Ne pas demander la permission - Décryptualité du 7 mai

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Titre : Décryptualité du 7 mai 2018 - De l'intérêt de ne pas demander la permission

Intervenant : Luc Fievet

Lieu : April - Studio d'enregistrement

Date : mai 2018

Durée : 14 min 40

Écouter ou télécharger le podcast

Revue de presse pour la semaine 18 de l'année 2018

Licence de la transcription : Verbatim

NB : transcription réalisée par nos soins. Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas forcément celles de l'April.

Statut : Transcrit MO

Transcription

Luc : Décryptualité.

Voix off de Nico : Le podcast qui décrypte l’actualité des libertés numériques.

Luc : Semaine 18. Salut moi-même. Je suis tout seul. Grand week-end de mai et j’ai été abandonné par Mag et Manu. Nicolas ne peut pas venir, donc je vais tenter de faire le podcast de cette semaine tout seul, en espérant que ça marche et que j’arrive à garder le rythme. Manu n’est pas là, mais il a quand même fait une sélection d’articles, il n’y en pas beaucoup, il y en a quatre.

telos, « Les makerspaces: un petit coin de paradis technologique ? », un article de Monique Dagnaud. Il s’agit d’un article qui, en gros, est là surtout pour présenter la sortie d’un livre qui s’appelle Makers : enquête sur les laboratoires du changement social, écrit par Isabelle Berrebi-Hoffmann, Marie-Christine Bureau et Michel Lallement.

20 minutes online, « Cambridge Analytica annonce son sabordage », un article par la rédaction. On en a beaucoup parlé ces dernières semaines avec le scandale lié à Cambridge Analytica. Ils sont sur le grill depuis un bon moment et, évidemment, leur activité est devenue totalement impossible, donc ils ont décidé de fermer boutique. On ne doute pas qu’ils reviennent sous une autre forme sans doute.

World Socialist Web Site, « Il y a 25 ans : Le code source du World Wide Web était rendu public », un article de la rédaction. Ça revient sur un anniversaire : en 1993, il y avait le code informatique qui permet de faire tourner le Web, en gros une fraction d’Internet. C’est Tim Berners-Lee, qu’on a évoqué ici plusieurs fois, qui, à l’époque avait motivé le CERN qui hébergeait ce projet de le diffuser sous licence libre et, ce que dit l’article, c’est que ça avait contribué à son explosion : le fait que beaucoup d’acteurs puissent s’en emparer, développer leurs propres serveurs et que Internet puisse se monter de cette façon-là.

Le Monde Informatique, « Taxation des GAFA : pas de consensus européen en vue », un article de Nicolas Certes. Ça c’est la mauvaise nouvelle. Ça fait un petit bout de temps qu’on sent qu’au niveau européen il y a une vraie volonté de mettre les GAFAM au pas et, notamment, de leur faire payer leurs impôts. Là, il y a eu des discussions et c’est un revirement de situation. On savait que certains pays, notamment ceux qui font leur beurre en faisant le dumping fiscal étaient évidemment contre. Mais il y a eu un certain nombre de pays qui ont changé leur fusil d’épaule, notamment la Suède, la Finlande et le Danemark, et, par ailleurs, la Grande-Bretagne qui a carrément tourné casaque et l’Allemagne qui donne des signes de faiblesse. La France était assez énervée par ce truc-là. Il semblerait que sur ce sujet-là nos représentants sont en pointe et veulent vraiment taxer tout ça et en tout cas, là, manifestement, ça prend sur une mauvaise tournure.

Le sujet de la semaine, dont je voulais parler, c’est la question de demander ou pas la permission. C’est quelque chose qui est important dans les licences libres, dans la façon dont on les applique. Je rappelle, une licence libre est un texte juridique qu’on va appliquer sur une œuvre, le code informatique étant couvert par le droit d’auteur, et qui va donner un certain nombre de libertés et notamment la liberté d’utiliser le code pour que ce qu’on veut, implicitement sans avoir à demander l’autorisation à l’auteur de le faire.

Ça peut paraître anodin, mais, en fait, il y a pas mal de conséquences à ça et la première c’est que ça simplifie énormément les choses quand on veut monter un projet quelconque ; ça les rend même possibles. C’est-à-dire que dans un logiciel qui va évoluer au fil du temps, etc., on va avoir un grand nombre d’auteurs, d’informaticiens, de codeurs qui vont se relayer et, au bout de peut-être dix ans, quinze ans, vingt ans – il y a des logiciels qui ont des durées de vie extrêmement longues –, c’est potentiellement des centaines ou des milliers de personnes qui sont passées dessus. Donc s’il fallait obtenir l’autorisation de tout ce monde-là, eh bien ce serait compliqué. Et puis quand on a des logiciels, souvent ils sont développés avec un ensemble de briques, on va prendre d’autres logiciels et les assembler ensemble. Une distribution GNU/Linux, donc le système d’exploitation qui va faire tourner un ordinateur, libre, lui ce sont, voilà, des milliers de logiciels qui sont mis ensemble et si on imagine qu’il y a des tonnes de développeurs pour des milliers de logiciels, ce serait tout à fait impossible de demander l’autorisation à tout le monde. Donc pouvoir faire sans autorisation c’est plus que simplificateur, c’est également quelque chose qui rend possibles certains projets, même un grand nombre de projets.

