa, pour que je vous donne la parole.
Pour commencer, je vous invite à faire une courte présentation en précisant notamment votre rôle dans votre structure. Bernadette, veux-tu commencer ?
Bernadette : Bonjour. Je suis initiatrice et secrétaire générale de l’association ACIAH, ce qui veut dire Accessibilité, Communication, Information, Accompagnement du Handicap.
Isabella Vanni : Merci Bernadette. Et Armony ?
Armony Altinier : Je suis la fondatrice et dirigeante de Koena qui est une société spécialisée en accessibilité numérique et je m’appelle Armony Altinier.
Isabella Vanni : Merci.
Vos organisations s’occupent toutes les deux d’accessibilité. Pourquoi avez-vous décidé de vous occuper de cet enjeu, de vous investir dans ce domaine ? Qu’est-de qui vous a poussées, qu’est-ce qui vous anime ?
Bernadette : Nous avons décidé de nous occuper des personnes dont personne ne veut, c’est-à-dire des personnes aveugles, celles qui n’ont qu’une main, une maladie de Parkinson, peut-être une déficience mentale, ou des personnes âgées en situation de DMLA, c’est à-dire dégénérescence maculaire liée à l’âge. Ce sont des personnes qui n’iront jamais dans les structures de formation et qui ont cependant besoin d’accéder au numérique.
Isabella Vanni : Merci Beaucoup Bernadette. Armony, qu’est-ce qui t’anime, qu’est-ce qui t’a poussée à t’occuper de cette problématique ?
Armony Altinier : C’est très différent. Je n’ai pas vraiment décidé au départ de m’investir dans l’accessibilité numérique. Je suis moi-même handicapée, j’ai une maladie chronique qui s’appelle le syndrome d'Ehlers-Danlos. J’ai eu un diagnostic très tardif. C’est arrivé progressivement au cours de mes études et, à un moment donné, je ne pouvais plus utiliser, je ne pouvais plus marcher, j’ai passé dix mois alitée sans savoir si je remarcherai, je ne pouvais pas toujours utiliser mes mains et, du coup, l’informatique est devenue vitale. C’est là aussi que j’ai découvert les problématiques d’accessibilité numérique, tout ne marchait pas au clavier. C’est en fait vraiment mon handicap qui m’a amenée sur ce sujet-là. Ce n’était pas vraiment un choix particulier au départ.
Isabella Vanni : Merci.
J’ai dit en introduction qu’on allait parler d’accessibilité informatique et web, mais on entend souvent aussi parler d’« accessibilité numérique » et il y a aussi une autre expression « technologie d’assistance » qui est très utilisée. Je pense que ça peut être utile de donner une définition de ces différents termes pour que notre public puisse mieux se retrouver. Armony, puis-je te laisser expliquer les différents termes que je viens d’énoncer ?
Armony Altinier : oui, bien sûr.
Accessibilité numérique c’est le terme qui tend à englober le reste, c’est-à-dire accessibilité web, accessibilité informatique qui est quelque chose de plus général, plus générique, et c’est à distinguer de technologie d’assistance, même si ça a un but commun. Pour faire une comparaison, une technologie d’assistance c’est un dispositif, logiciel ou matériel, qui va aider une personne handicapée à compenser sa situation de handicap. Dans le monde physique on peut prendre l’exemple du fauteuil roulant. Les personnes qui fabriquent des fauteuils roulants participent à l’accessibilité d’assistance en mettant à disposition des personnes handicapées, de manière très spécialisée, des outils qui sont adaptés à une situation en particulier.
L’accessibilité numérique c’est quelque chose d’assez codifié, qui est normé, il y a des définitions même au niveau de la loi, c’est l’autre côté. C’est-à-dire que si j’ai un fauteuil roulant et qu’il y a un escalier, je ne pourrai pas l’utiliser. Donc on est du côté accessibilité numérique c’est-à-dire accompagner les gens qui fabriquent des logiciels, des sites web, des applications mobiles ou que sais-je à faire en sorte de prendre en compte, dans leur conception et dans leur façon de développer, les normes et les besoins des personnes handicapées qui, elles-mêmes, sont dotées de ces technologies d’assistance pour que ça fonctionne. C’est en gros, pour continuer l’analogie, c’est il faut mettre une rampe, il faut élargir les portes, voilà.
Donc dans le numérique il y a quatre grands principes qui sont qu’il faut que l’information soit :
conçue et développée de manière à ce que ce soit perceptible à la fois au niveau visuel et auditif ;
utilisable évidemment à la souris mais aussi au clavier de façon tactile, à la voix, etc. ;
compréhensible dans la navigation, dans les mots utilisés, dans la façon dont on peut se repérer ;
et enfin robuste, le quatrième principe robuste, c’est vraiment codé selon les standards de manière à ce que ça fonctionne avec tout type de technologie, actuelle et future.
Isabella Vanni : Merci d’avoir précisé ces quatre principes. D’où sont-ils tirés ?
Armony Altinier : Les quatre principes sont tirés de ce qu’on appelle les Web CAG, donc les Web Content Accessibity Lines, WCAG, qui est, en fait, le standard de référence dans le monde, qui est édité par le W3C qui veut World Wide Web Consortium, c’est l’organisation qui fait tout ce qui est standard sur le Web. Ce sont des standards qui ont été adoptés à la fois au niveau d’une directive européenne, donc dans les lois nationales des 27 États membres, mais c’est reconnu aussi aux États-Unis, en Australie, vraiment partout et c’est la base de réflexion la plus aboutie qui part du Web mais qui a été étendue, du coup, pour être appliquée au-delà du Web. C’est pour ça qu’on parle plus aujourd’hui d’accessibilité numérique que juste accessibilité du Web.
Isabella Vanni : Parce que quand on parle, par exemple, de logiciels qui permettent à une personne aveugle, malvoyante d’accéder à un contenu, du coup c’est toujours de l’accessibilité numérique ?
Armony Altinier : Là on est sur de la technologie d’assistance.
Isabella Vanni : De la technologie d’assistance, qui est assez différent.
Armony Altinier : C’est comme le fauteuil roulant, ce sont des technologies spécifiques qui sont développées, il y en a plein, effectivement : on parle du lecteur d’écran qui va être couplé à une synthèse vocale ou une plage braille pour une personne aveugle, c’est le cas le plus fréquent, mais aussi malvoyante et aussi des personnes qui ont de fortes dyslexies par exemple. Il y a aussi la dictée vocale, c’est sur du texte cette fois. On va dicter des messages ou on va parler à son ordinateur pour le contrôler sans les mains. Et puis il y en un tout tas, il y a aussi du matériel, il y a des licornes, donc ???, un bâton qu’on va fixer sur la tête pour taper sur un clavier si on ne peut pas utiliser ses mains. Il y en a plein.
Isabella Vanni : Merci pour ces exemples. Tu as très bien expliqué. C’est moi qui étais distraite. D’ailleurs, en parlant de technologie d’assistance, donc d’outils spécifiques, je vais donner la parole à Bernadette parce que c’est plutôt sur ça, sauf erreur, que son association travaille, avec une distribution pensée, ciblée notamment pour les personnes malvoyantes ou aveugles. Je laisse la parole à Bernadette pour nous parler de son association et de cette distribution en particulier.
