Pourquoi le LL est-il plus important que jamais
Titre : Pourquoi le logiciel libre est-il plus important que jamais.
Intervenant : Richard Stallman
Lieu : Paris, Cité des sciences
Date : Janvier 2014
Durée :
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1 h 21 min 30 transcrit MO
Préparatifs
Richard enlève ses chaussures.
Un technicien installe un micro en soulevant l'abondante chevelure bouclée.
RMS : Ça ne marche pas ! Enfin ! Peut-être ! D'accord ! Est-ce qu'il y a de l'eau ?
Technicien : Oui bien sûr.
RMS : Merci. Pour commerncer, je veux vous demander deux choses : la première, si vous faites des photos de moi de ne pas les mettre dans Facebook, ni Instagram qui appartient à Facebook, parce que c'est un moteur monstrueux de surveillance, d'espionnage des gens. Je ne veux pas que Facebook possède des photos de moi et je vous propose de ne pas mettre les photos de vos amis dans Facebook, pour ne pas appuyer l'espionnage de vos amis. Si vous faites un enregistrement de cette conférence et que vous voulez en diffuser les copies, prière de le faire uniquement dans les formats favorables au logiciel libre et dans les manières favorables, c'est-à-dire de préférence dans les formats Ogg ou webM, surtout pas avec Flash, c'est-à-dire pas dans Youtube et pas avec QuickTime ou Windows Media Player. Et assurez-vous que l'utilisation normale du site permet de décharger des copies sans exécuter du code JavaScript privateur, c'est-à-dire pas dans Youtube. Mettez dans l'enregistrement la licence Creative Commons, No Derivatives, parce que c'est une présentation de mon point de vue.
C'est quoi le logiciel libre ? C'est le logiciel qui respecte les droits de l'Homme. Je peux expliquer le logiciel libre en trois mots : liberté, égalité, fraternité. Liberté parce que ces programmes respectent, permettent que l'utilisateur fasse comme il veut. Égalité, parce que, à travers un programme libre, personne n'a de pouvoir sur personne. Et fraternité parce que nous encourageons la coopération entre les utilisateurs. Mais spécifiquement qu'est-ce que ça veut dire ? Dans le logiciel il y a deux possibilités : ou les utilisateurs ont le contrôle du programme, ou le programme a le contrôle des utilisateurs. Il y a toujours l'un ou l'autre. Pour chaque programme, il y a l'un ou l'autre. Pour que les utilisateurs aient le contrôle du programme, ils ont besoin des quatre libertés essentielles. La liberté 0 est celle d'exécuter le programme comme on veut pour n'importe quelle fin, n’importe quel but. La liberté numéro 1 est celle d'étudier le code source du programme et de le changer pour que le programme fasse son informatique comme on veut. Avec ces deux libertés chaque utilisateur a le contrôle du programme, mais de manière individuelle, c'est-à-dire pour chaque utilisateur séparément. Mais le contrôle par un utilisateur à la fois ne suffit pas, surtout parce que la grande majorité des utilisateurs ne sait pas programmer. Ils ne savent pas exercer la liberté numéro 1. Qu'est-ce qu'ils peuvent faire ? Même pour un programmeur comme moi la liberté numéro 1 ne suffit pas. Chaque programmeur est occupé dans quelque travail. Personne n'est capable d'étudier et de bien comprendre le code source des milliers de programmes qu'il utilise. Les seuls utilisateurs capables de comprendre le code source de tous les logiciels qu'ils utilisent sont les états. Un état a beaucoup de ressources et peut engager assez de programmeurs pour que les équipes comprennent les programmes. Mais une personne non.
Ah ! c'est pour faire du thé. Oui mais dans quoi ? Merci. Et aussi de l'eau en plus, s'il vous plaît.
Donc il faut aussi le contrôle collectif par des groupes d'utilisateurs. Avec le contrôle collectif n'importe quel groupe d'utilisateurs peut collaborer dans l’exercice du contrôle du programme. Mais ils ont besoin des autres libertés essentielles. La liberté 2 est celle de faire et distribuer des copies exactes du programme aux autres quand vous voulez. Et la liberté 3 est celle de distribuer des copies de vos versions modifiées. Si chaque membre du groupe possède ces deux libertés, les membres du groupe peuvent coopérer dans le développement de leur version du programme et peuvent offrir des copies au public aux autres de leur version, quand ils veulent. Comme ça les utilisateurs ont complètement le contrôle de ce programme et le programme normalement fait vraiment ce que les utilisateurs désirent. Mais si les utilisateurs n'ont pas complètement le contrôle du programme, c'est le programme qui a le contrôle des utilisateurs et le propriétaire qui a le contrôle du programme. Donc ce programme, pas libre, est un instrument de pouvoir injuste du propriétaire sur les utilisateurs. C'est pour ça que le logiciel privateur est une injustice et ne devrait pas exister. Il faut lutter pour l'élimination du logiciel privateur parce que comme ça les utilisateurs auront le contrôle de leur informatique, contrôle qu’ils méritent tous.
