Entretien avec Jérémie Zimmermann - La Mutinerie

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Titre : Entretien avec Jérémie Zimmermann

Intervenants : Jérémie Zimmermann

Lieu : La Mutinerie

Date : Janvier 2015

Durée : 45 min

Lien vers la vidéo : [1]

00 transcrit MO

Qui est Jérémie Zimmermann ?

J.Z. : Bonjour. Je suis Jérémie Zimmermann. Je suis cofondateur de la Quadrature du Net, organisation de défense des libertés sur Internet. Nous œuvrons depuis 2008, dans une démarche, dite en français ça fait moche, capacitation citoyenne, en anglais on parlerait dempowerment, avec cette notion de pouvoir, de prendre le pouvoir que l'on a vraiment, et donc de fournir aux citoyens des outils pour leur permettre de comprendre les dossiers dans lesquels les libertés sont menacées sur Internet et aussi, surtout, j'allais dire, des outils pour agir. Agir et tenter d'influer sur des situations politiques, législatives, et permettre ainsi, collectivement, de garantir nos libertés sur Internet. On a œuvré sur des dossiers allant du droit d'auteur et de son caractère offensif pour nos pratiques culturelles, à la neutralité du net et donc la discrimination des communications sur Internet par les opérateurs de Télécoms ; de la censure des contenus sur Internet à la protection de la vie privée ; de la libéralisation du spectre électromagnétique à la surveillance de masse ; et hélas, il ne manque de sujets de travaux aujourd'hui.

Que répondre à ceux qui prétendent ne rien avoir à cacher ?

J.Z. : La Parisienne Libérée, chansonnière de renom, a écrit et chanté en duo avec moi cette chanson qui s'appelle « Rien à cacher ». C'est, au mieux, une erreur profonde et, au pire, une faute politique grave de penser que l'on n'a rien à cacher, parce qu'on a tous quelque chose à cacher au moins de quelqu’un, au moins un petit quelque chose à cacher d'au moins un petit quelqu’un. Ça peut-être quelque chose à cacher à sa femme, son mari, son ex-femme, son ex-mari, son ami, son ex-ami, son patron, son ex-patron, son collègue, son ex-collègue, et on a tous quelque chose à cacher et ce n'est pas une honte ; la vie est comme ça, c'est très bien comme ça. Ce qui se passe, lorsque ces petits quelques choses à cacher sont aux mains de quelques-uns, ce sont des moyens de pression. Si on sait que tu couches avec telle ou telle personne et que ce n'est pas public, le fait de le, éventuellement, rendre public est un moyen de faire pression sur toi. Et toute l'histoire, aussi loin que la politique et l'espionnage remontent, les petits secrets des uns et des autres ont été utilisés pour faire pression sur eux, pour les intimider, pour les dissuader, pour leur empêcher de faire quelque chose. Donc là encore on peut se dire « ah oui mais moi, je ne suis pas ceci, je ne suis pas cela ». Et d'une, personne ne peut dire que demain il ne sera pas appelé à devenir un journaliste, un politicien, un militant. De la même façon qu'on ne peut pas savoir que demain le gouvernement ne va pas devenir un gouvernement autoritaire et que l'on ne va pas se retrouver dans l'opposition, dans la résistance, en position de faire quelque chose. Ce jour-là il sera trop tard. Il sera trop tard parce que tous les petits secrets accumulés sur les Google, les Facebook, et aux quatre coins des internets seront potentiellement déjà aux mains de ceux-là. Ensuite, parce que protéger ses communications, c'est aussi protéger les communications de ses correspondants. Une analogie c'est celle du préservatif. On ne met pas seulement un préservatif pour se protéger soi, mais on met aussi un préservatif pour protéger les autres. Et dire « oh ben moi je m'en fous, donc je n'en mets pas », c'est un comportement tout à fait irresponsable, parce que ça empêche à des choses de se propager. C'est pareil avec les violations de la vie privée, c'est que toi tu n'en a peut-être rien à foutre, tu utilises Gmail, tu ne chiffres pas tes mails, mais tu vas parler avec quelqu’un, sans savoir que ce quelqu'un est potentiellement source d'un journaliste ; en parlant avec lui sur Gmail, tu vas potentiellement l'exposer.