Bernadette : Merci.
Je suis totalement d’accord avec ce qu'Armony explique en matière d’accessibilité. J’y joindrai un petit peu, pour nous, l’accessibilité sociale aussi. C’est-à-dire que nous nous adressons aussi à des personnes qui ne peuvent pas accéder à l’informatique tout simplement parce qu’elles n’ont pas les moyens de se payer un ordinateur ou parce qu’elles manquent de confiance en elles-mêmes, qu’elles ne peuvent pas aborder un outil informatique parce qu’elles sont sûres d’avance de ne pas réussir. Donc nous travaillons dans ce sens-là, dans le sens de l’autoformation, dans le sens de l’estime de soi et puis, bien entendu, avec des outils qui sont adaptés aux difficultés techniques. C’est pour ça que nous utilisons la synthèse vocale avec lecteur d’écran bien sûr. Notre système utilise la souris quand les personnes le peuvent et essentiellement le clavier, et d'autres outils de compensation du handicap.
Isabella Vanni : Tu parles de « notre système », je pense qu’on ne l’a pas encore nommé.
Bernadette : On va en parler ; Notre système permet de se brancher sur une plage braille, il est accompagné de fiches pédagogiques. De plus nous reconditionnons des ordinateurs ce qui permet de les mettre à disposition des personnes qui n’en ont pas les moyens. Donc nous sommes vraiment dans l’accessibilité, une accessibilité très générale.
Quand je parle de « notre système », c’est que nous avons un système qui s’appelle AccessDV Linux, Access comme accessibilité, DV comme déficient visuel et puis Linux comme le système bien connu. C’est une collection d’outils qui peuvent s’adapter aux différents handicaps, avec, en particulier, un lecteur d’écran et un autre outil qui est la machine à lire. Et puis nous avons mis au point un menu qui n'a rien de spectaculaire mais qui rend un service considérable aux personnes qui utilisent notre système.
Isabella Vanni : Toutes les références seront disponibles sur la page consacrée à l’émission, bien évidemment, y compris le lien par exemple à Koena ou le lien à AccessDV Linux ou au site de l’association ACIAH, bien évidemment.
Tu disais que ça marche avec un système de menu. Quelle est la particularité, si tu peux expliquer davantage ?
Bernadette : La particularité c’est qu’avec un raccourci clavier on affiche sur l’écran un menu comme si on était au restaurant. Les personnes qui voient peuvent descendre avec la flèche-bas sur la ligne qui les intéresse, le lecteur d’écran lit cette ligne-là aux personnes qui ne voient pas. Ce n’est absolument pas un outils spectaculaire, mais il rend bien service parce que les gens peuvent, à tout moment dans leur travail, relancer le menu et ouvrir un autre logiciel sans être obligés de fermer la fenêtre ou de réduire la fenêtre dans laquelle ils se trouvent pour aller cliquer ou ne pas cliquer sur une icône, etc. C’est un outil que nous utilisons sur Linux, c’est-à-dire pour nous sur Debian, sur Mint, que nous utilisons aussi sur un Raspberry et que nous avons réussi à implanter aussi sur Windows parce que nous avons beaucoup de gens qui, malheureusement pour eux, sont encore sous Windows et que nous voulons quand même aider.
Isabella Vanni : Bien sûr. Pour rappel effectivement nous recommandons d’utiliser des logiciels libres et aussi un système d’exploitation libre, mais parfois on n’est pas prêt à passer à un système d’exploitation libre tout de suite. Il n’y a pas de problème, on peut s’en approcher progressivement, c’est un chemin, c’est un cheminement. Merci pour ces précisions.
Là on a parlé de GNU/Linux, le système d’exploitation libre. Tu as cité des logiciels, notamment un lecteur d’écran, on ne l’a pas nommé. C’est le logiciel Orca, c’est bien ça Bernadette ?
Bernadette : C’est ça.
Isabella Vanni : Qui est un logiciel libre.
J’ai envie de vous poser tout de suite une question que je pensais poser plus tard, c’est-à-dire quelle la place, pour vous, du logiciel libre pour ce qui est de l’enjeu de l’accessibilité ? Armony, je te laisse la parole.
Armony Altinier : Avant de répondre à ta question, si tu permets je voulais réagir à ce qu’a dit Bernadette.
Isabella Vanni : Je t’en prie.
Armony Altinier : Sur le fait que vous faites de l’accessibilité, mais aussi, tu disais Bernadette, accessibilité sociale pour des personnes. En fait, moi je me positionne vraiment comme travaillant dans l’accessibilité numérique et l’accessibilité numérique ce n’est pas pour tout le monde, c’est pour les personnes handicapées et j’y tiens. Mais, dans la définition de l’accessibilité numérique, il faut que ce soit pensé dans une optique de conception universelle. Tous ces termes-là sont définis par ce qu’on appelle la Convention relative au droit des personnes handicapées des Nations unies, que la France a ratifiée parmi d’autres États.
Isabella Vanni : Pour contextualiser le moment historique, la convention remonte à quand ?
Armony Altinier : Il me semble que la convention c’est en 2003, ratifiée par la France en 2007 si je ne m’abuse, j’ai peur de dire des bêtises, je suis en fin de journée. Je pourrai vous donner les dates précises.
Isabella Vanni : D’accord. Début années 2000, puis ratifiée en France plus tard.
Armony Altinier : Voilà, c’est ça, il me semble. Du coup on a une loi, la grande loi accessibilité numérique qui est censée, en tout cas, être basée sur cette Convention de l’ONU, qui date de 2005 dans sa première version, du 11 février 2005.
Du coup, concernant le principe de la conception universelle, il y a slogan du W3C que j’aime bien qui dit que « l’accessibilité numérique est nécessaire pour certains, mais utile à toutes et tous » ; ça doit être vraiment pensé comme ça. Mais je tiens quand même à dire que pour moi, et pas que pour moi, pour la définition légale aussi, l’accessibilité numérique c’est pour les personnes handicapées et ça doit bénéficier au plus grand nombre. Pourquoi j’insiste là-dessus ? Parce que le travers que je vois c’est qu’on entend beaucoup parler d’inclusion, vous avez dû en entendre parler, l’inclusion c’est un peu tarte à la crème !
Isabella Vanni : En même temps inclusion c’est un beau mot !
Armony Altinier : Même en Afghanistan ils ont essayé de faire un truc inclusif, je ne trouve pas ça drôle, mais voilà ! Du coup, pour moi c’est tellement à toutes les sauces et pourtant, tous les projets qui parlent d’inclusion ne font pas d’accessibilité numérique. Donc il y a énormément de projets qui font de l’inclusion.
