Hégémonie de Google PY Gosset

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Titre : Hégémonie de Google - Quelle liberté, hors des géants du secteur ?

Intervenants : Pierre-Yves Gosset - Journaliste

Lieu : TV5 Mondes - 64'Grand Angle

Date : Novembre 2014

Durée : 11 min 22

Lien vers la vidéo : [http:framatube.org/media/tv5-monde-64mn-lhegemonie-de-google]


00' transcrit MO

Journaliste : Alors pour évoquer ce phénomène Google, Pierre-Yves Gosset est avec nous. Bonsoir.

Pierre-Yves Gosset : Bonsoir.

Journaliste : Pierre-Yves Gosset, vous êtes délégué général de Framasoft, c'est une association, un réseau, je cite votre site internet, dédié à la promotion du Libre en général et du Logiciel Libre en particulier. C’est-à-dire ? C'est quoi votre boulot au quotidien ?

Pierre-Yves Gosset : Notre boulot au quotidien c'est d'expliquer aux gens ce qu'est le Logiciel Libre, c'est-à-dire des logiciels le plus souvent développés par des communautés ou des entreprises, mais dont le code source, c'est à la recette de cuisine du logiciel est accessible à tous et peut être partagé. Et la culture libre, le meilleur exemple qu'on puisse avoir et qu'on peut citer aujourd'hui c'est Wikipédia, c'est-à-dire une encyclopédie...

Journaliste : … participative

Pierre-Yves Gosset : … participative, rédigée par les utilisateurs et qui souhaitent partager leurs connaissances.

Journaliste : Et vous-même avant de parler des sommes d'argent énormes manipulées par Google, vous êtes financés comment ?

Pierre-Yves Gosset : Alors nous, notre association est financée exclusivement, quasi exclusivement par les dons, c'est-à-dire que ce sont des dons des particuliers, ce qui nous permet d’être totalement autofinancés et surtout d’être indépendants et de pouvoir du coup mener nos actions actions y compris celles face à des géants.

Journaliste : Justement, revenons à ces géants. Vous dites les services en ligne de ces géants tentaculaires comme Google, alors vous les appelez le GAFAM puisque c'est Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft, vous dites ils mettent en danger nos vies numériques. Ils sont aussi puissants que ça ?

Pierre-Yves Gosset : Oui. Aujourd'hui ce sont clairement des entreprises qui sont quasiment aussi puissantes que des États.

Journaliste : En quoi il mettent en danger nos vies numériques ?

Pierre-Yves Gosset : Tout simplement parce qu'ils sont devenus des points centraux. Il devient aujourd'hui complètement impossible, lorsqu'on allume un ordinateur, lorsqu'on allume un téléphone d'échapper à Google, Apple, Amazon, Facebook et autres. Et donc la question que nous on soulève...

Journaliste : On voit le village français qui résiste.

Pierre-Yves Gosset : Voilà. La question que nous on pose c'est comment on peut résister aujourd'hui à ces entreprises qui sont omniprésentes sur Internet. Elles ont évidemment le droit d’être là, mais quelles alternatives on peut proposer, en face, à ces entreprises qui aujourd'hui brassent des milliards, des centaines de milliards de dollars, puisque Google ou Apple sont aujourd'hui les plus grosses capitalisations boursières mondiales.

Journaliste : Je crois que Google c'est, j'ai vu en préparant l'émission, trois milliards de clics chaque jour, vingt milliards de sites visités chaque jour grâce à Google et un chiffre d'affaires, alors je ne parle pas de la valorisation boursière, mais un chiffre d’affaires de plus de cinquante milliards de dollars par an.

Pierre-Yves Gosset : Basé quasi exclusivement sur la vente de publicité et sur la revente de données à d'autres entreprises.

Journaliste : Le chiffre de 90 %, je crois que même en France c'est 95 % des internautes français qui passent par Google.

Pierre-Yves Gosset : Par Google, effectivement. Il faut dire que le service est extrêmement efficace.

Journaliste : Oui c'est très efficace.

Pierre-Yves Gosset : Donc forcément les gens ne se posent plus la question de savoir quelles sont les alternatives et surtout de qui tient les manettes de Google. On a l'impression que Google propose des résultats qui sont neutres, mais ce n'est pas forcement le cas. C'est-à-dire que pour apparaître en première page de Google il y a un algorithme où il faut passer par de la publicité et ça ça pose un vrai problème.

Journaliste : Un algorithme ? C'est l'ordinateur qui calcule en permanence.

Pierre-Yves Gosset : Voilà. Quand on tape un mot-clef, chaussures sur Internet, qu'est-ce qui apparaît au départ ? Et forcément ces sites-là sont favorisés par rapport à ceux qui vont apparaître en deuxième ou en troisième page.

