Libre à vous ! Radio Cause Commune - Transcription de l'émission du 14 mai 2019

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 14 mai 2019 sur radio Cause Commune

Intervenant :

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 14 mai 2019

Durée : 1 h 30 min

[ Écouter ou télécharger le podcast]

Page des références utiles concernant cette émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration :

NB : transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Statut : Transcrit MO

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Vous êtes sur la radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout dans le monde sur le site causecommune.fm. La radio dispose d’un webchat, donc utilisez votre navigateur libre préféré, rendez-vous sur le site de la radio causecommune.fm et vous pouvez nous rejoindre sur le salon dédié à l’émission.
Nous sommes mardi 14 mai 2019, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association nationale de promotion et de défense du logiciel libre. Je suis Frédéric Couchet, délégué général de l’April.
Le site web de l’association c’est april.org ; vous y retrouverez une page consacrée à cette émission avec les références qui seront citées pendant l’émission, les pauses musicales et toute information utile. N’hésitez pas aussi à nous faire des retours pour nous indiquer ce qui vous a plu mais également les points d’amélioration.
Nous vous souhaitons une excellente écoute.

Nous allons passer maintenant au programme de l’émission.
Nous allons commencer dans quelques secondes avec une chronique de Xavier Berne qui est journaliste pour le magazine d’enquête et d’actualité Next INpact. Normalement Xavier est avec nous pas téléphone. Bonjour Xavier.

Xavier berne : Oui, je suis là.

Frédéric Couchet : OK. On se retrouve dans quelques secondes. D’ici une quinzaine de minutes notre sujet principal portera sur le métier du développement logiciel libre avec nos invités avec Katia Aresti, ingénieure logiciel libre chez Red Hat et Emmanuel Raviart développeur logiciel libre, nous les retrouverons tout à l’heure.
En fin d’émission nous aurons également une interview de Philippe Borrel qui est le réalisateur du documentaire Internet ou la révolution du partage qui est la version courte du film La Bataille du Libre actuellement diffusé dans certaines salles et également sur Arte.
À la réalisation ma collègue Isabella Vanni avec le soutien de Patrick Creusot. Bonjour Isa, bonjour Patrick.

Frédéric Couchet : Tout de suite place au premier sujet. Nous allons commencer par la nouvelle chronique de Xavier Berne. Xavier est journaliste pour le site d’enquête et d’actualité Next INpact, donc nextinpact.com. Rebonjour Xavier.

Xavier berne : Bonjour Fred.

2’ 13 Chronique de Xavier Berne – Bilan de Mounir Mahjoubi

Frédéric Couchet : La chronique du jour aujourd’hui, tu veux nous faire un bilan de Mounir Mouhjoubi, ancien secrétaire d’État chargé du numérique qui a été, entre guillemets, « débarqué » du gouvernement fin mars pour vivre de nouvelles aventures. Alors ce bilan ?




Frédéric Couchet : Au revoir. À Bientôt.
Nous allons faire une pause musicale, c’est Another Happy Ukulele Song par Alex Nekita et on se retrouve juste après.

Voix off : Cause Commune 93.1

Pause musicale : Another Happy Ukulele Song par Alex Nekita.

14’ 35 Les développeurs du Libre

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Another Happy Ukulele Song par Alex Nekita. C’est évidemment sous licence libre Creative Commons Attribution et vous retrouvez la référence sur le site de l’April.
Vous écoutez l’émission Libre à vous ! sur radio Cause Commune 93.1 en Île-de-France et partout ailleurs sur le site causecommune.fm.
Nous allons aborder notre sujet principal qui va porter sur le métier du développement logiciel libre avec nos deux invités, d’abord Katia Aresti ingénieure logiciel Chez Red Hat. Bonjour Katia.

Katia Aresti : Bonjour.