Ce n’est pas du tout une contestation. Je ne connais pas du tout l’association, ce n’était pas du tout en réaction au projet de l’association de Bernadette, je ne permettrais pas. C’est pour ça que je tiens à affirmer de manière beaucoup plus générale pour nos auditeurs et nos auditrices qui vont peut-être entendre beaucoup parler d’inclusion et se dire « tiens, ça veut dire qu’ils parlent aussi d’accessibilité ». Méfiez-vous parce que c’est une notion qui est tellement large et polysémique, c’est-à-dire que quand on parle avec des gens qui ne connaissent pas le mot accessibilité ils vont se dire « oui, l’accès au réseau, les droits d’accès, intranet, Internet, etc. » Pas du tout, l’accessibilité numérique c’est vraiment pour les personnes handicapées, pour leur permettre d’utiliser les outils numériques et ça doit être pensé, c’est dans la définition même de la Convention de l’Onu, dans une logique de conception universelle, c’est-à-dire nécessaire pour certains, utile à toutes et tous. Ce n’est pas excluant, du tout, au contraire. La vraie inclusion doit prendre en compte l’accessibilité. Voilà. Fin de la parenthèse, je ne voulais vraiment pas prendre la parole.
Isabella Vanni : Non, c’était important. C’est ton point de vue qui montre comment le mot inclusion, qui est, en fait, beau sur papier, peut être facilement vidé de sens si on ne regarde pas ce qu’il contient vraiment.
Armony Altinier : Exactement. J’appelle à la vigilance, je dirais Très peu de gens font de l’accessibilité et pourtant tout le monde parle de l’inclusion. J’appelle juste à la vigilance.
Isabella Vanni : Tu as complètement raison. C’était une parenthèse importante, il n’y a pas de souci. Du coup, je voulais savoir si Bernadette souhaite rebondir.
Bernadette : Je suis tout à fait d’accord avec ça.
Nous, et c’est dans notre ADN, nous sommes d’abord sur l’accessibilité et l’accompagnement du handicap. Donc c’est clair.
Armony Altinier : Voilà. Après j’ai envie de dire que ce n’est pas « mais on est ouverts à tout le monde ». C’est normal. Si on fait de l’accessibilité c’est « et du coup on est ouverts à tout le monde ». C’est le cœur, c’est ce qu’on a tendance à opposer, c’est-à-dire que l’accessibilité c’est pour les personnes handicapées, donc pour tout le monde. Ça va vraiment ensemble en fait. Et je suis complètement d’accord avec Isabella sur la notion d’inclusion, je trouve que le mot est très beau, le concept est très beau, on parle d’inclusion chez Koena, on en fait aussi, mais, du coup, pour que ce soit réellement inclusif, il ne faut pas exclure des personnes, donc il faut que ce soit accessible, c’est la base en fait.
Isabella Vanni : Donc l’accessibilité comme condition de base pour avoir l’inclusion. C’est l’accessibilité d’abord.
Armony Altinier : Exactement. Tout à fait.
Isabella Vanni : Dans nos échanges préalables, tu me disais que même pour le logiciel libre s’il n’y a pas l’accessibilité, si l’accessibilité n’est pas prise en compte dès le début, eh bien pour toi ce n’est pas vraiment libre, si j’ai bien compris. Je te laisse détailler ce point.
Bernadette : Un logiciel libre n’est pas automatiquement accessible. C’est évident. On se heurte souvent à cette difficulté-là : l’accessibilité pour les personnes handicapées est très mal prise en compte, en partie par ignorance, parce qu’il y a des gens qui ignorent complètement ce que c’est qu’être aveugle et de se servir d’un ordinateur. Ils ont de la bonne volonté, mais ils ne se rendent pas compte. Peut-être aussi qu’ils ne prennent les moyens pour savoir comment découvrir ce handicap et les moyens de compensation.
Isabella Vanni : Pourquoi ne se rendent-ils pas compte ? Peut-être aussi parce que les personnes handicapées sont assez invisibles.
Bernadette : Non, ce n’est pas ça. C’est parce que si vous n’avez jamais mis une personne les yeux bandés devant un ordinateur en lui demandant d’aller chercher sa messagerie, elle ne peut pas se rendre compte.
Isabella Vanni : Tu dis qu’il y a une ignorance dans les aspects pratiques, pas forcément des enjeux en soi, mais dans la pratique : comment je fais vraiment pour répondre aux besoins ? Il faut partir des besoins, comme tu dis.
Je laisse la parole à Armony qui souhaite peut-être rebondir sur ce point. On parlait des logiciels et des logiciels libres en particulier.
Armony Altinier : Oui tout à fait.
On définit communément le logiciel libre en se basant sur la définition de la FSF [Free Software Foundation] et de la licence GNU avec les quatre libertés :
la liberté 0 c’est la liberté d’exécuter le programme ;
la liberté 1 c’est la liberté d’étudier son fonctionnement, donc d’accéder au code source qui est une conséquence de cette deuxième liberté, le côté open source ;
la troisième liberté c’est de pouvoir le modifier pour l’adapter à ses besoins ;
et la quatrième liberté c’est pouvoir le partager et partager les modifications.
Donc le raisonnement que j’avais eu avec d’autres il y a déjà quelques années c’était de dire « OK, mais si je ne suis libre d’exécuter le programme parce qu’en fait il n’est pas accessible et que, du coup, je suis handicapée, est-ce qu’on peut toujours parler de logiciel libre ? » La question c’est « est-ce que, pour qu’un logiciel soit libre, il suffit de dire que le code est libre ? Ou est-ce que le logiciel en question doit être libérateur ? »
Isabella Vanni : Benjamin Bayart parle de logiciel libérateur, effectivement.
Armony Altinier : Et la deuxième définition de Richard Stallman lui-même, en général il dit soit les quatre libertés, soit il dit c’est liberté, égalité, fraternité.
Elle est où la liberté si c’est la liberté uniquement des personnes valides ? Est-ce que c’est une liberté ou un privilège ?
Elle est où l’égalité si, en fait, pour accéder au logiciel il faut être valide ? Est-ce que c’est toujours l’égalité ?
Et la fraternité, alors parlons-en ! Si la réponse de ??? c’est de dire « c’est libre, débrouille-toi ! Tu n’as qu’à le rendre accessible ! » Elle est où la fraternité ?
Pour moi en fait si on va dans l’esprit plus dans un sens philosophique, je ne parle pas évidemment de la licence dans un sens juridique du terme, mais d’un point de vue philosophique, que ce soit l’une ou l’autre des définitions, un logiciel ne peut être réellement libre et libérateur qu’à condition qu’il soit accessible ; c’est une condition sine qua non. Et là, on revient un peu au sens premier des droits humains. Normalement les personnes naissent libres et égales en droit, les humains en tout cas. Donc si une personne handicapée est considérée comme un être humain, et c’est une vraie question, c’est à la société de s’adapter pour l’ensemble de la diversité de ses êtres humains. Aujourd’hui on est dans un modèle qui est clairement conçu par et pour des personnes valides – en plus c’est une chimère, personne ne correspond pleinement à ce qu’est personne valide ; on dit parfois « les personnes en situation de handicap », en fait on devrait dire « personnes en situation de validité ».
Isabella Vanni : On est tous dans des situations. Tout le monde a sa situation, sa condition, effectivement.
