Qu’est-ce que le logiciel libre - Lionel Allorge
Titre : Qu'est-ce que le logiciel libre ?
Intervenants : Lionel Allorge - Quesch
Lieu : RMLL2015 - Beauvais
Date : Juillet 2015
Durée : 31 min 33
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Quesch : Bonjour et donc bienvenue à Radio RMLL. On va dire ça comme ça. On est avec Lionel Allorge.
Lionel Allorge :Bonjour.
Quesch : De l'April. Donc c'est gentil d’être venu nous voir et nous expliquer ce qu'est le logiciel libre.
Lionel Allorge : Avec plaisir.
Quesch : Donc logiciel libre, en fait, les personnes qui vont écouter Radio RMLL, Radio ReMeLeLe, ce qu'on veut, vont avoir une petite idée de ce qu'est le logiciel libre, mais il y a tout un tas de personnes qui ne savent pas. Tu peux m'expliquer, nous expliquer, ce qu'est le logiciel libre ?
Lionel Allorge : Oui, je vais expliquer ce que c'est en quelques mots. Donc, en gros, l’informatique libre c'est une informatique qui respecte ses utilisateurs, qui respecte leurs droits. Et, pour ça, on a utilisé un système qui s'appelle les licences, et les licences de logiciels libres garantissent, donc aux utilisateurs, que le logiciel va être à leur disposition et pas, eux, à la disposition du logiciel. C'est assez important de nos jours parce que l'informatique se développe dans tous les aspects de la vie, pratiquement, aussi bien, donc, la vie professionnelle que la vie privée. On a, de plus en plus, nos vies privées sur informatique et donc c'est important de savoir qui contrôle cette informatique. Et, notamment, quand on a posté, enfin enregistré sur notre ordinateur, éventuellement posté sur des réseaux sociaux des textes qu'on a écrits.
Quesch : Des images.
Lionel Allorge : Des images, des photos, des vidéos, de plus en plus, maintenant, les gens font beaucoup de vidéos grâce aux téléphones et aux smartphones, il faut savoir qui contrôle ça. Et beaucoup de gens, en fait, ne s'en inquiètent pas, jusqu'au jour où ils rencontrent un problème. C'est-à-dire, par exemple ils n'arrivent pas à récupérer leurs photos qu'ils avaient mises sur un site web ; ou l'ordinateur plante parce qu'il est pourri par des virus ; ou des choses même encore plus graves, c'est-à-dire que leur ordinateur a été pris à distance et contrôlé à distance.
Quesch : Par d'autres personnes.
Lionel Allorge : Par d'autres personnes, malveillantes, souvent. Donc, voilà, tout ça, ça implique de s’intéresser un petit peu à qui contrôle son ordinateur, ou ses ordinateurs, les smartphones.
Quesch : Et les informations qu'il y a à l'intérieur, oui bien sûr.
Lionel Allorge : Qu'il y a dedans. Et si ce n'est pas l’utilisateur qui contrôle son informatique, c'est l'informatique qui contrôle l'utilisateur, parce que c'est l'informatique, donc des gens derrière, qui vont décider de ce fait votre ordinateur ; qui vont décider que votre ordinateur va renvoyer des informations à telle ou telle autre personne ; ou va servir à faire des activités, éventuellement, illégales, ce qu'on appelle les bots, quoi, donc des choses comme ça. Donc, c'est important de se préoccuper un petit peu de ça, d'autant plus qu'il y a encore trente ans, quand les projets de logiciels libres ont démarré, ça concernait plutôt des informaticiens, des spécialistes, mais aujourd'hui l'informatique concerne tout le monde, parce que pratiquement tout le mode a un ordinateur dans la poche, qu'on appelle un smartphone.
Quesch : Oui. Effectivement l’informatique est un peu chez tout le monde, l'informatique, je le répète des fois, de temps en temps, l'informatique ce n'est pas fait pour les informaticiens ou informaticiennes, c'est vraiment fait pour tout le monde, parce que tout le monde a une box ADSL, enfin, la plupart du temps, les gens ont une box ADSL à la maison, ont des télés connectées maintenant. On a des chaînes HiFi aussi connectées. On a les ordinateurs classiques qu'on a.