Journaliste : Alors qui tient les ficelles ? Qui tient les ficelles de Google ? Est-ce ce qu’il faut voir ça comme un big brother qui va contrôler le monde ou bien ce n'est pas aussi dramatique que ça ?

Pierre-Yves Gosset : Aujourd’hui les dirigeants de Google viennent du milieu universitaire et scientifique, ce qui donne une forme de caution à Google. Il ne s'agit pas du tout de dire que Google est le mal incarné. Google est une entreprise capitaliste, comme les autres, qui vend un produit, c’est-à-dire la publicité, en proposant un service que ça soit le moteur de recherche ou d'autre services.

Journaliste : Il y a beaucoup d'autres services.

Pierre-Yves Gosset : Voilà. Le problème aujourd’hui, c'est que quand on dit que Google est devenu tentaculaire, c'est qu'il faut savoir que par exemple Youtube qui est aujourd’hui le principal média mondial, ce n'est plus la télévision aujourd’hui...

Journaliste : … appartient à Google.

Pierre-Yves Gosset : Oui voilà, appartient complètement à Google.

Journaliste : Et puis il y a Google aussi dans les boites mails, Gmail qui a pris en quelques années une importance énorme.

Pierre-Yves Gosset : Gmail représente à peu près 700 millions de comptes mails, 700 millions d'utilisateurs de Gmail et évidemment ces entreprises étant soumises au Patriot Act.

Journaliste : Alors, Patriot Act il faut rappeler ce que c'est, c'est une loi qui est entrée en vigueur après le 11 septembre et qui est une manière, en fait, pour les services entre guillemets américains de pouvoir contrôler directement ce qui se passe sur Internet.

Pierre-Yves Gosset : Exactement ça veut dire que si les services gouvernementaux américains décident d’accéder à votre boîte mail qui est sur Gmail, ils peuvent le faire sans demander, non seulement votre avis, mais sans demander vraiment l'avis de Google c'est-à-dire qu'il y a une injonction qui est faire et Google doit fournir les données.

Journaliste : Donc il en va, si on vous écoute bien, et puis on a suivi l'affaire Snowden, par exemple ses révélations, il en va quelque part de la démocratie sur Internet et même de la démocratie tout court. C'est une question politique finalement.

Pierre-Yves Gosset : Oui. Tout à fait. C'est pour ça que nous on dit que ça déborde du cadre des questions purement technologiques ; si c’était uniquement une question technologique ce ne serait pas trop gênant. Mais aujourd'hui, quand Google fait des Google Glass, des lunettes Google, des Google Cars, etc., est aujourd’hui pionnier sur l’intelligence artificielle on voit bien que ces entreprises touchent finalement, nos vies étant de plus en plus numériques, le téléphone, la télévision, la lecture maintenant avec les e-books.

Journaliste : On a même vu Google se lancer dans les nanotechnologies, dans le domaine de la santé.

Pierre-Yves Gosset : Dans le domaine de la santé, effectivement, et on ne sait pas trop où souhaite s’arrêter Google, et nous, ça nous interroge parce que, forcément, on se dit que si on laisse faire cette entreprise, d'ici cinq ans, dix ans, ils auront une emprise totale sur nos vies numériques sans qu'on puisse revenir et proposer des alternatives.

Journaliste : On les a cités tout à l'heure Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, Google. Ce sont toutes des entreprises américaines. Pourquoi il n'y pas d'entreprises européennes ou françaises qui pourraient concurrencer ces entreprises américaines, chacune dans leur domaine ?

Pierre-Yves Gosset : Alors sur la création des entreprises, c'est probablement parce qu'il y a une facilité plus grande aux États-Unis à se lancer et historiquement, une facilité à obtenir du capital pour lancer des entreprises. Ce sont des entreprises extrêmement récentes. Si on parle de Facebook, c'est à peine une dizaine d'années, Google c’est 98, donc ce sont des entreprises très récentes, mais aujourd'hui il est difficile, voire à notre avis inenvisageable, de dire qu'on va construire un concurrent de Google en Europe.

Journaliste : Est-ce que vous êtes écoutés par exemple par les pouvoirs publics en France ? Est-ce que vous rencontrez le gouvernement français pour envisager une riposte sinon françaises peut-être même européenne ?

Pierre-Yves Gosset : Le gouvernement français est sensible et préoccupé parce que, forcément, il y a des questions économiques y compris d’espionnage industriel derrière. L’Europe aussi se pose des questions. Mais nous qui venons du milieu du logiciel libre, on a toujours un petit peu de mal à se faire entendre parce qu'on a une image de logiciels faits maison, etc, alors que ce n'est pas du tout cas aujourd’hui c'est le logiciel libre qui fait tourner Internet.

Journaliste : Donnez-nous quelques exemples de logiciels libres. C'est quoi un logiciel libre ?