Armony Altinier : Exactement. Le côté « situation de validité » est sans doute encore plus juste parce qu’il y ait en permanence 100 % de ses capacités sur tout, tout le temps, ce n’est pas possible.
Isabella Vanni : On peut avoir un handicap temporaire, c’est aussi ça qu’on nous dit souvent.
Armony Altinier : Oui, aussi. Après, on pourra, si tu veux, parler de ce qu’est le handicap, il y a beaucoup de définitions. Il y a une définition critique aujourd’hui qui n’est absolument pas reconnue correctement dans la loi française et encore moins appliquée par la ???, épinglée par les Nations unies. Le rapport de l’ONU est sorti le 14 septembre 2021, c’est tout récent, avec 20 pages. Sur les 20 pages du rapport il y a une page d’aspects positifs et 19 pages de « Inquiétudes et recommandations », « Principaux sujets de préoccupation et recommandations », Contents and Recommandations. Voilà c’est ??? en disant que la France fait de la discrimination, la conception même, en fait, de ce qu’on fait. Et ça a totalement un rapport avec la façon dont on conçoit les logiciels, libres ou pas, évidemment, du coup c’est encore plus fort, je trouve, dans le logiciel libre puisque le logiciel libre se veut éthique, le logiciel libre se veut libérateur, le logiciel libre donne un peu des leçons de morale aussi, quand on est engagé évidemment, je l’ai fait aussi en disant « du coup allons au bout du sujet : est-ce que vous êtes vraiment libre si vous n’êtes pas accessible ? » Ma réponse est non.
Isabella Vanni : En fait, tu t’attends encore plus du logiciel libre étant donné ce qu’il promet. Est-ce que Bernadette veut rebondir sur ce sujet en particulier ?
Bernadette : Je trouve que Armony, qui est dans une situation de handicap puisqu’elle nous l’a dit, a parfaitement analysé les choses et je voudrais bien que les décideurs, un petit peu partout, prennent en compte ce qu’elle a dit.
Isabella Vanni : Merci beaucoup. Je vous remercie déjà pour vos interventions et je vous propose de faire une courte pause musicale pour donner une respiration à notre conversation. Nous reprendrons tout à l’heure.
Nous allons écouter un morceau de musique qui s’appelle Terre de couleurs par Law'. On se retrouve juste après. Belle journée à l‘écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Terre de couleurs par Law'.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter Terre de couleurs par Law', disponible sous licence libre Creative Commons CC By SA 3.0.
[Jingle]
Isabella Vanni : Nous allons poursuivre notre discussion. Nous échangeons avec Bernadette et Armony sur le thème de l’accessibilité informatique. Bernadette fait partie de l’association ACIAH et Armony Altinier fait partie de la société Koena.
Bernadette, tout à l’heure tu as abordé les différentes actions que l’association ACIAH mène. J’aimerais que tu parles un peu plus du concept d’autoformation, c’est-à-dire comment vous vous y prenez pour aider les personnes ? Déjà comment les personnes handicapées vous trouvent-elles et ensuite comment faites-vous pour les aider à s’approprier de l’informatique, c’est un peu ça le concept d’autoformation, je te laisserai préciser, et puis comment faites-vous pour les accompagner pour la suite si jamais elles ont un problème ? Je te laisse la parole.
Bernadette : Les personnes nous trouvent en partie par notre site internet qui a une fréquentation importante, y compris à l’international, puisque nous avons une cinquantaine de pays différents par jour qui viennent voir notre site internet, parce que c’est un site qui donne l’utilisation des raccourcis-clavier ; je dirais qu’à 95 % du site ce sont des raccourcis-clavier et qu’on ne trouve guère ces explications ailleurs. Ce sont des raccourcis qui existent, mais nous avons mis au point les explications.
Donc d’une part ils nous trouvent ainsi.
D’un autre côté, nous faisons des communiqués de presse dans la presse locale ou dans la presse des collectivités territoriales et, à ce moment-là, les personnes viennent nous voir, voir comment fonctionne notre système et puis comment nous pouvons les aider.
Pour les aider, nous utilisons effectivement l’auto-formation parce que nous souhaitons qu’elles soient le plus rapidement possible autonomes. Nous ne faisons pas du tout un enseignement type école, nous faisons un accompagnement. Quand une personne arrive pour la première fois, nous mettons à côté d’elle un bénévole, donc nous avons un bénévole pour une personne. Quand les personnes sont un petit peu plus expérimentées, nous mettons un bénévole pour deux personnes, ce qui exige pour nous d’avoir pas mal de bénévoles.
Et puis nous fournissons à la personne des fiches pédagogiques. Quand ce sont des personnes qui voient, elles lisent elles-mêmes la fiche, elles font elles-mêmes les manipulations, le bénévole à côté est là pour les rassurer et pour leur dire que ce qu’elles font c’est bien. Ce qui nous importe c’est que la personne fasse par elle-même, qu’elle emporte les fiches à la maison, mais qu’elle sache, au bout de la première séance, qu’elle a déjà commencé à réussir. Pour nous c’est très important.
Isabella Vanni : Elle gagne en confiance.
Bernadette : Nous avons à peu près 135 fiches pédagogiques destinées aux personnes voyantes.
Quand ce sont des personnes aveugles, nous avons des fiches particulières qui sont non pas en .odt ou en .doc, mais qui sont .txt, c’est-à-dire en format texte, et ces fiches ont été rédigées spécialement pour les personnes aveugles avec la collaboration de personnes aveugles qui les ont relues, amendées, complétées, etc. Lorsqu’on dit à une personne qui voit qu’elle peut faire un clic droit, on ne peut pas dire à un aveugle de faire un clic droit, parce qu’il ne voit pas la souris. Donc il faut qu’on lui dise de faire un menu contextuel. Beaucoup de gens qui voient ne savent même pas ce qu’est un menu contextuel, donc il faut qu’on leur explique que sur un clavier externe il y a une touche « menu » ou alors qu’il faut faire le raccourci clavier, Maj + F10. Donc nous avons rédigé une centaine de fiches de façon à ce qu’elles puissent être utilisées par des aveugles.
Nous nous occupons des personnes lorsqu’elles viennent à l’atelier et puis nous pouvons nous en occuper aussi en dehors des ateliers parce que nous avons installé un système de prise en main à distance qui n’est pas TeamViewer, qui est DWService, qui nous permet, à la demande de la personne, de voir son ordinateur et de la guider. Encore une fois, l’objectif c’est que la personne puisse se débrouiller seule. Voilà comment nous procédons.
Nous procédons comme ceci avec des personnes non voyantes dans la France entière quitte à adapter les outils. Ça peut être adapter un raccourci-clavier pour qu’il soit plus facile pour elles. Ça peut être aussi créer une ligne dans le fameux menu dont je vous ai parlé qui leur permette d’accéder plus rapidement. Je pense par exemple à des personnes qui veulent aller sur la bibliothèque sonore de l’association Valentin Hauy, eh bien nous avons fait une ligne pour qu’elles puissent rapidement se connecter, une autre pour qu’elles puissent chercher des livres par titre ou par auteur et ensuite nous leur avons appris à télécharger le livre dans leur dossier « Téléchargements », à le dézipper, à le copier-coller sur une clé USB qu'elles insèrent ensuite dans un lecteur externe. Notre satisfaction c’est quand les personnes nous disent « finalement c’est assez facile » , alors que beaucoup de personnes voyantes ne seraient pas capables de faire ça, du moins dans un premier temps.