Lionel Allorge : Les ordinateurs de bureau.
Quesch : De bureau.
Lionel Allorge : Les tablettes.
Quesch : Les tablettes. Oui.
Lionel Allorge : Les téléphones qui, de plus en plus, sont ce qu'on appelle des smartphones.
Quesch : Les montres connectées.
Lionel Allorge : On voit arriver des montres connectées
Quesch : Et puis les bracelets pour courir et savoir combien de kilomètres j'ai fait.
Lionel Allorge : C'est ça, et c'est tout l'univers de ce qu'on appelle les objets connectés. Tous ces objets, en fait, sont des minis ordinateurs. Dedans, il y a petit micro processeur pour faire tourner les programmes. Donc, c'est important de se poser la question de qui contrôle ces programmes. Le GPS dans votre voiture, par exemple, tout ça.
Quesch : Oui, aussi.
Lionel Allorge : Tout ça ce sont des ordinateurs.
Quesch : Il y a des ordinateurs, en fait, un peu partout, vraiment de partout.
Lionel Allorge : Vraiment de plus en plus.
Quesch : Il n'y a pas que les ordinateurs eux-mêmes, il y a aussi les données qu'on va donner. La carte de cantine, là on est à l'antenne universitaire du PGU de Beauvais, je ne sais pas si c'est bien le PGU, mais en tout cas l'antenne universitaire de Beauvais pour les RMLL.
Lionel Allorge : Oui.
Quesch : Eh bien, ils ont des cartes de cantine à biper devant, il y a des informations, même si la carte elle-même n'est pas ordinateur, eh bien on va savoir que j'ai bipé, que j'ai mangé tel jour à telle heure.
Lionel Allorge : C'est ça. Et ce que tu as mangé probablement, et des choses comme ça.
Quesch : Peut-être, sûrement, ce que j'ai mangé, sûrement, si je prends des suppléments ou pas.
Lionel Allorge : Ça s'appelle les cartes RFID.
Quesch : Alors il y a du RFID. ?
Lionel Allorge : Il y en a où c'est à l'ancienne, entre guillemets, c'est-à-dire qu'il faut les rentrer dans un lecteur. Les cartes RFID ce sont celles qui sont sans contact, on les pose juste devant l’appareil. Et ça, ça présente énormément de risques, parce que ces cartes il y a plein d'infos dedans.
Quesch : Tout à fait. Il y a aussi d'autres moyens, parce que là c'est une carte, mais il y a aussi d'autres moyens où on met l'empreinte digitale.
Lionel Allorge : Digitale.
Quesch : On met son doigt, donc ça va vraiment très loin. Et ces informations-là, si elles sont détournées ou si elles sont utilisées par des personnes, là, on l'a vu ce matin avec le Hacking Team, HackingTeam, je déteste avoir ce terme-là.
Lionel Allorge : Ce terme.
Quesch :Parce que je n'arrive pas à le prononcer comme il faut, sans boire un verre d'eau entre les deux. Et donc, il y a plein de sociétés qui travaillent pour des gouvernements et qui font en sorte de récupérer des informations, de casser des systèmes, pour aller faire je ne sais quoi. Parce que ce sont souvent des choses un peu en dehors de la loi, ou dans une zone grise, ou carrément illégale.
Lionel Allorge : Oui. Il y a un gros problème de protection des données personnelles, de manière générale. La loi est assez floue là-dessus pour l'instant.
Quesch : D'accord. Donc logiciel libre très important, on le sait.
Lionel Allorge : On peut préciser pourquoi c'est important, du coup. À la base de tous ces systèmes informatiques, il y a des logiciels. Les logiciels ce sont des suites d'instructions, qui ont été écrites par des informaticiens, et qui vont permettre à ces systèmes informatiques, ces ordinateurs, de faire quelque chose. Les ordinateurs, en eux-mêmes, sont complètement idiots, ils savent juste lire des 0 et des 1 et puis faire quelques additions, des choses comme ça, et ce sont vraiment les programmes qui donnent l'impression d'intelligence, en tout cas de faire des choses utiles. Et ces programmes, ils sont, donc, faits par des humains et ils sont faits dans des langages informatiques, et ces langages informatiques, évidemment, tout le monde ne peut pas les comprendre, mais beaucoup de gens, beaucoup d'informaticiens arrivent à les lire.
