Politique du logiciel libre Sébastien Broca Place de la toile
Titre : La Politique du logiciel libre.
Intervenants : Sébastien Broca, Xavier de la Porte
Lieu : Émission Place de la Toile _ France Culture
Date : 28 décembre 2013
Durée :
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00' transcrit Marie-Odile
Xavier de la Porte : Bonsoir à toutes et à tous. Bienvenue dans Place de la Toile, le magasine des cultures numériques. Nous sommes ensemble jusqu’à dix-neuf heures. Au sommaire de cette émission, plongé dans son ordinateur, Thibaut Henneton répondra à la question « Tout réseau est-il conscient ? », Thibaut que l'on retrouvera à la fin de l'émission pour son complément d’enquête. Le son ce sera « Une utopie en chansons ». Quand à notre invité, Sébastien Broca pour parler de la politique du logiciel libre.
Je ne compte pas le nombre d'émissions que nous avons conclues par un tonitruant « La solution, de toutes façons, c'est le logiciel libre ». Bien sûr on a souvent parlé du logiciel libre dans cette émission, un peu plus en détail. On a invité certains de ses praticiens et de ses défenseurs en France. On a évoqué aussi, souvent, les grandes figures de son histoire à commencer par Richard Stallman, évidemment, mais je ne crois pas que nous ayons consacré une émission entière à comprendre la logique profonde du logiciel libre, à expliquer comment était née cette idée qu'il fallait que le logiciel libre soit libre, à bien distinguer, par exemple, le logiciel libre et l'open source, à expliciter la logique politique à l’œuvre dans le logiciel libre et à montrer comment ses ambitions et d’ailleurs ses filiations dépassaient largement le champ de l'informatique. Alors peut-être que si nous ne l'avons pas fait c’est parce que l'occasion nous avait manqué et bien elle se présente aujourd'hui, elle se présente avec un livre qui est paru tout récemment aux Éditions du Passager clandestin, un livre qui est intitulé « Utopie - au singulier - du logiciel libre », et qui est sous-titré « Du bricolage informatique à la réinvention sociale ». Bonsoir Sébastien Broca.
Sébastien Broca : Bonsoir !
Xavier de la Porte : Vous êtes sociologue au Centre d’étude des techniques, des connaissances et des pratiques de la Sorbonne, et vous êtes l’auteur de ce livre et c'est vous qui nous fournissez donc l'occasion de cette émission sur le logiciel libre. Et alors je suis content d’avoir attendu, six ans, presque, parce que votre livre est très intéressant, très bien fait et d'ailleurs, juste en préambule, je le conseille à quiconque s'intéresse non seulement au logiciel libre mais aux cultures numériques en général tant le travail que vous avez fourni est informé. Il est clair, il est politique au sens où il inscrit cette histoire du logiciel libre dans une histoire politique qui est beaucoup plus large comme on essaiera de le voir. Alors maintenant que je vous ai mis la pression il va falloir être à la hauteur de ces compliments. Sébastien Broca on va commencer par essayer de raconter, alors évidemment ce sera très vite, on va faire cette histoire à grands pas, mais dans la première partie de l'émission j'aimerais quon raconte un peu cette histoire et donc pour la raconter, pour comprendre pourquoi a germé dans des esprits l’idée qu'il faillait que le logiciel soit libre. Il faut quon revienne un petit peu en arrière, dans un temps reculé, où on ne parle pas encore de logiciel libre parce que tout simplement on ne parle pas encore de logiciel propriétaire, comment Sébastien Broca est-ce qu'on fabriquait des logiciels dans les années soixante-dix ou au début des années quatre-vingt.
Sébastien Broca : Pour comprendre ça, je pense qu'il faut revenir au fait que l'informatique a été développée en tant que discipline dans un contexte public, universitaire surtout, à partir de l'après-guerre et donc après si on se place dans les années soixante-dix, l'informatique à cette époque-là c’était des gros ordinateurs, des grosses machines dans les entreprises, les administrations et les logiciels en fait c’était souvent fourni par les fabricants de matériel, donc gratuitement, comme une sorte de garniture pour donner plus de saveur à leurs coûteux systèmes, coûteux hardware.
Xavier de la Porte : Donc pas de distinction software - hardware, en tout cas du point de vue industriel.
