Reprendre sa vie numérique en main - Tristan Nitot

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Titre : Reprendre sa vie numérique (et ses données) en main

Intervenant : Tristan Nitot

Lieu : Web2day 2016 - Nantes

Date : juin 2016

Durée : 22 min 58

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Licence de la transcription : Verbatim

Statut : Transcrit MO

Transcription

Bonjour, bonjour, Tristan Nitot ; je vous donne dix secondes pour vous asseoir, parce que j’ai une mauvaise nouvelle : j’ai 20 minutes et 54 slides. Donc j’espère que le représentant du Guinness book of records est dans la salle parce que c’est maintenant que ça se passe. Voilà.

Donc Tristan Nitot. Je suis Chief Product Officer d’une start-up qui s’appelle Cozy Cloud. Je suis aussi membre du comité de prospective de la CNIL ; un ancien du Conseil national du numérique. J’étais même venu il y a deux ans dans cette même salle, sur cette même scène, avec mes collègues et j’ai écrit un livre sur les données, la surveillance de masse et la vie privée à l’ère du numérique.

Il faut vraiment que j’aille vite donc accrochez-vous !

Je vais vous parler de données numériques évidemment, de vie privée, et je tiens d’abord à dire qu’ici sûrement la plupart d’entre nous utilisons trois ordinateurs. Alors évidemment vous pensez à un PC ou à un Mac, c’est un peu pareil. Vous avez un smartphone qui est un ordinateur. Qui n’a pas de smartphone dans la salle ? Levez la main ! OK ! Donc c’est vite fait, personne. Si ? Non ? Même pas ! Donc tout le monde en a un.

Et on a un troisième ordinateur, alors lui on ne le voit pas, c’est le cloudc, c’est cet ordinateur qui est dans les nuages. Et je suis ravi. Moi ça fait 36 ans que je fais de l’informatique. J’ai commencé quand j’étais tout gamin, en 1980, où j’ai écrit mon premier logiciel à 14 ans. Et depuis j’ai toujours trouvé ça absolument formidable, toutes ces évolutions, j’ai trouvé le Minitel formidable quand c’est arrivé — oui je sais, ça fait rire avec le recul ; je trouve le Web formidable et c’est pour ça que j’ai passé 17 ans sur le projet Mozilla qui a donné Firefox que certains d’entre vous utilisent peut-être. Et je suis vraiment un fan d’informatique, mais je pense qu’il y a un moment il va falloir qu’on décrypte un peu le bullshit ambiant. Et c’est pour ça que je voudrais, dans un premier temps sur cette présentation, juste revenir en arrière sur des sujets qu’on a peut-être oubliés, emballés par notre enthousiasme, emballés parce cette envie d’aimer la technologie et de découvrir ses possibilités. Il y a un moment il faut quand même prendre un petit peu de recul et commencer à réaliser que dans un certain nombre de conférences, de prises de position marketing, certains se sont quand même bien foutus de notre gueule.

Déjà, première vérité : le nuage ça n’existe pas. C’est l’ordinateur de quelqu’un d’autre. Je crois que c’est super important de le dire. On dit : « Ouais, c’est dans le cloud ! » Non ! c’est dans l’ordinateur de quelqu’un d’autre. Et ce quelqu’un d’autre justement, il possède cet ordinateur, ça fait qu’on laisse nos données dans le cloud, donc on met nos données sur l’ordinateur de quelqu’un d’autre et puis, évidemment, on ne peut pas contrôler le logiciel puisqu’on n’a pas accès à cet ordinateur de quelqu’un d’autre, on peut juste s’en servir, et du coup on n’a pas le contrôle de ce qui est fait de nos données.

Donc le côté nuage sympathique, etc., c’est juste pour cacher le fait qu’on n’a plus le contrôle de l’informatique qu’on utilise.

Il y a quelque chose ensuite, deuxième vérité, qui est les données sont le pétrole du XXIe siècle. Oui ça c’est vrai et on commence, surtout dans des conférences comme Web2day, on le sait quoi que les données c’est le pétrole du XXIe siècle. Ce qu’on dit peut-être un peu moins c’est que des sociétés viennent pomper ce pétrole jusque dans nos poches. Vous voyez, là sur la droite, c’est une copie d’écran de mon smartphone sous Android en train d’installer l’application Facebook. Et là il me propose de pomper en gros tout ! Tout ! Mon identité, mon agenda, il va pomper tous mes rendez-vous, il va pomper tous mes contacts, il les envoie ensuite à Facebook. Ma position GPS ; mes textos il les lit ; il contrôle mes appels et il va aussi pomper aussi toutes mes photos, mes contenus multimédias, mes fichiers. Voilà. Et en bas il y a un bouton vert « acceptez ». Eh bien non, non ! Je n’accepte pas ! D’ailleurs je ne l’ai pas installée cette application Facebook sur mon smartphone, parce qu’il y a un moment c’est juste… C’est juste scandaleux qu’on pompe toutes mes données comme ça. Je n’ai pas pu ; franchement je n’ai pas pu accepter ! Alors on va dire « ouais Nitot il n’aime pas Facebook et tout ». C’est vrai, mais il n’y a pas que Facebook, il y a Google aussi.

