Table ronde - RMLL 2010 - 1ère partie

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Titre : Table ronde - 1ère partie

Intervenant : Benjamin Bayart

Lieu : RMLL - Bordeaux - Grand amphi de l'ENSEIRB

Date : Juillet 2010

Durée : 1 h 03 min

Lien vers la vidéo


Transcription

00'

Benjamin Bayart : On va se lancer. Bonjour tout le monde. Donc, dans cette deuxième partie, j’avais envie de vous parler, un petit peu, de techniques de combat parlementaire, comme l’an dernier, sauf que je voulais qu’on change de point de vue, puisque l'an dernier, je vous ai expliqué comment, nous, on allait discuter avec nos élus, soit à l’Assemblée nationale ou au Parlement européen, comment on travaillait, comment on leur envoyait des arguments, comment on leur téléphonait, comment on leur écrivait, comment on essayait de les rencontrer. Et puis, cette année, j'avais envie qu'on présente la façon dont eux, travaillent le dossier et, un petit peu, le ressenti qu’ils en ont, etc.

On a demandé à certains parlementaires de venir, Monsieur Nicolas Dupont-Aignan[1] a pu venir, d’autres n’ont pas pu, en particulier, on a demandé à Catherine Trautmann[2], députée européenne, de venir nous parler pour plein de raisons. D’abord parce que c’est elle qui traitait, en tant que rapporteur, le paquet télécom, qui est une des pierres angulaires législatives très importantes de ces dernières années. En particulier, parce que c’est là que se joue l’enjeu de la neutralité d’Internet, et donc de savoir si on gardera un réseau qui permet les échanges ou un réseau qui ne permet que le commerce. L’enjeu étant majeur, comme vous le savez. Elle n'a pas pu venir puisqu'il y a une séance plénière, ce matin même, à Strasbourg. Là ils doivent finir à l’instant de voter, donc comme il n’y a pas encore de télé-porteur suffisamment efficace, elle ne pouvait pas être parmi nous. Par contre elle nous a envoyé une vidéo, pas très longue, une dizaine de minutes. Je vous recommande d’être assez attentifs ; elle aborde pas mal de sujets, en particulier quelques éléments du fonctionnement du Parlement européen, puis quelques éléments sur le paquet télécom, puis quelques éléments sur l’impact pour les libertés numériques, sur comment l'amendement 138 a été sacrifié sur l'autel du compromis. C’est une lecture parfois, un petit peu aride, en particulier le passage sur les techniques parlementaires européennes. C’est pour cela que je vous recommande une certaine attention. Et puis j’essaierai de sous-titrer, à la fin de sa vidéo.

Ensuite de quoi, on va, avec Tangui Morlier, je ne sais plus sous quelle qualification je te présente ? Nosdeputes.fr[3] ? Députés Godillots.info[4] ?

Tangui Morlier : Regards citoyens[5].

Benjamin Bayart : Regards citoyens, après un certain temps, tu verras, tu choisiras ta casquette. L’idée c'est : on discute avec un élu, qui n’a pas l’habitude de la langue de bois, pour voir comment les parlementaires vivent ces sujets-là. Le fait que c’est un des rares dossiers sur lesquels ils se font embêter, même en direct, par des militants. Voilà, je pense qu’il y a pas mal de questions qui se posent sur le contrepoint de la vision qu'on en a nous, ce qui nous permettra de mener à terme cette deuxième partie, qui nous amènera vers 15h30 où il sera l’heure d’aller respirer un peu, avant d'attaquer la troisième partie sur les différents défis qui nous attendent et tous les textes pièges que l'on va se prendre dans les mois qui viennent, il y a du beau boulot pour les parlementaires tant côté européen que côté français.

On va voir si la partie technique suit, est-ce qu’on a le son là-dessus ?

4' 08

Projection de la vidéo envoyée par Catherine Trautman

Catherine Trautmann : Députée au Parlement européen, et présidente de la délégation socialiste française depuis 2009, ancienne rapporteur de la révision des directives-cadres « accès », « autorisation », qui sont le cœur du fameux aquet télécom. Et je voudrais remercier Benjamin Bayart de French Data Network[6], en charge de l’organisation de cette table ronde politique, de me permettre d’apporter un éclairage européen sur les débats qui vous occupent actuellement. Je suis désolée de ne pouvoir être physiquement présente avec vous, puisque je suis retenue par un moment primordial de l'exercice de mon mandat, c’est-à-dire la séance de vote en session plénière, d’où mon intervention par les moyens de communication, que vous voyez en ce moment.

À ce titre, une première question que m’a posée Benjamin Bayart, est celle de la spécificité du processus législatif européen. Je sais que, souvent, on se pose la question devant la complexité de notre processus, car il repose sur un monopole d’initiative de la Commission. Le Parlement ne peut donc pas, formellement, s’auto-saisir d’un sujet, mais inversement, la Commission ne peut plus jouer qu’un rôle d’honnête courtier, une fois que le coup est parti, et que la directive est engagée dans les tuyaux. Car ensuite ce processus fait intervenir un pouvoir législatif dual, qui complète le triangle institutionnel, le Parlement, composé des députés élus au suffrage universel direct, le Conseil qui représente les États membres et en particulier les 27 exécutifs nationaux.

C’est la raison pour laquelle on parle souvent de compromis, et le compromis peut être de plusieurs sortes :

  • le compromis entre délégations nationales, au sein d’un même groupe politique,
  • compromis entre groupes politiques ensuite. Là, on a souvent deux logiques qui s’affrontent, celle de la différenciation au rang politique, des oppositions, je dirais, idéologiques, car les citoyens ont besoin de cette visibilité. Et puis ce sont nos convictions et celles de l’Union institutionnelle, car il faut que nous puissions atteindre une majorité au Parlement pour pouvoir avoir une position forte lorsque nous devons discuter avec le Conseil. Car l’étape suivante, la plus délicate, est bien celle de la négociation entre le Parlement et le Conseil, ce sont ces fameux triangles, puisqu’ils impliquent également la Commission et, à l’issue de cette négociation, sans compromis, ce serait toute la procédure qui tomberait. Par conséquent, il faut chercher à aboutir à une position dans laquelle le Parlement tente, par le soutien de son Assemblée, d'être le plus fort possible.