Quesch : On peut apprendre à le faire ?
Lionel Allorge : On peut apprendre à le faire
Quesch : Ou on peut demander à quelqu'un.
Lionel Allorge : Ou on peut demander à quelqu’un de le faire pour soi. Et c'est important de pouvoir lire ce que fait le programme, justement pour aller vérifier qu'il n'y a pas de fonctions malveillantes, par exemple.
Quesch : Oui.
Lionel Allorge : Beaucoup de logiciels qui sont fournis au grand public, vendus, ou donnés, d'ailleurs, sont des logiciels qui ne sont pas libres. On les appelle propriétaires ou privateurs, selon les termes, mais l'idée c’est qu'on ne peut pas aller lire ce qu'il y a dedans.
Quesch : Oui.
Lionel Allorge : Ils sont fermés, c'est une boîte noire, et on ne peut pas aller comprendre ce que fait le logiciel.
Quesch : C'est un peu comme quand j'achète un plat cuisiné. On me dit voilà, il y a des carottes dedans, il y a du poireau, mais après, il y a des « E » je ne sais pas quoi.
Lionel Allorge : Voilà,
Quesch : On sait à peu près ce qu'il y a. Et puis je peux avoir marqué « additifs ».
Lionel Allorge : Voilà. C'est ça.
Quesch : Et là, encore c'est bien parce que sur la nourriture on a des étiquettes, mais j'ai essayé de peindre, et en fait, sur d'autres produits, les produits chimiques, ou de beauté, ou d'autres, il y a vraiment zéro.
Lionel Allorge : Il n'y a pas les compositions.
Quesch : Il y a des endroits où il n'y a pas de composition du tout.
Lionel Allorge : Parce qu'on considère que ça fait partie du secret industriel, en fait.
Quesch : Oui.
Lionel Allorge : Le problème avec l'informatique, c'est que, si on n'a pas accès à cette recette de cuisine, qui a permis de faire le programme, ce que les informaticiens appellent le code source, eh bien on ne peut pas être sûr de ce que fait le programme. Et, malheureusement, l’histoire pourtant relativement courte de l'informatique, puisque l'informatique elle naît durant la Seconde guerre mondiale, eh bien on a déjà plein d'exemples de logiciels malveillants, c'est-à-dire de logiciels qui, en douce, sans en informer les utilisateurs, modifiaient leurs données, lisaient leurs données personnelles, les renvoyaient à d'autres gens, et donc avaient des actions nuisibles pour les utilisateurs, au profit, en général, ou de grands groupes, qui n'hésitent pas à développer ce genre de problèmes, ce genre de logiciels qui posent problème, comme Sony, par exemple, s’était autorisé à le faire avec un système qui s’appelait le Rookit, qui espionnait ses utilisateurs. Et puis, des fois, ça peut être ce qu'on appelle des hackers, même si le terme est impropre. Ce sont
Quesch : Des bidouilleurs, des gens qui bidouillent.
Lionel Allorge : Des bidouilleurs, d'informatique qui vont faire ça pour le profit ou des fois, même juste pour prouver qu'ils sont capables de le faire.
Quesch : Ou pour des gouvernements.
Lionel Allorge : Ou au nom de gouvernements.
Quesch : Ou au nom de gouvernements comme on l'a vu, comme on le voit se répandre, lamentablement, sur les réseaux sociaux.
Lionel Allorge : Voilà ces dernières années.
Quesch : Voilà avec ce hacker. Non, même aujourd'hui, là.
Lionel Allorge : Ah d'accord.
Quesch : Avec la Hacking Team, je mange des pop-corns et je regarde ce qui se passe. Des pseudos hackers qui bossent pour des gouvernements et qui, apparemment, ne sont pas aussi bons que ça au niveau protection.
