GAFAM, faut-il en finir
Titre : GAFAM, faut-il en finir ?
Intervenant·e·s : Jérôme Keinborg - Rose
Lieu : Chaîne Nowtech
Date : 22 décembre 2020
Durée : 21 min 45
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration :
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Description
Faut-il démanteler les GAFAM ? Commissions d'enquêtes, procès antitrust, éveil des consciences, quid des conséquences sur nos sociétés ?
Transcription
Jérôme Keinborg : Ce Noël 2020 est bien pourri ! La période est super anxiogène, il y a la Covid, les commerces de proximité qui se cassent la gueule, la crise économique, la polémique autour d’un Noël sans Amazon. On va enfoncer un petit peu le clou. On va prendre un sujet bien polémique : les GAFAM, faut-il les punir ? Faut-il les démanteler ? Un bon sujet de réaction, ça va nous changer un petit peu des tests de smartphones, ça va faire du bien, ça va vous permettre de réagir dans les commentaires.
Avant de commencer, petit préambule. Comme toutes les vidéos réactions, il y a aura peut-être des suites. Cette histoire des GAFAM va certainement avoir des rebondissements fin 2020, début 2021 et je voudrais également remercier Rose qui m’a vraiment aidé à préparer cette vidéo. Elle a fait un super travail de rédaction. Ce sont des sujets où on peut partir très facilement dans des fake news et dans du sensationnalisme. Elle a appliqué une rigueur toute journalistique, a croisé ses sources et a confirmé tous les chiffres dont on va vous parler. On ne se prend pas pour des journalistes, on ne l’est pas et on ne souhaite pas l’être, mais ça ne nous empêche pas d’appliquer une certaine rigueur.
Ces fameux GAFAM – Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft – sont devenus, en moins de 20 ans, des espèces de géants tentaculaires. Ce sont aujourd’hui les plus grandes sociétés privées que la terre n’ait jamais connues. Ils génèrent des quantités de richesse complètement incroyables, des chiffres qui donnent le vertige, mais ils exercent également une dangereuse influence sur notre vie économique, mais également politique et sociétale.
Du Congrès américain à l’Union européenne de plus en plus de voix s’élèvent contre ces monopoles. En 2020, les procès antitrust se multiplient et on entend de plus en plus « le démantèlement des GAFAM ». Va-t-on assister aux premières mises à mort de ces effroyables pieuvres ? Mais surtout, la question qu’on va se poser, c’est : est-ce que c’est vraiment souhaitable ?
Bref des sujets bien lourds. Des sociétés énormes qui manipulent nos vies. Vous sentez que ça ne va pas être très gai, mais j’ai mon mug avec des petits chats. Après, il y a des chats qui ne sont pas très rassurants dessus.
Pour poser un petit peu le contexte, on va voir à qui on a à faire et surtout vous aider à prendre la mesure de ce que sont les GAFAM aujourd’hui.
Les GAFAM ou GAFA si on enlève Microsoft, est-ce que c’est une espèce de cartel qui contrôle tout ça et impose sa loi ? Est-ce que c’est une nébuleuse tentaculaire, genre spectre dans James Bond, qui s’immisce dans tous les aspects de notre vie ? Ou est-ce que ce sont tout simplement des entreprises qui sont devenues un peu trop gros grosses ?
Pour prendre la mesure des GAFAM, on va déjà parler de leur chiffre d’affaires.
Sur le seul trimestre 2020, les GAFA, donc sans Microsoft, ont réalisé un chiffre d’affaires cumulé de 223 milliards de dollars. Un chiffre en milliards ça ne vous impressionne plus parce que ça fait longtemps qu’on parle de mille milliards de chiffre d’affaires pour des entreprises. Je vais vous donner un chiffre qui va vous permettre de réaliser un peu plus la situation, les GAFA, sans Microsoft, réalisent 100 millions de dollars par heure. Ça fait beaucoup !
Rose : Un peu. Peut mieux faire !
Jérôme Keinborg : Peut mieux faire ! Rendez-vous compte : le total des capitalisations boursières des GAFAM dépasse le PIB annuel de la France.
Certains me diront que c’est débile de comparer des capitalisations boursières avec des PIB. Je suis d’accord, mais ça permet quand même de prendre la mesure des choses. Aujourd’hui, en termes de capitalisation boursière comparée à des PIB annuels, les GAFAM pourraient être la troisième puissance mondiale après les États-Unis et la Chine. Et le pire dans tout ça, c’est que, alors que les économies mondiales vont souffrir de la Covid, les GAFAM ont gagné encore plus d’argent : 35 % de croissance pour Amazon, 17 % de croissance pour Facebook.
GAFAM, c’est un peu un mot valise créé par les journalistes pour pouvoir parler de toutes ces sociétés en même temps, mais elles sont très différentes entre elles. On ne peut pas comparer les business modèles d’un Apple, d’un Google et d’un Amazon. Le point commun entre ces grandes sociétés c’est quand même leur capacité à contrôler complètement, jusqu’à le scléroser, le ou les marché sur lesquels elles exercent.
Google et Facebook contrôlent plus de la moitié du marché publicitaire en ligne, qui représente 333 milliards de dollars.
93 % des recherches en ligne sont faites sur Google.
Le marché des smartphones est entièrement trusté par Android et Apple, il n’y a quasiment pas de place pour un acteur tiers.
Facebook domine en maître sur les réseaux sociaux et, si on lui ajoute Instagram et WhatsApp, c’est une domination presque totale.
