Trump : les GAFAM ont-elles pris le pouvoir ?

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Titre : Trump : les GAFAM au pouvoir ?

Intervenants : Tariq Krim - Émilie Aubry

Lieu : Émission Le Dessous des cartes - ARTE

Date : 20 janvier 2021

Durée : 8 min 13

Vidéo

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Émilie Aubry : Chers amis du Dessous des cartes voici une leçon de géopolitique, une interview cartes sur table en lien avec l’actualité internationale. Et l’actualité, cette semaine, c’est bien sûr l’investiture de Joe Biden, 46e président des États-unis, qui met fin au mandat de Donald Trump, un mandat qui aura été, bien sûr, chaotique, singulier à bien des égards, notamment par cet usage intempestif du tweet, ce que certains ont appelé « la diplomatie du tweet ». Mais vous le savez aussi, depuis le 6 janvier dernier, Donald Trump n’a plus de compte Twitter après que ses partisans ont tenté d’envahir le Capitole. Dans la foulée d’autres suspensions de comptes ont suivi. Cette « déplateformisation » d’un chef de l’État en exercice pose bien sûr un certain nombre de questions, des questions d’ordre géopolitique dès lors qu’elle touche à ce qu’on appelle la souveraineté numérique.
De ces questions vous êtes un spécialiste,Tariq Krim. Bonjour !

Tariq Krim : Bonjour !

Émilie Aubry : Merci beaucoup d’être en ligne avec nous. Tout d’abord, est-ce que c’était vraiment la première fois que Twitter suspendait le compte d’un chef d’État ou de gouvernement du monde ?

Tariq Krim : Oui, c’est une première et surtout le bureau du président des États-unis a été déconnecté en moins de 15 minutes. Évidemment chaque chef d’État, notamment dans certains pays comme l’Inde, le Pakistan, qui ont des chefs d’État qui ont toujours flirté aussi avec les limites de la modération se disent «  ça pourrait être moi ! » Donc ça c’est la première chose.
La deuxième c’est que c’est une décision qui est faite aux États-Unis, par des sociétés privées, et là on sort de toute tradition diplomatique où on se dit que, finalement, en tant que chef d’État je ne suis pas vraiment souverain sur mon pays.

Émilie Aubry : Ce qui est étonnant c’est que dans la foulée on a pu voir les partisans de Donald Trump investir d’autres réseaux sociaux, parce que l’extrême-droite américaine avait investi ces derniers mois, ces dernières années, d’autres réseaux sociaux. Est-ce que vous pouvez nous dire un mot de ces réseaux sociaux alternatifs ?

Tariq Krim : Vous avez un service qui s’appelle Parler et un autre service un peu inspiré de Twitter qui s’appelle Gab qui se sont lancés mais qui, jusqu’à maintenant, n’avaient pas beaucoup de succès parce que, même si ces services existaient, évidemment Donald Trump préférait s’adresser à une audience sur Twitter, sur Facebook, parce que le gros des supporters n’avait pas basculé vers ces réseaux pour l’instant.

Émilie Aubry : On aurait pu penser que dans les heures et les jours qui allaient suivre la suspension du compte Twitter de Donald Trump, ces réseaux sociaux alternatifs allaient connaître leur heure de gloire, sauf qu’est intervenue alors ce qu’on appelle la « décloudisation ». Vous pouvez nous expliquer ce que c’est ?

Tariq Krim : Ce qui est fascinant, c’est que c’est un effet domino. Ces réseaux se sont sentis complices, donc on a décidé de bloquer absolument tout ! On pourrait dire qu’on a effacé complètement tout ce qui concernait cette sphère en moins de 15 minutes. En moins d’une journée, en fait, toutes les sources d’information liées de près ou de loin à cette mouvance proche de Donald Trump ont été éliminés du réseau !

Émilie Aubry : Est-ce que vous êtes en train de nous dire, Tariq Krim, que les géants des réseaux sociaux, au fond, doivent assumer qu’ils ont ce que nous autres journalistes appelons une ligne éditoriale ?