Isabella Vanni : Merci. Tu as cité l’association Hauy qui défend des droits des déficients visuels. Tu parlais de l’accompagnement à distance et du fait que vous pouvez, grâce à ça, aider des personnes dans toute la France. En fait votre association a son siège, si je me souviens bien, à Châteaubriant, c’est ça ?
Bernadette : Oui.
Isabella Vanni : Mais, finalement, l’activité se passe dans la France entière, comme tu nous disais, mêmes les fondateurs de l’association sont dans trois lieux différents et vous arrivez à aider autant de personnes ! Vous avez aussi beaucoup de bénévoles. Comment recrutez-vous les bénévoles ?
Bernadette : Nous avons 20 à 25 bénévoles sur place. D’une part ce sont des gens en retraite qui étaient déjà à l’aise avec l’ordinateur du moins avec Windows, et nous leur montrons comment travailler avec Linux. Autrement, ce sont des personnes qui ont démarré l’informatique de zéro et dès qu’elles ont été un petit peu plus à l’aise, nous leur avons demandé d’être bénévoles, sachant que leur travail n’est pas d’enseigner aux autres, mais d’accompagner, de rassurer. À ce moment-là, comme ça se passe vraiment bien, ça valorise également les bénévoles qui, en même temps, apprennent des choses nouvelles à chaque fois.
Isabella Vanni : Ce que tu veux dire c’est qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une expertise incroyable pour aider, pour contribuer.
Bernadette : Non, parce que nos fiches pédagogiques sont très détaillées, très pédagogiques, avec une fiche par sujet. Une fiche ça peut être « éteindre l’ordinateur », une autre ça peut être « copier-coller », une autre ça peut-être « enregistrer », de façon à ce que les personnes puissent avoir quelque chose de pas à pas : descendre sur telle ligne, valider avec entrée, descendre deux fois avec la flèche-bas, etc.
Isabella Vanni : Il faut vraiment un minimum de connaissances. Vous avez pensé à tout. Vous avez pensé à des supports qui guident les actions. Finalement il faut juste avoir un peu de temps, donc c’est très simple de pouvoir aider.
Bernadette : Oui. Notre système est effectivement très simple. C’est un système Linux, c’est un système sans virus bien entendu et c’est un système beaucoup plus facile que Windows, ce qui fait que nous avons des gens qui viennent nous voir avec un ordinateur donné par les petits-enfants avec Windows et qui ne s’en sortent pas. Nous essayons de les aider quand même sur Windows parce qu’on ne veut pas brusquer les gens, mais on leur montre notre système et, à ce moment-là, la plupart du temps les personnes passent à notre système.
Isabella Vanni : Super. Merci beaucoup.
Armony, ta société, Koena, travaille en ce moment sur un projet qui est assez innovant. Je te laisse la parole au sujet de ce projet qui s’appelle Koena Connect si je me souviens bien.
Armony Altinier : Oui, effectivement. On est sur pas mal de projets, mais le projet sur lequel on est en train de clore une expérimentation s’appelle effectivement Koena Connect.
Koena Connect est un projet qui a bénéficié, en fait, du soutien au départ de BpiFrance pour faire ce qu’on appelle un ??? c’est-à-dire un prototype, depuis 2017, on a eu une espèce de prototype qu’on a construit, donc un logiciel. Là on est sur une phase, donc un deuxième dispositif qui s’appelle ??? qui permet, en fait, de tester le logiciel en condition réelle avec des partenaires.
On a deux partenaires : un partenaire qui est Stivo, qui est un réseau de bus dans le Val d’Oise, où on est implanté, pour pouvoir travailler localement aussi. L’intérêt de ce partenaire, qui était très motivé depuis le début pour participer, c‘est une des conditions de succès c’est que c’est un réseau de bus, donc ça permet de tester l’accessibilité numérique comme un des maillons de la chaîne. L’objectif de prendre le bus n’est pas d’aller sur un site web, c’est un des maillons seulement.
Et puis un autre partenaire, que nos auditeurs auditrices connaissent sans doute bien, c’est l’association Framasoft : on a testé Koena Connect sur Mobilizon.
Isabella Vanni : On va rappeler ce qu’est Mobilizon. C’est un service effectivement proposé par Framasoft, évidemment un service libre. L’idée c’est que n’importe qui ayant un serveur peut l’installer. L’enjeu c’est la décentralisation, bien évidemment. C’est un service qui permet d’organiser des évènements, de les promouvoir, etc. Framasoft propose son instance et c’est sur cette instance que le test, on va dire, est possible.
Je te laisse dire comment faire si vous voulez vérifier vous-mêmes.
Armony Altinier : C’est sur trois instances en fait. C’est sur l’instance de Framasoft ; c’est aussi sur l’instance de Colibri et sur l’instance de ???
Isabella Vanni : Merci de la précision. C’est trois.
Armony Altinier : Tout à fait. Du coup je n’ai pas toujours pas dit ce que c’est Koena Connect.
Le principe de Koena Connect c’est de tester quelque chose d’extrêmement innovant : à l’heure de l’intelligence artificielle c’est de remettre de l’intelligence non artificielle, de l’intelligence humaine, des choses pas automatiques et de remettre de l’humain au milieu de tout ça. Ça peut paraître old school, mais vu la façon dont se passent les choses, c’est finalement assez disruptif si on veut prendre le langage de startup qu’on est obligé d’utiliser pour bénéficier des financements adéquats.
L’idée c’est une expérimentation qui est à la fois technique/technologique, donc on développe un logiciel évidemment libre dont on publiera le code, mais il y a tout un travail, on est accompagnés par le cabinet Inno3 sur les licences, quelles licences on peut utiliser, la compatibilité entre les différentes licences, la façon de publier, etc.
Isabella Vanni : Le choix de la licence. On rappelle à notre public que les logiciels libres sont publiés avec une licence. Il y a des personnes qui confondent, qui disent souvent « libre de droits ». Pas du tout ! Le principe c’est qu’on s’appuie sur le droit d’auteur pour donner des libertés aux autres personnes et parfois ça peut être un casse-tête. Tu disais que ça peut retarder un petit peu la publication, mais c’est prévu.