Dans le cas du paquet télécom, lors de la conciliation qui portait exclusivement sur le fameux amendement 138, qui imposait le recours à une autorité judiciaire avant toute coupure, le Parlement européen s'est vu confirmer par son service juridique, qu'au titre de l'article 95 du traité, qui est à la base de cette directive, il n'avait pas la possibilité d’obliger les États membres à modifier leur ordre juridictionnel interne, et à leur imposer une telle disposition.

Cette faiblesse de compétence risquait de fragiliser cette disposition, à laquelle nous tenions fortement, puisqu'elle a été adoptée par deux fois, à une très large majorité, dans notre Assemblée. C'est pourquoi le Parlement s'est battu pour imposer préalablement à toute coupure, et quel que soit le type d'autorité prenant cette décision, des garanties comme le respect de la vie privée, qui pèse sur la manière de collecter des éléments qui pourraient être, éventuellement, incriminants, de la présomption d’innocence, qui elle, a son importance pour la charge de la preuve, du contradictoire, du droit à être entendu, qui limite le traitement automatisé. Tout ceci se place dans le respect des droits et libertés fondamentaux des citoyens, et c’est ce que j’entends par procédure juste et impartiale. À mon sens, et une fois que le délai de transposition aura été atteint, les cas où l'accès à Internet pourrait être coupé seront très peu nombreux. Voilà donc pour le processus, pour le compromis et la conciliation.

Ensuite, la question qui m’a été posée c’est quelles sont les implications du paquet télécom en matière de neutralité. Ça, ça a été un deuxième sujet sensible, et je voudrais dire que l’objectif général, qui est indiqué dans l’article 8 de la directive-cadre, fixe, parmi les objectifs de la régulation, la nécessité pour les régulateurs nationaux de veiller à ce que la concurrence ne soit pas faussée, ou entravée, dans le secteur des communications électroniques, y compris pour la transmission du contenu. Ce sont ces mots qui fixent, dès le départ, la nécessité de veiller à ce que la transmission de contenus ne soit pas percutée, ne soit pas gênée par des interventions extérieures. Dans l’article 8-4, au paragraphe G, il est indiqué que des régulateurs sont habilités à promouvoir le droit des utilisateurs finaux, à transmettre et recevoir les contenus, services et applications de leur choix. Il faut en effet, que ceux-ci puissent avoir accès à l'information, il faut préserver leur capacité à diffuser ainsi qu’à utiliser les applications et les services de leur choix. Le choix est donc du côté des consommateurs ou des utilisateurs finaux. Il ne peut être considéré, de la même façon, que ce soit une possibilité pour les fournisseurs d’accès ou de services.

Enfin, troisième élément, c’est l'obligation de transparence vis-à-vis de ces utilisateurs finaux. Transparence relative aux éventuelles restrictions d’usages, pratiquées par les opérateurs de réseau, ainsi qu’aux politiques de gestion de trafic, car il faut bien gérer le trafic lorsqu’il y a surabondance de demandes, surabondance de transmissions de données, que l'on constate soi-même, d’ailleurs, à certain moment de l’usage du Net. Et donc c'est à ce moment-là que les opérateurs doivent intervenir, et on peut avoir, effectivement, à ce moment-là, des interventions qui doivent découler de mesures nationales compatibles avec le droit communautaire. Là on se réfère à l’article 20 et 21 de la directive « service universel » et un autre article, l’article 9-1, de la directive « accès ».

Voila pour les trois premiers points, mais il existe, aussi, un élément complémentaire, qui est relativement délicat à définir, mais qui est important, et que le régulateur français, par exemple, a pris en charge pour l’analyser, c’est le nouveau pouvoir de fixation d’une qualité minimale de services, encadrée par la Commission en cas de menace sur le bon fonctionnement des réseaux par certaines pratiques de gestion de trafic. Là nous sommes à l’article 22 de la directive « service universel ». Nous avions demandé, j'avais demandé comme rapporteur principal du paquet télécom sur la directive cadre et les trois directives liées que je viens d’évoquer, une déclaration de la Commission dans le cadre de cette conciliation, cette procédure de conclusion de la révision du paquet télécom. Cette déclaration a été faite, les représentants des États membres n'ont pas voulu qu'elle puisse être publiée comme nous pouvions le souhaiter. Mais, néanmoins, la Commission s'est engagée à prendre des initiatives.

Alors quelles sont les perspectives européennes qui peuvent aujourd’hui nous intéresser sur ce sujet ? Et là, nous sommes en pleine actualité, si je puis dire. D’abord une consultation, qui a été annoncée par la Commission sur la neutralité du Net, qui doit avoir lieu courant de l'été alors qu’un processus comparable est en cours dans un certain nombre d’États membres dont, en particulier, la France. La commissaire européenne Nelly Kroes, a mentionné, à plusieurs reprises, son intérêt pour l’organisation d'un sommet sur la neutralité. Je pense que c’est le succès du sommet sur le spectre radioélectrique qui l’inspire et qui lui indique au fond que, quand on rassemble l'ensemble des partenaires, la Commission, le Parlement européen, mais également aussi, les professionnels, les ONG, bref tous ceux qui sont concernés, y compris les consommateurs, on peut arriver, dans un débat très ouvert, transversal, qu’on peut qualifier de "bottom up" c'est à dire qui part finalement des utilisateurs vers ceux qui auront à prendre des responsabilités, on a en quelque sorte un débat qui se déroule dans de bonnes conditions puisque sinon il peut être très rapidement crispé. C'est en effet, aussi, cette même méthode que vous connaissez bien, sûrement, qui est appliquée au forum sur la gouvernance de l’Internet.

Nelly Kroes a également été explicite sur son soutien aux standards ouverts lors d'une intervention à l’Open Forum Europe 2010. Nous l’avons bien noté, nous attendons, aussi, sur ce point des initiatives. Je l’ai moi-même interrogée lorsqu’elle est venue devant notre commission industrie, télécommunication, recherche et énergie[7], et elle a évoqué, effectivement, cette motivation à avancer.