Un des intérêts qu’il y a derrière c’est que, quand on autorise à faire ce qu’on veut et sans demander l’autorisation, eh bien les gens peuvent s’approprier le code pour faire ce qu’ils veulent et, notamment, des tas de choses auxquelles les auteurs originaux n’ont pas pensé ou ne souhaitent pas ce que ce soit utilisé. Donc, du coup, on a cette liberté, cette facilité à faire et à faire différemment de ce qui a pu être fait jusqu’à maintenant. Donc ça va vraiment dans l’idée de plus de créativité, de plus de souplesse, alors qu’un éditeur qui va verrouiller son code ou donner des autorisations dans un sens ou dans un autre, va être limité par sa propre stratégie, par le fait qu’il ne peut pas être partout et qu’il n’aura pas l’imagination ou qu’il ne croira pas à un projet.

Dans notre revue de presse on avait la question de la libération du code du World Wide Web ; c’est la bonne illustration ; ça a été beaucoup plus vite et beaucoup plus loin en partageant le code.

Et l’autre chose que je trouve intéressante et qu’on mentionne finalement assez peu, c’est que ça fige dans le temps, en fait, la volonté de l’auteur. C’est-à-dire qu’un auteur, que ce soit pour du code informatique ou une œuvre, peu importe, mais qui mettrait son travail sous licence libre, cette licence est appliquée à la version, à la copie de l’œuvre au moment où ça a été fait. Et là-dessus, il peut revenir en arrière, mais disons que c’est un peu compliqué. Dans le droit français, notamment, il y a un droit moral qui est inaliénable, ça veut dire que l’auteur peut dire « non j’ai changé d’avis vous n’avez plus le droit de faire ceci, cela », mais, dès lors qu’on a une notion de droit patrimonial, l’auteur peut faire jouer son droit moral à condition de dédommager les gens auprès de qui il aurait contractualisé le droit à exploiter son œuvre. Et, par rapport au Libre, on peut avoir cette interprétation qui est la plus crédible, même si elle n’a jamais été validée à ma connaissance par une jurisprudence, qui est de dire dès lors que l’auteur met une licence libre ça veut dire qu’il autorise, par défaut, l’exploitation, notamment commerciale, et donc s’il voulait revenir en arrière a posteriori, il faudrait qu’il dédommage tout le monde ; ça va être vite impossible à faire.

Du coup, on a comme ça une œuvre qui se détache de son auteur et il y un peu cette idée de désacralisation de l’auteur. Aujourd’hui, on est dans ce système où l’auteur est une sorte de dieu tout en disant que ça va dans le sens de sa reconnaissance, etc., mais, en fait, c’est bien souvent une arme à double tranchant.

Dans le domaine culturel, notamment, les gens très naturellement s’approprient la culture, s’approprient les choses, on fait des remix en musique, des mashups, des détournements ; les gens vont faire des fanfictions, font du jeu de rôle, peuvent se déguiser sous la forme de leur héros favori, en discutent, etc. Donc tout ça c’est naturel ; c’est comme ça qu’on s’approprie la culture et on voit, de temps en temps, des limites, c’est-à-dire que les ayants droit vont autoriser un petit peu mais pas trop. À certaines époques ils ont voulu essayer de bloquer, puis ils se sont rendu compte que ce n’était pas très bon pour le commerce, mais finalement on perd pas mal de libertés par rapport à ça. La liberté du public s’efface très souvent face à l’auteur sacré qui, finalement, est une bonne façon de maîtriser l’œuvre et de s’approprier de son interprétation, de sa libre interprétation.

Il y a des exemples que moi je trouve assez parlants. Il y a, par exemple, Axanar. Axanar c’est une fanfiction de très haut niveau dans le monde de Star Trek. Pour ceux qui ne connaissent pas Star Trek, enfin vous connaissez au moins un petit peu, c’est passé à la télé il y a fort longtemps, mais c’est un univers de science-fiction qui est assez intéressant parce qu’il est doublement utopique. C’est-à-dire que l’auteur qui l’avait créé dans les années 60 a ré-imaginé un avenir où l’humanité cesserait d’être en guerre et c’est une série qui a connu un succès énorme au niveau du public, elle avait une base de fans extrêmement forte. Et pendant presque dix ans, après que la série se soit arrêtée, elle n’a pas été très longue, des tas de gens ont écrit des livres et des choses comme ça et ont continué à faire vivre cet univers, indépendamment des ayants droit qui ne misaient pas beaucoup dessus, et le truc a continué à vivre.

7’ 23

Il y a quelques années,