Logiciel libre et innovation ouverte - Thierry Carrez

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Titre : Logiciel libre et innovation ouverte : un modèle de développement néguentropique

Intervenant : Thierry Carrez

Lieu : Académie d'été de philosophie - Épineuil-le-Fleuriel

Date : Août 2015

Durée : 1 heure 01 min 25

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Transcription

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Bonjour à tous. Bienvenue. J'ai la lourde tâche de faire la dernière présentation. Ça va être un peu moins technique que celle de Christian. On va parler de collaboration, on va parler de logiciel libre, une assez longue digression sur le cloud computing. Ça devrait bien se passer je pense.

En exergue de cette discussion, j'ai ce proverbe africain qui résume pour moi la valeur de la collaboration, de la coopération, proverbe qui dit : « Si vous voulez aller vite, vous cheminez seul. Si vous voulez aller loin, vous cheminez ensemble ». Je pense qu'il y a aussi une intéressante réflexion sur la vitesse, puisque, en gros, pour une vision à long terme, il faut cheminer ensemble et non pas seul. Contrairement aux précédents intervenants, y compris mon illustre prédécesseur, je ne cite pas de philosophes, parce que je ne suis pas un philosophe, je suis un ingénieur et je ne suis même pas un philosophe-ingénieur. C'est très décevant. J'habite Epineuil, donc Bernard m'a un petit peu invité en voisin pour parler de ce sur quoi je travaille. Dans les quatre jours qui ont précédé, on m'a demandé souvent « eh bien qu'est-ce que tu fais ? » et j’explique « il va falloir une heure pour expliquer ». La voilà l'heure pour expliquer.

Donc. Pour moi c'est une expérience sociologique d'organisation, qui a maintenant cinq ans, sur laquelle un retour d’expérience est maintenant possible. On manque beaucoup de solutions pratiques, néguentropiques, on manque de scénarios alternatifs, on manque d’organologie pratique, comme le disait Bernard, ou de traductions en économie des principes sur lesquels on a eu cette réflexion toute cette semaine, et, à mon avis, ce projet est un bon exemple pratique, existant, fonctionnant dans le monde actuel, pas forcément comme un des plans sur la comète sur la blockchain 2 0, donc on va un petit peu parler de détails.

Qu'est-ce que je fais actuellement ? C'est assez difficile à expliquer parce que cela mobilise un certain nombre de concepts qui sont étrangers à la plupart des gens, et c'est pour ça qu'il faut une heure pour expliquer. Je coordonne le développement mondial, en logiciels libres et en innovation ouverte, d'un ensemble de logiciels, permettant de fournir une infrastructure de type cloud computing. Donc ça fait beaucoup de concepts.

Public : Inaudible.

T. C. : Ouais. Donc je coordonne le développement mondial, en logiciels libres et en innovation ouverte, d'un ensemble de logiciels, permettant de fournir une infrastructure de type cloud computing. Je dois le lire sinon je n'y arrive pas. Donc beaucoup de concepts étranges, et pour expliquer vraiment le détail du projet, je vais d'abord expliquer ce que j'entends par infrastructure de cloud computing, et ce que j'entends par logiciel libre et innovation ouverte. Comme ça vous aurez le thème et la manière de faire, et ensuite on parlera du projet.

Tout d'abord qu'est-ce que j'entends par cloud computing. ? Pour le grand public le cloud computing, ça va être le stockage en ligne, on va dire. Pour cet auditoire c'est plutôt le big data, l'arme du capitalisme computationnel, mais pour moi, stockage en ligne tout comme big data, sont deux conséquences, deux conséquences parmi d'autres du cloud computing qui est une technologie. Et pour expliquer ça je vais d'abord un petit peu replacer cette idée dans un contexte technologique, un contexte de marché, ce qui se passe actuellement dans le domaine de l’informatique, mais aussi sur, en général, l'évolution des technologies.

Une nouvelle fois, je ne suis pas un philosophe, je cite des ingénieurs. Marc Andreessen est un ingénieur informatique, créateur de Netscape dans les années 90, qui est devenu depuis venture capitalist à succès de la Silicon Valley, très influent, qui a fondé Andreessen Horowitz, qui est une grosse firme de venture capital de la Silicon Valley. Il a déclaré en 2011 que le logiciel mangeait le monde. Quand vous entendez le logiciel mange le monde, vous pensez sans doute à Google, qui est une société purement informatique, machine à générer des protentions automatiques, dont l'impact sur nos vies quotidiennes a été le plus significatif. Tout le monde recherche sur Google, et donc, par extension, le contrôle et le pouvoir qu'elle en dérive le plus inquiétant. Mais quand Andreessen parle de dévorer le monde, il ne pense pas vraiment à Google. Il pense plutôt à Amazon. Donc Amazon, qui est une société principalement de logiciels, qui a révolutionné une industrie en place, celle de la distribution de biens et de services, sans posséder un seul magasin. Qui n'a pas acheté quelque chose sur Amazon ? Levez la main. Ah ce n'est pas mal. Vous êtes bien !

Public : Inaudible.