En parallèle il y a bien sûr, aussi ce dont on parle beaucoup en ce moment, des discussions autour du rapport de Mme Gallo, sur la mise en œuvre de la protection de la propriété intellectuelle, avec, aujourd’hui, une opposition entre deux approches. L'approche que je qualifierais de traditionnelle, qui ne voit pas, et ne préconise pas une autre façon de gérer la question de la propriété intellectuelle autre que celle qui est en vigueur aujourd'hui. Et une autre approche qui tient compte des nouvelles pratiques et, notamment, du partage de fichiers. Et donc, nous avons reporté pendant cette semaine le vote au mois de septembre, puisqu’il faut bien constater le désaccord, et le fait que le débat doive se poursuivre entre les différents points de vue. Ce n'est, certes, qu’un rapport d'initiative, mais la Commission européenne et en particulier monsieur Barnier, fera des propositions législatives à propos de la distance paneuropéenne, de la gestion collective, bref c’est un sujet qui va certainement animer les prochaines semaines, et les prochains mois.

En attendant, évidemment, moi, je vous souhaite d’excellents échanges, je serai extrêmement attentive, comme beaucoup de mes collègues aux conclusions de vos travaux, mais aussi aux arguments, informations échangées lors de vos débats. Je crois qu’il est très important que l’on puisse co-construire, en quelque sorte, un monde numérique ouvert et en même temps, attentif aux libertés.

Voilà, tout simplement, ce que je voulais vous dire en conclusion de ce propos que Benjamin Bayart, très aimablement, m'avait proposé de tenir par la voie numérique. À bientôt.

Applaudissements

15' 57

Benjamin Bayart : Alors le propos n'est pas toujours très simple à suivre. Il y a quelques éléments que je vais sous-titrer, s’il y en a sur lesquels vous voulez des explications, il faut me demander, il ne faut pas hésiter. Il y a d’abord un mot, moi, qui m’a frappé, quand j’ai entendu, ce matin, ce qu’expliquait Catherine Trautmann, ça peut paraître assez anodin, je rappelle à ceux d’entre vous, qui sont un petit peu jeunes en politique, Catherine Trautmann était ministre de la culture, il n’y a pas si longtemps que ça en France, donc elle a occupé le poste de Christine Albanel, pour vous aider à situer. Elle n’a pas dit « les méchants pirates pédo-nazis », elle a dit « partage de fichiers ». Je ne sais pas si vous vous rendez compte du chemin que l’on a parcouru. Si vous vous rendez compte de l’immensité que cela représente. Elle ne parle pas de vol, elle ne parle pas de pirate, elle ne parle même pas de téléchargement, elle dit qu'il faut, bien évidemment, tenir compte des nouveaux usages dont, évidemment, le partage de fichiers.

Grande grande avancée politique pour nous. Un point assez net de marqué. Et ce n’est pas une déclaration isolée, c’est la patronne du groupe socialiste au niveau du Parlement européen qui le dit. J'ai tendance à croire que ça doit intéresser tout le groupe socialiste, normalement.

Dans les autres points qui sont intéressants et qui ont besoin d’être déchiffrés, parce qu’un député ne peut pas forcément dire du mal aussi ouvertement qu’un activiste barbu, les explications un petit peu compliquées autour de l'amendement 138. Je vous rappelle, l’amendement 138, c’est celui qui avait été voté en pleine bataille HADOPI au Parlement européen, à l’Assemblée nationale, à l'Assemblée, et qui déclarait qu’on ne pouvait pas, bien évidemment, couper l’accès Internet de quelqu’un sans la décision d’un juge parce que cela remettait en cause les libertés fondamentales.

L’amendement 138 a été voté par le Parlement européen, deux fois, de mémoire ça doit être à 87et 89 %, avec une majorité discrète, tout de même. L’amendement 138 ne figure pas dans le texte définitif parce que le Conseil européen, donc les groupes de ministres, s'y sont opposés. C'est le seul point du paquet télécom auquel ils se soient opposés. Et ils s’y sont opposés à la demande de la France ; c'est donc bien le gouvernement français qui s’est opposé à l’amendement 138, il n'y a pas d'autre formulation possible. Basiquement, le Parlement a été contraint de céder sur des arguments assez vaseux , expliquant qu’effectivement le Parlement européen n'a pas autorité pour légiférer en matière de pénale. Il se trouve que c’est la France qui a avancé ces arguments-là, après que le Conseil Constitutionnel ait déclaré qu’en France on ne peut pas couper l'accès à Internet de quelqu’un sans passer par un juge. Je trouve ça savoureux, le gouvernement français soutient devant le Parlement européen à peu près le contraire de ce que dit la Constitution.

Ça c’est un des éléments, c'est une des raisons pour lesquelles j’ai demandé à Catherine Trautmann de nous parler de la technique parlementaire européenne, parce que c'est une technique complexe, c'est un jeu à 3. Dans ce mariage à trois, il y a deux nommés et un élu. Les deux nommés ce sont la Commission et le gouvernement, et l’élu c’est le Parlement. Moi, je constate, après quand même pas mal d'années de pratique, que sur le brevet logiciel le Parlement avait fait un bon boulot. Que même sur le paquet télécom, on arrivait à une solution sortie du Parlement qui était assez propre. On a mis longtemps à leur expliquer, ça a pris du temps, il y a eu du travail. Mais je me souviens de l'état dans lequel était le paquet télécom y a deux ans, quand Jérémie Zimmermann et Christophe Espern sont arrivés épuisés aux RMLL, en catastrophe, en retard, etc. Un petit peu comme va arriver Jérémie cette année. C’était lamentable, dedans il y avait les brevets logiciels, dans le paquet télécom ils nous avaient remis TCPA/Palladium[8], le Trusted Computing, le filtrage à gogo de tout et n'importe quoi dans tous les sens, l’interdiction du réseau ouvert. Des trucs ahurissants !

On s'en sort avec un paquet télécom qui est globalement assez propre, il reste 2 ou 3 bêtises dedans, mais globalement assez propre. Il y a un des points, par exemple, qui est intéressant… Alors, forcément, Catherine Trautmann nous a dit ça en termes juridiques, elle parlait de « transmission de contenus ». Il y en a combien dans la salle qui ont compris ce que ça veut dire, quand un député européen, parlant de liberté sur Internet, parle de « transmission de contenus » ? Dans la salle ? François, t'es obligé de lever la main, je sais que tu as compris. Et, à part François Pellegrini, y a-t-il quelqu’un qui a compris ? Voilà, ils sont quatre. Ça veut dire qu'on ne peut pas vous interdire d'héberger un serveur chez vous. C’est ça qu’a voté le Parlement européen : transmettre, pas recevoir et consulter. Transmettre. Vous avez le droit d'héberger les services et les contenus que vous voulez, où vous voulez. C’est une déclaration, pour un geek, qui est assez obscure, mais qui, en droit, est extrêmement importante. Il y a écrit dans le paquet télécom que les abonnés sont libres de consulter et transmettre les contenus qu’ils veulent. Ça veut dire que le réseau qui sert à diffuser Mickey, eh bien en Europe c’est pas valable. Il y a quand même quelques éléments que je trouve très forts là-dedans, même si c'est dit en termes très policés, très Parlement européen, en français pas normal.

