1er festival domaine public - Questions
Titre : Questions du public
Intervenant : Public - Danièle Bourcier - Séverine Dusollier - Isabelle Attard - Frédéric Toutain - Lionel Maurel
Lieu : 1er festival du domaine public - ENS
Date : Janvier 2015
Durée : 42 min 36
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Lionel Maurel : On va ouvrir la discussion, parce qu'on a un peu débordé sur le temps, comme il se doit, et je laisse à la salle le soin de poser des questions si vous le souhaitez.
Public : Je voudrais une information sur la loi qui se prépare au Parlement, pour le printemps, si j'ai bien compris, sur le domaine public. En quoi est-elle liée à la loi en préparation sur le numérique, qui devrait aussi être vers le mois d'avril/mai ? Est-ce qu'il y a des interférences ? Est-ce que c'est complètement distinct ?
Frédéric Toutain : La stratégie qui va être retenue, ça va être de placer tout ce qu'on peut, partout. Eh bien oui, il faut être honnête, pour plusieurs raisons, à la fois pour les raisons d'acculturation évoquées depuis le début, de plus on parle, plus on arrive à convaincre des gens et à les sensibiliser au problème. On pourrait se retrouver, éventuellement, à des risques c'est de placer des morceaux dans un texte, d'autres morceaux dans un autre texte et que ça se percute en cours de route. Dans les faits, on a quand même tellement peu de répondant en face, tellement de volonté de ne pas y aller trop vite, que je ne suis pas inquiet. On essaiera de passer dans la loi création, principalement, puisque c'est quand même le principal, la loi numérique traite de tout le numérique et le domaine public est bien plus large que les questions numériques. Effectivement, on essaiera de placer des choses dans les deux, clairement, mais on compte plus sur la loi création parce que c'est la ministre qui trouve ça intéressant, le cabinet qui commence à être convaincu. Il y avait des gens très bien dans l'administration, dans le Cabinet d'Aurélie Filppetti, qui sont partis avec elle, mais on a bon espoir pour la suite, avec Fleur Pellerin. Est-ce que ça répond à votre question, le fait qu'on va utiliser les deux ? Voilà.
Isabelle Attard: Je précise que, malgré le fait que je sois députée, je n'ai aucun élément sur le projet de loi création, que les journalistes ont plus d'informations que nous, c'est vous dire à peu près, le niveau de fonctionnement dans notre pays. Certains lobbyistes ont des bribes, parce qu'il y a des parties du projet de loi qui ont été volontairement, comment dire, ont volontairement fuité, on va dire ça comme ça. En tout cas, on ne peut absolument rien dire aujourd'hui, parce que je n'ai aucun texte de base à ma disposition, et ce n'est pas faute de l'avoir demandé. Donc je suis navrée de ne pas avoir de réponse, en tout cas en ce qui concerne le futur projet de loi création.
Public : Il semblait qu'il y ait une opposition entre le ministère de la Recherche et le ministère de la Culture, sur ces questions-là. Ça a été un petit peu évoqué d'ailleurs en parlant des éditeurs français d'un côté et puis de la recherche.
Frédéric Toutain : C'est effectivement un des sujets de contentieux. Isabelle a beaucoup travaillé dessus lors de la loi sur la refondation de l'école, puis la loi enseignement supérieur et recherche, où là elle était chef de file, donc vraiment très impliquée. Il y a, effectivement, des conflits interministériels sur « oui, on veut bien qu'il y ait une exception pédagogique qui existe », et on a d'ailleurs réussi à faire un amendement qui est passé sur différents usages, pour élargir un peu l'exception pédagogique, mais il reste encore, et là Lionel pourra en parler bien mieux que nous, il reste encore énormément de choses, dans les accords, qui rendent cette exception largement inopérante, ou du moins pas aussi opérante qu'elle devrait l’être. Oui, ça fait partie des choses qu'on essaiera de pousser, là, pour le coup, dans la loi numérique.
Lionel Maurel : Juste, peut-être un mot là-dessus parce que c'est vrai que c'est un enjeu important qui va arriver très vite au niveau politique. Donc, sur la loi numérique, il y a une consultation du Conseil National du Numérique en cours. Vous avez un axe qui s'appelle « Biens communs de la connaissance » et dans cet axe, il y a une question qui explicitement demande s'il faut protéger le domaine public ou pas. La consultation est ouverte jusqu'au 4 février, vous pouvez tous répondre. Il y a déjà des propositions qui ont été faites par différents acteurs pour soutenir cette proposition. Et donc, s'il y a un soutien, on peut espérer, que cet aspect se retrouve dans la loi sur le numérique. Sachant quand même, que les indications qui nous viennent du ministère de l’Économie sont assez défavorables quand ils abordent les questions de droit d'auteur et de propriété intellectuelle. Mais plus il y aura de soutiens à la consultation, plus il y a des chances que ça arrive au moins en discussion. Et sur la loi sur la création, il se trouve que le texte préparatoire a fuité sur La Gazette des Communes, je ne sais pas si vous avez vu ça, et on voit le texte, et dans le texte il n'y absolument rien sur le domaine public à l'heure actuelle. Donc pour qu'il y ait quelque chose, ça ne va pas arriver tout seul, il faut qu'il y ait un soutien, il faut que la question soit poussée. Pour l'instant, je dirais que ça dépendra beaucoup des inputs qui seront envoyés, à la fois au gouvernement mais aussi aux députés.
