Éthique et la révolution numérique - François Pellegrini
Titre : Éthique et la révolution numérique
Intervenant : François Pellegrini
Lieu : Séminaire Technologies, éthique, cognition.
Date : Novembre 2016
Durée : 25 min 07
Licence de la transcription : Verbatim
Statut : Transcrit MO
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Merci beaucoup pour l’invitation. Je précise, vis-à-vis de ma dernière diapo, que j’avais réalisé cette présentation avant d’avoir toutes les informations que nous avons eues ce matin, aussi pour la suite. Ce sera des raccourcis pour la suite.
Effectivement, si on considère la question des libertés à l’ère numérique, définissons d’abord ce qu’est la liberté. La liberté, on peut la définir comme l’aptitude des individus à exercer leur volonté avec une formalisation juridique importante qui est l’autonomie de la volonté. Nous sommes tous responsables de nos actes, en relation avec les autres. Et donc cette liberté a été reconnue et formalisée au sein de la société par la garantie d’un ensemble de libertés individuelles et collectives – liberté de circulation, liberté de parole, liberté de culte, d’association, de la presse – et ces libertés s’opposent aux libertés des autres ce qui fait qu’effectivement il s’agit de trouver un équilibre entre les différents droits des personnes et leurs obligations.
Et donc, effectivement, ces libertés sont parfois traduites en droit avec le fameux droit à la vie privée qui, je le rappelle est extrêmement récent : il ne date que de 1948. Parce que avant, les sociétés humaines étaient tellement petites que tout le monde savait tout sur le tout le monde, et la notion finalement d’anonymat n’est arrivée qu’avec l’arrivée des métropoles, des mégalopoles et aussi ces fameux travailleurs migrants qui, dès l’époque de Napoléon III, étaient suivis par des livrets, les livrets de migrants comme les livrets nomades, de gitans, de façon à contrôler ces populations éminemment dangereuses pour la stabilité des sociétés ancrées sur elles-mêmes.
Et donc, pour exercer l’autonomie de sa volonté, il faut d’abord l’absence de contrainte à agir : si on est en prison on n’est pas libre ; si chaque fois qu’on émet une opinion dissidente on se fait tabasser, eh bien, effectivement, on n’est pas libre. Mais la pire dictature est celle qu’on ne connaît pas et donc, pour pouvoir exercer pleinement sa liberté, il faut avoir une information qui soit préalable, suffisante et loyale, qui nous permette de prendre nos décisions de façon éclairée. Et donc ça c’est le problème que les économistes aussi ont théorisé sous la forme de l’asymétrie de l’information et en fait, resymétriser l’accès à l’information c’est le principe qui sous-tend de nombreux droits et libertés tels que la liberté d’expression, la liberté de la presse, le droit à la communication des documents administratifs, des pièces de procédure pour le droit à la défense, la question des données personnelles. Et clairement, on voit que finalement ces droits et l’interaction dans les sociétés humaines sont liés à la bonne circulation de l’information.
Et en l’occurrence, les espaces numériques ont été une révolution, on parle à bon droit de révolution numérique parce que, effectivement, l’ouverture de ces espaces numériques a permis d’exercer ces libertés d’une façon plus importante pour certaines personnes. Je ramène ce cartoon de Peter Steiner en 93 qui disait : « On the Internet, nobody knows you're a dog. C’est-à-dire qu’effectivement, derrière son écran, qu’elles que soient notre apparence et notre entité physique on peut avoir des identités différentes et faire des choses qu’on ne pourrait pas.
À l’inverse, la délégation de processus intellectuel à des automatismes peut restreindre leur exercice avec une restriction du choix effectif ou apparent. Lawrence Lessig disait : « Code is Law ». C’est-à-dire qu’effectivement, la façon dont on code les applicatifs nous permet ou non de faire certaines choses. Avant, si je suis un maniaque de la numérologie et que je ne supporte pas d’être dans une place impaire, je pouvais très bien demander au guichet SNCF à avoir une place paire. Maintenant, sur l’appli, j’ai « sens de la marche », « carré », mais je n’ai pas « paire ou impaire ». Donc la personne qui a codé cette application a restreint effectivement mon choix selon ses préjugés à elle sur le fait qu’il n’était absolument pas nécessaire de pouvoir choisir si on voulait une place paire ou impaire.
Et donc, effectivement, cette révolution numérique transforme profondément les rapports sociaux et les moyens d’exercice des libertés avec une explosion du volume d’informations accessibles et qui, de fait, exacerbe le risque d’asymétrie au profit de ceux qui sont capables de les collecter et de les traiter. Et je ramène à ce retour sur le <em<cartoon de Steiner avec, en fait, la version maintenant moderne où on est à la NSA et on voit deux agents de la NSA qui discutent et qui disent : « Notre analyse des métadonnées montre que c’est un labrador brun et, en fait, il vit avec un terrier noir et blanc à pois et on suppose qu’ils ont des relations entre eux. »
[Rires]
Et donc, effectivement, il y a un nouvel espace et dans ce nouvel espace le législateur a eu, naturellement, à étendre don pouvoir de régulation, par exemple pour qualifier pénalement l’intrusion dans les systèmes de traitement automatiques de données, parce que la loi pénale est d’interprétation stricte. Il y a des lois contre le vol, mais les données ça ne vole pas. Il n’y a pas de vol de données parce que voler c’est prendre, c’est soustraire un bien matériel ; or la donnée, quand on la copie, on ne la soustrait pas, on la multiplie ! Et donc, effectivement, il fallait des qualifications juridiques adaptées. Il n’y a pas d’intrusion de domicile et donc il fallait définir des nouveaux concepts juridiques pour permettre de réguler cet aspect de la société.
Et donc, effectivement, définir le point d’équilibre de la loi entre ces différentes libertés nécessite la compréhension des principes de l’informatique, la science du traitement efficace de l’information, par le législateur – c’est déjà une victoire si on peut l’atteindre – mais aussi la société dans son sens le plus large afin, effectivement, que le débat soit éclairé et que les personnes puissent adapter leur comportement à une bonne information de la réalité de l’état du monde et des pratiques.
Et donc, c’est le sens de notre présence ici, je pense.
06’ 20
Clairement la question du rapport entre numérique