Licences à réciprocité - Lionel Maurel
Titre : Les licences à réciprocité : une nouvelle piste pour le développement des Communs
Intervenant : Lionel Maurel
Lieu : Capitole du Libre - Toulouse
Date : Novembre 2016
Durée : 57 min 11
Licence de la transcription : Verbatim
Statut : Transcrit MO
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Présentateur : On enchaîne avec Lionel Maurel qui est conservateur dans une bibliothèque universitaire à Nanterre, je dirais.
Lionel Maurel : Oui.
Présentateur : Ouf ! Fondateur du collectif Savoirscom1, tu es aussi participant à La Quadrature du Net, membre de l’AG non ?
Lionel Maurel : Conseil d’administration.
Présentateur : Conseil d’administration, et tu vas nous parler, donc Simon a fait une belle introduction, sur les licences à réciprocité, quelques pistes pour le développement des communs. Ça avait été, effectivement, une piste que le collectif avait déjà évoqué l’an dernier, il me semble. Il y avait eu un atelier à Paris sur cette question-là, il y a un an. Je te laisse la parole et puis on aura un quart d’heure de discussion d’ici une petite demi-heure. Je vais prendre mes papiers du coup.
Lionel Maurel : Merci. En fait, la présentation que je vais vous faire s’inscrit assez bien à la suite de celle que Simon vient de nous présenter. Moi je vais vous parler d’une réflexion qui est en cours, à la fois dans le monde des personnes qui s’intéressent aux communs et qui, aussi, vient beaucoup de la question du logiciel et qui est celle des licences à réciprocité. Donc c’est une présentation qui va avoir surtout un contenu juridique, on va parler des licences donc des contrats qu’on attache à des ressources pour en permettre la réutilisation. Et vous avez en ce moment, dans le mouvement des personnes qui s’intéressent aux communs, toute une réflexion pour créer de nouvelles licences, c’est-à-dire après les licences de logiciel libre. On connaît, par exemple, la GNU GPL, qui est la première licence de logiciel libre créée par Richard Stallman qui a donné naissance, en fait, au mouvement du logiciel libre. Il y a des gens qui réfléchissent à écrire de nouvelles licences en se disant que les licences actuelles de logiciel libre ont des avantages certains, mais que ce n’est peut-être pas la meilleure solution si on veut développer ce qu’on appelle une économie des communs. Et notamment, c’est toute une réflexion pour essayer de voir comment on peut créer une relation de réciprocité entre les acteurs qui développent des communs et les entreprises privées. Et vous allez voir qu’il y a tout un foisonnement, actuellement, de personnes qui inventent de nouvelles licences, qui essayent des concepts. Simon a montré, un petit peu, ce que le logiciel libre pouvait apporter aux communs. Là c’est peut-être l’inverse, c’est qui est-ce que les personnes qui réfléchissent aux communs peuvent apporter en retour au logiciel libre pour changer, un petit peu, la manière dont les choses se passent.
C’est une réflexion qui n’est pas complètement aboutie, qui part un petit peu dans tous les sens, vous allez voir, et j’avoue que moi-même je n’ai pas encore d’avis complètement fixé sur la question. C’est une des premières fois que je fais une conférence d’ailleurs, sans avoir un avis fixé sur la question que je vais présenter, donc ça appelle le débat. Et notamment, si vous venez du monde du logiciel libre, vous allez voir que ça appelle le débat parce que ça peut aussi revenir sur certains fondamentaux de ce qu’était la philosophie du logiciel libre.
Ça c’est le plan de vol, mais on va passer directement.
Pour comprendre la question, il faut aller aux origines de ce qu’est le logiciel libre et, notamment, de ce qu’est une des clauses qui figurent dans les licences de logiciel libre qu’on appelle le copyleft, je ne sais si vous connaissez ce mécanisme, qui vient, en fait, de la toute première licence de logiciel libre qui est donc la GNU GPL, qui a été écrite par Richard Stallman au milieu des années 80, la première réflexion, et ensuite au début des années 90. Cette clause, en fait, c’est ce qu’on appelle le partage à l’identique, ou le Share Alike, ça impose que vous êtes libre de réutiliser la ressource mais si vous y apporter des modifications, vous devez placer votre propre production, avec ses modifications, sous la même licence d’origine. C’est l’élément de la licence GNU GPL qui fait qu’elle est libre au sens fort du terme. Pourquoi est-ce que Richard Stallman a créé, en fait, cette clause ? - J’avais trouvé l’explication dans un livre qui s’appelle Histoire et cultures du Libre, édité chez Framabook, qui est d’ailleurs en vente en bas si vous voulez. En fait, Richard Stallman avait fait un logiciel qui s’appelait Emacs, qui était sous une licence qui permettait la libre réutilisation, mais qui n’avait pas cette clause originellement. Quelqu’un est venu prendre son logiciel, a fait une version dérivée et une entreprise a utilisé cette version dérivée. Et Richard Stallman a trouvé que l’amélioration qu’avait fait ce développeur était particulièrement intéressante. Donc il a voulu lui-même réintégrer cette amélioration dans son propre logiciel. Et à ce moment-là, l’entreprise lui a dit : « Non, parce que cette version-là, moi j’ai mis un copyright dessus et je t’interdis de réintégrer ce qu’on a construit à partir de ton logiciel dans ta version. »
Donc en fait, il a été privé de la possibilité d’intégrer dans Emacs ce qui avait été construit à partir de ce qu’il avait lui-même mis sous licence libre. Et c’est là qu’il a compris qu’il fallait un mécanisme de protection et dans la phrase il dit : « Conditionnant la licence au sens de permission à une certaine réciprocité, il se servit ainsi de ses propres droits d’auteur pour limiter toute réappropriation par un autre. » Donc cette clause de copyleft, si vous voulez, elle empêche ce qu’on appelle dans le monde des communs l’enclosure, c’est-à-dire que quelqu’un puisse refermer ce qui avait été ouvert une première fois. On peut le réutiliser, on peut le réutiliser aussi dans un cadre commercial et vous allez voir que c’est hyper important, mais on ne peut jamais supprimer la liberté qui a été donnée une première fois. Et c’est ça qui fait la marque de ce qu’on appelle la philosophie du logiciel libre, c’est le fait qu’on ne puisse pas reprendre la liberté qui a été donnée par celui qui a voulu libérer son logiciel.