Tangui Morlier : Ce qui est important à noter aussi, c'est que ça vient de la rapporteuse du paquet télécom. Il y a deux ans, lorsqu’on a parlé la première fois ici de paquet télécom, on n'aurait jamais imaginé que Catherine Trautmann puisse faire l'effort d’être avec nous, et de tenir ce type de propos. Mais ça c’est grâce, à mon avis, à la mobilisation qui a eu lieu, notamment à l'initiative de la Quadrature sur toutes ces problématiques, avec la Commission européenne, évidemment, de la neutralité d’Internet. Tout ce dont on parle autour d’ACTA.

Benjamin Bayart : Il y a eu énormément de travail de beaucoup d’organisations, les deux organisations françaises qu'on voit le plus dans le Parlement européen, sur les arguments, c'est la Quadrature (du Net) et dans les argumentaires la FDN a pas mal contribué, mais il y a énormément d’associations au niveau européen. Il y en a de tous les pays d’Europe qui viennent travailler là-dessus. Il faut repérer qu’il y a 2 ans on était quasiment en guerre ouverte avec Catherine Trautmann, alors que là, ce que vous venez d’entendre, si on le traduit de français Parlement européen à français normal, c’est quasiment un communiqué de presse de la Quadrature du Net. Liberté, pour tous les citoyens, de faire ce qu’ils veulent avec Internet depuis chez eux. C’est ça qu’elle dit. Y compris partager des fichiers ; on a marqué des points. C'est une des raisons pour lesquelles, pour moi, cette intervention a un sens. Dans le capharnaüm européen, on a marqué un vrai point démocratique. On a discuté longuement, parfois virilement avec les députés, ils nous ont écoutés, ils ont compris. François ?

François Pellegrini : Je ne peux que saluer le travail parce qu’effectivement, je te soutiens. En écoutant ça, je me souviens de Catherine Trautmann, il y a deux ans, on n'en était pas là. Je ne suis pas d’accord avec Tangui, pour la directive brevet logiciels, le rapporteur, en deuxième lecture, était aussi venu aux rencontres mondiales du logiciel libre.

Tangui Morlier : Je parlais sur le paquet télécom.

François Pellegrini : Je veux dire par là que, finalement, j'allais dire, l'importance de la communauté qui gravite autour du logiciel libre sur ces législations-là, je crois est reconnue par le législateur à travers la présence de 2 rapporteurs du Parlement européen, sur ces dossiers, aux tables rondes politiques des Rencontres mondiales.

Tangui Morlier : Oui tout à fait. Et je pense que c’est là où la communauté du libre est assez novatrice dans la nouvelle manière de créer une politique et d'interagir avec les politiques. Je pense qu’on va vraiment rentrer dans le débat avec Nicolas Dupont-Aignan pour un peu l'interroger sur sa perception de ce changement démocratique, particulièrement dans la politique parlementaire, où de notre point de vue, c’est qu’il y a de plus en plus d'échanges entre les citoyens et les personnes qui les représentent au Parlement. Est-ce que c’est quelque chose que vous sentez dans votre pratique parlementaire régulièrement et est-ce que la communauté du logiciel libre, ou la communauté du Libre en général, est atypique à ce niveau-là ou est-ce que cela a tendance à se diffuser ?

25' 18

Nicolas Dupont-Aignan : Écoutez, d’abord bonjour, merci de votre invitation. Pour ceux qui ne me connaissent pas je suis un député de l'Essonne, maintenant depuis un certain temps, 1997, j'ai été député UMP et j'ai quitté en 2007 pour fonder un parti politique, gaulliste, social qui s'appelle "Debout la République". Je siège en non-inscrit puisque nous n'avons pas assez de membres parlementaires. Nous sommes deux députés Debout la République, et je siège aux côtés de François Bayrou et des 3 députés Modem, puisque nous sommes 8 députés non-inscrits à l'Assemblée nationale. Donc je suis une sorte de député libre, si je puis dire.

Pour répondre à votre question, d’abord je crois qu'il y a deux mondes qui ne se connaissent pas, du moins le monde politique ne connaît pas du tout votre monde. Et aujourd'hui, je vais vous parler très franchement, évidemment, et surtout vous verrez très bien que je suis un néophyte complet. Je ne vais pas venir vous dire « je connais ceci et cela ». Il faut bien comprendre que, pour nous, c'était quelque chose de totalement inconnu et que ces projets de lois nous sont tombés dessus, sont tombés sur des néophytes complets. Complets ! À peine si on savait se servir d'un Blackberry, ce qui n’est pas bien, hein ? Ou d'autre chose… C’est une provocation !

Rires

Je dois dire, quand même, que ma ville est adhérente de l'April et que nous mettons tout en logiciels libres, chez nous. Donc il faut que je me débarrasse de ça (son Blackberry) vite fait, je n'ai plus que quelques jours. On me le supprime, là, bientôt. Mais tout ça pour dire que, nous sommes dans l'ensemble, ce serait prétentieux de dire que, quoi sur 577 députés il y en a peut-être 20, et encore, qui comprenaient ce que vous nous racontiez et ce qu'il y avait dans les projets de lois. C'est comme ça, c’est un fait, je crois qu'il ne faut pas le nier. Pour autant, je pense en être un autre exemple, ainsi que quelques autres, mon ami monsieur Brard, même si on n’est pas du tout de la même couleur politique, madame Billard, comment il s'appelle celui de l'UMP ? Monsieur Tardi, monsieur Suguenot. Un certain nombre de parlementaires en fait, qui, au cours du combat politique, quand on a eu des débats sur les premières lois comme DADVSI, puis HADOPI. Mais surtout ça a commencé en décembre euh… je ne sais pas…

Tangui Morlier : 2005.

Nicolas Dupont-Aignan : 2005 ? 2006 ?