Donc voici la question qui a motivé le lancement du mouvement pour le logiciel libre il y a trente ans. Je voulais rendre possible l'utilisation d'un ordinateur en liberté, ce qui était impossible, parce que tous les systèmes d'exploitation pour les ordinateurs modernes, en l'année 83, étaient privateurs. Nous appelons les programmes pas libres privateurs parce qu'ils privent de la liberté les utilisateurs. Voici l'injustice d'un programme pas libre : il prive de la liberté. Mais, à l'époque, bien que l'état privateur d'un programme était injuste, on pouvait supposer que les développeurs étaient honnêtes, qu'ils ne mettaient pas des fonctionnalités malveillantes dans les programmes. C’était choquant quand on découvrait une fonctionnalité d'espionnage ou une porte dérobée dans un programme, parce qu'il ne fallait pas faire comme ça, même pour le logiciel privateur. Mais les standards se sont baissés. Maintenant ce n'est plus choquant. C'est le cas usuel dans le logiciel privateur : il est malware. Normalement les développeurs n'ont plus honte parce qu'ils voient que les autres développeurs mettent toujours des fonctionnalités malveillantes dans le programme et chacun dit « Pourquoi pas moi ? Si les autres le font et ne sont pas punis. Pourquoi pas moi ? » Chacun ressent la tentation d'introduire des fonctionnalités malveillantes. Il y a trois formes de fonctionnalités malveillantes. Il y a les fonctionnalités d'espionner l'utilisateur, il y a les fonctionnalités de restreindre l'utilisateur, ça veut dire les menottes numériques. Il y a aussi les portes dérobées qui reçoivent des commandes depuis quelqu’un d'autre pour abuser l’utilisateur de quelque manière, sans lui demander l'autorisation de le faire. Maintenant presque tous les utilisateurs du logiciel privateur utilisent du malware connu privateur. Des exemples : Windows contient toutes les trois formes de la malveillance. Il a les fonctionnalités d'espionner, il a des menottes numériques et une porte dérobée universelle ; ça veut dire que Microsoft a le pouvoir d'imposer des changements de logiciels par force, à distance. Ça veut dire que n'importe quelle fonctionnalité malveillante qui n'est pas présente dans Windows aujourd'hui pourrait être imposée à distance demain. Windows est donc malvare universel.
Les systèmes d'Apple sont malware aussi. Mac OS contient des menottes numériques. Mais le système des iThings est bien pire, pas simplement pour les fonctionnalités d'espionnage que les gens ont trouvés, mais surtout parce que Apple a pris le contrôle même sur l'installation des applications. Les iThings sont des plates-formes de censure. Apple a imposé la censure des applications, la censure arbitraire, commerciale, qui devrait être illégale. La vente d'un ordinateur qui accepte le chargement de programmes-applications, mais sujets à la censure d'une entreprise, doit être illégale, mais elle n'est pas illégale. Donc c'est complètement injuste. C'est la perversion de l'informatique en système de contrôle des gens, ce que les critiques de l'informatique prévoyaient, la menace qu'ils prévoyaient depuis des décennies est arrivée dans les iThings. Et bien sûr, ayant vu les iThings, Microsoft a suivi le même chemin avec Windows 8.
Les systèmes d’exploitation d'Apple sont donc malware. Flash Player est malware et contient une fonctionnalité d'espionnage, plutôt de suivre les utilisateurs. Cette fonctionnalité permet que les sites suivent facilement les utilisateurs, et aussi des menottes numériques. Flash pPayer est gratuit mais pas libre. Cet exemple nous démontre que la gratuité ne compte pour rien. C'est la liberté qui est importante. Angry Birds aussi est malware, parce que ce programme espionne les utilisateurs. Les téléphones portables aussi. Chaque téléphone portable numérique est un ordinateur, programmable, peut-être pas par l'utilisateur. Si ce n'est pas un smartphone, l'utilisateur ne peut pas changer le logiciel, mais quelqu’un d'autre peut. Il y a une entreprise qui a le pouvoir d'installer des changements de logiciels, à distance, dans le téléphone portable, que ce soit un smartphone ou pas. C'est une porte dérobée universelle.