Frédéric Couchet : Et Emmanuel Raviart, développeur logiciel libre. Bonjour Emmanuel.
On va essayer d’expliquer un petit peu ce magnifique métier du développement logiciel notamment libre, mais pas forcément que libre. Comme je disais à mes deux invités avant la prise d’antenne, en venant en métro au studio, il y avait des pubs, une des pubs dans le métro disait : « Je veux faire du Java 35 heures par semaine ». C’est pour un site dont je ne me souviens plus exactement du nom, mais un site qui fait sans doute des formations autour d’un langage de programmation qui s’appelle Java. Comme quoi, finalement, ce métier de développeur et de développeuse doit attirer au monde. Je trouve ça marrant, d’autant plus que Katia Aresti est une spécialiste Java si je me souviens bien.
On va essayer d’expliquer un petit peu ça. Ma première question va être relativement simple pour les deux personnes, c’est déjà de présenter votre parcours, d’où vous venez. Pour Emmanuel Raviart, ne pas faire tout son parcours depuis le début ! Mais d’où vous venez et où vous êtes aujourd’hui. Peut-être Katia Aresti qui est développeuse actuellement ingénieure développeur chez Red Hat.

Katia Aresti : Moi ça fait presque 14 ans que je travaille de manière professionnelle en tant que développeuse. J’ai fait mes études en Espagne, au pays basque espagnol, ingénieur en informatique pendant 5 ans. Après j’ai travaillé trois ans à Madrid pour une grosse SS2I [Société de services et d’ingénierie en informatique], une société de services appelée Sopra Group qui est française et du coup, avec cette boîte j’ai fait une mutation à Paris. J’ai travaillé pour cette grosse société de services, ensuite une autre plus petite, en faisant du prestataire pour des gros clients : Orange, Pôle emploi, Bouygues Telecom, etc. Ensuite j’ai été freelance pendant une période. J’étais la plupart du temps développeuse Java ou plutôt axée sur Java même si j’ai aussi fait d’autres langages. Depuis deux ans je travaille chez Red Hat qui est une boîte internationale qui développe des produits open source ou libres, en fait le code source du produit est disponible et accessible pour tout le monde et ils monétisent comme ça. Moi je travaille pour une équipe en développant un produit depuis deux ans. Voilà ! C’est ce que je fais depuis 14 ans, 15 ans.

Frédéric Couchet : D’accord. Emmanuel Raviart.

Emmanuel Raviart : Assez vite en 1997 j’ai créé une première société de logiciel libre qui a avait la particularité, qui a la particularité d’être détenue par ses salariés avec égalité de salaires. En 2001 j’en ai créé une autre avec le même principe Entr’ouvert. Après j’ai créé un réseau d’entreprises sur ce principe-là qui s’appelle Libre-entreprises et dont Frédéric porte le tee-shirt. Après ça j’ai un peu travaillé pour la Caisse des dépôts, puis je suis entré à Etabab en tant que développeur, on a développé le nouveau data.gouv en 2013. Après j’ai travaillé sur le logiciel libre OpenFisca. Je me suis retrouvé par erreur, plutôt par un malentendu, directeur de campagne puis assistant parlementaire avant, maintenant, de retourner à mes amours sur le développement.

Frédéric Couchet : Merci pour cette présentation. Déjà un point essentiel c’est que c’est sur la durée. Vous faites du développement de logiciel libre depuis des années, alors que beaucoup de gens c’est souvent une étape avant une autre activité. Ça c’est déjà un point essentiel pour les personnes qui nous écoutent, c’est que le métier de développement en logiciel libre peut être un métier sur la durée, qu’on peut y trouver du plaisir sur la durée.
Deuxième question : comment vous définiriez, en une phrase ou deux, le développement logiciel ? Vous êtes dans une soirée, vous rencontrez des gens et, au lieu de dire que vous faites de l’informatique, ce qui est très générique, si vous deviez expliquer ce qu’est le développement logiciel, en quelques mots ? Est-ce que vous parleriez de langage de programmation ? Comment vous essaieriez de faire comprendre ce qu’est le développement logiciel ? Qui veut commencer ? Katia.