Lionel Allorge : On en parle vraiment depuis plusieurs années, parce qu'il y a eu tout un tas de cas. Régulièrement les États-Unis accusent les Chinois d’essayer de rentrer dans leurs systèmes informatiques. On s'aperçoit que les Américains espionnent les industriels européens.
Quesch : Tout à fait. Ou les présidents aussi.
Lionel Allorge : Et des présidents français, ou madame Merkel, enfin ça n’arrête pas. Donc, heureusement, des gens comme Assange, d’abord Julien Assange avec WikiLeaks, et puis, récemment, Edward Snowden ont fait sortir des documents qui ont permis de montrer l'ampleur, vraiment, de cet espionnage généralisé et des méthodes qui étaient utilisées. Tout est bon pour aller rentrer dans les réseaux, espionner les réseaux.
Quesch : Et qui a une vraie influence, parce que, apparemment, avec les dernières données de WikiLeaks, les Américains se sont servis de cet espionnage pour piquer des contrats, carrément.
Lionel Allorge : Tout à fait.
Quesch : Et on voit des corrélations, j'ai vu passer des graphiques avec des corrélations entre les vagues d'espionnage, entre guillemets vagues, et les baisses de chiffre d’affaires et des chiffres aussi du chômage.
Lionel Allorge : Bien sûr.
Quesch : C'est assez impressionnant de le voir sur un graphique. Bon, je n'ai pas toutes les sources donc je ne vais pas donner le lien exact, mais on voit passer ça, facilement, sur les réseaux sociaux. C'est un peu à se poser des questions, savoir si le « je n'ai rien à cacher », est-ce que vraiment on va continuer à utiliser cette phrase, parce que on se pose vraiment des questions là-dessus.
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Lionel Allorge : Oui, elle est très problématique cette phrase, parce que « je n'ai rien à cacher », ça sous-entend je ne suis pas un délinquant, je ne suis pas un criminel. Donc voilà, je suis un citoyen, globalement respectueux des lois, donc je n'enfreins pas les lois, et donc je n'ai rien à cacher . Et, en fait, c’est totalement faux parce qu'on a tous des choses à cacher.
Quesch : Bien sûr.
Lionel Allorge : Et la première des choses qu'on a à cacher, c'est que, quand on sort dehors dans la rue, on a des vêtements.
Quesch : Oui.
Lionel Allorge : Sinon on pourrait sortir à poil, il n'y a pas de raison.
Quesch : Il n'y a pas de raison.
Lionel Allorge : Donc, la prochaine personne qui te dis « je n'ai rien à cacher », tu dis « eh bien vas-y, dessape-toi ! Enlève tes vêtements ! Pourquoi tu restes avec des vêtements. Tu n'as rien à cacher »
Quesch : C'est vrai.
Lionel Allorge : « Il fait chaud là, dehors, tu peux enlever tes vêtements ». Tu commences par ça, et puis, en fait, tout le monde, on a tous nos vies privées, on a nos vies intimes, qu'on n'a pas envie de voir se répandre publiquement. Et donc, ça c'est important, et surtout, il y a une corrélation vraiment très claire entre démocratie et vie privée. Si tu n'as plus de vie privée, tu ne peux plus penser par toi-même, tu ne peux plus te regrouper avec des amis pour discuter, par exemple, de politique, parce que si tout se fait sur la place publique, en fait, tu vas subir la pression du groupe.
Quesch : Tout à fait.
Lionel Allorge : Et c'est super important qu'il y ait une vie privée, justement, ne serait-ce que pour protéger la démocratie.
Quesch : On l'a déjà vu dans des États démocratiques ou non démocratiques. On l'a vu en Amérique avec le maccarthysme. On l'a vu pas loin de la France avec la Stasi. Et on continue à se poser des questions et à utiliser cette phrase qui est quand même assez horrible de « je n'ai rien à cacher »
Lionel Allorge : Oui, c'est ça. Donc il faut bien distinguer le « je ne suis pas un délinquant », soit, très bien de « j'ai le droit au respect de ma vie privée » et cette vie privée elle est vraiment fondamentale pour assurer toute notre vie sociale.
