NFT, pourquoi ce succès
Titre : NFT, pourquoi ce succès ?
Intervenant : Stéphane Bortzmeyer
Lieu : Parinux - Soirées de Conversation du libre
Date :
Durée : 53 min 38
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration :
NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Description
Les NFT sont à la mode en ce moment : leurs partisans mettent en avant le fait qu’ils permettent d’introduire de la rareté, dans le monde du numérique où la copie est au contraire facile et bon marché. Comment font-ils, techniquement ? Quels sont les pièges ? Et, même si ça marche, est-ce une bonne idée ?
Transcription
??? quelque chose il faut déjà se demander à quoi ça sert. Quel est le problème que ça essaye résoudre ? Qu’est-ce qu’on veut faire.
NFT, vision d’en haut
D’abord une vision d’en haut. Je pense que ça va beaucoup frustrer les gens qui sont informaticiens, vous allez dire « je ne comprends pas, c’est impossible comme truc, ça ne peut marcher ! ». Je vous demande d’être patients. On en parlera après. Il faut d’abord comprendre ce qu’on essaye de réaliser.
NFT veut dire Non-fungible tokens, personne ne comprend ce que ça veut dire, ce n’est pas grave. Ça veut résoudre un problème.
Je ne sais pas si vous avez lu le roman Solaris de Stanislas Lem par exemple. C’est de la science-fiction. Les explorateurs sont dans une fusée en orbite autour d’une planète. Il se passe tout un tas de phénomènes rigolos, notamment les morts ressuscitent à bord du vaisseau et on ne meurt plus. Il y a un type, dans l’expédition, que ça dérange. Il trouve que ça casse l’ordre normal des choses donc il cherche des solutions, il cherche comment empêcher que les gens vivent éternellement. C’est assez rigolo parce que, intuitivement, on a l’impression que tout le monde serait ravi qu’on puisse vivre éternellement, que les morts ressuscitent, mais il y a un type que ça dérange.
Dans le monde du numérique la copie est simple, rapide, pas chère. C’est un gros du numérique, c’est la raison pour laquelle on l’a inventé, c’est super, on peut faire des copies, mais il y a des gens que ça dérange. Il y a des gens que ça dérange. Ce qui dérange surtout c’est, du fait que la copie est simple, rapide et pas chère, les biens sont non-rivaux. « Non-rival » c’est un terme d’économie qui désigne le fait que si une personne utilise un bien cela ne gêne pas les autres. Typiquement, je lis un article sur Wikipédia, ça n’affecte pas votre capacité à le lire aussi. Je ne vais pas user l’article en le lisant. Au contraire, les pains au chocolat sont rivaux. Si je mange un pain au chocolat, vous ne pouvez plus le manger après.
Donc ce sont des caractéristiques importantes du numérique et positives. Moi je trouve que c’est une bonne chose, mais il y a des gens que ça dérange. Les gens que ça dérange préféreraient la rareté parce que quand il y a de la rareté il peut y avoir un marché, on peut vendre. C’est difficile de vendre quelque chose qui est copiable de manière triviale, comme on l’a vu des tas de fois. Donc pas mal de gens préféreraient un système où il y a de la rareté et de la rivalité. Le but fondamental des NFT c’est de recréer de la rareté et de la rivalité alors que l’humanité a bossé pendant des siècles pour mettre au point une technique, l’informatique, qui ne permet de ne plus avoir, en tout cas pour l’information, de rareté et de rivalité.
De ce point de vue-là on peut comparer ça aux DRM. Comme les DRM, ça va essayer de rendre un bien qui normalement est simple, rapide et pas cher à copier, en quelque chose qui est difficile à copier.
Pour répondre à Clotilde, DRM ce sont les menottes numériques, ça veut dire Dgital rights management. C’est l’ensemble des techniques qui empêchent de copier un fichier numérique. Par exemple sur Netflix ou d’ailleurs sur Salto, les films sont diffusés en utilisant des techniques qui font qu’on ne peut pas facilement capter le flux vidéo que vous envoie Netflix pour le copier et le distribuer à ses copains.
NFT, applications pratiques
À quoi ça peut servir, comme ça, cette rareté, cette rivalité ? La grosse utilisation à laquelle on pense c’est le marché de l’art. Traditionnellement, le marché de l’art propose ce caractère unique de l’objet. Un peintre fait un tableau.
Donc les applications pratiques c’est le marché de l’art qui, traditionnellement, repose sur ce côté unique. Léonard de Vinci peint La Joconde, il n’y en a qu’une, à partir de là elle vaut plus cher. S’il y avait un moyen, on parlait de science-fiction, comme dans la science-fiction, s’il y avait des duplicateurs de matière qui produisent un million de Joconde, on ne pourrait pas la vendre de la même façon.