Katia Aresti : Je peux commencer. Déjà je dirais que c’est un métier qui est assez créatif et, en même temps, il faut trouver des solutions aux problèmes. Ce que je fais au quotidien c’est passer du temps à écrire sur un éditeur en un langage que l’ordinateur va comprendre et grâce à ce que j’ai écrit, eh bien je vais construire à peu près tout ce qu’on peut imaginer aujourd’hui pour qu’on utilise son ordinateur, qu’on utilise son appareil mobile. Un peu partout, en fait, il y a des logiciels. Quand on a besoin d’envoyer un texto c’est quelque chose qui a écrit par quelqu’un, c’est ce que je fais. Après, par rapport au côté Libre, moi ce que je fais c’est surtout construire des choses ou des applications, par exemple le site de Pôle emploi était construit à base de logiciels libres ou plutôt open source, ais après le code de Pôle emploi est fermé, n’importe qui ne peut pas voir comment ça a été développé, ça c’est un truc. Aujourd’hui je code beaucoup, ce que je fais, mon travail est complètement disponible, on peut voir tous les jours ce que je fais en fait.

Frédéric Couchet : D’accord. On reviendra tout à l’heure dans la discussion justement sur cette évolution, notamment te concernant, d’un passage au logiciel libre et peut-être ce que ça a changé en termes de développement, parce que, forcément, on ne développe pas de la même façon quand on fait du logiciel propriétaire ou du logiciel libre. Emmanuel toi, comment tu présenterais ça ?

Emmanuel Raviart : Je ne le présente pas souvent, mais si je le présentais là, maintenant...

Frédéric Couchet : Tu vas à très peu de soirées, c’est ça ?

Emmanuel Raviart : Je vais à très peu de soirées justement parce que je suis développeur et je n’ai pas le temps d’aller dans les soirées.

Frédéric Couchet : Pour toi les 35 heures, c’est plus…

Emmanuel Raviart : Voilà ! Les 35 heures ! Bon ! En fait être développeur, au début c’était écrire des mots dans un langage simplifié et avec ces mots dans un langage simplifié progressivement construire des phrases et tout. En fait, moi j’assimile plutôt ces phrases à des briques, comme quand on construit une maison, sauf que chacune de ces briques a une forme différente.

Frédéric Couchet : Comme quand on construit un Lego aussi,

Katia Aresti : C’est ça, je suis d’accord avec ça.

Emmanuel Raviart : Comme on construit un Lego. Simplement chaque brique a une forme différente et elle peut avoir un impact sur le reste de la maison. C’est en ça que c’est un peu bizarre le logiciel parce que c’est quelque chose où chaque acte peut avoir de l’importance plus tard. Voilà ! Ce que je voulais dire de plus c’est que jusqu’à présent c’était souvent écrire des mots et maintenant c’est beaucoup réutiliser des phrases écrites par d’autres ou des blocs montés par d’autres.

Frédéric Couchet : C’est une remarque effectivement intéressante. C’est que quand vous avez commencé le développement il y avait peut-être moins de briques disponibles.

Emmanuel Raviart : Il n’y avait rien qui existait maintenant tout existe.

Frédéric Couchet : Il n’y avait rien qui existait. Et quand on parle de langages de programmation, quand je faisais tout à l’heure l’introduction tout à l’heure sur Java – alors on ne va pas du tout être trop techniques aujourd’hui, j’ai cité Java parce que j’ai vu la pub et que Katia est une spécialiste Java –, un langage de programmation, en gros, c’est une grammaire, un vocabulaire, qui permet effectivement d’écrire du code informatique, qui va permettre à partir de briques de gérer une maison, de gérer un téléphone, de gérer un site, Pôle emploi, et finalement c’est accessible à toute personne en fait. C’est-à-dire que c’est un apprentissage qui ne demande, on va dire, aucune caractéristique particulière. Ou plutôt, comment vous vous êtes venus à informatique justement ? Katia.

Katia Aresti : Moi j’ai un parcours assez classique parce que j’ai fait une école d’ingénieur en informatique, mais ce n’est pas le seul parcours possible. Aujourd’hui il existe énormément de formations dans lesquelles des personnes qui, par exemple, travaillent mais qui envisagent un changement, peuvent pendant trois, quatre mois se former au lieu de faire une école d’ingé de cinq ans. Il y a énormément de ressources online et du coup, en fait, comment on peut commencer à coder ? C’est vraiment en allant sur un site chercher par exemple le langage JavaScript. D’ailleurs JavaScript, ce n’est pas mal parce que c’est quelque chose qu’on voit visuellement dans le navigateur, du coup ça donne tout de suite un retour sur ce qu’on code et après commencer à apprendre les bases avec un petit truc : si j’écris ça, qu’est-ce que ça donne, etc. ? Mais moi j’ai fait un parcours assez classique.