Tariq Krim : De toute façon ils l’ont depuis toujours parce qu’on parle souvent des algorithmes et il faut préciser que l’algorithme c’est un programme qui a été fait par quelqu’un. Vous avez toutes les opinions politiques, je pense que la moitié de la Silicon Valley a voté pour Trump et l’autre moitié pour Biden, donc on est en fait en équité. On a souvent cette idée que la Silicon Valley est plutôt démocrate et je pense que c’est une idée fausse. Il va falloir responsabiliser les ingénieurs. Regardez ce qui s’est passé avec les Rohingyas : Facebook ayant mal développé son logiciel en ayant permis une multiplication de fake news dans un pays, la Birmanie, que les développeurs ne connaissaient pas, dont ils ne connaissaient pas les interactions, on a eu des massacres de Rohingyas. On a eu le même problème au Sri Lanka. On a eu des problèmes un peu partout, en fait, parce que les développeurs ne savent pas encore la responsabilité, n’ont pas pris conscience de la responsabilité qu’ils ont quand ils développent ces outils.

Émilie Aubry : Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que sont en Chine les GAFAM ?, je crois qu’on les appelle les BATX et nous expliquer comment au fond, là-bas, Pékin, le régime chinois de Xi Jinping a étatisé tout ce qui relève du numérique ?

Tariq Krim : Ce qui est intéressant en Chine c’est que vous avez exactement les mêmes services qu’aux États-Unis, donc Waibo, Alibaba, qui sont des équivalents de Twitter, d’Amazon, mais vous avez également des services qui sont totalement inédits, vous avez notamment un service qui s’appelle Wechat qui est un peu l’équivalent de toutes les applications combinées de Uber à Deliveroo, à Facebook. Ce qui est intéressant c’est que le mobile, en Chine, est devenu le sésame pour aller n’importe où, vous montrez votre QR Code. C’est ce qu’on a un peu découvert avec le confinement ici en France, mais ça existe depuis très longtemps en Chine. Et évidemment l’État chinois a la mainmise non pas sur les entreprises qui sont, elles, des entreprises privées, mais sur tous les contenus qui sont analysés, qui sont filtrés. Évidemment certains mots-clés, notamment les événements de la place Tian’anmen, ne peuvent pas être mis en avant, cette liste de mots-clés change d’ailleurs régulièrement.
Ce qui est intéressant c’est qu’il est quasiment impossible pour une entreprise américaine de venir en Chine. La seule société américaine qui a véritablement réussi son entrée en Chine c’est Apple qui a dû, pour cela, créer un App Store différent, qui est validé et vérifié par l’État chinois, et qui a accepté, contrairement à ce qu’ils font dans le reste du monde, que les données soient bien stockées sur le territoire chinois et qu’elles soient donc auditables par le gouvernement.

Émilie Aubry : Vous avez l’air de dire, Tariq Krim, que vous concevez cette régulation en termes de souveraineté nationale, donc de façon nationale. D’autres disent que cela n’a aucun sens et qu’on ne peut la concevoir que de façon internationale. Par ailleurs, qu’est-ce que cela voudrait dire une régulation mondiale des réseaux sociaux ?

Tariq Krim : Moi je crois à la régulation. Aujourd’hui, en fait, la publicité contextuelle qui permet de toucher précisément une personne avec un état mental précis, par exemple dépressif, euphorique, ces outils devraient, à mon avis, être interdits, parce qu’ils avaient été inventés pour du marketing commercial et ils ont été détournés pour manipuler nos émotions. On a déjà quasiment toute la palette de régulation : vous avez la CNIL, qui d’ailleurs a régulièrement mis de nombreuses amendes à Google, le CSA pour les contenus, l’Arcep qui régule les télécommunications, donc, en fait, on a cette palette. Mais pour l’instant on a, je pense, hésité en France à être un peu plus proactif parce qu’on avait l’impression que ces technologies étaient un peu inoffensives. Et aujourd’hui, en fait, on prend conscience que si le monde est dans l’état dans lequel il est, c’est avant tout à cause du numérique. La question qui est posée c’est : doit-on laisser les plateformes faire la police ? Ou est-ce que l’État ou la justice a la possibilité de décider de ce qui est légal, de ce qui ne l’est pas ?
Aujourd’hui nous vivons dans un monde où, d’un côté, nous avons l’idéologie américaine de la technologie, de l’autre côté vous avez la Chine qui a décidé de construire une société du contrôle permanent et vous avez l’Europe qui se trouve balancée entre les deux et qui n’a pas encore su affirmer non pas uniquement sa puissance technologique mais sa vision technologique.

Émilie Aubry : Merci infiniment de nous avoir éclairés sur ces sujets vertigineux, Tariq Krim.

Tariq Krim : Merci beaucoup.

Émilie Aubry : Merci à vous de nous avoir suivis ! Merci pour votre fidélité, bien sûr ! On se retrouve la semaine prochaine pour une nouvelle leçon de géopolitique ! À bientôt !