Ce n’est pas tout à fait vrai que tout l’art repose là-dessus. Dans le domaine de la sculpture ça fait très longtemps qu’il y a des cas où le sculpteur fabrique un moule et ensuite on peut en tirer pas mal d’objets. Évidemment de nos jours, avec une imprimante 3D, c’est encore plus facile. Mais une grande partie du marché de l‘art repose sur cette idée d’unicité et on va essayer, avec les NFT, de le recréer.
Un autre intérêt du marché de l’art pour les NFT, c’est que c’est un marché qui est largement irrationnel où on peut faire n’importe quoi, ça marchera toujours et puis ça n’est pas perçu comme un problème si on met des limites. Si vous mettez des limites, via un brevet, à un médicament, par exemple un vaccin contre la Covid 19, on va dire que vous êtes méchant. Alors que dans le domaine de l’art vous pouvez faire ce que vous voulez.
Ça permet, en fait, de retrouver la notion d’œuvre unique qu’on avait perdue avec le numérique. C’est un côté un peu paradoxal, le numérique nous donnait l’abondance, on veut restreindre cette abondance pour revenir à la rareté, pour faire un marché intéressant.
Ça ne s’applique qu’à l’art. La grosse utilisation des NFT ce sont tous les trucs qu’on collectionne, genre cartes Pokémon, photos de joueurs de baseball. L’idée c’est que ce n’est pas complètement copiable, ce ne sont pas des objets uniques, mais ce ne sont pas non plus des objets qui sont en quantité illimitée. Donc ça peut bien se prêter à l’utilisation des NFT.
Arrivé là, les informaticiens dans la salle sont déjà passés en PLS, ils disent « ce n’est pas possible on ne peut pas empêcher la copie, on peut toujours copier des bits, ce n’est pas infaisable ». Si vous êtes un de ces barbus, libristes, qui n’utilisent que du logiciel libre et qui ne veut pas écouter les messages de la Hadopi, vous allez avoir la réaction qui est de dire « ça ne peut pas marcher. C’est forcément une escroquerie, ça ne peut pas marcher ! »
Dans ce cas-là c’est un peu plus compliqué. On va voir après comment ça fonctionne. C’est vrai qu’on peut toujours copier des bits. Pour expliquer à Clotilde j’avais pris l’exemple de Netflix qui avait des DRM, vous pouvez toujours, par exemple quand vous regardez un film sur Netflix, filmer votre écran et diffuser ; la qualité sera moins bonne, mais si c’est bien fait ça peut être acceptable. C’est pour ça que les libristes disent souvent que les DRM ça ne marche pas. Si on est prêt à mettre suffisamment d’efforts, à accepter des inconvénients, effectivement vous pouvez dire que ça ne marchera pas parfaitement. Mais, en général, les gens qui sont dans le business ne demandent pas un truc qui marche parfaitement, ils ne demandent pas un truc qui marche dans tous les cas. Ils demandent un truc qui marche suffisamment pour qu’on puisse se rapporter de l’argent par-dessus. Le fait qu’il y ait des copies faciles, il suffit de les rendre difficiles, pas impossibles parce que, effectivement, c’est en général impossible. Je le disais à GNUtoo, une solution simple c’est qu’on filme l’écran et ça c’est impossible de l’empêcher. On ne peut pas complètement l’empêcher, mais on peut le rendre difficile.
Les NFT ça va être, en pratique, l’idée que les copies sont toujours possibles, mais, en tout cas, on va essayer de faire en sorte qu’il y ait quelque chose qui soit difficile à copier. Et c’est l’idée astucieuse de NFT, c’est en ça que c’est plus astucieux que les DRM, techniquement ça marche mieux que les DRM.
NFT, première étape
Comment on fait des NFT ?
La première étape pour un NFT, vous partez d’un fichier numérique. Les NFT c’est conçu pour le monde numérique. On peut toujours partir de quelque chose qui est un concept ou une idée. À priori, le but des NFT c’est de faire des choses avec des fichiers numériques. Le fichier numérique ça peut être une image, ça peut être un son, ça peut être un fichier pour une imprimante 3D, ce qu’on veut, un bête fichier numérique donc des bits.
Ensuite vous ajoutez des métadonnées. C’est une étape importante, parce que juste un fichier numérique ça ne vous dit rien. Ce qu’il faut, c’est avoir des métadonnées qui vont certifier des choses. Par exemple vous allez avoir une métadonnée qui va être « la Hadopi vous garantit que cette chanson est bien une chanson de Emma Leprince ».,donc que c’est une chanson authentique et pour ceux qui ne connaissent Emma Leprince, je pense que tout le monde connaît Emma Leprince, mais sinon j’ai mis la vidée dans les liens, ne regardez pas tout de suite parce que ça vous empêchera d’écouter. Dans la chanson, dans le clip de la Hadopi, Emma Leprince est censée enregistrer en 2022. Donc l’année prochaine tout le monde pourra rigoler en disant « il n’est pas sorti le clip d’Emma Leprince, c’est nul ! »
Ces métadonnées sont une étape très importante de NFT, ça jouera un rôle important, ça certifie des choses : une date, un auteur, des choses comme ça.