Frédéric Couchet : D’accord. Emmanuel.

Emmanuel Raviart : Je me suis lancé dans l’informatique, j’étais en 4ᵉ, je voulais faire de l’intelligence artificielle, je voulais créer un ordinateur qui comprenne, qui se comporte comme un humain. Donc c’est comme ça que je me suis intéressé à l’informatique. Que dire de plus ? Rien.

Frédéric Couchet : En fait tu t’es intéressé à l’informatique finalement relativement jeune, quand même très jeune.

Emmanuel Raviart : Jeune. C’était au détriment de mes études, ce qui m’a fait rater d’ailleurs quelques études. Après je suis retombé, j’ai fait un IUT d’informatique. En fait j’avais tout appris avant mais l’IUT d’informatique m’a permis de stabiliser un peu mes connaissances théoriques.

Frédéric Couchet : D’accord. Katia.

Katia Aresti : Pardon, peut-être que je n’ai pas répondu vraiment à la question Pourquoi j’ai fait une école d’informatique, d’ingénierie ? C’est parce que j’avais appris un peu à coder dans un cours quand j’étais au lycée. On avait appris un tout petit peu à coder et j’étais une ado qui ne savais pas quoi faire, je savais pas des lettres, je ne voulais pas un truc comme médecine ou machin parce que je ne supporte pas le sang ni les animaux, ni rien. Du coup j’ai découvert ça, je suis allée faire des études d’ingénieur et c’est là, en fait, que ça m’a confirmé que j’adorais coder.

Frédéric Couchet : D’accord. Je te laisse Emmanuel et ensuite on va revenir sur le mot « adorer coder ». Emmanuel.

Emmanuel Raviart : À propos des études ce qui m’a marqué c’est que les professeurs étaient souvent moins compétents que les élèves, au moins à mon époque et c’est encore quelque chose qu’on retrouve dans les apprentissages d’informatique maintenant. C’est-à-dire qu’il y a de bonnes écoles d’informatique comme Epitech ou 42 où ce sont les élèves qui apprennent aux autres élèves et qui se forment eux-mêmes. L’informatique est une technique où on peut apprendre par soi-même en galérant beaucoup.

Katia Aresti : En passant des heures.

Emmanuel Raviart : En passant beaucoup d’heures et sans forcément avoir beaucoup de personnes pour t’enseigner.

Frédéric Couchet : Outre les écoles il y a aussi certaines universités, je vais citer l’université de Paris 8 où j’ai appris l’informatique, justement plutôt la nuit que le jour et où il y a une forte entraide.
Je vais revenir sur le terme « adorer cette activité de code ». Quelle satisfaction, quel plaisir trouvez-vous à faire du développement logiciel et à continuer à en faire aujourd’hui ? Comme je l’ai dit en introduction, il y a beaucoup de gens pour qui le développement logiciel est une étape dans une carrière informatique avant de devenir chef de projet ou autres. Quels sont les plaisirs que vous trouvez ? Emmanuel.

Emmanuel Raviart : Le grand avantage d’un ordinateur c’est que quand on sait programmer, même un peu, l’ordinateur nous obéit. Ça, par rapport aux êtres humains, c’est un bonheur incommensurable. C’est une des vraies satisfactions qu’on a c’est qu’on a l’impression un outil surpuissant entre les mains et qu’on arrive à lui faire faire des choses. Ça c’est un des vrais plaisirs que j’ai toujours avec l’ordinateur, c’est-à-dire arriver à lui faire faire des choses que j’ai envie qu’il fasse. Voilà ! C’est donc pour moi un outil qui permet de mettre en pratique certaines choses que j’ai envie de faire.

Frédéric Couchet : D’accord. Katia.