Et le pire c'est qu'ils ont employé cette porte dérobée pour convertir, parfois, des téléphones portables en dispositif d'écoute, qui écoutent tout le temps et transmettent tout le temps tout ce qu'ils écoutent. Et si vous pensez avoir un peu de vie privée, en éteignant le téléphone, surprise ! Le téléphone fait semblant de s'éteindre, pendant qu'il continue d'écouter et de transmettre. La seule manière de bloquer cet espionnage est d'enlever toutes les piles, si vous pouvez trouver toutes les piles ! Certains modèles ont une pile visible et grande, et une autre pile cachée, petite, mais suffisante pour peut-être une demi-heure d'écoute, et il y a des modèles qui ne permettent pas l’enlèvement de la pile. Pourquoi ? Je me le demande ! Et si vous portez un téléphone portable, le système sait toujours où vous allez. Donc un dispositif pour suivre et écouter les gens. Pour moi c'est le rêve de Staline. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas de téléphone portable. C'est-à-dire que l'informatique a été transformée en système d'espionnage et de contrôle des gens par des entreprises et par les états, parce que les entreprises collaborent avec les états. Elles n'ont pas le choix, mais souvent, elles le font volontiers.
Grâce à Edward Snowden, nous savons jusqu'à quel point le gouvernement des États-Unis espionne tout le monde, y compris les citoyens américains et aussi les français. Nous ne savons pas jusqu'à quel point l'état français espionne les français parce que la France a éliminé les limites légales sur la surveillance de l'état, il y a quelques mois. La réaction au scandale révélé par Snowden a été d'enlever les freins à la surveillance. Avec tant de surveillance il n'y a pas de démocratie possible. Donc maintenant, ce qui était au commencement injuste pour le contrôle du propriétaire sur les utilisateurs est devenu encore pire. N'importe quel programme privateur doit être soupçonné d’être abusif. Quelques-uns le sont et quelques-uns ne le sont pas, mais nous ne pouvons pas savoir. Entre les trois types de fonctionnalités malveillantes, seules les menottes numériques se voient. Les fonctionnalités d’espionnage de l'utilisateur, les portes dérobées ne se voient pas, et sans étudier le code source, nous ne pouvons pas les identifier, sauf par hasard. Si nous avons de la chance, nous les détectons et normalement nous ne savons rien. Donc chaque programme privateur exige une foi aveugle des utilisateurs. Comment dit-on en français « sucker » ? Est-ce qu'il y a un mot ? Quoi ? Plus fort, je n'entends rien ! Quoi ? Non « a sucker » veut dire quelqu'un facile à tromper. Une victime prête.
Public : Pigeon
RMS : Un pigeon ? N’importe quel programme privateur est un logiciel pour les pigeons. Merci ! Donc il faut rejeter le logiciel privateur. Mais pourquoi ? Est-ce qu'il y a des fonctionnalités malveillantes dans le logiciel libre ? De temps en temps il y en a, mais c'est rare parce que les contributeurs au logiciel libre ne ressentent pas la même tentation que les propriétaires du logiciel privateur. Nous ne sommes pas des propriétaires. Nous n'avons pas de pouvoir sur les utilisateurs de nos programmes. Les utilisateurs enfin ont le contrôle. Si quelqu'un met quelque chose d'injuste dans un programme libre, les utilisateurs ont le pouvoir de le changer. Voici notre défense. La seule défense connue contre le malvare. C'est-à-dire respecter les droits de l'Homme de l'utilisateur. Mais maintenant c'est plus important que jamais. Il peut y avoir des exceptions, mais vous devez supposer que si vous utilisez un programme privateur, ce programme vous abuse. Mais il y a aussi l'internet. Pour ceux qui utilisent l'internet, les droits de l'Homme doivent s'étendre aussi à l'internet. Maintenant nous savons que l'internet est un système de surveillance, que presque tout est surveillé, et pas seulement l'internet. Les autres systèmes numériques de la vie espionnent les utilisateurs. Je suis venu ici dans un Autolib', mais si j'habitais Paris je n'utiliserais jamais les Autolib', parce que je ne veux pas m'identifier avec où je vais. Je prendrais le métro. Quoi ?
Public : Prendre le métro aussi.
RMS : Dans le métro quoi ?
Public : On est hyper surveillés dans le métro.
RMS : Mais je n'utilise pas le Navigo ! J'achète des billets. J'achète un carnet.
Public : Vous payez en espèces.
RMS : Bien sûr je paye en liquide. Il faut payer en liquide pour ne pas être surveillé. Mais il serait possible de développer le logiciel des Autolib' ou des Vélib' pour ne pas surveiller les utilisateurs. Techniquement ce serait possible, mais on répond « Parfois il y a des criminels, il faut les chercher». Bien sûr . Quand le tribunal émet l'ordre de surveiller quelqu'un, l'état doit pouvoir le faire. L'état ne doit jamais surveiller tout le monde, seulement les individus sujets aux ordres du tribunal. Il faut fabriquer les systèmes numériques pour ne pas surveiller tout le monde, pour surveiller uniquement, pour suivre uniquement, ceux qui sont sujets aux ordres légaux. Ça c'est respecter les droits de l'Homme.