Enjeux politiques et juridiques du domaine public Gaëlle Krikorian
Titre : Salut à Toi : et si on repolitisait tout ça ?
Intervenant : Gaëlle Krikorian, conseillère au Parlement européen
Lieu : 1er festival du domaine public - ENS
Date : Janvier 2015
Durée : 19 min 07
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Présentateur : Je donne la parole à Gaëlle Krikorian. Justement, qui va nous parler des enjeux au niveau européen et international.
Gaëlle : D'abord je voulais dire que je travaille comme conseillère au Parlement européen pour le groupe des Verts, donc des Verts européens. Donc on a cinquante députés de je ne sais plus combien de pays et donc moi je les conseille sur les questions de propriété intellectuelle et d'accès au savoir.
Je vais partir des trucs les plus déprimants et puis aller, un peu, vers des choses qui sont un peu plus réjouissantes dans ce qui se passe. Je voulais commencer par parler brièvement, en fait, des attaques actuelles contre le domaine public, donc ce à quoi ont est confronté ces temps-ci qui est inquiétant. Certaines choses ont déjà un petit peu été mentionnées. L'une des premières choses, souvent, c'est la question de la durée de protection. Vous avez vu que c'est extrêmement compliqué, que, en gros, dans le monde on est entre 50 et 10o dans le cas du Mexique, après la mort de l'artiste, donc ça dure très longtemps. L'un des problèmes qu'on rencontre, c'est que, comme tu le disais, il y a une tendance à toujours vouloir essayer d'augmenter cette durée de protection et ça passe par des accords de libre-échange. Les accords de libre-échange c'est quand deux pays négocient des choses commerciales. Dans ces accords-là, il y a un chapitre sur la propriété intellectuelle, dans ce chapitre, il y a des choses sur les brevets, mais il y a aussi des choses sur les droits d’auteur, et c'est là que, en général, des pays riches essaient de convaincre des pays moins riches d'augmenter un petit peu la durée. C'est pour ça qu'on se retrouve avec la Côte d'Ivoire qui est à 100, 99, le Mexique à 100, les uns à 85, d'autres à 75, alors que, comme c'était dit tout à l'heure, le standard international en vigueur, la convention de Berne ou l'accord de l'OMC, eh bien c'est 50 ans. Mais, petit à petit, donc ça monte, et comme on a dit tout à l'heure, petit à petit, ça crée du droit d'auteur donc ça enlève de la possibilité de domaine public. Ça c'est un problème.
Dans l'actualité, donc pour nous, ce sera par exemple ce sera d'essayer de voir ce qui va se passer au moment de la négociation des questions de propriété intellectuelle dans l'accord entre Europe et États-Unis, le fameux accord TTIP ou TAFTA, selon comment on le décline, qui est en cours de négociation. Donc ça c'est, en gros, augmenter du droit d'auteur. Donc augmenter du droit d'auteur, réduire du domaine public.
Une autre chose qu'on voit émerger, c'est créer de nouveaux droits. Ça a été aussi abordé à propos de la digitalisation. Donc quand des institutions vont digitaliser des choses, et puis du coup, elles essaient de voir si elles ne pourraient pas avoir de nouveaux droits sur ces choses digitalisées, parce que, après tout, elles ont quand même pris des photos ou scanné le machin. Donc ça peut être des institutions comme des musées ou des bibliothèques, ça peut être aussi des entreprises privées dans certains cas. Il y a ça.
Il y a la volonté, par exemple, des éditeurs de dire « bon, eh bien nous on est des ayants-droit, on a des droits sur des publications, donc personne d'autre peut les reproduire et les vendre, mais on estime que, par exemple, les sourcer sur Internet avec des liens, ça, ça pose un problème, donc ça, ça devrait être couverts par le copyright ». C'est ce qui se passe, en Allemagne, il y a une nouvelle loi, en Espagne, il y a une nouvelle loi. On n'a plus le droit, donc si on veut sourcer, référencer des bouts d'articles, ou mettre, comme ça, quelques lignes de texte avec un lien, eh bien maintenant on doit payer un droit. Ça rentre dans le champ du copyright. Ça, c'est le type d'évolution qu'on voit apparaître.
Pareil sur ce qu'on appelle text and data mining, donc le fait de miner des textes, donc de faire de l'analyse de textes à partir d'outils technologiques, eh bien les éditeurs estiment que, donc, eux à priori ils donnent des licences pour que des gens puissent avoir accès aux textes et lire les textes. On s'imaginerait qu'on a le droit de lire un texte, on a accès au texte, on a le droit de lire, d'utiliser son cerveau pour l'analyser. On pourrait aussi utiliser une machine pour l'analyser et que l'éditeur, enfin, oui l'éditeur n'ait rien à redire à ça. Eh bien les éditeurs trouvent que non, c'est quand même … Voilà. On devrait étendre l'idée du copyright et de la protection à ce genre d'action et donc si on veut faire ça, eh bien on devrait quand même leur payer quelque chose ou tout au moins avoir leur autorisation.