Katia Aresti : Moi c’est vraiment le côté qu’on est en train de construire des choses potentiellement utiles, peut-être pas, mais au moins ça peut être fun : une appli mobile qui fait juste des photos rigolotes c’est déjà quelque chose qui est marrant. Le fait de pouvoir vraiment faire des choses qui aident au quotidien, construites par moi-même. J’ai beaucoup joué aux Lego quand j’étais petite et peut-être que ça a aussi structuré mon cerveau pour aimer ça. Et c’est le mélange un peu scientifique avec le côté créatif et la satisfaction de faire avancer les choses quand ça marche ; tu passes beaucoup de temps et c’était très riche. Ce n’est pas un métier, contrairement à ce qu’on pense, assez individuel, mais c’est très collectif parce qu’on doit souvent travailler avec les autres, apprendre à coder avec les autres et justement, souvent les plus gros problèmes viennent plus des gens que de la machine, en fait ; c’est vraiment le fait de travailler avec les gens, c’est un métier assez social. Il y a énormément de soirées, des choses justement pour qu’on apprenne tous ensemble. Donc c’est tout l’ensemble qui me plaît, en fait.

Frédéric Couchet : D’accord. Par rapport à ça, dans la préparation de l’émission, un mot est revenu un moment c’est le mot d’ « artisan », je crois, Emmanuel Raviart, que tu te revendiques comme artisan en logiciel libre. Pourquoi ce terme artisan ?

Emmanuel Raviart : L’expression ne vient pas de moi, elle vient surtout de Rodolphe Quiédeville qui est ancien collègue commun. Je me retrouve totalement dans ce mot artisan parce que, en fait, on a longtemps pensé que l’industrie du logiciel était une industrie et que si, par exemple, on prenait une armée de singes et qu’on les mettait à coder un programme, ils arriveraient à coder un langage. Ça c’était un petit peu la théorie du langage Java, pour lancer un petit troll à ma collègue de gauche. Dans les années 90 il y avait un peu ce son-là, bien sûr on en est revenus. En fait non. Comme je le disais un logiciel c’est un ensemble de briques toutes avec des formes différentes. En fait je considère qu’on n’est jamais un bon informaticien. On peut juste essayer d’être un peu moins mauvais avec le temps et de s’améliorer, parce qu’il n’y a de vraie standardisation. Bien sûr on essaie de réutiliser des choses existantes, des choses comme ça, mais chaque petite décision peut avoir un impact énorme sur la suite du logiciel un ou deux ans après. Donc vraiment on est dans un truc où il faut…

Katia Aresti : De l’expérience.

Emmanuel Raviart : De l’expérience, aimer son métier et accepter de revenir en arrière. Donc c’est vraiment pour moi comme faire un beau meuble, c’est de l’artisanat.

Frédéric Couchet : Et est-ce que le parallèle aussi, tu parles d’industrie, si on pense à un avion. Un individu seul, une personne seule ne peut pas construire un avion alors qu’une personne seule peut, quelque part, construire un logiciel. Mais d’un autre côté en fait artisanat ne veut pas dire forcément isolement parce que dans le cadre du logiciel on travaille avec des briques, comme vous l’avez dit tout à l’heure, qui ont été écrites par d’autres et on peut aussi travailler, notamment dans le cadre du logiciel libre, avec d’autres développeurs et développeuses qui travaillent sur les mêmes codes ou sur des codes dont on dépend.

Emmanuel Raviart : Oui. C’est ce qui a beaucoup changé dans le métier d’informaticien ces dernières années. Dans les années 80, 90, quand tu avais un problème tu cherchais pendant des mois, tu étais tout seul, mais vraiment tout seul ; il n’y avait pas vraiment des relations sociales. Maintenant avec l’essor d’Internet et autres choses, pour résoudre les problèmes tu mets à peu près 30 secondes. On n’est plus sur des recherches d’un mois ou deux mois comme ça m’arrivait à l’époque rien que pour résoudre un petit problème. Maintenant tu poses la question sur un moteur de recherche, on te répond sans doute avec une réponse te fait comprendre ta question.
Et c’est vrai que maintenant, comme on réutilise de plus en plus de composants existants, comme on est dans des logiciels qui sont de plus en plus des assemblages et autres choses, eh bien en fait le métier de développeur de logiciel est devenu extrêmement comme le disait ma voisine.

