Le numérique français a-t-il besoin d’un grand planificateur
Titre : Le numérique français a-t-il besoin d’un grand planificateur ?
Intervenants : Nicolas Colin - Tristan Nitot- Laure de la Raudière - Hervé Gardette
Lieu : Émission France Culture - Du grain à moudre
Date : Janvier 2015
Durée : 39 min 46
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Hervé Gardette : Bonsoir à toutes et à tous. Bienvenue dans du Grain à moudre. Nous sommes ensemble jusqu'à 19 heures. Une émission préparée par Fanny Richez, Céline Leclère, Antoine Dhulster, réalisée par Jean-Christophe Francis, à la prise de son Bruno Gagnaire Fontanille.
Qu’on se le dise : Emmanuel Macron ne va pas fermer l’œil d’ici dimanche soir, ou alors très peu. Le ministre de l’Économie a l’intention de suivre jour et nuit les travaux de la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, chargée d’examiner la loi qui porte son nom. Le même Emmanuel Macron déploiera-t-il une énergie identique au printemps prochain, lorsqu’il s’agira de défendre le projet de loi relatif au numérique ? Ce serait logique. Certes, c’est sa secrétaire d’État, Axelle Lemaire, qui sera en première ligne sur le sujet. Mais on voit mal le patron de Bercy se dessaisir d’un texte censé organiser la révolution économique, culturelle et politique engendrée par le numérique. Car notre monde est en voie de « numérisation», une mutation profonde qui pose la question du rôle des pouvoirs publics, de leur façon d’accompagner ces changements. L’État doit-il avant tout être un facilitateur pour les entreprises du numérique ? S’impliquer davantage en fixant des objectifs industriels, dans une version digitalisée du colbertisme ? « Le numérique français a-t-il besoin d’un grand planificateur ? » C'est notre sujet du jour. Et pour en discuter, j'ai le plaisir de recevoir trois invités, à commencer par vous, Laure de la Raudière. Bonsoir.
Laure de la Raudière : Bonsoir Hervé Gardette,
Hervé Gardette : Députée UMP d’Eure-et-Loir, vous êtes la coauteur avec la députée socialiste Corinne Erhel d'un rapport consacré au développement de l'économie numérique, que vous avez présenté en mai dernier à l'Assemblée nationale, rapport intitulé « Agir pour une France numérique, de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace ». C'est un rapport parmi d'autres qui est censé alimenter le futur projet de loi sur le numérique, tout comme est censée alimenter cette loi la concertation nationale sur le numérique lancée début octobre par le Conseil national du numérique, auquel appartient notre deuxième invité, Tristan Nitot. Bonsoir.
Tristan Nitot : Bonsoir.
Hervé Gardette : Le CNN, j'en dis un mot, c'est une commission consultative indépendante, donc vous y êtes, une commission assez large donc à laquelle vous appartenez. Vous êtes par ailleurs, Tristan Nitot, fondateur de Mozilla Europe qui est un fondation, c'est ça, qui développe, alors peut-être son produit disons le plus connu, c'est le navigateur web Firefox.
Tristan Nitot : Oui, c'est ça, utilisé sur plus de quatre cents millions de machines dans le monde. C'est une organisation à but non lucratif.
Hervé Gardette : Voilà. Et utilisé dans un certain nombre d'administrations publiques d'ailleurs. Troisième invité, Nicolas Colin. Bonsoir.
Nicolas Colin : Bonsoir.
Hervé Gardette : Vous êtes ingénieur, inspecteur des finances et entrepreneur. Vous dirigez The Family qui est une entreprise qui accompagne le développement des start-up françaises. Vous êtes le coauteur d'un ouvrage paru en quelle année ? Rappelez-moi, 2012 ?
Nicolas Colin : En mai 2012.