Tangui Morlier : : 2005

Nicolas Dupont-Aignan : On s'est retrouvés, comme ça, sur les bancs de l'Assemblée et puis vous savez, les séances de nuit, il n’y a pas grand monde, on discute un peu. Et puis on se disait : « Mais c'est du délire, c'est quoi ce truc-là ? » On s’est dit : « Il y a anguille sous roche ». Et très simplement, vous nous avez alertés et, comme on est, peut-être, pas doués en informatique, mais on est quand même un peu doués en politique, sinon on aurait pas été élus, et comme on voyait se répandre dans les couloirs les représentants des lobbies, ceux que j'appelle ainsi pour ne pas être plus désobligeants, qui avaient quasiment investi l'Assemblée nationale, comme s'ils étaient chez eux. Je pense à tous les grands majors, ça a quand même mis anguille sous roche et on s'est dit : « Tiens il y a quelque chose de bizarre ».

Et puis on a creusé et on a découvert l'évidence. Et ce que je veux dire, quand je dis l'évidence, c'est quoi ? Ce que je ne cesse de répéter depuis maintenant quelques années, c'est qu'on peut être néophyte en informatique et comprendre très bien l'enjeu du logiciel libre, de la neutralité des réseaux, et de la révolution numérique. Voilà. Et moi je reprends une image que vous avez peut-être entendue de ma part, mais je suis désolé parce que je répète toujours la même chose, mais c'est tellement simple. Nous sommes exactement comme il y a plusieurs centaines d'années, quand il fallait passer des moines copistes qui recopiaient la bible à la main, à l'imprimerie. Rien n'a changé. Alors est-ce qu'on met en prison ceux qui veulent casser le monopole des moines copistes ? Ou est-ce qu'on s'adapte à ce qui se passe, c'est-à-dire non pas qu'on s'adapte d'une manière défaitiste ou comme ça pour subir, mais est-ce qu'on anticipe l'extraordinaire chance que représente le numérique pour la diffusion des œuvres par exemple ?

Et ce qui était insupportable dans la loi, ce qui était insupportable dans les deux débats qu'on a eus à l'Assemblée, c'est que les majors et le gouvernement, aidé, il faut quand même être clair aussi, par une partie du Parti socialiste, monsieur Lang et compagnie, souvenez-vous-en, comment dire, abusaient de la crédulité des parlementaires, de leur non connaissance du sujet, pour leur faire croire qu'en plus ils étaient des remparts de la culture française, et de la liberté de la création. C'est ça qui était insupportable. C'est-à-dire qu'on était face à une imposture, c'est-à-dire qu'on mobilisait les parlementaires pour leur dire : « Vous allez voter le projet de loi gouvernemental parce que comme ça vous allez défendre contre ces salauds qui pillent et pillent la culture ». C'est-à-dire qu'il y avait des grands sentiments en bandoulière. Et c'est ça qui a permis, je crois, cet abus, qui a fait réagir quand même un certain nombre de parlementaires, puisque même dans une soirée de décembre, on a été majoritaires. Et à plusieurs reprises on a été majoritaires lors des votes.

Benjamin Bayart : Il y a des histoires de rideaux qui sont restées célèbres !

Nicolas Dupont-Aignan : Voilà, on a été quand même majoritaires parce que, simplement le bon sens était là, tout simplement, l'évidence et la question majeure, il n'y a qu'une seule question, c'est : « est-ce que cette innovation technologique essentielle, majeure, sera confisquée par des puissances économiques ou sera au service des citoyens ? ». C'est ça la seule question. C'est simple en fait. Et, bien évidemment, face à une innovation technologique majeure, il y a l'enjeu de pouvoir et il y a l'enjeu d'argent. On n'a rien inventé. L'enjeu de pouvoir c'est qu'Internet gêne. Internet gêne parce que, comme une certaine oligarchie politique a mis la main sur certains médias, ils ont mis du temps, c'est un éternel combat, ils voient d’un très mauvais œil ce que peut être Internet, comme un élément de liberté et de diffusion politique. On en parlera après, si vous le souhaitez. Moi j'ai pu monter mon parti, et si "Debout la République" a eu autant de succès, d’adhésions, de financements, même l'électorat, si on a pu y aller, c’est que parce qu’il y avait Internet. Jamais je n'aurais pu faire ça avant Internet : on n'avait pas les moyens d’envoyer des timbres, des lettres, etc. Donc ça montre bien qu’il y a un enjeu de pouvoir, Internet. Et puis, après il y a un enjeu économique, et comme par hasard, ceux qui veulent verrouiller politiquement Internet s'entendent à merveille avec ceux qui veulent en tirer le plus grand profit. Voilà, c'est tout l'enjeu des prochaines années.

Benjamin Bayart : Moi, il y a un point qui me fascine, en fait, pour avoir suivi tous ces dossiers-là depuis un certain nombre d’années, on arrive, avec le Parlement européen, en discutant avec les députés impliqués qui suivent les dossiers... Que quelques députés, parmi les 577 députés de l'Assemblée nationale connaissent le dossier c'est normal tout le monde n'est pas compétent sur tout. Mais on arrive au Parlement européen…

Nicolas Dupont-Aignan : Le problème c'est qu'il n'y en avait aucun.

Rires

Benjamin Bayart : On arrive, en discutant au Parlement européen avec les députés, à progresser. Typiquement, le rapporteur du paquet télécom, qui est un texte colossal, il faut repérer c'est cinq directives, c’est épais, il y a toute l’industrie des télécoms derrière. Je vous laisse imaginer la pointure des businessmen, des lobbyistes, derrière, c'est du gros bras. On arrive à discuter, et à se faire comprendre, et à se faire entendre, et à obtenir une réflexion. Je ne dis pas qu’on va y arriver sur tout. Mais on arrive à faire changer d'avis le rapporteur sur le texte, et à obtenir des prises de position intelligentes. Comment dire, on ne va pas dire du mal de Franck Riester, il ne faut pas parler des absents, il n'a jamais écouté un argument, jamais déplacé une virgule. Comment il peut y avoir une telle différence de qualité de travail parlementaire entre l’Assemblée nationale et le Parlement européen ?

Nicolas Dupont-Aignan : Parce que l’enjeu n’est pas le même. Et parce que le rapport de forces politiques n'est pas du tout pareil. C’est pas faire insulte au Parlement européen que de dire, pardonnez-moi, vous allez peut-être mal le prendre, qu'il a à la fois un rôle important et un rôle non décisif. Donc l’enjeu de pouvoir n'est pas du tout le même. Madame Trautmann, je vous parle d’elle parce que je l’aime bien, au demeurant, mais elle a beau jeu de dire : « On essaie, on ne va pas y arriver et d’ailleurs on a fait sauter l'amendement ». Non mais attendez, parce que moi, je veux bien qu’on ne soit pas idiot, mais pour le moment, il a quand même sauté.