Quesch : Surtout dans des pays cette vie privée peut t'amener au tribunal.
Lionel Allorge : Oui, bien sûr.
Quesch : Je sais que si tu vas en Russie et que tu affiches clairement ton homosexualité.
Lionel Allorge : Par exemple, c'est ça.
Quesch : Tu peux avoir de très graves problèmes.
Lionel Allorge : Tout à fait.
Quesch : Avec la loi et avec d'autres personnes qui n'ont rien à voir avec la loi.
Lionel Allorge : Tu cites la Russie, mais il y encore quelques pays dans le monde où l'homosexualité est punie de mort ; ça ne rigole pas, ce n'est pas pour rigoler. Je crois que c'est très important, même si on la chance de vivre dans un pays relativement démocratique, avec un certain nombre de droits que les citoyens ont acquis, ces droits il faut les défendre, il faut les défendre tout le temps. Et un moyen de les défendre au niveau informatique, pour revenir à notre sujet à la base, c'est de s'assurer que son informatique est libre, c'est-à-dire qu'on en a le contrôle, et que ce n'est pas quelqu'un d'autre qui décide à notre place de ce qui va se passer sur nos ordinateurs.
Quesch : Ouais, ça c'est assez intéressant, même si on n'a pas la capacité de le faire. Il faut toujours le noter quoi.
Lionel Allorge : Bien sûr. On est ici, donc aux Rencontres mondiales, avec un village associatif, il y a, je ne sais pas combien, vingt ou trente associations qui sont représentées, et beaucoup de ces associations sont justement là pour aider des utilisateurs à, ou bien se former, pour les gens qui sont curieux et qui veulent apprendre par eux-mêmes, ou bien, même, il y a des associations qui fournissent des services, c'est-à-dire qu'ils vont aider les gens à régler leurs problèmes informatiques, certaines de manière bénévole, d'autres vont demander un petit peu d'argent, mais ils vont pouvoir aider ceux qui n'ont pas le temps ou pas la volonté de s'y plonger. Ils vont pouvoir, au moins, donner les bons conseils, vérifier les choses à éviter, vous dire qu'il faut éviter certains logiciels parce que, justement, ils sont connus pour être néfastes. On pourrait citer, notamment, le problème de Facebook, par exemple, Google, enfin, ce qu'on appelle les GAFAMs, Google, Facebook, Amazon, Microsoft, et j'en oublie un, et Apple.
Quesch : Et Apple oui.
Lionel Allorge : Qui sont vraiment ces grands groupes.
Quesch : Et d'autres.
Lionel Allorge : Alors, il y en a d'autres, mais on les met en avant parce que ce sont vraiment les champions du monde, aujourd'hui, de l'informatique, et ils sont présents partout sur la planète et ils ont une capacité de nuisance, du coup, qui est très importante.
Quesch : Tout à fait. Et on le voit sur les réseaux sociaux, assez couramment, des censures organisées par, non pas des États, mais par des sociétés privées.
Lionel Allorge : Tout à fait. Et qui ont une capacité de nuisance qui est même, des fois, plus forte que les États.
Quesch : Oui.
Lionel Allorge : Parce qu'ils ont accès à tellement d'informations, ils ont tellement d'argent, qu'ils sont capables, effectivement, de forcer, par exemple, des choses jusque-là inacceptables. Je peux prendre un exemple qui est assez frappant, ce sont les livres numériques, c'est-à-dire ces livres qui ne sont plus des livres sur papier, mais qui sont des fichiers informatiques, qu'on peut acheter pour les lire sur ou des ordinateurs.
Quesch : Ou des tablettes.
Lionel Allorge : Ou des tablettes, ou des liseuses, qu'on appelle, qui sont des petits ordinateurs spécialisés pour la lecture. Un exemple très connu, donc, c'est Amazon, qui est, aujourd'hui un géant de la vente.
Quesch : De la distribution, de la vente.