Hervé Gardette : « L’âge de la multitude. Entreprendre et gouverner après la révolution numérique » . Vous l'avez écrit avec Henri Verdier, ça a été publié chez Armand colin. Il y a une deuxième édition qui va paraître en format poche, je crois que c'est au mois d'avril prochain. Alors c'est avec vous que je voulez commencer, en fait, Nicolas Colin. On va s’interroger sur donc la place de l’État dans la définition d'une stratégie numérique. Avant de définir une stratégie numérique il faut peut-être commencer par définir quel est le champ d'intervention de cette stratégie. Le champ d’intervention est-ce que c'est la politique industrielle et seulement ça ? Eh bien non, c'est ce qu'on peut lire sous votre plume, dans ce livre « L’âge de la multitude », Nicolas Colin « le numérique n'est pas un secteur industriel », je vous cite, « la grande erreur de bien des politiques économiques est de considérer le numérique comme un secteur industriel et de le traiter comme tel, On parle de filière numérique comme on parle de filière agricole. C'est oublier que l'essentiel de la création de valeur et d'emplois proviendra de la puissance transformatrice de ces technologies dans les autres filières ». Est-ce que ça veut dire que, quand on parle d'économie numérique, on devrait peut-être se contenter de parler d'économie, puisque le numérique englobe tout ?
Nicolas Colin : Alors oui, pour faire une réponse courte, c'est exactement ça. Quand on parle du numérique, on parle, à terme en tout cas, de toute l'économie, parce que le numérique c'est une sorte de principe qui se diffuse et qui se réplique de filière en filière, qui s'est amorcé sur les filières qui étaient les plus faciles à transformer pour les entrepreneurs de l'économie numérique, qui étaient les filières qui s’étaient organisées autour des actifs les plus immatériels, d'où les industries créatives, d'où la publicité.
Hervé Gardette : Est-ce que ça veut dire qu'il faut prendre garde à ne pas développer une filière numérique qui permettrait de se contenter de ça ?
Nicolas Colin : C'est exactement ça. C'est-dire qu'il faut considérer par principe. Moi ma conviction et celle d'Henri Verdier, avec qui j'ai écrit, et celle de beaucoup d'autres, c'est qu'on ne peut pas faire une bonne politique industrielle du numérique si on ne considère pas, par principe, sans même chercher à le démontrer, que, à terme, toutes les filières de l'économie et toutes les entreprises deviendront des entreprises numériques. Et donc un politique industrielle de développement du numérique, ce n'est pas développer le numérique à côté de tout le reste de l'économie, c'est vraiment orchestrer, en quelque sorte, la transition numérique de l'ensemble de notre économie, pour que nous n'abandonnions pas aux Américains et aux Chinois toutes les positions dominantes dans ces filières, une fois qu'elles seront profondément transformées.
Hervé Gardette : Laure de la Raudière est-ce que c'est une conviction que vous partagez ?
Laure de la Raudière : C'est une conviction que je partage complètement. J'ai en mémoire, par rapport au rôle, vous avez parlé de rôle planificateur de l’État. Ça m'a paru très bizarre comme expression.
Hervé Gardette : Il y a un commissariat au plan, qui a pris une autre forme aujourd'hui.
Laure de la Raudière : Oui, mais à l'ère du numérique et dans l'économie numérique on ne planifie pas. Moi je trouve que c'est complètement contradictoire et ça m'a rappelé la rencontre que j'ai eue avec le maire de San Francisco dans une visite dans la Silicon Valley, où on lui posait naïvement la question de savoir ce que lui faisait pour les entreprises de San Francisco, comment il réussissait à un tel succès dans l'économie numérique. Il nous a répondu un peu malicieux, il nous a dit : « Les entreprises, nous on leur fiche la paix ». Alors je ne sais pas s'il faut aller jusque là parce que je pense que l’État a un rôle à jouer dans l'animation des écosystèmes, dans la création d'un contexte favorable, que ce soit un contexte fiscal, un contexte social, des infrastructures de qualité, mais certainement pas une planification.
Hervé Gardette : Tristan Nitot, on ne planifie pas le numérique ? Ça ne sert pas en partie à ça le Conseil national du numérique ?