Armony Altinier : Si on veut bien faire les choses, il faut prendre le temps de bien analyser le contexte. Pourquoi on a besoin de mettre une licence libre ? C’est parce que dans le droit, actuellement, si on ne met pas de licence par défaut c’est une licence privatrice. C’est-à-dire que par défaut, si on ne met pas de licence, il n’y a aucun droit. Donc on est obligé d’associer une licence pour expliquer quels droits on peut donner. Or, quand on développe un logiciel, on s’appuie sur des briques de logicielles existantes qui ont chacune leur propre licence. Toutes ces licences, en plus seln les versions, ne sont pas toutes compatibles entre elles. Donc il y a tout ce travail qu’on a fait. Pour les personnes qui sont curieuses, le choix final sera une licence AGPL 3. On ne peut pas dire « AGPL 3 ou supérieure » à cause d’une brique qui a juste mis 3, donc on ne peut pas ! Donc ce sera l’AGPL 3, peu importe le détail, ce sera du Libre. Ce sera publié à priori mi-novembre, le temps de finaliser.
L’objectif, en fait, c’est de faire de la médiation en accessibilité numérique. Le logiciel est vraiment un logiciel de suivi de la médiation. Si vous allez sur le site mobilizon.fr.
Isabella Vanni : On mettra la référence.
Armony Altinier : Voilà, tout à fait. Vous avez un bouton, une image où il y a écrit « Contact accessibilité » tout en haut, on ne peut vraiment pas le rater, en tout cas à la date du 30 septembre. Quand on clique, on va se retrouver finalement sur Koena Connect, sur l’outil qu’on a développé. Vous avez un formulaire en trois étapes, aux couleurs de Framasoft et de Mobilizon, où vous pouvez dire « moi je n’arrive pas à utiliser ce site ». J’ai un problème, il y a quelque chose qui ne marche pas. Vous avez plusieurs possibilités :
vous pouvez nous appeler dans les horaires de bureau, du coup on met un numéro de téléphone : si quelqu’un a des difficultés avec le numérique, parfois certaines personnes sont plus à l’aise au téléphone ;
vous pouvez nous écrire par mail, il y a une adresse directe ;
ou vous pouvez remplir le formulaire pour les personnes plus autonomes qui ont un problème qui peut être différent. Dans ce cas on demande le moins d’informations possible. Il y a une première étape où a besoin de savoir comment vous contacter, quand même, parce que l’idée c’est que quand une demande est faite notre médiatrice, en l’occurrence, vous rappelle, vous recontacte sur le moyen que vous avez donné, de votre choix, pour amorcer le dialogue en fait. Vous pouvez renseigner si vous le souhaitez, si vous avez des technologies d’assistance, toutes les infos techniques qui peuvent nous aider. Ensuite, la deuxième étape c’est dire quel est votre problème. Le formulaire est un peu long, du coup le seul champ obligatoire c’est juste de dire quel est le problème, après vous pouvez directement sauter et valider votre demande de médiation et on verra ensemble. Le formulaire est pensé pour recueillir les besoins techniques qualifiés en fait, techniquement quel est le problème.
Un exemple d’une demande qu’on a eue sur Mobilizon, justement d’un utilisateur qui nous dit « moi je suis au lecteur d‘écran et ça vocalise en anglais, alors que je suis sur un site en français. » La solution était connue en plus de Framasoft, ils avaient déjà eu, ils avaient fait faire des audits, mais le problème de l’audit c’est qu’il y a beaucoup de problèmes qui sont remontés, on ne sait pas ce qui est prioritaire ; Framasoft fait de grandes choses avec une toute petite équipe, du coup c’est compliqué de tout gérer. Du coup on avait un cas très concret d’un utilisateur. La solution était simple, c’est technique, je le dis quand même pour ceux que ça intéresse, sur la balise HTML, le code langue, l’attribut langue avait un code figé qui était en en, donc en anglais, qui va activer la synthèse vocale en anglais, alors qu’il faut que ça change selon la langue de la page. Donc il fallait mettre en français mais quand ça passe en anglais ou, il y a plein de langues, ça change à chaque fois. Donc Thomas, le développeur de projet, a corrigé ça assez vite. On a vérifié avec l’utilisateur que ça fonctionnait pour lui, que tout allait bien. Il a dit oui, qu’il était satisfait. C’est un exemple d’une demande de médiation qu’on a traitée.
Isabella Vanni : Donc ça permet de recueillir une remontée d’anomalies, de prendre en compte un besoin, de le suivre et, finalement, de le régler assez rapidement si c’est possible. Tu as décrit un cas qui était assez facile et rapide pour le développeur.
Armony Altinier : Plus ou moins en fait. « Assez facile et rapide », c’est la promesse qu’on fait. C’est-à-dire que Koena on est professionnels, on est experts du domaine y compris techniquement, y compris dans le code, donc nous c’est de vraiment faire la médiation, c’est-à-dire de recueillir la parole, le besoin, la difficulté de la personne handicapée ou de la personne tout court. On parlait justement d’inclusion. Pour notre service la question s’est posée très vite : est-ce qu’on ne traite que des demandes de personnes handicapées, ce qui est stupide, je ne vais pas demander leur carte aux gens, je ne vois pas comment on peut faire ça. C’est clairement pour les personnes handicapées, on le dit, mais on accepte toutes les demandes. Pour moi l’inclusion ça devrait être ça, c’est d’abord pour les personnes handicapées, mais évidemment quelqu’un a un problème quel qu’il soit, eh bien on l’aide si on peut. Du coup, ce qui est très intéressant dans les statistiques qu’on a sur les remontées qu’on a eues, sur ces deux partenaires, en quelques mois, on doit avoir du 50/50, c’est-à-dire que 50 % des gens qui demandent de l’aide ne sont pas en situation de handicap et n’y arrivent pas quand même. Du coup, grâce à l’accessibilité, on peut les aider et c’est ça la force de l’accessibilité.
Isabella Vanni : Bernadette veut peut-être rebondir.
Bernadette : Tout à fait. Ce sont effectivement les situations qu’on rencontre. Il n’y a pas que les personnes avec un handicap reconnu.
Armony Altinier : C’est ça, reconnu encore moins, car la reconnaissance franchement ! C’est un autre débat.
Pour moi, du coup, l’inclusion c’est ça. On est inclusifs même pour les personnes valides, l’inclusion c’est plutôt dans ce sens-là. C’est-à-dire qu’on part de la base, on est inclusifs c’est-à-dire qu’on accepte d’aider y compris des personnes valides qui n’ont pas de handicap particulier, c’est ouvert à tout le monde.
Ce qui est intéressant aussi c’est qu’il y a souvent le préjugé de dire « oui mais si c’est écrit pour les personnes handicapées, les gens ne vont pas s’en saisir », la preuve que ça ne les dérange pas qu’il y ait écrit « accessibilité ». S’ils ont besoin d’aide, ils nous appellent. Ils se fichent qu’il y ait écrit « handicap », « accessibilité », ça ne les rebute pas du tout.
Isabella Vanni : Souvent ce sont des idées reçues. Ils profitent complètement du service.
Armony Altinier : Exactement, mais c’est positif, moi je trouve ça bien.
Isabella Vanni : Absolument.
Merci beaucoup d’avoir présenté ce projet. Les partenariats c’est important et je pense qu’il y a un partenariat dont Bernadette souhaitait parler. On n’a pas énormément de temps, mais je crois que vous avez réussi à produire des logiciels très utiles grâce à ça.