Sébastien Broca : En tout cas du point de vue industriel, il n'y avait pas d'économie du logiciel autonome, il n'y avait pas de marché vraiment pour le logiciel. L'autre chose à rappeler c'est que les informaticiens sont issus d'une culture développée essentiellement au centre des universités américaines, qui repose vraiment sur le partage du savoir, sur la collaboration et donc sur le fait qu'ils pouvaient s'échanger des bouts de code, sans problème, comme on s'échange, c'est ce qu'ils disent parfois, comme on s'échangeait du sel ou du poivre entre voisins. Donc ce système-là est encore en vigueur dans les années soixante-dix et puis il y a un événement quand même considérable, qui vient bouleverser tout ça à la fin de la décennie, au début des années quatre-vingt, c'est l'apparition de l'ordinateur personnel, du PC qu'on connaît bien aujourd'hui, et donc à ce moment-là c'est là qu'en fait se crée la possibilité d'un marché du logiciel autonome et qui va donc toucher le grand public en fait très rapidement, puisqu'en quelques années le micro-ordinateur entre dans les familles dans les foyers avec la classe moyenne. C'est là qu'il faut faire intervenir ce personnage majeur de cette histoire qu'est Richard Stallman qui est le père vraiment du logiciel libre, qui dans les années soixante-dix était un informaticien au MIT, la grande université américaine.
Xavier de la Porte : Massachusetts Institute of Technology
Sébastien Broca : Tout-à-fait, et qui du coup est vraiment issu de cette culture de l’informatique qui mettait en avant le partage de l'information. Sauf que donc avec l'apparition de l'ordinateur personnel, cette culture est battue en brèche, si vous voulez. Lui vraiment il expérimente au sein du MIT le départ d'un grand nombre d'informaticiens qui vont intégrer les entreprises, pour éventuellement gagner très bien leur vie mais moyennant un renoncement à ces principes de publicité du savoir puisqu'ils vont par exemple signer des clauses de confidentialité qui les empêchent de partager leur travail avec leurs pairs, avec leurs collègues et donc le code source des logiciels, ce qu'on appelle le code source, pour dire très simplement ce que c'est, c'est un peu la recette de cuisine du logiciel, ce sont les instructions qui déterminent l'exécution du programme, et donc ce code source qui auparavant était public, était librement accessible à tous, quand se créée cette industrie du logiciel, il va être fermé, privatisé, propriétarisé, pour que les entreprises comme Microsoft et d'autres, puissent tirer un bénéfice commercial de ces logiciels.
Xavier de la Porte : Justement est-ce qu'on peut dire deux mots, quand même, du rôle de Bill Gates. Ce n'est pas qu'il faut forcément mettre toujours des grands personnages dans l'histoire, l'histoire ne se fait pas qu'avec des grands personnages, comme nous l'a appris l'historiographie depuis quelques temps déjà, mais enfin quand même. Bill Gates a un rôle dans cette histoire. Il appartient quand même au départ à cette espèce de communauté des programmeurs qui s'entraident, etc, et puis il y a un moment où lui, il envoie sur la Newsletter du Homebrew, c'est ça, Computer Club, il appartient à cette sorte de club de programmeurs et il envoie, alors qu’il est tout jeune, une lettre, qui va être partagée, dans laquelle il dit « Non mais attendez, on est en train de récupérer mes bouts de code, de fabriquer des trucs avec, moi je veux que ça ne se passe pas comme ça. »
Sébastien Broca : Exactement et c'est un événement qui est souvent cité par les gens du libre. En 1976, il publie cette lettre ouverte qui s'appelle An Open Letter to Hobbyists et donc là il accuse les hobbyistes, ceux qui font de l'informatique pour le loisir, pour le plaisir, d'utiliser le code qu'il écrit sans lui verser aucune rémunération et il dit « C'est un scandale ce travail que je fais mérite rémunération comme n'importe quel travail et donc il faut vraiment cesser de considérer le code comme quelque chose qui n'a pas de valeur commerciale qui peut juste s'échanger. Moi je veux gagner de l'argent sur le travail que je fais en tant qu'informaticien. »
Xavier de la Porte : Et il a réussi !
Sébastien Broca : Et il a ensuite très bien réussi !
Xavier de la Porte : Puisque très vite il s'associe, il crée Microsoft, il s'associe avec IBM et il devient le fournisseur officiel. Donc il y a cette branche-là, on vous l'a expliqué, Bill Gates et puis tous les autres qui vont rejoindre les entreprises privées, créer leur propre entreprise, etc, puis de l'autre côté, il y a Stallman, donc chercheur au MIT en intelligence artificielle, mais très vite intéressé par le bidouillage. Quel va être le déclic ? Qu'est-ce qu'il va créer Stallman ?