Tristan Nitot : Il faut être clair. Le numérique c'est surtout une révolution numérique et je crois pas qu'on planifie une révolution. C'est un grand changement, avec des nouvelles règles qui arrivent, et qui bousculent successivement une économie puis d'autres, un secteur de l'industrie puis une autre industrie, et encore un autre. Alors on peut apprendre, anticiper ces changements, mais d'après moi, le rôle de l’État ça va être de s'assurer que cette révolution se fait le mieux possible pour que la France ait vraiment une place dans les grandes puissances de l'économie numérique dans le futur. Et puis aussi en s'assurant qu'on a des règles qui sont saines pour la société en général, en termes de gouvernance, mais aussi en termes de fiscalité, parce qu'il y a beaucoup de, comment dire, d' « optimisation fiscale », avec beaucoup de guillemets, pour ne pas dire évasion, et là aussi il va falloir légiférer de façon à s'assurer que les géants de l'Internet payent leur dû, en termes d’impôts, pour payer des infrastructures.
Hervé Gardette : Nicolas Colin nous disait qu'il ne faut pas réagir en termes de filière numérique parce que ça va, à terme, englober l'ensemble du secteur économique, pas seulement économique, d'ailleurs, s'agissant du numérique.
Laure de la Raudière : L’éducation, la santé aussi, les institutions.
Hervé Gardette : La politique dont vous êtes une des représentantes là ce soir Laure de la Raudière. Mais est-ce que, aujourd'hui, le monde politique, d'après vous Tristan Nitot a conscience de ça ? Ou bien est-ce qu'on n'est pas encore dans une vision, parce que c'est vrai que si on a parlé de planification, de colbertisme, c'est bien parce que c'est une lourde tradition française s'agissant de la politique économique ? Est-ce que quand on parle de numérique le monde politique a conscience qu'on ne peut pas avoir la même grille de lecture ?
Tristan Nitot : Moi c'est mon job en tant qu'entrepreneur. Et si je donne du temps au Conseil national du numérique, puisque j'y suis bénévolement, c'est bien pour aider à cette transition et à ce que la classe politique, qui n'est pas toujours aussi avancée que Laure de la Raudière dans le domaine et quelques-uns de ses collègues, à comprendre ce que c'est que le numérique et en quoi les règles sont changées. Le travail que je fais c'est un travail d'explication et de pédagogie pour comprendre comment le numérique est vraiment en train de dévorer et de changer le monde, de façon à ce que la classe politique soit toujours aussi moteur et pas, comme ça arrive parfois, un peu un frein. Dieu merci ce n'est pas le cas pour tous, mais il faut faire œuvre de pédagogie pour que la classe politique accompagne cette révolution et qu'elle soit la plus favorable possible à la France.
Laure de la Raudière : Vous pouvez le dire monsieur Nitot, on n'a pas été bon sur certains sujets, que ça soit dans la précédente législature ou que ça soit dans cette législature. Que ça soit HADOPI ou la réponse, plus récemment, sur le problème des taxis et des véhicules avec chauffeur, les gouvernements successifs n'ont pas apporté la bonne réponse à la question qui était posée. Donc il y a un vrai travail de pédagogie à faire auprès des élus, auprès des institutions.
Hervé Gardette : Est-ce qu'on pourrait parler même d'un travail d'évangélisation puisque dans le monde du numérique il y a des chefs évangélistes ? Est-ce que vous vous sentez un peu comme une chef évangéliste à l'Assemblée nationale ?
Laure de la Raudière : Je me sens quelquefois pas du tout comprise par mes collègues, très clairement sur les lois qui touchent le numérique, notamment quand le numérique s'invite dans une transformation de la société qui est souvent très brutale. Donc c'est difficile de voir que, finalement, il y a des services qui se développent qui sont tout de suite adoptés par la population, que ça soit Google News, que ça soit les véhicules avec chauffeur par des plates-formes telles que Uber ou BlaBlaCar, enfin véhicules avec chauffeur, c'est plutôt LeCab, et qui mettent à mal les systèmes économiques traditionnels, et qui mettent à mal des emplois, en fait, directement en France. Et donc le politique a souvent volonté de protéger, par des espèces de digues de sable, l'existant plutôt que d’investir pleinement cette révolution numérique et finalement de faire gagner la France. C'est bien l'enjeu aujourd'hui, c'est faire gagner la France dans la révolution numérique actuelle.
