Après 13 ans, Munich abandonne les logiciels libres
Titre : Après 13 ans, Munich abandonne les logiciels libres
Intervenants : Étienne Gonnu, April - Amaury Baradon, journaliste
Lieu : Medi 1 Radio - Émission La Page Web
Date : décembre 2017
Durée : 5 min
Licence de la transcription : Verbatim
Statut : Transcrit MO
Description
La municipalité de Munich, en 2004, choisissait de délaisser Windows pour un système d'exploitation sur mesure basé sur le noyau Linux... Elle faisait ainsi le choix des logiciels libres et ouverts, par rapport aux logiciels propriétaires fermés. 13 ans plus tard, la ville, aux mains d'une nouvelle majorité, a néanmoins décidé de revenir sur ce choix. Bien que ce revirement s'avère coûteux, Windows équipera donc à nouveau tous les postes de la municipalité d'ici 2023. Il s'agit là d'un revers symbolique pour la notoriété des logiciels libres, qui répondent pourtant à un certain nombre de libertés que ne permettent pas les logiciels propriétaires, comme la possibilité d'accéder au code source et de modifier le logiciel, et de pouvoir partager cela avec tout le monde.
Transcription
Amaury Baradon : Il y a 13 ans Munich choisissait de délaisser Windows pour un système d’exploitation sur mesure basé sur le noyau Linux. Face aux logiciels propriétaires, elle faisait le choix de davantage de logiciel libre.
Les logiciels libres ce sont des logiciels dont les licences respectent plusieurs libertés : pouvoir les utiliser comme bon nous semble ; pouvoir accéder à leur code source c’est-à-dire aux lignes de code écrites par les programmeurs ; pouvoir les modifier et pouvoir partager cela avec tout le monde. Différentes communautés de développeurs, bénévoles ou commerciaux, peuvent donc faire évoluer ces logiciels pour satisfaire les besoins de chacun. L’idée c’est que l’utilisateur ait le contrôle sur ce qu’il utilise et ne soit pas dépendant de l’éditeur du logiciel qui pourrait y intégrer des mauvaises surprises sans qu’il ne le sache, ou des limitations insurmontables.
Les solutions libres, généralement moins coûteuses que les solutions propriétaires, en 2014 le maire de Munich déclarait que ce choix avait permis à la ville de réaliser 11 millions d’euros d’économies.
Mais voilà, la majorité a changé et la nouvelle a acté un retour complet sur Windows d’ici 2023. Coût estimé : plus de 40 millions d’euros.
On en parle cette semaine avec Étienne Gonnu, chargé de missions affaires publiques pour l’April[1], l’association qui promeut et défend les logiciels libres depuis 21 ans. Après les années 70 qui ont vu apparaître des licences de plus en plus fermées, c’est au début des années 80 qu’un chercheur du MIT, Richard Stallman, lance son mouvement du logiciel libre.
Étienne Gonnu : Richard Stallman c’est le premier à avoir vraiment posé les bases intellectuelles du logiciel libre. Dans le cadre de ses études, il s’est retrouvé confronté à une machine imprimante. Quand la machine buggait, il ne s’en rendait qu’en allant dans la salle où il y avait l’imprimante. Donc lui voulait rajouter un ligne de code, améliorer l’imprimante pour qu’elle lui dise à distance qu’il y a un souci, sauf qu’il n’avait pas accès au code source de la machine. Il a contacté l’entreprise ??? l'imprimante qui lui a refusé l’accès au code source. Il a trouvé ça complètement injuste puisque, finalement, il voulait pouvoir utiliser sa machine comme bon lui semblait ; on lui refusait ça alors qu’il avait les compétences pour le faire. Et c’est de là que tout est parti.
Amaury Baradon : Richard Stallman lance alors son projet GNU. L’informaticien Linus Torvalds créera lui, au début des années 90, le noyau Linux pour donner une véritable existence à des systèmes d’exploitation libres. Mais les logiciels libres n’auraient pas pu se développer sans des communautés diverses qui s’investissent dans les différents projets.
Étienne Gonnu : Le logiciel libre c’est un projet informatique, mais c’est vraiment un projet de société. On défend une informatique de collaboration et partagée, qui serait au service des utilisateurs. Un exemple que j’aime bien utiliser c’est celui de l’obsolescence programmée où, dans le cas d’un logiciel privateur, on ne pourra pas voir le code source. Dans une informatique basée sur des logiciels libres, les personnes qui auraient les compétences pourront aller voir dans le logiciel. Je n’ai pas tant besoin, moi-même, d’être capable d’aller lire le code source ; c’est sur un fonctionnement horizontal que ma confiance va venir se construire.
Amaury Baradon : Le secteur du logiciel libre est en pleine croissance ; ils équipent des entreprises privées comme des institutions publiques, par exemple la gendarmerie française ou des villes telles qu’Amsterdam ou Turin. Mais si Munich fait le chemin inverse c’est parce qu’elle avait, dit-elle, trop d’applications spécifiques fonctionnant sous Windows ; elle évoque des soucis de compatibilité et autres problèmes liés à la coexistence des deux systèmes.
Étienne Gonnu : Malheureusement c’est bien plus une décision politique. On n’est pas dans les bureaux, mais on sent bien la puissance d’influence de Microsoft. Il y a eu un rapport indépendant et il pointait du doigt des difficultés et l’interopérabilité ; ça c’est un atout du Libre, puisque ça se base sur ce qu’on appelle des formats ouverts. Le problème vient, finalement, de l’utilisation de formats fermés. À partir de là ils ont, finalement, biaisé les propos du rapport pour dire que le problème c’était l’informatique libre.
Amaury Baradon : Est-ce que le grand public n’a pas aussi encore peur, souvent à tort, des complications qui peuvent arriver en quittant les solutions propriétaires pour des logiciels libres ?
Étienne Gonnu : Je ne sais pas si c’est le Libre qui fait peur ou si c’est un problème aussi d’habitude. Je pense qu’on ne s’en rend pas compte dans nos utilisations quotidiennes, on se sert déjà beaucoup de logiciels libres. Un exemple connu c’est celui de VLC[2] qui est un des logiciels les plus utilisés au monde puisque c’est celui, en fait, qui lit le plus grand nombre de vidéos ; Internet ce sont des protocoles ouverts ; sur les serveurs on utilise principalement du logiciel libre ; Wikipédia c’est du logiciel libre ; LibreOffice[3] suit son bonhomme de chemin. C’est vrai que les systèmes d’exploitation, là il y a un pas à franchir. On le voit, il est très difficile d’acheter un ordinateur sans un système d’exploitation Windows, ou Mac dans le cas des Mac, mais eux ils vendent, finalement, tout un lot. Puisque l’informatique est de plus en plus mobile, il y a enjeu aussi, une difficulté supplémentaire. Pour que ça progresse très rapidement, il faut suivre aussi derrière. Mais c’est une question de temps.
Amaury Baradon : Étienne Gonnu de l’association April qui promeut et défend le logiciel libre.
Autre exemple de logiciel libre célèbre, le navigateur web Mozilla Firefox dont une version plus rapide et largement refondue vient de sortir, Chromium[4] qui a servi de base à Google Chrome et qui lui ne vous piste pas, ou encore l’éditeur de son Audacity[5].
Notez aussi que l’association Framasoft[6], que nous avions reçue l’an dernier, planche elle, en ce moment, sur un FramaTube[7], une alternative libre et décentralisé à YouTube et lance pour cela un appel aux dons. Allez, vous pouvez à présent vous déconnecter. À la semaine prochaine.