Sébastien Broca : Lui voit à un moment donné, à ce moment-là, la communauté qu'il avait connue au MIT complètement se disloquer parce que les informaticiens partent faire du business et à un moment donné il dit en gros ah non, je ne suis pas d'accord ! Je m'oppose à cette évolution, je veux vraiment maintenir vivante cette culture, qui est la culture hacker aussi, on reviendra peut-être sur ce terme, la culture de la bidouille informatique justement de ce rapport un peu créatif, ludique aux technologies. Il dit je ne suis pas d’accord avec les nouvelles valeurs qui sont charriées par l'industrie du logiciel et donc je vais résister en créant le mouvement du logiciel libre pour faire en sorte de maintenir pour les utilisateurs la possibilité d'avoir accès au code source et aussi pour faire vivre cette culture de la collaboration, de l’échange du savoir entre informaticiens.
Xavier de la Porte : Là on est au tout début des années ?
Sébastien Broca : On est au tout début des années quatre-vingt, On est en 1983 quand vraiment il lance ce qui s'appelle le projet GNU.
Xavier de la Porte : Qu'est-ce que c'est GNU ?
Sébastien Broca : GNU c'est le projet qu'il lance en 1983 pour créer un système d'exploitation qui serait entièrement libre.
Xavier de la Porte : Un système d'exploitation c'est le logiciel le plus fondamental d'un ordinateur. C'est celui à partir duquel on va pouvoir greffer tous les logiciels, etc, et faire fonctionner la machine vraiment.
Sébastien Broca : Exactement. A ce moment il dit je me lance dans ce projet. Au début ça parait complémentent pharaonique, voire complètement irréaliste, il dit je veux recréer quasiment de zéro un système d'exploitation qui serait entièrement libre, dont le code source serait disponible et donc il pourrait être librement modifié, copié, utilisé, distribué.
Xavier de la Porte : Vous venez, comme ça, au fil de la parole de donner quand même quelque chose qui est fondamental qui sont les quatre règles qui garantissent la liberté d'un logiciel. C'est quoi ces quatre libertés du logiciel libre ?
09'23 transcrit Paul
Sébastien Broca : C'est une grande question. Qu'est-ce que veut dire ce « libre » dans logiciel libre ? En fait, d'après Richard Stallman, ça suppose quatre libertés qui vont être octroyées à tous les utilisateurs de logiciels, qui sont la liberté d'utiliser le logiciel, de le copier, de le modifier et d'en distribuer des versions modifiées. Et donc voilà.
Xavier de la Porte : D'accord, ça c'est vraiment les quatre...
Sébastien Broca : Ça, c'est la base, c'est les quatre libertés du logiciel libre et Stallman insiste toujours pour dire que ce combat, c'est un combat qui porte sur la liberté et non pas sur la gratuité, parce qu'une confusion fréquente, c'est de dire que les logiciels libres sont des logiciels gratuits, ce qui est vrai dans la plupart des cas. Mais pour Stallman, ce n'est pas ça qui est important, son combat, ce n'est pas un combat pour que les logiciels soient gratuits, c'est un combat pour qu'ils soient libres et donc il dit souvent : « Il ne faut pas confondre free speech, free beer » ; parce que c'est vrai qu'en anglais, on a cette équivoque sur le terme free, c'est-à-dire à la fois libre et gratuit et logiciel libre, il faut comprendre « libre » au sens de free speech et non pas au sens de free beer.
Xavier de la Porte : Mmmh. Donc, à partir de ces quatre règles fondamentales, il commence à créer GNU, qui est un travail absolument gigantesque et qu'il ne fait pas seul.
10' 27 MO
Sébastien Broca : Au début il est quand même assez seul, c'est pour cela que le projet au départ parait vraiment assez utopique au mauvais sens du terme pour le coup, irréaliste, chimérique. Donc il commence et c'est vrai que ça commence assez doucement. Ça commence en 83 et puis jusqu'au début des années quatre-vint-dix, il arrive à créer quelques logiciels mais on est très très loin d'avoir un système d'exploitation vraiment complet et fonctionnel. Ensuite l'histoire prend une nouvelle tournure au début des années quatre-vingt-dix parce que là apparaît un deuxième personnage central dans cette histoire qu'est Linus Torvalds, qui est donc un informaticien finlandais.