Hervé Gardette : Nicolas Colin, est-ce que c'est une forme de conservatisme politique qui pourrait expliquer un certain nombre de retards de la France dans le domaine du numérique ? Je vais encore vous citer dans livre « L’âge de la multitude », pas le faire trop non plus parce qu'il faut lire le livre, mais vous écrivez « comment un pays qui a donné à tant d’entreprises technologiques, qui compte au moins soixante-dix mille représentants, on était en 2012, parmi les un million trois cent mille de salariés de la Silicon Valley, comment ce pays peut-il avoir tant de peine avec le numérique ? À l'évidence les efforts de la France en matière de numérique sont mal orientés ».
Nicolas Colin : Vous parlez de conservatisme. Il faut prendre conscience du fait que la transition numérique c'est le passage d’un paradigme à un autre. Ce ne sont pas quelques changements à la marge, ce ne sont pas quelques mutations isolées sur un petit périmètre, c’est toute la société change et ce à quoi nous assistons c'est une relève des institutions, en fait. La protection sociale change, le marché du travail change, la réglementation des différents secteurs de l'économie change, et donc face à un changement d'une telle ampleur, les politiques sont dépassés pour deux raisons. La première raison pour laquelle ils sont dépassés c'est qu'ils ont du mal à appréhender l'ampleur de cette transition, tellement elle affecte des dimensions différentes de la société et tellement elle bouleverse nos institutions, institutions au sens large, socio-économique. Et la deuxième raison pour laquelle ils se sentent dépassés, c'est qu'ils ont l’impression que comme tout change, comme on assiste à une sorte de relève généralisée, il ont peur d’être emportés par la vague. C’est-à-dire que la transition numérique aboutisse aussi à une sorte de relève des dirigeants politiques eux-mêmes et que l'élite, en fait, qui gouverne le pays aujourd'hui et qui dirige les grandes entreprises disparaisse en quelque sorte avec l'ancien paradigme.
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Hervé Gardette : Je vais vous faire écouter quelqu'un qui dit à peu près la même chose que vous par rapport au fait que les politiques seraient dépassés, peut-être de manière un petit peu moins urbaine, mais ce qui m'intéresse en vous faisant écouter cet extrait, c'est l’exemple qu'il va évoquer. Je ne vous en dis pas davantage pour l'instant sur l’exemple, en revanche l'identité de cet interlocuteur c'est Laurent Alexandre, que vous connaissez probablement, qui est médecin fondateur de Doctissimo, qui travaille beaucoup, enfin qui a réfléchi beaucoup sur le projet prêté à Google, projet transhumaniste. On l'avait reçu le 4 octobre dernier, au moment justement du lancement de la consultation sur le numérique, c’était notre forum de France Culture à Sciences-po sur le numérique, on avait une émission intitulée « Google est-il un projet politique ? » Écoutez-le : « On a un vrai problème. Notre régulateur, c'est-à-dire l’État est incompétent. Il connaît mal la technologie, face à ces nouveaux géants qui concentrent les meilleurs cerveaux du monde. Il va bien falloir changer d’élite politique au moment où nous changeons de mode de fonctionnement politique. Vous savez bien que ni Sarkozy, ni François Hollande n'ont d'ordinateur. Nos élites sont des bras cassés informatiques. Il leur est très difficile de comprendre le monde technologique dans lequel nous rentrons. C'est la raison pour laquelle Jacques Chirac, qui n'avait pas non plus d'ordinateur sur son bureau, a lancé cette pantalonnade de Quaero, qui a coûté des centaines de millions d'euros. L'objectif était de dépasser Google, il y a quelques années. Ça a été un plantage monstrueux et c'est tombé à l'eau ». Alors cette pantalonnade de Quaero comme dit Laurent Alexandre, c'était un projet franco-allemand, lancé il y a quelques années, donc c’était au milieu des années 2 000, développé par Thomson, il s'agissait de créer un concurrent de Google et de Yahoo. Tristan Nitot est-ce que quand l’État, disons, se prend pour un entrepreneur dans le domaine du numérique, c'est forcément voué à l'échec ? Ou bien est-ce qu'on peut voir ailleurs des résultats un peu plus probants ?