Lionel Allorge : De la distribution de produits culturels sur Internet. Ils vendent une liseuse qui s'appelle le Kindle, et avec, ils vendent, donc, un certain nombre de livres numériques. Malheureusement, ces livres numériques sont enfermés avec un système qui s'appelle les DRM, que nous on appelle les menottes numériques, qui font que ce livre, vous ne pouvez le lire que sur le Kindle, vous ne pouvez le lire que sur leur appareil. Donc, vous imaginez un livre que vous ne pourriez lire qu'avec une seule paire de lunettes, par exemple, mais pas la paire de lunettes du concurrent. Vous voyez, quelque chose comme ça.
Quesch : Ouais.
Lionel Allorge : Déjà, ça démarre mal, mais ils ont fait encore beaucoup plus fort, c'est-à-dire qu'ils avaient vendu des livres numériques, notamment le fameux roman « 1984 » de George Orwell, et ce roman, ils l'ont vendu avant de s’apercevoir qu'ils n'avaient le droit, en fait, de le vendre, ils n'avaient pas négocié les droits.
Quesch : Ils avaient des droits, mais pas pour tous les pays,
Lionel Allorge : Oui, c'est ça.
Quesch : Il y avait une bisbille.
Lionel Allorge : Il y a avait un problème, tout à fait. Il y avait un problème de droits. Et donc ils ne sont pas ennuyés, ce qu'ils ont fait, c'est qu'ils ont envoyé un ordre aux liseuses, un ordre électronique, par Internet, en leur demandant, en demandant aux appareils d'effacer les romans en question. Donc, les gens qui avaient acheté légitimement ces romans, qui les avaient payés, qui les avaient sur leurs liseuses, du jour au lendemain, ils ont ouvert leur liseuse, le livre avait disparu.
Quesch : Le livre et les annotations, les métadonnées.
Lionel Allorge : Et tout ce qu'ils avaient pu ajouter eux-mêmes. Donc c'est complètement délirant. C’est-à-dire qu'on imagine qu'il y a un gars qui vient la nuit chez vous, un cambrioleur, et il vient retirer des livres de votre bibliothèque et il repart avec parce que la Fnac a oublié de payer je ne sais quelle licence. Donc, on est vraiment dans une espèce de délire orwellien. Ça tombe, malheureusement, très mal pour eux. Ça tombe sur ce livre
Quesch : Je crois que ce livre est assez maudit, « 1984 », parce qu'on a dit aussi eu le ministère de la Culture qui a enlevé un tweet, sur Tweeter, qui parlait de l'anniversaire de « 1984 », et qui se sont rendu compte, enfin ça a du être fait exprès, parce qu'il n'y a pas d'autre explication, et qui a retiré ce tweet, et qui l'a effacé, c'est assez hallucinant. Ce livre est maudit.
Lionel Allorge : En fait, ce livre pour ceux qui ne l'ont pas lu, il est vraiment très intéressant. Il a été écrit en 1948, par George Orwell, qui était un écrivain anglais, et qui s’inquiétait des dérives qu'il voyait, notamment dans les pays de l’Est, notamment en URSS. En fait, il a essayé d'imaginer une société anglaise qui aurait dégénéré, avec un système de contrôle des citoyens, où les citoyens ont chez eux une télévision qui, au lieu de leur envoyer des programmes, les regarde, eux. Et donc, ils voient constamment à l'écran un visage d'un monsieur, qui les regarde, qui s'appelle big brother, et ce big brother is watching you, c'est-à-dire ce big brother les regarde en permanence, et dans leur appartement il n'y a aucun endroit où ils peuvent être tranquilles. Ils sont espionnés en permanence, donc il n'y a pas d'angle mort, donc il n'y a pas de vie privée. Et donc ce n'est pas une démocratie, évidemment c'est une dictature. Et ça pousse le bouchon encore plus loin, c'est-à-dire que les voisins sont appelés à s'espionner les uns les autres, et les enfants sont appelés leurs parents et à rapporter à l’école ce que font leurs parents. Donc on est dans une société vraiment !