T. C. : C'est assez pratique, hein ! Moi-même, je consomme beaucoup d'Amazon. Mais ce n'est pas le seul exemple d'industrie de logiciels qui a mangé le monde. Donc Uber et Lyft, qui sont les deux plus grosses applications de partage de transport dans le monde, ont fait chuter de 65 % le nombre de voyages en taxi dans la ville de San Francisco depuis le moment où ils se sont installés. Donc ils ont, effectivement complètement annihilé une industrie en place, qui est en place depuis très longtemps.

Airbnb, qui est donc une société de listing de bed and breakfast, ou de chambres que vous pouvez partager chez vous, va loger chaque nuit de cet été 800 000 personnes. Pour se donner une idée Accor, le groupe Accor qui est le gros fournisseur de chambres d’hôtel, c'est 450 000 chambres d’hôtel. Même en supposant qu'ils les remplissent toutes, toutes les nuits, ils n'arriveront pas au niveau de Airbnb, qui donc arrive à ces niveaux-là sans posséder un seul hôtel, juste avec du logiciel.

Netflix, c'est 50 % des 15 ans 35 ans aux États-Unis qui sont abonnés. Il y a toute une génération exposée à Netflix plus qu'à toute autre solution. Et derrière tous ces concepts, derrière toutes ces entreprises, il y a l'idée que le logiciel n'est plus une spécialité. Ce n'est plus, on va dire, quelque chose que certaines personnes dans l'entreprise font, c'est vraiment une fonction organique de l'entreprise. De la même manière qu'au début du 20e les entreprises, les usines avaient un service électrique, pour fabriquer de l'électricité. Eh bien nous dans le 20e siècle, on a eu des services informatiques pour fabriquer de l'informatique en quelque sorte.

Et, dans ces entreprises, il n'y a pas de service informatique. Ce sont des entreprises qui respirent l'informatique dans l'ensemble des fonctions de l'entreprise. Et ce qui rend possible cela, c'est l'évolution de la technologie informatique. Donc toute technologie suit cette courbe de maturité qui a été formulée par Simon Wardley, qui est un analyste de l'innovation. En gros, elle devient de plus en plus définie, de plus en plus certaine, et, dans l'autre sens, de plus en plus diffusée. Toute technologie va évoluée dans cette courbe, toujours vers plus de définition et plus de diffusion, mais plus ou moins rapidement. Elle peut rester bloquée pendant des dizaines d'années à un certain stade, etc, mais ça va toujours dans le même sens.

Elle commence comme innovation, comme quelque chose qui va être des prototypes, de la recherche, des versions fabriquées à partir de bric et de broc, et à partir du moment où elle a atteint un certain niveau de certitude, on va passer dans une phase de productisation, qui est une phase de différenciation, et une phase de diffusion. Donc typiquement, on va avoir beaucoup de versions différentes de cette technologie-là qui seront accessibles, pour essayer d'atteindre le plus grand nombre.

Et puis à un moment on arrive à une commodité, on arrive à un niveau de définition de la technologie qui est tel que les gens n'arrivent plus à se différencier sur le produit, et le produit devient standard, il devient universel, il devient consommé à la demande, il devient payé à l'usage. Et c'est la fin de cette technologie-là, et une fois qu'elle est devenue une commodité, elle va nourrir une nouvelle vague d’innovation, elle va être tellement utilisée en tant que commodité, qu'elle va nourrir de nouvelles vagues d'innovation et de nouvelles technologies.

Si on prend des exemples, l’électricité est tout au bout de cette chaîne. Quand vous branchez quelque chose sur une prise électrique, vous savez que vous allez obtenir du 220 volts, qui ne va pas être vraiment différent s'il est produit par EDF, par GDF, ou je ne sais qui. C'est une fonction qui est universelle, à la demande, payée à la demande, et présente partout, sur laquelle on peut compter, comme l'eau du robinet, dans nos pays.

La voiture, elle, est plutôt au milieu de cette courbe. Elle a du mal à avancer vers une commodité puisqu’elle joue sur des réflexes humains qui sont le plaisir de conduire, ma voiture est plus belle que la tienne, etc. Pour l'instant, elle a du mal, elle cale dans cette phase de productisation, on continue à faire des voitures différentes. Pourquoi ? On ne sait pas très bien. Il y a un moment où ça va devenir une commodité, un moment où les voitures automatisées vont se balader dans les villes, et puis vous rentrerez dedans, vous lui direz « je veux aller là», elle ira là-bas. Et Google a déjà, si vous passez souvent en Silicon Valley, comme je le fais, vous allez croiser des voitures qui n'ont pas de conducteur et qui sont des espèces de petites bulles dans lesquelles vous pouvez rentrer et lui dire où vous voulez aller. C'est assez flippant !

Le voyage spatial est en train de sortir de l'innovation. On a des sociétés comme SpaceX qui sont en train d'industrialiser, un petit peu, le lancement de satellites, le voyage spatial, avec des fusées réutilisables, avec des fusées qui se reposent sur leur socle. Transformer quelque chose qui était purement de la science-fiction, de la recherche, en quelque chose d'industriel et de réalisable. Donc on est au tout début de la phase de produit pour le voyage spatial.

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L'informatique, elle est là. Elle en est à la fin de la phase des produits. Elle est à l'entrée de la phase de la commoditisation.