Vous voyez ça c’est Google Location History. Vous vous connectez sur votre compte Google et si vous cherchez bien vous trouvez ça. Ça ce sont mes itinéraires à Paris le 2 décembre 2014. Donc j’habite, attendez que j’arrive, moi j’habite par là, enfin j’habitais par là, j’ai déménagé depuis. Je me suis promené, j’avais un premier rendez-vous ici. Ensuite j’ai pris le métro là et donc ça fait une grande ligne droite ; ensuite j’ai un autre rendez-vous ici. Ensuite je suis allé à mon bureau qui était là à l’époque où je travaillais chez Mozilla. Et même si on zoome on voit le nombre de fois où je suis allé dans les toilettes dans la journée puisque je n’étais pas repéré par la même borne GSM. Et ensuite j’ai repris le métro et je suis rentré chez moi le soir.

Google a toutes ces informations et si vous cherchez bien, il vous montre qu’il les a. Et ça, ça pose aussi un problème. C’est un problème parce qu’en fait on donne toutes nos données en échange d’un service qui vaut très peu cher. Si on regarde la comptabilité, j’ai fait le calcul : en 2014, rapporté au nombre d’utilisateurs, la Recherche et Développement et l’exploitation du service Facebook coûte moins de six dollars par an et par utilisateur. Autrement dit on donne toutes nos données personnelles en échange d’un service qui est le prix de trois ou quatre cafés dans un bar nantais. Il y a vraiment une arnaque là-dessus, parce qu’on n’a pas conscience de cet état de fait.

Si vous permettez, je vais faire une métaphore agricole. Donc ce sont des cochons et parmi ces cochons il y en a deux qui discutent ensemble. Il y en a un qui dit à l’autre :

« Tu sais je suis super content d’être ici. — Ah bon ! — Ah ouais mais regarde la bouf est gratuite. La bouf est gratuite, c’est génial, open bar ! » Et l’autre lui répond : « Ouais ! Et en plus on est logés gratuitement et ça c’est cool ! »

C’est cool sauf que les clients, ce sont ceux qui mangent le saucisson. Les cochons ne sont pas les clients du fermier ; je crois que c’est très important de le dire et donc nous on est des cochons du numérique parce qu’on pense qu’on est des clients de Facebook et de Google et la réponse est non. Non, nous ne sommes pas les clients de Google et de Facebook. Les vrais clients ce sont ceux qui payent et ceux qui payent ce sont ceux qui vont utiliser nos données, c’est-à-dire des annonceurs publicitaires, des traders de données, etc.

Donc ne soyons pas des cochons qui pensons être les clients du fermier !

Il y a une autre chose qu’on a peut-être un petit peu oubliée c’est que déjà en 1999 une personne très intéressante qui s’appelle Lawrence Lessig — Lawrence était il y a encore candidat aux présidentielles américaines, c’est un juriste de très haut vol — et il expliquait que si au 19e et au 20e siècles ceux qui régulaient la société c’étaient des juristes qui faisaient des lois, eh bien aujourd’hui, au 21e siècle, ceux qui font la loi ce sont ceux qui font le code. Et s’il y a des informaticiens dans la salle comme moi, sachons qu’on a une responsabilité vis-à-vis de la société sur le type de code qui est écrit parce que c’est nous qui décidons de ce que l’ordinateur peut faire. Et l’ordinateur étant tellement présent dans nos vies, dans nos poches, partout, eh bien c’est nous qui décidons ce que les gens peuvent faire ou ne pas faire.

Il y a aussi un type très intéressant, Edward Snowden qui, il y a tout juste trois ans, révélait des informations extrêmement importantes sur la NSA. Edward Snowden, pour ceux qui habitent sous un caillou depuis ces trois dernières années, c’est donc un lanceur d’alerte qui travaillait pour la NSA, qui est parti avec les poches bourrées de clefs USB sur lesquelles il y a avait à peu près tous les slides Powerpoint de la NSA, donc les services d’espionnage américains. Il y a des dizaines de milliers de documents qui ont été donnés à des journalistes, qui sont encore triés aujourd’hui, trois ans plus tard, et qui continuent de sortir. Mais il y a vraiment quelque chose de très important qui est sorti de ces documents c’est que la NSA veut espionner les sept milliards de terriens qui habitent sur cette planète.

Et évidemment c’est plus facile pour ceux qui sont connectés de façon électronique avec des téléphones, par exemple ils écoutent les communications téléphoniques, et évidemment, les trois milliards d’internautes c’est encore plus facile. Alors évidemment ce n’est pas forcément super facile d’écouter trois milliards d’internautes. Mais dès lors que ces trois milliards d’internautes mettent leurs données chez Google, Facebook, Yahoo et Microsoft eh bien c’est beaucoup plus facile de poser « quelques micros », entre guillemets, électroniques qui vont venir capter les donnés sur les trois milliards d’internautes, parce que, justement, elles sont concentrées dans quelques endroits stratégiques que sont Google, Facebook, Yahoo, Microsoft et une dizaine d’autres.

Donc j’ai représenté ça visuellement comme étant des silos à données, d’immenses, en fait, espaces de stockage. Mais dans la vraie vie on y stocke du grain de céréales et dans le cyberespace on y stocke nos données et, évidemment, ils ne communiquent pas entre eux. Ça n’empêche pas la NSA de venir pomper nos données chez ces gens-là.

Et ça, évidemment, on ne l’explique pas trop parce que ce n’est pas super bon pour le business. Il y a un moment où il faut quand même prendre un peu de recul et savoir que la collecte de donnés massive, la surveillance de masse, est rendue économiquement possible par cette concentration de données dans ces grands silos que sont Google, Facebook, Yahoo, Microsoft, qu’on appelle aussi parfois les GAFAM.

10’37

Alors là ouais, mais moi je n’ai rien à cacher !