Frédéric Couchet : Sur cette notion, Katia, d’artisanat ou d’industrie, parce que Red Hat ce n’est pas de l’artisanat quelque part, on va dire que c’est l’un des « industriels du logiciel » entre guillemets. Est-ce que tu te reconnais dans cette définition, en tout cas dans ce mot d’artisanat, ou est-ce que tu ne te reconnais pas ?

Katia Aresti : Oui et non. En fait je me reconnais dans le sens où c’est un métier qui s’apprend, qui s’améliore à force de faire, de faire, on devient comme ça meilleur et il y a toujours des remises en question, des nouvelles techniques à apprendre. Donc c’est quelque chose qui se perfectionne vraiment avec le temps. Après, je considère que c’est aussi une industrie, d’ailleurs très grande et qui bouge beaucoup d’argent justement. Moi je travaille pour une grosse société, Linux Enterprise, c’est un de leur plus gros succès. Je travaille dans une autre partie, on fait plutôt des briques de logiciel Java, justement pour que d’autres développeurs les utilisent pour créer d’autres solutions. Tout ça c’est open source, donc ce n’est pas forcément logiciel libre, il y a parfois une différence qui est faite entre le fait que le code soit disponible et ouvert qu’on puisse le voir et que ce soit un logiciel libre. Ça c’est peut-être un débat plus philosophique, plus long, à ne pas tenir maintenant. Ce qui fait réserve c’est vraiment monétiser avec la formation, faire du consulting, aider les clients qui utilisent ces produits à s’en sortir en fait. Donc c’est aussi une industrie.

Frédéric Couchet : D’accord. Sur la différence entre open source et logiciel libre, il y a à la fois une différence philosophique, mais souvent, derrière, les logiciels sont les mêmes, c’est une question de licences et de licences qui garantissent les fameuses quatre libertés du logiciel libre qu’on peut redire : la liberté d’utilisation, d’étudier le fonctionnement, de modifier le code soit pour corriger des bugs, soit rajouter des fonctionnalités et la possibilité de redistribuer soit la version originale du logiciel, soit la version modifiée.
Dans ton parcours, Katia, tu as expliqué que tu n’as pas toujours fait du logiciel libre. Justement, dans ton métier de développeuse de logiciels, qu’est-ce qui a changé du fait que tu sois devenue une développeuse qui travaille sur des outils libres. ? Je suppose que ça a changé en bien, mais peut-être qu’il y a des choses qui ont changé en mal, je n’en sais rien, mais qu’est-ce qui a chang  ? Qu’est-ce qui a changé et quelle a été l’évolution de ton métier, finalement, avec cette nouvelle base de travail qui est une base libre ?

Katia Aresti : Déjà, la première chose, c’est que souvent les produits qui sont open source, dont le code source est ouvert, sont développés par des gens un peu partout dans le monde, donc c’est distribué par défaut en fait. Ça, ça a changé. Les premiers gros changements que j’ai eus c’est que mon équipe n’est pas en France : on est tous partout. Tous les gens avec qui je travaille au quotidien sont partout dans le monde, par contre, on travaille en équipe. On prend des décisions ensemble, on est tout le temps connectés mais pas forcément à parler, mais on écrit, on chatte et tout ça. C’est un gros changement que ça a fait. Après, j’adore le fait que tout le monde puisse voir, contribuer à ce que je fais et porter un jugement : que ce soit ouvert, que tout le monde puisse voir vraiment ce que je fais.

Frédéric Couchet : Une question : ça ne t’a jamais bloquée potentiellement de te dire, justement, qu’en publiant en logiciel libre donc de façon totalement publique, n’importe quelle personne pourrait regarder ton code, éventuellement le commenter, éventuellement négativement ? Ça n’a jamais été un blocage pour toi ?

Katia Aresti : S’il a raison de commenter ! En fait, je pense que c’est l’expérience qui m’a appris que le code ce n’est pas moi. Le code c’est mon code, c’est le code que j’ai fait, mais ce n’est pas moi. Si le code c’est de la merde, eh bien c’est de la merde quoi ! C’est bon ! Ce n’est pas ma personne qui est de la merde. En partant de là, les gens peuvent porter le jugement qu’ils veulent et s’ils ont raison tant mieux parce que je vais apprendre. Et s’ils n’ont pas raison, eh bien tant pis pour eux ! C’est peut-être à eux d’apprendre.