Public : Je rebondis un petit peu sur ce que vous avez évoqué, un moment donné, en parlant de la numérisation et de la reproduction, en fait, des œuvres dans le domaine public. Je comprends bien qu'une œuvre, un tableau, il y a des œuvres qui sont dans le domaine public, mais après toutes les étapes de reproduction, d'édition entre guillemets, de numérisation, de photographie, de création d'un site web, d'hébergement du site web, tout ça, ça ne coûte pas zéro. Si moi, demain, je veux faire un site web avec vingt mille œuvres du domaine public, ça va me coûter beaucoup d'argent. Donc, je comprends, peut-être, qu'il n'y ait pas forcément de droits, au sens juridique, que je puisse avoir sur ces œuvres, mais ça me semblerait quand même normal qu'il y ait quelque chose au niveau, disons, de la reproduction, de la numérisation, et que ça ne compte pas pour zéro, puisqu’il y a un travail qui a été fait, réel.
Séverine Dusollier : C'est une question compliquée. Justement, le financement de ces opérations de numérisation est vraiment problématique, puisque, soit on le demande entièrement à l’argent public et on sait quelles sont les états des finances publiques dans la plupart des pays européens, soit on encourage les partenariats public/privé, et alors le privé qui prend en charge une partie, ou la totalité, du coût de numérisation va vouloir un retour sur investissement. Et donc on admet, dans les textes européens, en tout cas, il y a beaucoup de textes européens qui ont pris cette position-là, et qui admettent une exclusivité qui serait accordée, de manière limitée dans le temps, à ces acteurs privés. Et alors, il y a les propositions, aussi, qui viennent de réflexions plus des experts, qui disent « on pourrait reconstituer un nouveau droit, un droit limité dans le temps, qui serait comme le droit d'auteur, et qui viendrait récompenser cet investissement », qui est la solution la plus extrême, à mon sens. Mais qui intervient dans les débats et qu'on entend de plus en plus, une sorte de domaine public payant, si vous voulez, qui est une notion, en droit d'auteur qu'on connaissait, qu'on est en train de sortir de ses limbes et d'essayer de repopulariser.
C'est très complexe, parce qu'au niveau européen, il y a beaucoup de textes qui s’enchevêtrent sur ces questions. Il y a la directive sur les informations du secteur public, qui a, notamment, inclus les musées, et les collection des musées, dans le champ de la directive, qui donc, elle, elle dans une position clairement de réutilisation, réexploitation, mais contre rémunération limitée, etc. Il y a des textes qui viennent d'experts qui ont réfléchi sur les numérisations, qui ont poussé, aussi, les idées d'exclusivité, mais limitée à sep ans. Je pense que c'est, pour le moment, la position dans les textes européens. C'est très compliqué et je pense qu'on ne peut pas faire fi du problème du financement, mais il faut trouver des systèmes où la possibilité de pouvoir, quand même, reproduire les œuvres du domaine public, et de garantir cette liberté d’utilisation par tous, doit être préservée. Est-ce qu 'on peut, en effet, dire, en tout cas, les réutilisations commerciales seront soumise à paiement, pour celui qui a fait l'effort de l'investissement. On peut l'imaginer, qu'économiquement parlant, ce soit le moindre mal. En termes de principes, moi ça me heurte quand même, parce que le domaine public, c'est le domaine public. Il n'y a pas cette distinction entre commercial, non commercial. Mais il va bien falloir trouver une solution et je comprends, tout à fait, votre question, c'est qu'en effet, si on veut aussi inciter à ce que les numérisations se fassent, eh bien, il va falloir trouver quelque chose à donner en échange.
Danièle Bourcier : Je crois qu'il ne faut pas confondre. Dans le coût de la diffusion d'une œuvre, il n' y a pas seulement que le droit d'auteur. Je signale que dans un livre un auteur a 8 % de la somme totale du coût. Ça ne représente vraiment pas grand-chose. Non. Un livre qui reprend une œuvre sous domaine public, il est quand même vendu. Donc on peut imaginer que le service, je ne sais pas, peut-être que vous êtes privé, je ne sais pas, peut-être une entreprise, mais pour moi ce serait exactement le même problème. On peut utiliser des œuvres du domaine public et faire payer le coût de mise en ligne, pas de l’œuvre, mais du travail qui est fait autour du service qui est rendu autour de la diffusion. C'est tout à fait possible, Il ne s'agit pas de droit d'auteur, de payer le droit d'auteur. Il s'agit de payer un service. Un livre sous domaine public n'est pas gratuit.
Séverine Dusollier : Oui, mais quand on voit, par exemple, quand on est sur certains sites de musées, ou même dans certains cas, sur Europeana, et qu'on demande des droits pour pouvoir reproduire des œuvres qui sont dans le domaine public, il y a quand même une question de principe. Oui, mais c'est ce problème-là aussi, parce qu'ils demandent ce droit. La justification est le coût qu'ils ont investi dans la numérisation. Quand il y a d’autres copies de cette œuvre qui existent et qui sont facilement accessibles, d’accord, mais quand c'est la seule copie qui existe, il y a un réel problème d'accès au patrimoine culturel.
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Frédéric Toutain :