Tristan Nitot : Peut-être que les Chinois vont nous contredire, parce qu'ils sont assez étonnants de ce point de vue-là, mais je ne sais pas si on peut parler de démocratie, donc on ne peut pas appliquer ce genre de recette. Pour être franc, je ne crois pas beaucoup à la capacité de l’État à être entrepreneur, parce que monter une start-up c'est avoir une idée, être capable de s'acharner avec des petits budgets, énormément de travail et beaucoup d'agilité, et ça ce ne sont pas les qualités de l’État.
Hervé Gardette : Ce ne sont pas non les qualités d'une entreprise, par exemple comme pouvait être Thomson, c'est-à-dire surdimensionnée pour ce genre de projet,
Tristan Nitot : Et ça n'est pas la qualité d'un très grand groupe industriel, qui, on le voit, en fait, a souvent tendance à innover en rachetant des petites structures avec des produits naissants, des produits qui ont été élaborés par une petite équipe, de façon très dense, avec un travail intense et, en fait, c'est comme ça qu'ils innovent. Ils rachètent une boîte, ça lance un produit, une nouvelle gamme de produits, et puis après ils en rachètent une autre, etc. C'est juste que ça n'est pas possible de faire ce genre de choses ou alors on n'a pas trouvé la recette magique pour le faire. Mais à mon avis ce n'est pas possible.
Hervé Gardette : Donc Nicolas Colin, l’État capitaine d'industrie 2.0 , il ne faut pas trop penser à ça ?
Nicolas Colin : On peut y penser mais avec des nouveaux instruments. Le problème qui se passe aujourd'hui, ou qui se passait avec Quaero, c'est que l’État essaye de faire de la politique industrielle après la révolution numérique de la même manière qu'il la faisait avant cette révolution. Et historiquement, par exemple, il y a un très puissant instrument de politique industrielle qui est l'achat. C'est-à-dire, pour faire émerger un champion, vous allez acheter massivement ses produits et ainsi lui donner l'impulsion initiale qui va permettre à l'entreprise de grandir et de s'imposer sur le marché, par des effets d'échelle. En fait, vous êtes le plus gros dans le monde d'hier, vous dominez tout. Dans le monde d’aujourd’hui, il ne suffit pas d’être gros, il faut s'allier avec ses clients, il faut rentrer avec eux dans une relation privilégiée, intime, et les enrôler dans la chaîne de production. C'est ce qu’Henri Verdier et moi-même, en empruntant le terme appelé la multitude, c'est-à-dire la multitude joue un rôle actif aujourd'hui dans la désignation des champions. Les entreprises qui dominent l'économie numérique sont celles qui ont le mieux réussi à s'allier avec la multitude.
Hervé Gardette : Néanmoins Nicolas Colin, dans le rôle que peut jouer la puissance publique, vous faites un parallèle, que je trouve assez intéressant, avec l'émergence d'une industrie pétrolière aux États-Unis. C’est-à-dire que vous expliquez qu'il a bien fallu qu'à un moment donné, justement, l’État mette la main à la pâte pour permettre l'émergence de cette industrie-là. Ça peut fonctionner de la même manière pour le numérique ?
Nicolas Colin : Oui, parce que émerger c'est un effort extraordinairement difficile, en fait. Il faut énormément de moyens, énormément de ressources. Il faut une détermination absolue qui est propre aux entrepreneurs. Il faut une capacité d'écoute des clients qui ne comprennent eux-mêmes pas très bien leurs propres besoins, et donc dans cet effort extraordinaire, un petit coup de pouce des pouvoirs publics ce n'est jamais malvenu. Mais il n'est pas obligé de le faire en désignant un champion a priori, avant même le contact avec le marché, ou il n'est pas non plus obligé de le faire avec de l'achat public. Il peut le faire avec un régime fiscal et là, qui marchait bien pour l'industrie pétrolière aux États-Unis, parce que extraire du pétrole c’était une activité parfaitement identifiée, parfaitement cernée. Là, le numérique se diffuse partout, c'est très difficile à isoler dans une niche fiscale. Et donc, après il y d'autres instruments sur lesquels on peut revenir.