Quesch : Ce qui était fait avec les Stasi.
Lionel Allorge : Georges Orwell avait bien vu vers quoi étaient en train de dégénérer les pays de l'Est parce que, effectivement, malheureusement, ça a été appliqué dans les pays de l'Est. Sauf que là, dans le roman, c'est vraiment quelque chose de très noir, je ne veux pas gâcher la fin du roman, mais ce n'est pas vraiment positif comme roman.
Quesch : Après ça se termine avec la NSA, avec WikiLeaks.
Lionel Allorge : Oui, c'est ça. . Quesch : Ça se termine très mal.
Lionel Allorge : C'est ça. Et donc là, on a, nous, la chance quand même, d'abord d’être informés de ces problèmes-là, de savoir que ça existe, de vivre dans un pays où on peut encore à peu près s'exprimer, ce qu'on fait aujourd'hui, et donc c'est pour ça qu'il faut absolument, je pense, passer ce message de dire aux gens « votre vie privée est importante et les logiciels libres, l'informatique libre, c'est une des briques fondamentales qui va vous permettre de garantir votre privée »
Quesch : Tout à fait. Parce que la vie privée, ça compte beaucoup. Juste savoir avec qui j'ai été mangé hier soir, c'est beaucoup plus compliqué que ça.
Lionel Allorge : Ça a des implications beaucoup plus graves, y compris sur le fonctionnement démocratique de nos pays.
20' 05
Quesch : Et donc l'April, c'est pour ça vous êtes une association de promotion.
Lionel Allorge : Et de défense.
Quesch : Et de défense.
Lionel Allorge : Des logiciels libres.
Quesch : Des logiciels libres, parce qu'il y a des vraies attaques au niveau des projets de loi, exemple le projet de loi de programmation militaire qui ouvrait la porte ouverte à Microsoft.
Lionel Allorge : Oui, on a eu là, ces dernières années, on a eu beaucoup de problèmes. Ce que tu évoques, je pense c'est ce qu'on a appelé le contrat « Open Bar ».
Quesch : « Open Bar », oui.
Lionel Allorge : Entre Microsoft et, donc, le ministère de la Défense. Le ministère de la Défense a passé un contrat avec la société Microsoft pour pouvoir utiliser, en gros, un panel de leurs logiciels, sans avoir à les acheter un par un, sans avoir à payer chaque licence. En fait, ils ont payé un pool de licences en gros.
Quesch : Oui.
Lionel Allorge : Ça pose deux problèmes vraiment importants. Le premier, il est fiscal, c'est que, plutôt que de traiter avec Microsoft France, qui est la société qui représente Microsoft en France, ils ont traité directement avec Microsoft Irlande, qui est le représentant de Microsoft pour toute l'Europe. Et si Microsoft s'est installé en Irlande, c'est pour pouvoir se défiscaliser.
Quesch : Tout à fait.
Lionel Allorge : Puisque c'est un des pays d'Europe qui lui offrait la fiscalité la plus intéressante. Donc, le gouvernement français traite avec une entreprise dont il sait qu'il va défiscaliser toute une partie de ses revenus.
Quesch : Dans un petit paradis fiscal.
Lionel Allorge : Voilà, dans une sorte de paradis fiscal pour entreprises. Donc, on est vraiment dans un gouvernement qui se tire une balle dans le pied, puisqu'ils sont aux abois au niveau des rentrées fiscales, et ils vont faire un contrat en sachant délibérément que, donc, toute une partie de l'argent qu'ils vont verser à Microsoft va être défiscalisée en Irlande et ne bénéficiera pas aux citoyens français. Premier point. Mais, le plus grave, c'est que, du coup, le ministère de la Défense français utilise massivement ces logiciels de Microsoft qui ne sont pas des logiciels libres.
Quesch : Qui font partie des GAFAMs.
Lionel Allorge : Qui font partie des fameux GAFAMs. Et, on sait malheureusement , encore une fois par expérience, que Microsoft a, historiquement, des rapports étroits avec le gouvernement américain, et qu'il a déjà fourni un certain nombre d'aides au gouvernement américain pour pouvoir casser ses propres logiciels, enfin pour pouvoir rentrer dans ses propres logiciels, et pour pouvoir, donc, espionner les utilisateurs de cses propres logiciels.