Si le Parlement européen avait l'enjeu du Parlement national, du parlement allemand, espagnol, anglais ou français, je peux vous dire que ce serait autrement verrouillé et que le dialogue serait beaucoup plus difficile. C’est pas que je sous-estime. Vous voyez ce que je veux dire ?

Benjamin Bayart : Oui.

Nicolas Dupont-Aignan : C’est qu’il y a une marge de manœuvre plus forte parce qu’il y a un enjeu politique moins important puisqu’ils ne sont pas décisionnaires, en fin de compte, dans l’ensemble. Ils sont décisionnaires en partie. Vous avez pu les influencer et ça a joué. Et ça a été utile. Mais c’est beaucoup plus flexible.

Tangui Morlier : Vous avez quand même vu l'intervention ?

Nicolas Dupont-Aignan : Vous avez vu l'intervention elle est quand même intéressante. C'était de dire « vous avez raison, je défends mais c'est un compromis, on fait ce qu'on peut, etc. ». Je connais par cœur le mode de fonctionnement. C’est toujours ce qu’on dit. Puis, après, vous verrez que le compromis, en général, il est sérieusement écorné à chaque fois.

Tangui Morlier : Est-ce que ça veut dire que vous pensez que le travail des parlementaires français est un travail de décisionnaires ?

Nicolas Dupont-Aignan : Non, mais, pas totalement dans cette affaire. Mais simplement, oui le Parlement, il est décisionnaire par le vote de la loi, mais il est tenu par le fait majoritaire, c’est tout. Donc il est plus décisionnaire que le Parlement européen, c’est une évidence. Ce n’est pas une critique, c'est un fait. Donc, si vous voulez, ce que le Parlement européen veut donner, la Commission va le reprendre. Et la Commission va le reprendre parce que c’est un jeu à trois bandes : État, Commission. Si, il y avait un Parlement européen avec un fait majoritaire, comme les parlements nationaux, je pense que, très vite, certains seraient rappelés à l'ordre, beaucoup plus vite. Vous comprenez ce que je veux dire ? Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas, au niveau national, avoir un travail plus approfondi. Mais si on a choisi, s’ils ont choisi, parce que ce n’est pas moi, monsieur Riester ce n’est pas par hasard. S’ils avaient choisi quelqu'un d’ouvert et de sensible à vos thèses, cela aurait été gênant pour la suite du vote. Puisque vous savez quel était, très bien, l’objectif.

Si vous me faites dire que le Parlement français est aux … Qu'il y a un fait majoritaire, brutal, c’est une évidence. Et, dans cette affaire, tout le monde sait que l'UMP, et c'est pour ça que je suis bien content d'en être parti, n'a pris aucune responsabilité dans cette affaire, puisque le Président de la République est derrière ça, immédiatement, directement, avec certains lobbies. Et que donc le Président de la République a convoqué, à plusieurs reprises, ceux qui battaient de l’aile, si je puis dire, qui étaient sensibles à vos thèses, à nos thèses, pour les rappeler à l'ordre, en leur disant : « Maintenant si tu votes ce texte, on te retirera ton investiture et tu ne seras plus député. »

Tangui Morlier : ils savent que la licence [globale]… Vu que vous avez été plus investi sur la DADVSI, il y a… Vous avez…

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Nicolas Dupont-Aignan : Oh moi non, parce que moi, ils savent que je suis un cas perdu. Si vous voulez, ils n’insistent plus, je n’ai plus de pressions. De toutes façons, je n’en ai jamais eues parce qu'ils me connaissent. Donc Sarko, il me connaît très bien, il sait que s'il y aura une pression, j'écrirai sur mon blog dans la journée. Donc voilà quoi. « Perdu pour perdu, ce pauvre type, voilà qu'il reste où il est. »

Là-dessus je n'ai jamais eu de pression, mais là-dessus, je connais mes collègues, je sais comment ça fonctionne et bien sûr qu’ils ont eu une quantité de pressions. D’ailleurs voyez les abstentions, voyez… Je n'ai pas calculé sur l’affaire mais vous avez dû être observateurs attentifs, voyez ceux qui ne sont pas venus voter. Voilà. Quand des députés de la majorité, mais c’était pareil au moment des socialistes, et ça c’est fait parce qu’on a eu une Assemblée nationale élue au scrutin majoritaire, et pas à la proportionnelle, et ça c’est différent du Parlement européen. Donc on a un Parlement européen beaucoup plus ouvert là-dessus puisqu’il est élu à la proportionnelle, que vous avez beaucoup plus de points d'entrée, et qui est moins décisionnaire. Ça c'est le problème de la proportionnelle, et le problème du fait majoritaire. Tout ça pour dire que moi j'ai bien vu comment ça s'était passé, les parlementaires de style Suguenot, je sais plus ce qu'il a voté à la fin

Tangui Morlier : Sur Hadopi, il me semble qu'il a voté pour…

Nicolas Dupont-Aignan : Je ne sais plus… Bon bref, tout ça c'est le fait majoritaire, et c'est ce qui ne va pas dans notre système institutionnel. C’est le problème de rapport de force entre l’exécutif et le législatif. Parce que je reste convaincu que si le législatif avait un peu plus de puissance, vous auriez trouvé très vite des parlementaires tout à fait ouverts à vos thèses, sans doute pas le rapporteur du projet de loi ,mais beaucoup d’autres…

Benjamin Bayart : Parce que pour le coup… Ça c'est un des éléments sur lesquels je voulais vous faire réagir, on a régulièrement, je ne me suis pas amusé à rechercher les noms, parce que je n’ai pas envie de faire leu nominatif, mais on en a vu plusieurs, des députés qui déclarent dans la presse, ou qui déclarent en tête-à-tête, c’est très fréquent, mais dans la presse, être contre le projet de loi, typiquement HADOPI, alors que, c'est idiot de leur part, le scrutin est public c'est-à-dire qu'on a la liste des votants, on sait qui a voté quoi. Comment est-ce qu’on peut se retrouver… Je peux comprendre, en fait, qu’un député se plie aux pressions pour garder son investiture, pour garder son financement, pour ne pas être blackboulé la prochaine fois, etc. Mais se retrouver à dire, dans la presse, quelque chose qui est vérifiable, comme étant ouvertement un mensonge, c'est curieux comme positionnement.