Amazon, c’est vrai qu’on en parle beaucoup en ce moment, a complètement transformé le visage de la distribution. Amazon est partout, il n’y a quasiment aucun produit qu’on ne peut pas trouver sur Amazon. Mettez-moi dans les commentaires un produit, on va dire un peu grand public, qu’on ne peut pas trouver sur Amazon. Je trouve qu’on trouve même des sacs de gravier sur Amazon !
Vous l’aurez compris, le problème c’est que ces sociétés ont tendance à devenir hégémoniques sur leur marché.
Cette croissance insolente des GAFAM va-t-elle rencontrer un mur ? A-t-elle une fin ?
Comme je vous le disais dans l’introduction, plusieurs voix s’élèvent, de plus en plus fort, contre ces GAFAM. Aux États-Unis on pense que les Américains sont des super libéraux, mais, en fait, l’État contrôle énormément ce qui se passe au niveau de l’économie et une commission d’enquête contre les GAFAM a été lancée ; elle surveille depuis 16 mois les GAFAM en épiant tous leurs faits et gestes. Ils ont procédé aux auditions des CEO [<em<Chief Information Officer] des GAFAM. On a vu Sundar Pichai, on a vu Tim Cook, le petit doigt sur la couture du pantalon, tout penauds devant cette commission. Cette commission a rassemblé un rapport énorme avec déjà plus de 1,2 millions de documents à charge contre les GAFAM. Les conséquences ne seront pas des petites amendes où on vous tapote sur les doigts. Le risque, pour les GAFAM, aujourd’hui, c’est un réel démantèlement. On en parlera tout à l’heure.
En Europe les choses ont un petit peu différentes, il n’y a pas sociétés européennes dans les GAFAM, on n’a pas de géants sur ces secteurs-là. Par contre, on a des problèmes avec eux au niveau fiscal. Cette optimisation fiscale possible en Europe est devenue un des rouages de la richesse des GAFAM. Ça mis du temps, mais les pays européens commencent à réagir, la France en tête, puisqu’elle a commencé à imposer une taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires réalisé sur le territoire.
On ne va pas rentrer dans l’explication détaillée de cette taxe GAFAM, mais sachez que c’est pour réduire une inégalité qui faisait que ces grandes sociétés américaines payaient jusqu’à moitié moins d’impôts en Europe que les entreprises européennes.
Il y a eu également, en Europe, l’invalidation du Privacy ShieldErreur de référence : Balise fermante </ref>
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, on s’aperçoit bien que la machine leur a un peu échappé des mains et qu’aujourd’hui elles cherchent quand même à faire machine arrière ou, en tout cas, amende honorable, bien évidemment en gardant leur business modèle, mais en encadrant un petit peu mieux les choses et en nous donnant un peu plus de contrôle, notamment sur la collecte de données.
C’est loin d’être parfait, la route va être longue. On a vu Sundar Pichai, CEO de Google, s’excuser auprès de Thierry Breton, commissaire au marché intérieur européen, notamment à cause de magouilles de Google autour du Digital Services Act[1]. On sent bien que les politiques reprennent du poil de la bête, reprennent un peu de pouvoir contre ces sociétés, se font un peu respecter et que, aussi puissantes soient les GAFAM, pour l’instant elles n’ont pas encore renversé les pays et les États.
Attention également à ne pas tomber dans la diabolisation des GAFAM, ce qui est quand même fait souvent sur des prétextes un peu électoraux. Roselyne Bachelot qui appelle au boycott d’Amazon, pour moi c’est un aveu de faiblesse politique, le boycott étant une espèce de dernier recours, « je m’en lave les mains, culpabilisation du consommateur », ce qui n’est pas trop mon truc !
D’un autre côté, on voit la députée européenne connue pour avoir lancé tous ses dossiers contre les GAFAM, Margrethe Vestager qui, elle, s’oppose justement maintenant au démantèlement des GAFAM parce qu’elle y voit certains dangers.
Le sujet est très riche, très complexe, il y a aura probablement des rebondissements. Ça va être intéressant de regarder ça fin 2020, 2021 : est-ce qu’il va y avoir des démantèlements ? Quelles vont être les conséquences pour les GAFAM ? En tout cas, elles sont dans le viseur, elles ne peuvent plus faire comme si de rien n’était.
Ce qui m’intéresserait beaucoup c’est d’avoir vos réactions par rapport à ça, en essayant de sortir un petit peu des trucs lobotomisants anti-Amazon, etc., de réfléchir aux conséquences.
Je vous remercie en tout cas d’avoir pris le temps de regarder cette longue vidéo. J’espère qu’elle vous aura un peu poussés à réagir.
En tout cas, si ça vous a intéressés, n’hésitez pas à soutenir cette vidéo, commentaires, pouces, tous les moyens sont bons pour nous aider. Partagez aussi et on se retrouve très bientôt, bien évidemment pour une prochaine vidéo. On a quoi ? Trois heures d’enregistrement là ?
Je bois un peu de jus de petit chat.
Rose : Non ! C’était censé être mignon, ce n’est plus du tout mignon là.
Jérôme Keinborg : Merde ! Réalise ! 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires par heure.
Rose : Tu as dit 100 milliards.
Jérôme Keinborg : Ça fait beaucoup. Cette commission a généré un rapport déjà énorme, plus de 1,2 milliards de documents à charge contre les GAFAM.
Rose : Milliards ou millions ?
Jérôme Keinborg : Millions. Merde ! Aujourd’hui je suis largué. Je confonds millions et milliards, ce n’est pas possible ! Ça ferait une bonne vidéo. En combien de temps on peut dépenser un million ?
Rose : Ça dépend si tu achètes des grecs ou si tu achètes un yacht !
Jérôme Keinborg : Ah oui ! Je croyais des gens grecs. Hé, les Grecs, c’est bon je vous ai rachetés. Je termine mon jus de chat.