Une fois que vous avez le fichier numérique et ses métadonnées, vous signez cryptographiquement, donc une bête signature cryptographique que vous faites avec PGP, OpenSSL, ce que vous voulez, peu importe, vous signez.
Qui est le « vous » ? C‘est ça qui est intéressant. Il y a un acteur, quelque part, qui n’est pas forcément l’auteur du fichier numérique. C’est un acteur quelconque, c’est pour ça que je commence par « vous » prenez un fichier numérique, ce n’est pas forcément vous qui l’avez fait. Vous prenez un fichier numérique qui existe, vous mettez les métadonnées et ensuite vous faites une signature cryptographique. À partir de là il n’y aura de là plus de modifications possibles, ni au fichier numérique, ni aux métadonnées, sinon ça invalidera la signature.
Là on reste dans le classique, une signature cryptographique c’est un vieux truc, il n’y a rien de très nouveau.
L’étape suivante, on transforme ça en vrai NFT, nécessite de réviser ce que sont les contrats automatiques, parce que sans contrat automatique, il n’y a pas de NFT.
Rappel sur les contrats automatiques
Contrat automatique, vous verrez souvent le terme de <em<Smart Contracts, c’est en anglais donc ça fait mieux, c’est comme quand on dit open source au lieu de logiciel libre. En plus c’est bien quand c’est smart. Le terme est très mauvais, tout à fait inadapté, pas seulement parce que c’est du marketing, mais aussi parce qu’on ne demande pas à ces contrats d’être smarts, au contraire, on leur demande plutôt d’être bêtes puisqu’ils vont devoir faire quelque chose de validable.
Un contrat automatique c’est un programme. Le mot « contrat » est d’ailleurs est lui-même contestable. C’est un programme qui va être exécuté sur une chaîne de blocs, il y a une chaîne de blocs dans le lot, et par tous les nœuds de la chaîne de blocs, puisque le principe d’une chaîne de blocs – une vraie chaîne de blocs, pas les machins qu’on vous vend en disant Private bloc chain ou ???, une vraie chaîne de blocs – c’est de pair à pair. Les différents nœuds qui exécutent le code qui gère la chaîne de blocs ne se connaissent pas, ne s’aiment pas, ne se font pas confiance, donc il faut qu’on arrive à un consensus alors que les différents acteurs ne sont pas forcément d’accord, sympas, ne se font pas forcément confiance.
Pour ça, tous les nœuds vont exécuter le programme, en utilisant que des données qu’il y a dans la chaîne de blocs, ils vont mettre le résultat dans la chaîne de blocs. Comment tout le monde fait les mêmes calculs, chacun peut vérifier que le résultat est correct, parce que tout le monde voit que oui, on a vu la même chose.
C’est ça qui fondamentalement permet à la chaîne de blocs de fonctionner.
Par exemple dans le cas de bitcoin, le programme exécuté est beaucoup plus trivial, ce sont simplement des transferts d’argent. Il y a aussi le minage, mais il y a surtout du transfert d’argent. Alice donne de l’argent à Bob. Comme tous les nœuds de la chaîne bitcoin ont fait la même opération, tous peuvent vérifier combien Alice a avant, combien elle a après, combien a Bob avant, combien il a après, et se mettre d’accord. Le but de la chaîne de blocs c’est qu’on arrive à un consensus alors que les acteurs ne se font pas confiance.
L’idée du contrat automatique va un peu plus loin que bitcoin, les programmes qu’on exécute ce n’est pas seulement des transferts d’argent, ce sont des programmes quelconques. En termes techniques, des programmes écrits dans un langage de Turing, exécutés par une machine de Turing, c’est-à-dire un calculateur universel.
Tout ça ce sont des grands mots, mais un langage de Turing, c’est simplement un langage de programmation où on peut faire ce qu’on fait dans tous les autres langages de Turing. Par exemple, si vous avez écrit un programme en PHP, vous pouvez faire un programme en LISP qui fait la même chose, et réciproquement. Les deux langages sont équivalents dans le sens de Turing, c’est-à-dire que vous pouvez tout programmer. C’est plus ou moins facile, c’est plus ou moins agréable, mais vous pouvez tout programmer.
Donc dans les contrats automatiques, on peut tout programmer.
13’ 13
Puisqu’on peut tout programmer,