Donc on voit comment différents acteurs essayent de créer de nouveaux droits. En gros, c'est leur façon de s'adapter à l'ère numérique. On a passé pas mal d'années à dire « hou là là, on a quand même pas mal de problèmes dans le domaine du copyright parce qu'on est vraiment à côté de la plaque par rapport aux évolutions technologiques ». Finalement on a plus ou moins obtenu un consensus là-dessus, donc les gens disent « oui, oui, en effet, c'est vrai que les règles ne collent pas trop ». Il y a des gens qui ont envie de changer les règles, mais dans un sens qui ne va pas être très favorable au domaine public, et qui, au contraire, va renforcer les protections et renforcer les monopoles commerciaux.
Le dernier aspect dont je voulais parler très vite dans les mauvaises nouvelles, c'est le secret d'affaires. Ça c'est très haut sur l’agenda de lobbies, de différents types de multinationales. C'est dans le projet de loi Macron, en ce moment en France, ça a été introduit dans le projet de loi Macron. Il y a une directive qui est discutée au niveau européen. C'est dans l’accord avec les États-Unis, ça sera négocié avec les États-Unis. On sait que dans différents pays il y a des projets de loi, comme ça qui se baladent, qui ont été introduits. En gros l'idée du secret d'affaires. Le secret d’affaires, c'est quoi ? C'est de dire les gens qui ont une activité commerciale, il y a des informations, par rapport à ce qu'il produisent, à leur activité commerciale, qu'ils gardent secrètes, parce que ça leur permet d'avoir un avantage compétitif vis-à-vis de concurrents. Et puis s'ils révélaient ça, ça créerait des difficultés par rapport à leur activité économique. Pas de problème, tout le monde peut comprendre ça.
Maintenant, il y a des tentatives pour essayer d'utiliser l'argument du secret d'affaires qui se mettent à empiéter sur le droit à l'information, par exemple. On voit comment des multinationales utilisent l'argument du secret d'affaires pour dire « ah ben non je ne vais pas pouvoir vous expliquer pourquoi tous les poissons sont morts dans la rivière, je ne vais pas pouvoir vous expliquer ce que j'ai rejeté dans mon usine, parce que ça m'amènerait à révéler des données qui sont vraiment très sensibles pour moi et qui mettraient en péril mon activité ». « Je ne peux pas vous dire avec quoi je fais, comment on appelle ça du frackling, gaz de schiste, l’exploitation de gaz de schiste. Je ne peux pas vous dire ce qu'il y a dans mon médicament ». Au niveau européen on a essayé de travailler, les Verts travaillent beaucoup pour essayer de faire de la transparence et faciliter l'accès à certaines données, par exemple les données issues des essais thérapeutiques, qui permettent de voir d'une part l'efficacité du traitement, mais éventuellement aussi les effets secondaires. On sait qu'il y a beaucoup de fantaisie dans ce que l’industrie pharmaceutique raconte sur ses produits, donc une idée c'est de rendre ces données-là le plus accessibles possible pour développer des contre-expertises et donc pouvoir essayer d'éviter, soit de la publicité mensongère sur des traitements qui n'ont pas d'avantages thérapeutiques, soit des effets secondaires qui sont masqués pendant des années. Là c'est vraiment typiquement un cas où l’industrie dit « hou là là, non, secret d'affaires ».
Là on voit comment des infirmations, qui devraient être dans le public ou Luxleaks, là récemment, des fuites sur comment des pays européens et des firmes s'arrangent pour ne pas payer d’impôts, enfin des firmes ne payent pas d’impôts grâce à l'aide de certains de pays. Donc, il y a eu des fuites là-dessus, ce qui permet de mettre à jour tout un tas de malfaçons, de détournements et d'actions qui doivent être discutés publiquement. Là encore, il y a un procès qui est en train de débuter au Luxembourg où l'argument du secret d'affaires est utilisé pour dire non, ce type d'informations ne doit pas aller dans le domaine public.
Bon, ça c'est sur le front un peu, un certain nombre d'attaques auxquelles on est confronté en ce moment. Maintenant, il y a quelques petites choses un petit peu positives. D'une part on se bagarre contre ces choses-là, mais ensuite, on peut peut-être essayer d'envisager des choses un petit peu positives.
08' 50
Le contexte dans lequel on est