Donc en gros, souvent on dit c’est une logique de pot commun. Une fois que vous avez ouvert un logiciel et qu’il est libre, vous créez en fait un pot commun parce que toute personne qui puise dans ce pot est obligée de remettre ses propres apports. Et ça crée, en fait, une ressource qui est alimentée en permanence par ceux qui viennent puiser dedans. Et c’est ce cercle vertueux qui fait le copyleft, la force du copyleft.
Par contre il n’y a pas de discrimination, que moi j’appelle organique, c’est-à-dire selon la nature des acteurs. Ce n’est pas parce que vous êtes une entreprise que vous ne pouvez pas utiliser un logiciel libre. C’est très fort dans la communauté du logiciel libre de ne pas exclure des acteurs simplement sur ce qu’ils sont. Il n’y a pas de discrimination selon la nature des utilisateurs. Vous êtes quelqu’un, un individu, vous pouvez utiliser le logiciel libre ; vous êtes une administration, vous pouvez l’utiliser ; vous êtes une entreprise, même une entreprise du CAC 40, même l’entreprise qui fait les marges de profit les plus élevées, vous pouvez utiliser le logiciel libre. Pas de discrimination selon les acteurs.
Et une chose qui est très forte dans le logiciel libre, c’est que l’usage commercial n’est jamais considéré, en soi, comme une enclosure ou comme quelque chose sur lequel on doit porter un jugement. Ce n’est pas, en soi, l’usage commercial qui pose problème. Ce qui pose problème c’est qu’on supprime une des 4 libertés fondamentales du logiciel libre qui sont établies dans la licence : utiliser, étudier, distribuer, améliorer. Si vous utilisez le logiciel d’une manière qui cherche à restreindre ces 4 libertés, là vous faites une enclosure. Mais si vous en faites un usage commercial, vous n’êtes pas affecté par les clauses de la licence. Elle est neutre de ce point de vue-là.
On sait que, historiquement, il y a eu un gros débat entre, initialement, Richard Stallman qui a créé cette philosophie du logiciel libre et Eric Raymond sur l’open source qui visait justement à faire des licences plus permissives, qui ne contiennent pas la clause de Share Alike ou de copyleft et qui permettaient notamment à des acteurs commerciaux, des entreprises, d’aller puiser dans un logiciel ouvert et de remettre un copyright sur leurs propres apports. Et ça, ça a fait une discussion, je dirais quasiment violente, entre ces deux acteurs parce qu’il y avait deux différences de philosophie : une qui considérait que la réciprocité devait être absolument exigée dans le fait de ne pas remettre de copyright sur les versions dérivées et une qui était beaucoup plus permissive en disant « eh bien non ce n’est pas un problème que les entreprises remettent un copyright sur leurs propres développements ». Ça, ça a été un des débats historiques du logiciel ces dernières années.
Et puis en 2001, vous avez création d’une autre famille de licences qui s’appellent les licences Creative Commons qui sont, en fait, une simplification des licences de logiciel libre et, en plus de ça, une extension à d’autres objets, notamment tous les objets de la culture : les livres, les vidéo, la musique, les jeux vidéos. Tous ces contenus-là peuvent être mis sous ces licences Creative Commons qui fonctionnent avec des clauses, et la licence Creative Commons rajoute une clause qu’on appelle le NC – non commercial – qui permet d’interdire l’usage commercial d’une ressource qu’on a placée sous cette licence.
Moi j’ai appelé ça un peu la clause de la discorde, parce que quand ces licences sont sorties, toute une partie de la communauté du Libre les a très violemment critiquées comme étant, en fait, une régression par rapport aux licences de logiciel libre et ce débat est toujours vivant. C’est-à-dire qu’il y a toute une partie de la communauté du Libre qui rejette les licences Creative Commons parce qu’elles permettent de refermer les usages et d’interdire les usages commerciaux. En fait, ça ne veut pas dire que les usages commerciaux sont interdits. Si vous mettez un roman que vous avez créé sous une licence Creative Commons avec la clause NC, ce que vous dites c’est que si jamais un éditeur veut le prendre et, par exemple, l’imprimer et le vendre, il devra venir vous voir, vous demander l’autorisation et là, vous pourrez le soumettre à paiement. Ça ne veut pas dire que c’est interdit, c’est interdit à priori mais c’est soumis à autorisation préalable et là on repasse dans le système du droit d’auteur classique.
Récemment les Creative Commons sont passées à la version 4.0, c’était il y a deux ans, il y a eu une énorme mobilisation d’une partie de la communauté qui demandait à Creative Commons de supprimer cette clause pour que les licences Creative Commons deviennent toutes vraiment libres. Et au final, Creative Commons a décidé de ne pas la supprimer. Ça, ça vous montre un peu la tension qu’il peut y avoir autour de l’idée d’interdire ou de contrôler l’usage commercial d’une ressource et ça crée des divisions dans la communauté.
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Un exemple d’effet négatif d’une licence NC