Nicolas Dupont-Aignan : C'est même choquant, plus que curieux.

Benjamin Bayart : Ils pourraient : « J’ai voté », puis sortir un argument vaseux, éventuellement faible.

Nicolas Dupont-Aignan : Je vais vous dire, le problème de fond c’est ce système, qui est complètement vérolé sur plein de sujets, j’en connais tellement qui font ça. Le problème de fond c'est que si on veut être efficace, c'est quoi ? C'est vous [montre le public], qui détenez les manettes, la pression des internautes a été importante, ils en ont peur, ils ont peur de vous, plus que vous ne croyez ! Donc, il faut faire pression, politiquement ; d’ailleurs j'ai toujours dit que ce projet HADOPI ne serait jamais appliqué pour une raison simple : c'est que vous voyez un gouvernement, envoyer avant les élections, des milliers, des centaines de milliers de rappels à l'ordre aux électeurs, pour leur faire cesser une pratique généralisée ? Mais il faut être complètement fou, suicidaire. D'ailleurs quand je me posais même la question de savoir comment un gouvernement pouvait défendre un projet aussi débile, les ministres, je me demandais même s'ils ne faisaient pas ça pour la forme. Ce faisant, ils perdraient beaucoup de temps à ne pas créer la licence globale, à ne pas avoir un vrai mode de rétribution des auteurs. Et c'est ce que j'ai expliqué cent fois aux auteurs, et aux associations d'auteurs, aux associations en général, de leur dire : « mais vous êtes complètement manipulés par les majors, parce qu'à force d'attendre vous n'aurez ni votre rémunération, par eux, puisque le système ne marchera jamais, mais vous n'aurez même pas la licence globale qui permettrait de financer la création », parce que c'est légitime dans un pays, et ça c’est le rôle d’un parlementaire, la ministre de la Culture, de se poser la question légitime, de la création, de la langue, de ce qui fait un savoir-vivre ensemble, un vouloir vivre ensemble et d'aider par un mécanisme financier, qui était un prélèvement sur les fournisseurs d'accès ou autre solution.

Ce faisant, on a bien vu dans ce débat, qui était passionnant, sur le plan institutionnel et politique, que le gouvernement, pour faire plaisir aux majors, pour verrouiller le système, pour faire plaisir au Président de la République qui obéissait à des clientèles, prétendait défendre les artistes, et ce faisant, ne les défendait pas, puisque le système, à mon avis, n'est pas jouable. Il ne peut pas être mis en œuvre, c’est une aberration, vous ne retenez pas la marée avec, comme des gamins, avec des châteaux de sable qui sont tour à tour sur la plage. C'est absurde, et donc, à la fin du compte, qui va perdre ? Tout le monde : les artistes, le gouvernement qui aura créé cette usine à gaz, l’argent du contribuable, etc. Mais plus grave que ça, parce qu'il y a ça, il y a beaucoup plus grave qui pour moi, aujourd'hui, est la manière dont on aborde la création du réseau de fibre optique en France, la confusion des rôles entre les fournisseurs d'accès et les fournisseurs de services. Je pense que là on est dans une espèce de, comment dire, conflit d'intérêt ou de confusion d'intérêt, c'est-à-dire que, l'enjeu pour notre pays, ce serait quand même de construire un réseau de fibre optique équitablement réparti sur le territoire français pour un moindre coût. Donc c'est complètement absurde de voir les fournisseurs d’accès investir sur des réseaux parallèles dans les grandes villes, et puis de voir, parallèlement, le monde rural, le monde des banlieues. Moi j’ai une à vingt kilomètres de Paris, on n'a rien. On a la moitié de la population qui n a même pas accès à l’ADSL, qui est limite. Vous voyez, 20 kilomètres de Paris. Et aucun des opérateurs ne veut investir. Vous avez des millions de personnes qui ne l'auront pas ! Donc ça c’est un problème majeur, c'est le problème des tuyaux. Et en confiant les tuyaux à ceux qui fournissent les accès et à ceux qui essaient de s'emparer du contenu, il y a une confusion majeure et c’est toute la question de la neutralité du net, mais c’est en train de se faire en ce moment et on va gaspiller des milliards d'euros dans l’installation de réseaux dans certaines zones urbaines très denses, alors qu’après on nous dira, à nous contribuable : « qui va payer pour le reste ? »- Et j'estime que là, il y a un vrai enjeu politique. Et là il y a du boulot à faire auprès des parlementaires pour dire, pardonnez-moi de le dire, pas tous, mais il y a un vrai boulot à faire.

Tangui Morlier : Mais justement, pour en revenir à l’influence des citoyens dans le travail des parlementaires, qu'est-ce qui a été décisif pour vous durant DAVDSI ou à quel moment s'est produit le déclic ? Est-ce que c'est les dizaines de mails que vous receviez dans la journée ?

Nicolas Dupont-Aignan : Non, pas pour moi, parce que ce n'est pas ça qui m'a, honnêtement qui m'a… Moi j'ai été convaincu parce que j'ai eu la chance de vous rencontrer, je ne sais pas comment, par quelqu'un qui vous connaissait. Et puis parce que je suis féru d'histoire, et je me suis tout de suite vu sous Gutenberg, quoi ! Pauvre Gutenberg en prison parce qu'il remettait en cause quelque chose. Moi c'est ma culture historique entre guillemets qui m'a sauvé dans cette affaire, voyez, comme quoi. Mais l'histoire se répète. Moi ce n’est pas par eux… Mais en revanche, mes collègues, moi je, et puis même nous, ce qu'il faut faire, c'est les abreuver de mails, il n'y a que ça. Mais attendez, c'est normal, on est élu. Il faut que les électeurs se manifestent, il n'y a pas de secret. Donc organisez-vous, abreuvez-les de mails, il faut qu'ils se rendent compte et puis faites les battre, il n'y a pas de secret. Organisez-vous. Quand un député qui a voté contre, envoyez-lui un mail, et généralisez en disant : « il a voté contre ». Battez-le aux élections et puis, vous verrez, ça va changer. Pourquoi le parti socialiste a évolué entre nous ? Parce que souvenez vous qu'au Sénat

Benjamin Bayart  : Au Sénat, le groupe PS a voté à l’unanimité.