Bernadette : Nous avons aussi un projet. C’est un projet de machine à lire. C’est-à-dire la possibilité, pour un aveugle, d’avoir un petit boîtier qui lui permettra de prendre la photo d’un document papier là où il se trouverait, par exemple au restaurant, que l’ordinateur analyse le texte et le lui restitue vocalement. Nous avons commencé à travailler dessus. La partie logicielle est bien avancée. Nous sommes rendus à la partie technique, c’est-à-dire adapter une micro caméra sur un Raspberry et puis, bien entendu, un haut parleur et une batterie.
Nous travaillons ce projet-là avec une entreprise qui est une entreprise dans le domaine traditionnel, qui est en train de préparer en particulier l’introduction de l’intelligence artificielle.
Cette entreprise, qui nous accompagne de très près, a fabriqué à notre demande deux petits logiciels dont nous avions besoin : un qui permet de remplir un chèque directement sur l’ordinateur même quand on ne voit pas et le deuxième qui permet d’apprendre à taper sur le clavier sans regarder les doigts. Il existe un système qui permet de le faire avec Windows, mais il n’existait rien qui permettait de le faire avec Linux et cette entreprise nous l'a fabriqué. C’est un partenariat auquel nous tenons beaucoup. L’entreprise s’appelle Digital4better et ça nous fait beaucoup de bien d’être ainsi accompagnés dans notre travail et dans nos buts communs.
Isabella Vanni : Merci. On a parlé deux fois, à deux reprises, de Raspberry, mais je crois qu’on n’a pas précisé ce dont il s’agit. C’est un petit ordinateur qui rentre dans une poche.
Bernadette : Un Raspberry est un petit ordinateur grand comme une carte de crédit, qui coûte à peu près 50 euros, qui fonctionne super bien, je m’amuse beaucoup dessus, mais il n’a pas la même architecture que les ordinateurs ordinaires. Le système que nous avons, le système AccessDV Linux, est adapté aussi bien aux PC traditionnels qu’au Raspberry. Nous n'avons pas eu l’occasion de l’essayer sur le Mac, tout simplement parce que nous sommes une toute petite association, que nous n’avons pas beaucoup d’argent, que nous n’avons pas de Mac ; si nous en avions un, on se ferait un plaisir de l’utiliser, de l’essayer tout de suite.
Isabella Vanni : L’intérêt du Raspberry, du fait que c’est petit, c’est aussi que les personnes handicapées peuvent l’emporter avec elles.
Je suis vraiment désolée. J’ai adoré cet échange et je suis navrée de vous annoncer que malheureusement il ne nous reste que quelques minutes. Normalement on aime bien réserver ces quelques minutes finales au dernier mot, c’est-à-dire au message que vous souhaiteriez faire passer. Je vous laisse parole, peut-être suggérer ce qu’on peut faire pour contribuer nous-mêmes à cet enjeu, ou ce que vous voulez. Je laisse parler Armony d’abord, en deux minutes.
Armony Altinier : En deux minutes : formez-vous !
Isabella Vanni : Je suis désolée. Je suis vraiment désolée.
Armony Altinier : En cinq secondes : formez-vous ! Vraiment ! Quel que soit votre domaine. Si vous contribuez à un projet numérique, que ce soit en tant que développeur, chef de projet, web master éditorial, contributeur, graphiste, designer, UX/UI, quel que soit votre métier dans le numérique, formez-vous ! Ne préjugez pas, c’est un domaine qui est très sous-estimé, il y a une vraie compétence technique à acquérir, ce n’est pas la mer à boire, quelques jours suffisent, mais vraiment formez-vous, formez-vous, formez-vous ! Ce n’est pas après coup qu’on arrive à prendre l’accessibilité, c’est quelque chose qui doit être pensé dès le départ, dès la conception, pendant le développement, tout au long de la maintenance. La chose la plus dramatique aujourd’hui dans le numérique ce sont les régressions, c’est-à-dire que même quand on pense qu’un site ou un logiciel fonctionne, il est mis à jour et ban ! Ça régresse. Pourquoi ? Parce que les personnes manquent de compétences, donc formez-vous !
Isabella Vanni : Merci Armony. Merci beaucoup. Je laisse la parole à Bernadette.
Bernadette : Le message c’est que nous avons besoin d’être connus de façon à pouvoir aider davantage les personnes qui en ont besoin et pour ça nous remercions votre radio parce que nous sommes en zone rurale. En zone rurale on a beaucoup plus de difficulté à avoir de la visibilité et là vous nous donnez cette visibilité. Que les personnes fassent appel à nous, nous essaierons de les aider au maximum et nous aussi nous ferons certainement appel à la société d’Armony, appel à ceux qui savent pour pouvoir progresser dans la satisfaction des besoins.
Isabella Vanni : Merci encore. Merci à nos deux invitées d’aujourd’hui, Bernadette de l’association ACIAH et Armony Altinier de la société Koena. Bonne continuation à vous et bien sûr pour tous vos projets.
Armony Altinier : Merci pour l’invitation et enchantée, du coup, d’avoir rencontré Bernadette.
Bernadette : Merci beaucoup.
Isabella Vanni : Merci.
[Virgule sonore]
Isabella Vanni : Vous êtes de retour en direct sur radio Cause Commune. Nous venons d’entendre un sujet enregistré il y a quelques jours consacré à l’accessibilité en informatique.
Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Isabella Vanni : Pour cette dernière pause musicale, nous allons écouter un morceau du groupe Lemurya de la commune Connerré, Pays de la Loire. C’est du rock prog pour progressif. Ce n’est pas, à la base, mon style préféré, néanmoins j’aime beaucoup ce morceau qui s’appelle îles des Mers Ouest.
Nous allons donc écouter îles des Mers Ouest par Lemurya, sous licence ce libre Creative Commons CC By SA.
Pause musicale : îles des Mers Ouest par Lemurya.
Isabella Vanni : Nous venons d’écouter îles des Mers Ouest par Lemurya, sous licence libre Creative Commons Attribution Partage à l’identique, CC By SA. L’une des particularités de ce groupe c’est qu’il a publié avec la coopérative d’artistes AMMD, des artistes qui publient uniquement sous licence libre. Je vous ai mis à nouveau la référence sur la page consacrée à l’émission, en fait, ce n’est pas la première fois qu’on diffuse de la musique produite par cette coopérative.
[Jingle]
Isabella Vanni : Je suis Isabella Vanni. Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, professeur de philosophie et présidente de l'April sur le thème « Logiciel libre et autonomie »
Isabella Vanni : Nous allons poursuivre avec la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet aujourd’hui sur le thème « Logiciel libre et autonomie ». La chronique a été enregistrée il y a quelques jours. Nous allons l’écouter et on se retrouve après.
[Virgule sonore]
Frédéric Couchet : Soyez les bienvenus pour cette nouvelle chronique de Véronique Bonnet, présidente de l’April. La chronique est intitulée « Partager est bon » et le sujet du jour c’est « Logiciel libre et autonomie ».
Bonjour Véronique.
Véronique Bonnet : Bonjour Fred.
Frédéric Couchet : Je te laisse la parole.