Xavier de la Porte : Jeune type à l'époque.
Sébastien Broca : Qui est un jeune type à l'époque, oui, étudiant, à Helsinki, et qui lui se met un peu, avec des ambitions assez modestes à la base finalement, à créer le logiciel qui va s'appeler ensuite Linux, qui est en fait le noyau du système d'exploitation, à savoir le cœur d'un système d'exploitation et qui est justement un élément qui manque à ce moment-là à GNU. Donc le projet de Linus Torvalds très rapidement prend une ampleur assez insoupçonnée, parce que, grâce à l'ouverture du code source, il y a plein d'informaticiens à travers le monde puisqu'à ce moment-là on est aussi aux débuts d'internet, qui se mettent à collaborer pour enrichir l'esquisse, l'ébauche qu’avait faite Linus Torvalds dans sa chambre d’étudiant. Donc au bout de quelques années, en 93-94, quelque chose comme ça, là Linux est vraiment devenu un logiciel tout à fait fonctionnel et là on a cet attelage qui se crée, si vous voulez, entre le projet GNU de Stallman et le noyau Linux qui donne GNU-Linux et à ce moment-là on a pour la première fois un système d'exploitation entièrement libre et là le projet de Stallman qui paraissait fou dix ans auparavant a vraiment une concrétisation.
Xavier de la Porte : Mais, Sébastien Broca, en même temps on a la concrétisation d'une utopie fondamentale du logiciel libre à travers ce système d'exploitation entièrement libre qui est GNU-Linux, pour une part, donc grande réussite pour une part, mais de l'autre on a aussi un début de, alors ce n’est pas vraiment une dissociation, mais en tout cas d'une distinction qui s'opère entre les partisans de ce qu'on pourrait appeler une ligne dure du logiciel libre et ceux qui sont plus dans la voie de Linus Torvadls qu'on appelle l'open source. Alors c'est très compliqué parce quand on parle à Stallman il crie sur la moindre personne qui utilise le mot d'open source à la place de logiciel libre, de loin ce n'est pas forcément très simple parce que ce sont des mouvements qui sont assez convergents par ailleurs, est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qui distingue logiciel libre et open source, justement ce qui distingue Stallman de Torvalds ?
Sébastien Broca : On va essayer de faire ça en quelques mots. Stallman a toujours dit si je défends le logiciel libre c'est pour une raison de principe, c'est pour défendre des valeurs et c'est même un combat qui a une dimension éthique. Il dit, vraiment, pour moi ce n'est pas éthique d’utiliser du logiciel propriétaire. Il n'y a aucune bonne raison d'utiliser du logiciel propriétaire. Pour lui c'est quelque chose qui est éthiquement indéfendable.
Torvalds a toujours eu un propos un peu différent. Il dit voila j'aime beaucoup le logiciel libre, je fais du logiciel libre, mais non pas pour des raisons de valeur ou des raisons éthiques, mais parce que « just for fun », essentiellement pour m'amuser, parce que c'est plus intéressant, parce que j'apprends des choses et puis parce que ça permet, en ouvrant comme ça le code source, ça permet des larges collaborations qui permettent de produire des logiciels meilleurs, tout simplement, plus performants, plus efficaces, et donc avec Torvalds on a un discours autour du libre qui émerge, qui est centré beaucoup plus sur la performance des logiciels, sur le fun, l'amusement qu'on peut éprouver à programmer dans des circonstances assez agréables pour des informaticiens avec une certaine dose de liberté. Ce discours-là tranche avec le discours beaucoup plus normatif, beaucoup plus sur les valeurs qui a toujours été celui de Stallman.
On commence à voir apparaître un peu cette distinction-là au début des années quatre-vingt-dix et elle va vite en fait se radicaliser à la fin de la décennie quand là c'est le moment où les entreprises commencent à s'intéresser au logiciel libre. C'est à ce moment-là qu’apparaît le vocabulaire open source qui va finalement finir par désigner un discours autour du logiciel libre beaucoup plus favorable aux entreprises, cette volonté d'aller... Je digresse un peu. mais il faut aussi peut-être que les gens visualisent un peu à quoi ressemble Richard Stallman. Richard Stallman c'est vraiment un personnage incroyable, qui a une dégaine de hippy, barbu, bedonnant.