Nicolas Dupont-Aignan : A voté à l'unanimité la loi. Il ne faut pas l'oublier quand même. Donc, Dieu sait si je ne suis pas fana de l'UMP, mais il faut quand même… il y a certains doubles jeux du PS sur le sujet. Donc pourquoi ? Parce qu’ils se sont dit : « Zut, on est en train de se fâcher avec la jeunesse de la France ». C'est tout. Et ça c’est normal, c’est le boulot d'un élu. Est-ce que vous connaissez un commerçant qui veut se fâcher avec ses clients ? Bon, eh bien un député, en général, ne veut pas se fâcher avec ses électeurs. Donc votre boulot, c’est de faire pression sur les parlementaires, parce qu’ils ne comprennent pas ce qui se passe. Et il faut quand même leur faire rentrer dans le crâne que… Enfin, là ils commencent à comprendre qu’ils vont au suicide politique.

Tangui Morlier : Qu'est-ce qui a fait que sur DADVSI vous avez été vraiment très actif et que sur HADOPI vous l’avez été un peu petit peu moins ? On vous a vu de manière plus sporadique, plus en discussion générale qu’en défense d’amendements.

Nicolas Dupont-Aignan : Parce que je suis le Président d'un parti politique que je suis en train de monter, je suis candidat aux élections au Parlement, et que je ne peux pas tout faire. Je n'ai que deux députés et qu’il y en a d'autres qui le faisaient très bien. Voilà, moi j'avais fait mon boulot. Mon boulot c’était quoi ? C'était, comme de parlementaire, essayer de convaincre le maximum decollègues, je n'allais pas répéter les amendements de mon ami Brard parce que voilà. C’est tout. Il n’y avait pas du tout de différence, je suis convaincu pareil.

En ce moment, mon dada, c’est plutôt parce que je le vis dans mon territoire. Je suis Président d'une communauté d'agglo de plus de cent mille habitants, je suis le maire d’une ville de trente mille. Je suis à 20km de Paris et j’ai, dans ma ville, sur 11/12 mille foyers, j’en ai 4 mille qui sont au minimum légal de 512 (kbit/s). Minimum légal de 512, c’est que les gens qui sont à 20km de Paris, s’installent, ils emménagent et ils viennent me voir : « Monsieur le maire, nous, on peut pas. On peut rien faire. On a créé une petite boite, mon fils est ingénieur, ma fille est ceci, et on ne peut pas se relier ». Je suis en négociation avec France Télécom, Free et les autres depuis 3 ans, et ils nous baladent. Et ils nous disent : « Eh bien vous n'avez qu'à payer ». Voilà, c’est au contribuable à payer. Mais enfin, on est en plein… C’est de la folie furieuse ! Là, voilà un vrai enjeu.

Tangui Morlier : Donc selon vous, c'est localement qu’il y a moyen de faire évoluer les choses ? Plus qu’au niveau parlementaire ?

Nicolas Dupont-Aignan : Les deux. Les deux devraient, mais à condition que les citoyens fassent pression. Et puis que vous, vous continuiez votre travail de lobbying, que vous appuyiez au sein de chaque groupe parlementaire sur quelques poissons pilotes. On crée, on a créé une sorte d’amitié avec Benjamin. On n'a jamais été aussi copain avec monsieur Brard, Martine Billard et quelques autres.

Tangui Morlier : Donc c’est comme ça régulièrement. Vous avez créé un intergroupe.

Nicolas Dupont-Aignan : Vous savez, il n’y a pas besoin de créer d’intergroupe, il y a assez de bureaucratie comme ça dans notre pays. Je veux dire, on se voit…

Tangui Morlier : Mais c’est assez rare quand on voit un député de droite valoriser le travail de son adversaire politique.

Nicolas Dupont-Aignan : Je sais que eux n’osent pas le faire, parce qu’ils vont passer pour d’horribles… Donc ils n’osent pas toujours le faire, mais on est très copains et, à la buvette, on en parle. Et puis voilà, et on échange et on a envie de convaincre nos collègues, c’est une affaire humaine aussi. Je veux dire, il ne faut pas non plus… Il faut faire prendre conscience, en revanche, là c’est sérieux et plus grave, si on ne fait pas faire prendre conscience aux Français que c’est un enjeu de liberté publique, et que c'est un enjeu de liberté économique, et que c’est vital pour le développement du pays. Parce que notre pays, il crève de l’oligarchie. Il crève économiquement aussi de ça, de cette incapacité à créer une nouvelle société, le fait qu’il y ait tant de chercheurs français qui soient à l’étranger, aux États-Unis, en Angleterre ou ailleurs, c’est quand même un problème. Et ça c’est pas qu’on est moins bon que les autres, c’est qu'on a un mode de fonctionnement clanique, oligarchique, et que de grandes entreprises, du CAC 40, et d’ailleurs, ne veulent pas qu’il y ait cette émergence de ce tissu. Or le numérique c’est cette diversité, c’est ce réseau. Voilà moi ce que j’ai compris, pourtant je n’y connais rien dans vos trucs. Bon c’est ça. Et il faut que notre pays réussisse ce virage, et ce n’est pas avec ces abrutis, pardonnez-moi de parler comme ça, il y a beaucoup de journalistes, il ne faut pas trop le dire, mais ces majors qui sont en train de tuer la poule aux œufs d’or, ici…

Benjamin Bayart : Ne vous inquiétez pas, ça ne sortira pas de la salle.

Rires

Nicolas Dupont-Aignan : Ces fournisseurs d'accès, ces ceci, etc. Ce n’est pas possible de continuer comme cela, parce qu’on est en train de louper un virage essentiel. Essentiel ! Et moi j’ai dit que l’aménagement du territoire, les banlieues, on doit pouvoir essaimer. Moi j’ai plein de petites boîtes qui veulent s’installer chez moi, alors qu’on n'était pas une zone avec de grandes zones d’activité. Ils fuient les grandes zones d'activité. On a des petites sociétés très performantes qui s’installent. Il faut qu’ils aient la couverture internet et voilà. Je suis un peu passionné sur cette question, parce que je la vis.

Benjamin Bayart : François ? Allez-y. Merci.

48' 50

François Pellegrini : Je ne peux que seconder, j'allais dire,