Quesch : Donc, en fait, on a aujourd'hui l'Intérieur, donc l'armée française qui utilise des logiciels.
Lionel Allorge : Dont on sait.
Quesch : Dont on sait.
Lionel Allorge : Que potentiellement
Quesch : Ce n'est même plus potentiellement, parce qu'avec Snowden et l'histoire PRISM.
Lionel Allorge : Oui, on est sûr.
Quesch : On peut arrêter de parler au conditionnel.
Lionel Allorge : C'est ça.
Quesch : On sait, puisqu'il a même dû quitter son pays.
Lionel Allorge : Il est réfugié en Russie.
Quesch : Réfugié en Russie. On sait qu'utiliser ces logiciels égale « je vais me faire espionner par d'autres personnes ».
Lionel Allorge : C'est ça, et, notamment, par le gouvernement américain ou par des instances du gouvernement américain comme la NSA. Et ça c'est dramatique parce que ça veut dire que la France s'est livrée, pieds et poing liés, aux Américains. On a beau être des alliés puisqu'on a rejoint l'OTAN depuis quelques années.
Quesch : Des alliés militaires.
Lionel Allorge : Des alliés militaires.
Quesch : Mais pas forcément des alliés économiques.
Lionel Allorge : Mais on n'est pas des alliés économiques. On est dans une guerre économique
Quesch : Voilà, exactement, la guerre économique.
Lionel Allorge : Dont tu parlais tout à l'heure.
Quesch : Tout à fait
Lionel Allorge : Et puis, même au niveau du renseignement, on voit qu'ils contournent les lois européennes pour pouvoir espionner les citoyens européens. Enfin, on voit vraiment des choses assez graves, et on n'a pas vraiment envie qu'ils puissent rentrer dans les ordinateurs du ministère de la Défense français comme ils veulent. Ça paraît vraiment incroyable.
Quesch : Oui. Ou d'autres ministères, parce que, apparemment, tout le monde s'est gavé de l' « Open Bar ».
Lionel Allorge : Alors, pas tous les ministères mais un certain nombre ont passé des accords du même type. Mais ce qui est particulier, c'est que la Défense, on pouvait penser que ça aurait été le dernier bastion de résistance. Le truc où tu dis non pas celui, pas dans celui-là.
Quesch : Avec des gens qui ont l'habitude de se défendre et d'attaquer.
Lionel Allorge : Et puis, surtout, qui connaissent les problèmes d'espionnage, qui savent ce que c'est que le secret, le secret-défense, voilà, ils sont censés savoir que c'est. Eh bien non ! Donc, on trouve ça très grave, et on a attiré l'attention du gouvernement, bien sûr, sur ce contrat, l'année dernière, parce qu'il était renouvelé. On a donc demandé des comptes, on a demandé aux gens comment ça se fait et on a eu des réponses vraiment très incroyables. Les réponses officielles qu'on nous a faites c'est : « Ah, mais on fait partie de l’OTAN, tout l'OTAN utilise ces logiciels-là, donc pour être compatible avec les autres pays, on doit utiliser des logiciels Microsoft ».
Quesch : Ouais.
Lionel Allorge : Et ça c'est le contraire de la définition de la compatibilité, c'est-à-dire que ce n'est pas en se mettant tous avec le même système qu'on va être interopérables
Quesch : Être interopérables
Lionel Allorge : On ne l'est pas du tout. On se met tous, vraiment pieds et poings liés, encore une fois, dans les mains de cette entreprise qui, encore une fois, qu'elle gagne de l'argent avec l'informatique très bien. Mais on sait que, malheureusement, elle a des antécédents vraiment très néfastes.
Quesch : Ça ne s’arrête pas là du tout. OK. Eh bien, merci Lionel.
Lionel Allorge : Je t'en prie.
25' 15
Quesch : On va quand même un petit peu parler de l’April, l'actualité de l’April.