Hervé Gardette : Laure de la Raudière ?
Laure de la Raudière : Oui, moi je trouve qu'en 2014, il y a eu un phénomène relativement nouveau, où j'ai trouvé qu'en France les astres étaient bien alignés pour le numérique, sans pour autant que l’État, finalement, ne soit responsable pour quoi que ce soit à l'alignement de ces différentes étoiles. D'abord on a d'excellents entrepreneurs, qui ont été mis en exergue cette année, avec Criteo, ???, BlaBlaCar. On a aussi une génération d'entrepreneurs qui ont réussi, par exemple je pense à Pierre Kosciusko-Morizet avec PriceMinister, et qui réinvestissent l'argent qu'ils ont gagné dans l'écosystème numérique, donc d’excellents entrepreneurs.
Hervé Gardette : Ça, ça ne date pas de 2014 !
Laure de la Raudière : Non, mais on a tout qui émerge en même temps, comme un effet boule de neige en 2014. C'est que je ressens profondément cette année. Deuxièmement, des formations qui sont reconnues dans le monde entier comme étant les meilleures, que ça soit les meilleures formations d'ingénieurs ou les meilleures formations de commerce. Avec des jeunes issus de ces meilleures formations, je parle des grandes écoles françaises, Polytechnique, Centrale, HEC, et des jeunes qui tous veulent devenir entrepreneurs. Et ça c'est nouveau, c'est relativement nouveau. On a donc des jeunes qui se retrouvent avec des gens de Sciences-po aussi, donc des différents profils, ce melting-pot de profils, qui est formidable pour la création d'entreprises dans le domaine du numérique. Troisième chose, il y a eu plusieurs rapports parlementaires demandés par le gouvernement, le Conseil d’État aussi qui dit « il faut que la France devienne leader dans le numérique ». Donc il y a un effet de pédagogie aussi qui a eu lieu en 2014. Et troisième chose, enfin troisième niveau aussi important, ce sont les grands groupes du CAC 40, qui sont quand même des puissances financières importantes pour nous, commencent à prendre conscience des enjeux. Ils commencent à comprendre qu'ils sont à risques sur leur propre business.
Hervé Gardette : D'ailleurs, dans les préconisations que vous faites dans votre rapport, Laure de la Raudière, vous suggérez notamment que dans les conseils d'administration des grandes entreprises, alors celles du CAC 40, mais enfin en gros, les grandes entreprises, il puisse y avoir des représentants de cette économie numérique, enfin des startupers, comme on les appelle.
Laure de la Raudière : Oui, mon idée, en fait, derrière ça, c'est que les PDG au plus haut niveau des groupes du CAC 40 prennent conscience des enjeux du numérique et des aspects dévastateurs que ça peut engendrer sur le fonctionnement même de la société. Je prends un exemple, typiquement dans le domaine des assurances, le monde de l'assurance va être révolutionné très prochainement par l'utilisation des données personnelles des individus pour améliorer l'offre, finalement, et personnaliser les offres des assurances. Il faut que le fonctionnement des start-up soit compris au plus haut niveau, pour ne pas que nos assurances qui sont une force de la France, nos grands groupes d'assurances, soient mises à mal par des start-up qui viendraient prendre toute l'activité naissante sur ces secteurs-là, sur ce secteur-là.
Hervé Gardette : Attendez. Ça va dire quoi ? Ça veut dire qu'il faudrait qu'il y ait des startupers dans les conseils d'administration pour permettre aux grandes entreprises de se protéger de ces jeunes pousses ?
Laure de la Raudière : Non. Pour conseiller le PDG en disant « là je sais que dans le domaine de l'assurance il y a une start-up hype rintéressante, il faut prendre une participation ou il faut la racheter ». Et il faut avoir le courage peut-être de rogner un petit peu sur sa marge ou sur la rente de l'entreprise traditionnelle et se lancer dans l'inconnu de cette nouvelle offre, parce que c'est là que vont se faire sans doute les affaires de demain.
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Musique - France Culture – Du grain à moudre