Véronique Bonnet : C’est vrai que l’autonomie de l’utilisateur est au cœur du projet du logiciel libre. Les quatre libertés prévoient :
la liberté d’exécuter un programme ;
la liberté de l’étudier ;
la liberté de l’améliorer ;
la liberté d’en distribuer des copies modifiées ou non modifiées.
Il se trouve que dans l’histoire de la philosophie occidentale, la question de l’autonomie a d’abord concerné la parole. Des modifications profondes ont eu lieu en Grèce, à Athènes, à partir du VIe siècle avant notre ère. À ce moment-là il y a eu l’éclosion de la démocratie, du raisonnement mathématique et scientifique, de la philosophie elle-même et surtout de la libre prise de parole et je vais montrer pourquoi c’était une révolution.
Avant, la parole était la chasse-gardée de quelques-uns. Les chefs, les rois, les dignitaires religieux, disposaient d’une parole d’autorité. Seuls quelques-uns pouvaient prendre la parole selon les rituels requis. Cette parole était réputée vraie, tous les autres devaient obéir, il était impossible d’objecter. On ne pouvait pas à cette parole, opposer une autre parole.
Progressivement – les historiens nous disent que c’est parce qu’il y avait beaucoup de guerres, que beaucoup de rois avaient cessé de vivre sans avoir pu transmettre ce droit de parler à leurs successeurs – ils ont donc dû inventer une autre forme de parole, la parole libre et, en même temps, l’autonomie de l’utilisateur de la parole.
En effet, là les caractéristiques sont totalement inversées : Athènes pose vers le VIᵉ siècle le droit pour quiconque de prendre la parole, pour quiconque. Non seulement ça, mais le droit pour quiconque d’objecter, objecter par la parole à cette parole. Donc on voit que cette parole ne repose plus sur des interdits mais sur une recherche de partage et de cohérence.
Si j’avais à reprendre la formule des quatre libertés informatiques que j’ai rappelées tout à l’heure, je dirais qu’à ce moment-là on a la liberté d’exécuter, de prononcer une parole ; on a la liberté de l’étudier, voir si ce que l’autre a dit est pertinent ; on a liberté de l’améliorer, essayer par sa parole d’amener l’autre à aller plus loin, de préciser sa parole ou de résoudre une confusion et enfin la liberté de distribuer des paroles modifiées ou non modifiées ; c’est là que des textes, des transcriptions apparaissent et c’est là que se mettent à circuler des propositions philosophiques, politiques, mathématiques.
J’insiste sur le terme d’autonomie, c’est un mot qui veut dire décider par soi-même, être capable de donner à soi-même une orientation.
Il est très intéressant de définir la liberté comme autonomie à partir de ce que l’utilisateur décide pour lui-même. En effet, si on définit la liberté seulement comme une absence de contrainte extérieure, on peut la confondre avec le libéralisme. Par exemple, quand on parle seulement de logiciel ouvert ou d’open source, on cherche surtout à être puissant, à produire des effets, à produire des développements. Par exemple, un certain Eric Raymond dans La Cathédrale et le Bazar, montre qu’ouvrir le code source d’un logiciel c’est favoriser des rapports de bugs, c’est susciter des prolongements, c’est permettre une réactivité pour écrire de nouvelles lignes de code, mais tout cela sans du tout mettre l’accent sur des principes de respect des personnes et de respect des choix des personnes. C’est pourquoi il est toujours très utile de bien faire la différence entre le logiciel libre au sens du free software, qui fait de la liberté de l’être humain l’essentiel et, d’autre part, ce qu’on appelle l’open source, qui s’inscrit dans la lignée du libéralisme économique comme chez Mandeville ou chez Adam Smith.
Je vais dire en quoi il y a effectivement une forte analogie entre ce laisser-faire de l’open source qui se préoccupe très peu d’autonomie mais simplement d’efficacité. Par exemple, chez un certain Mandeville, on trouve ce qu’on appelle La Fable des abeilles. L’idée c’est que plus les abeilles sont avides de miel, moins elles se soumettent à des tabous, moins elles se soumettent à des interdits, plus elles en veulent, plus elles se déchaînent et plus la ruche est prospère.
Adam Smith, considéré comme le père du libéralisme économique, reprend ceci dans la Richesse des nations. Il dit que plus les individus ont envie de s’enrichir sans aucun scrupule ni aucune limite, ni aucun respect pour la liberté des autres, ni le bien-être des autres, plus ils développent leurs produits dans une course au bénéfice dont on a l’impression qu’elle est sans entrave, qu’elle est libre, mais qui, en réalité, est simplement déréglée, sans régulation d’aucune sorte. Cette liberté-là, qui est celle du libéralisme, est une anarchie avide, un mouvement d’expansion qui peut bien sûr écraser les plus faibles dans une sorte de frénésie, celle qu’on voit par exemple chez les GAFAM qui vont pouvoir racheter, pour une bouchée de pain, tels collaborateurs qui vont passer sous leurs ordres.
L’April, je pense que tu seras d’accord avec moi Fred, ne s’inscrit pas du tout dans cette course qui veut écraser sans égard pour les utilisateurs.
Le logiciel libre que l’April veut défendre et promouvoir est un logiciel libre permettant une accession de tous à des fonctions logicielles par le partage, la vigilance d’une communauté, l’éducation.
L’informatique ne doit être ni une activité qui confisque, ni une course à l’avoir, mais une composante de l’être, de ceux qui, autonomes, le restent.
Frédéric Couchet : Merci Véronique pour cette belle chronique avec laquelle je ne peux être, évidemment, qu’en accord, notamment ton rappel sur l’importance des logiciels libres versus open source ; pas mal de gens essaient de faire croire que c’est la même chose, peu ou prou, et un rappel sur l’importance de l’autonomie qui doit d’ailleurs, qui devrait être enseignée à l’école, je ne suis pas sûr que ce soit vraiment le cas actuellement. Je ne sais pas ce que l’enseignante que tu es en penses.
Véronique Bonnet : Récemment la CNIL a adressé un rappel disant à quel point il est dangereux d’utiliser par exemple des outils vidéo comme Zoom, comme Team, dans les écoles et les universités. C’est très récent et je pense qu’il faut nous réjouir de cette alerte qui a été donnée par la CNIL qui est, ici, parfaitement dans son rôle.
Frédéric Couchet : Tout à fait. C’est une décision importante et nous espérons notamment que l’enseignement supérieur et tout le reste de l’Éducation nationale saura en tenir compte.
C’était la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet, présidente de l’April, chronique qui portait sur le thème « Logiciel libre et autonomie ».
Véronique je te souhaite une belle fin de journée.
Véronique Bonnet : Très belle fin de journée à toi Fred.
[Virgule sonore]
Isabella Vanni : Vous êtes de retour en direct su radio Cause Commune. Nous venons d’écouter une chronique enregistrée il y a quelques jours, la chronique « Partager est bon » de Véronique Bonnet sur le thème « Logiciel libre et autonomie ».
Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.
[Virgule musicale]
Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l'April et le monde du Libre
Isabella Vanni : Dans le cadre