Frédéric Couchet : D’accord. Il me semble que dans le développement, enfin dans le logiciel libre en général, l’un des avantages c’est qu’il n’y a pas de barrière juridique ni technique à la contribution et à l’amélioration du code. C’est-à-dire qu’en fait on dépend uniquement de ses propres capacités. C’est-à-dire si on a envie de faire évoluer un logiciel et qu’on va y passer le temps, on peut y arriver. Est-ce que c’est ça Emmanuel ?

Emmanuel Raviart : Oui, c’est exactement ça. Le plaisir qu’on a en faisant du Libre c’est qu’à un moment, quand on a un problème en utilisant une bibliothèque ou un logiciel fait par quelqu’un d’autre, eh bien on peut se pencher sur le problème que pose cet outil, regarder son code source, essayer de voir pourquoi et le corriger. C’est vraiment ça l’apport majeur du logiciel libre, c’est cette possibilité, quand on a problème, de ne pas se dire on a une boîte noire. Hop ! On a un problème, on peut se plonger les mains dedans et tenter de résoudre le problème, donc contribuer à l’amélioration du logiciel qu’on utilise soi-même Ça c’est un des aspects très agréable du Libre.
Je voulais peut-être juste ajouter comment moi je suis venu au logiciel libre. En fait, avant je travaillais pour des logiciels Apple et notamment je travaillais sur le Newton d’Apple. Newton c’était une tablette que faisait Apple dans les années 90. Quand Apple a à nouveau recruté Steve Jobs et l’a fait venir aux affaires, Steve Jobs a arrêté le Newton. Moi qui avais commencé à faire une activité autour du Newton, je me suis retrouvé tout d’un coup sans aucun débouché, aucun marché, aucun client. Donc du jour au lendemain j’ai dû trouver une autre activité. Je me suis dit que plus jamais de ma vie je ne dépendrai d’une décision faite par d’autres. C’est aussi pour ça. À ce moment-là j’avais le choix rapidement entre Java qui n’était pas encore libre et les logiciels autour du noyau Linux et le monde, la communauté GNU. Donc c’est à ce moment-là que je suis allé vers Debian, GNU/Linux, enfin tous les outils libres, c’est vrai, et en me jurant que plus jamais je ne ferai de propriétaire. C’est à cause d’Apple et de Steve Jobs.

Frédéric Couchet : Est-ce que tu as tenu ?

Emmanuel Raviart : Non. De temps en temps j’ai eu des très petites digressions en raison de contrats avec des boîtes ou des choses comme ça, mais à chaque fois j’ai regretté. Maintenant oui, je tiens, et je ne fais plus autre chose que du Libre.

Frédéric Couchet : D’accord. Et la capacité de réutiliser son propre travail, je suppose que ça doit faire partie du plaisir. Tout à l’heure tu parlais, Katia, que tu avais travaillé dans une société de services importante. Normalement, quand on développe du code pour un client on ne peut pas le réutiliser pour un autre client, dans le monde traditionnel, alors que dans le monde du logiciel libre, au contraire, on est plutôt encouragé à le faire. Donc je suppose que ça c’est quand même une force incroyable de se dire qu’on a accès au travail passé qu’on a fait, qu’on peut le réutiliser voire l’améliorer.

Katia Aresti : Oui. Après ça bouge tellement vite, les machines, les outils qu’on utilise pour coder, tout ça a tellement changé que franchement, parfois tu es bien content de ne plus utiliser ce que tu as fait il y a 25 ans parce que qu’il y a un nouveau truc qui est mieux. Ça bouge tellement vite que voilà !

Frédéric Couchet : Justement ça bouge tellement vite. J’ai l’impression que tu le vis de façon très joyeuse. Ça doit faire partie, justement, de ce plaisir, mais est-ce que ça ne peut pas être stressant quelque part de se dire que dans ce métier-là on doit tout le temps remettre son ouvrage sur le métier parce que ça évolue, effectivement comme tu le dis, très rapidement ?