Par ailleurs, lorsque les gens se savent surveillés, on le sait, ce sont des études scientifiques nombreuses qui le démontrent, les comportements changent. Si tu es au travail sur un ordinateur et que tu sais que ton patron peut écouter toutes tes communications, tu ne vas évidemment pas utiliser cet ordinateur au travail pour dire mon patron pique dans la caisse, est un sale type, fait ceci, fait cela. De la même façon, si tu sais que le gouvernement surveille tes moindres faits et gestes, et qu'il y a un nouveau parti politique qui se crée quelque part, tu vas peut-être réfléchir à deux fois avant d'aller à une réunion de ce parti. De la même façon que si tu sais que tes communications téléphoniques sont écoutées, tu ne vas pas appeler ton docteur pour parler d'une MST, d'un avortement. Et donc ces comportements d’autocensure, c'est quelque chose d’extrêmement dangereux pour notre société en général, parce qu'on a besoin de plus de comportements de participation politique, on a besoin de plus d'expérimentation sociale, individuelle. En réalité, quand on parle protection de la vie privée, on parle liberté fondamentale, grand concept, gravé dans le marbre, et c'est vrai que c'est un petit peu abstrait pour quelqu'un qui n'a pas un cursus de sciences politiques ou d'histoire, quelqu'un qui n'a pas quelqu'un dans sa famille, à une génération, qui est morte pour ces libertés. Ça paraît être un truc un peu lointain « oh moi de toutes façons, tant que j'ai à manger ».

Pourtant, quand on parle de protection de la vie prisée, on parle de quelque chose de très concret, on parle de notre intimité, de nos intimités. Et ça, tout le monde en a une, tout le monde comprend ce que ça veut dire. L'intimité ce sont ces moments dans lesquels tu es tout nu, au propre comme au figuré. Tout nu ça veut dire sans uniforme, sans costume, sans masque. Des moments dans lesquels tu peux être vraiment qui tu es, dans lesquels tu es vraiment en pleine confiance, et je vais revenir sur cette notion de confiance. En pleine confiance, ça peut être en pleine confiance seul, confiance que tu es seul et que tu n'es pas épié, ou en confiance avec d'autres. On peut choisir d’être tout nu avec d'autres. Et, dans ces moments-là, on est en pleine confiance parce qu'on sait que l'on n'est pas jugé. C'est dans ces moments-là qu'on se sent particulièrement libre, où on va pouvoir expérimenter, avec de nouvelles idées, de nouvelles théories, avec de nouvelles pratiques, avec de nouvelles œuvres. C'est dans ces moment-là d'intimité que, si tu as une guitare, tu vas commencer à grattouiller et te dire « ah c'est nul », continuer te dire « ah c'est nul », continuer te dire « ah c'est nul », et au bout de dix heures avoir trois bouts de machin qui te sembleront peut-être assez bien pour que tu les notes dans un coin et que te aies envie de retravailler dessus.

Si tu étais entouré de vingt personnes, tu ne ferais peut-être pas les trois premiers accords, parce que tu dirais « ah ils vont penser que c’est nul, j'aurais l'air d'un..., etc ». C'est le fait de ne pas être jugé qui te permet d’être, dans ces moments d'intimité, en pleine confiance et c'est grâce à cette intimité que l'on peut expérimenter, et c'est par l’expérimentation que l'on peut venir à de nouvelles idées, de nouvelles pratiques sociales, etc. Et donc c'est cette intimité, ces intimités, nos intimités qui sont directement menacées dans des régimes de surveillance de masse, et ce viol de nos intimités provoque ces comportements d’autocensure, dont on parlait, de normalisation, où les gens ne vont pas prendre le risque de s'exprimer, d'exprimer une opinion. Et on voit là l’intérêt politique, pour certains, d'utiliser ainsi la surveillance de masse comme un outil de contrôle social. Et on voit dans tous les régimes autoritaires, dans tous les régimes autoritaires la surveillance de masse est utilisée à des fins politiques, pour contrôler les populations, pour, d'un côté s'assurer que les gens ne vont pas se rebeller, et de l'autre, dès que quelqu'un se rebelle, pouvoir l'identifier et le détruire.

Donc, ce que l'on voit aujourd'hui, depuis le début des révélations d'Edward Snowden, c'est que 100 % de la technologie sur laquelle près de 100 % de la population s'appuie a été sabotée, a été détournée de son objectif initial qui était de servir ses utilisateurs et a été transformée en un outil de surveillance de masse, en un outil de contrôle aux mains de quelques-uns, qui, au lieu de servir son utilisateur sert ses vrais maîtres, et que ses vrais maîtres sont quelque part entre Wall Street, la Silicon Valley et le U.S. ?? Department. Donc les révélations d'Edward Snowden c'est comme un coup de tonnerre qui révèle que nous n'avons plus confiance dans cette technologie, nous ne pouvons plus faire confiance à ces technologies, nous ne pouvons faire confiance à ces entreprises US et que ces appareils que l'on estime être les nôtres, en réalité ne sont pas les nôtres. Ces appareils dont on pensait un peu qu'ils étaient nos amis, sont en réalité nos ennemis, et sont, tous ensemble, une gigantesque machine de surveillance, donc de contrôle social et donc potentiellement d’oppression. Et c'est, je pense, un des défis les plus importants que nos sociétés aient à relever, qui est celui de reprendre le contrôle de ces machines, lequel contrôle nous a été chipé, nous a été subtilisé à des fins politiques.

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