Pierre-Yves Gosset : Un logiciel libre c'est un logiciel dont le code source est accessible, c'est-à-dire que la recette de cuisine du logiciel est disponible pour tous et on a le droit, en plus, de le partager, d'étudier cette recette de cuisine et de la partager avec d'autres de façon à ce qu'ils l'améliorent et on crée ainsi un cercle vertueux. Donc des exemples de logiciel libres les plus connus, on va citer Mozilla Firefox qui est un navigateur Web, qui est développé par un communauté sous l'égide d'une fondation ; on peut citer OpenOffice qui est une suite bureautique libre, dont aujourd’hui la suite est prise par un logiciel qui s'appelle LibreOffice ; on peut citer Linux qui est un système d'exploitation.

Journaliste : Que ce soit Linux ou Firefox ou OpenOffice finalement on finit toujours par repasser par Google en fait ?

Pierre-Yves Gosset : Oui, il y a toujours, ça n’empêche pas effectivement que lorsqu’on, si on veut trouver OpenOffice on peut utiliser Google pour dire je voudrais chercher LibreOffice ou OpenOffice sur Google, pour aller sur le site, mais il y a d'autres moteurs de recherche qui existent et on peut utiliser ces moteurs-là et surtout on peut aller directement sur le site de LibreOffice, par exemple pour télécharger une suite bureautique.

Journaliste : On parlait du gouvernement français. Il y a aussi la Commission européenne qui essaye de contrer, ça fait quatre ans, je crois, qu'elle est en négociations, en discussions pour contrer cet espèce de monopole de Google. Qu'est-ce vous attendez de la Commission européenne, la nouvelle Commission européenne qui vient de s'installer à Bruxelles ?

Pierre-Yves Gosset : A priori la proposition qui est faite aujourd'hui, si on a bien suivi, c'est d'imposer à Google, qui est effectivement soupçonné d'abus de position dominante, de proposer et d'imposer à Google d’afficher des alternatives au sein de son moteur de recherche, c'est-à-dire, si je reprends l'exemple de tout à l'heure si on va chercher chaussures sur Internet, c'est de montrer d'autres résultats provenant d'autres moteurs de recherche. Nous, ça nous paraît être un pansement sur une jambe de bois, dans le sens où ça ne donne pas plus de liberté à l'utilisateur et ça lui indique juste ce qu’auraient répondu d'autres moteurs de recherche.

Journaliste : On voit même qu'en Allemagne par exemple le ministre allemand de l'économie, Sigmar Gabriel, demande lui le démantèlement de Google. Est-ce que c'est quelque chose qui vous semble réaliste aujourd'hui ou c'est simplement un effet d'annonce ?

Pierre-Yves Gosset : C'est un effet d'annonce, parce que ça m'étonnerait que le gouvernement allemand puisse faire quoi que soit. Je rappelle que, justement, Angela Merkel avait été mise sur écoute, ce qu'a prouvé l'affaire Snowden. On imagine assez difficilement le gouvernement américain accepter une demande du gouvernement allemand.

Journaliste : Alors comment faire pour, comment dirais-je, faire connaître, vous êtes ici ce soir, mais pour faire connaître ces logiciels libres ? Vous dites aussi il y a des choses à faire à l'école, dans le domaine de l’éducation, dans les universités, dans les entreprises. C'est là que ça va aussi se passer ce bras de fer relatif entre les grands groupes américains ?

Pierre-Yves Gosset : Tout à fait parce que nous sommes une association qui est issue du milieu de l’éducation populaire. Donc l'éducation populaire c'est aussi se prendre en main et que chacun doit être acteur de l’éducation d'autres personnes et qu'on va ainsi créer, là aussi, un cercle vertueux. Et ça nous paraît aujourd'hui relativement évident que si on veut qu'il y ait des alternatives à Google qui se montent elles doivent se monter non plus du haut vers le bas, mais du bas vers le haut, c'est à-dire que les citoyens doivent être acteurs de l'informatique de demain.

Journaliste : On a vu, vous avez dû voir le peu de réaction des pouvoirs publics en France. Comment éviter que des gens comme vous qui réfléchissez à l'avenir d'Internet restent en France et justement ne soient pas aspirés, captés, par les Américains peut-être aller travailler pour les Américains en Californie ?

Pierre-Yves Gosset : C'est l'avantage du Logiciel Libre, qu'il n'est pas rachetable. Une fois que la recette de cuisine est publiée sur Internet, la recette de cuisine du logiciel, elle appartient à tout le monde. On fait d'Internet, un petit peu, ce qu'il doit être et ce qu'il devrait rester, c'est-à-dire un bien commun et qui n’appartient finalement à personne et à tout le monde. Du coup, pour nous c'est la force du Logiciel Libre de pouvoir proposer ça.

Journaliste : Merci Pierre-Yves Gosset, merci d’être venu sur le plateau du 64 minutes.

Pierre-Yves Gosset : Merci.

Journaliste : Merci beaucoup.