Katia Aresti : En fait, le truc, c’est que les fondamentaux restent les mêmes. Du moment que tu as les fondamentaux c’est justement une de tes forces. C’est pour ça qu’en revenant aux trucs de l’artisanat et de l’expérience, l’expérience fait que tu apprends à apprendre. Tu apprends à apprendre, tu vas plus vite, les fondamentaux restent les mêmes. C’est juste qu’après il faut passer des heures. On est quand même habitué à faire ça. Après, avec les années, évidemment il faut aussi savoir lever le pied et ne pas se pencher sur les nouveautés, les sirènes de marketing des nouvelles choses et vouloir tout casser juste parce qu’un nouveau logiciel est mieux ou je ne sais pas quoi. Parfois ce n’est pas forcément mieux.

Frédéric Couchet : Évidemment c’est un peu comme les langues naturelles. Apprendre la première langue étrangère c’est le plus compliqué, mais ensuite apprendre une deuxième langue étrangère il y a les codes et finalement on s’y remet.
Sur le webchat de la radio dont j’ai parlé tout à l’heure, qui est sur causecommune.fm, on a une auditrice qui nous signale – c’est Marie-Odile qui s’occupe des transcriptions à l’April –, qui suggère à monsieur Emmanuel Raviart qu’il devrait parler avec le ministre avec le ministre de l’Éducation nationale sur le thème de la confiance dans ce qu’on utilise parce que ton exemple avec Apple et le Newton était clair et parlant. Je précise que c’est en lien, évidemment, avec le projet de loi école de la confiance dont je parlerai en fin d’émission.
J’ai une petite question, une remarque de Marie-Odile, qui rajoute remettre son ouvrage sur le métier empêche de vieillir. Comment on vieillit, et on fera une pause musicale après, comment on vieillit dans le monde du développement du logiciel libre ? Tiens, c’est une question intéressante ça. Est-ce que ça permet de garder le cerveau toujours actif ? Est-ce qu’on n’a pas peur d’être dépassé par la jeunesse ? Toi, Emmanuel, tu as commencé en 4ᵉ, mais aujourd’hui avec tous les codes disponibles, avec toutes les écoles et quand on voit les initiatives autour de l’apprentissage du code, on peut se dire que les petits jeunes qui débarquent vont vous bouffer, quoi ! Emmanuel et puis Katia après.

Emmanuel Raviart : À une époque, il y a deux décennies, on disait qu’un développeur est fini avant 40 ans. Moi j’étais embêté parce que j’allais bientôt atteindre la quarantaine et on me disait que, finalement, je n’aurai plus de métier. C’est aussi une des raisons pour lesquelles j’ai créé mes propres boîtes, mes sociétés de logiciels, c’était pour pouvoir être mon propre salarié.
En fait non. L’avantage qu’on a en codant en étant un peu un vieux, un vétéran, c’est qu’on a mis la main dans le cambouis, dans beaucoup de problèmes, dans beaucoup de choses, donc on a toute une expérience. C’est vrai que les langages évoluent, enfin tout évolue, l’environnement évolue, s’enrichit, les connaissances s’accumulent donc on a de plus en plus d’outils qui font de plus en plus de choses. Mais le fait d’avoir assisté quasiment, enfin moi, aux débuts de la micro-informatique jusqu’au Internet maintenant, jusqu’au téléphone mobile et tout, eh bien ça permet d’avoir des bases qui aident vraiment à bien comprendre les choses. Les jeunes ont des atouts et nous, plus anciens, on a aussi des atouts et c’est très complémentaire. Non, je ne me sens pas du tout dépassé.

Frédéric Couchet : D’accord. Katia.

Katia Aresti : Je suis d’accord avec lui en fait. C’est comme dire tu n’as pas peur de perdre ton métier de médecin alors que tu es chirurgien et que ça fait des années que tu fais des choses, parce qu’il y a des petits jeunes qui viennent à l’hôpital. Eh bien non, justement, tant mieux qu’ils viennent ! On va travailler ensemble et on va essayer de faire mieux les choses. Non, je n’ai pas peur.

Frédéric Couchet : D’accord. On va faire une petite pause musicale. Nous allons écouter Blow Out par Franky Barbano et on se retrouve juste après.

Pause musicale : Blow Out par Franky Barbano.

Voix off : Cause Commune 93.1

39’ 30

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Blow Out par Franky Barbano ;