Xavier de la Porte : Encore aujourd’hui !
Sébastien Broca : Encore aujourd'hui ! Alors que l'open source ce sont plutôt des gens qui vont se présenter bien coiffés, bien rasés en costume et qui vont aller voir les entreprise pour leur tenir un discours sur la réduction des coûts, sur la performance des logiciels, pour essayer de les amener à l'open source par ce biais-là et pas du tout par le discours sur les valeurs de Stallman.
Xavier de la Porte : Et pourquoi est-ce que les entreprises, au cours des années quatre-vingt-dix, donc très vite en fait, à partir du moment où sort GNU-Linux en 93-94, qu'est-ce qui intéresse les entreprises dans le logiciel libre ?
Sébastien Broca : Schématisons un peu, c'est toujours pareil, ce qui les intéresse, c’est la réduction des coûts déjà.
Xavier de la Porte : C'est-à-dire utiliser des morceaux qui sont déjà fabriqués par d'autres C'est ça la réduction des coûts ?
Sébastien Broca : Ouais tout-à-fait. Par exemple IBM s'est lancé assez tôt dans le logiciel libre, alors que pourtant ce n'est spécialement une entreprise qu'on associe à la promotion de l'informatique libertaire, mais à un moment donné, donc oui à la fin des années quatre-vingt-dix, à un moment où IBM était un peu en difficultés justement, ils se sont lancés dans l'open source avec cette idée que finalement ils allaient pouvoir soit profiter de contributions parfois faites par des bénévoles, mais sinon aussi mutualiser leur R & D, leur recherche et développement avec d'autres entreprises. Ce que permet l'open source c'est ça, c'est, à partir du moment où on ouvre le logiciel, on peut avoir un logiciel qui est utilisé par plusieurs entreprises et qui donc est développé collaborativement par ces entreprises, ce qui du coup représente une économie substantielle en terme de recherche et développement par rapport à la situation où elles auraient développé ce logiciel toutes seules.
Xavier de la Porte : Par exemple en quoi est-ce que Google est une entreprise qui doit quelque chose à l'open source ?
Sébastien Broca : Google doit quelque chose à l'open source parce qu'elle utilise énormément de logiciels open source pour propulser ses services et parce que, effectivement, ça lui fait faire des économies considérables. Google, mais on pourrait citer tous les géants du web, tous les Facebook, les Amazon et puis maintenant toutes les entreprises informatiques, Intel, Oracle, IBM, toutes ces entreprises-là utilisent de l'open source parce que ces logiciels sont devenus extrêmement robustes et performants et surtout parce qu'ils coûtent moins cher que de payer pour tous ces développements informatiques en interne.
Xavier de la Porte : C'est une sorte d'ironie de l'histoire assez forte ce retournement, Sébastien Broca ?
Sébastien Broca : Oui ! C'est un peu l'histoire bien connue qui se répète finalement de la récupération par le capitalisme des mouvements qui à un moment donné peuvent sembler avoir une portée subversive et critique. Et puis le capitalisme a cette force énorme de réussir à récupérer, à intégrer finalement, en tout cas très souvent, ce qui pouvait paraître le contester dans un premier temps.
Xavier de la Porte : Ça on pourrait l'analyser comme une forme de victoire de l'open source sur, si tant est qu'il y ait un combat entre les deux, une sorte de victoire de l'open source sur le mouvement du logiciel libre tendance canal historique, si on peut dire ? Non ?
Sébastien Broca : Oui, oui ! Surtout que même au niveau du vocabulaire, c'est encore plus sensible aux États-Unis qu'en France, mais le terme open source a vraiment triomphé en fait. Aux États-Unis vous parlez essentiellement d'open source beaucoup plus que de free software, ce qui fait évidemment enrager Richard Stallman, mais c'est comme ça.
Xavier de la Porte : Est-ce que du coup ça a marginalisé Stallman et le logiciel libre ?
Sébastien Broca : Je pense que ça l'a marginalisé à un certain moment mais après, la force aussi du free software canal historique, c'est qu'il a réussi justement en étendant son discours à d'autres objets que les logiciels, à garder sa portée plus critique et subversive, notamment en s'engageant sur toutes les questions de propriété intellectuelle, en dehors du logiciel. C'est vrai qu’aujourd’hui par exemple, les libristes comme on les appelle, ceux qui sont vraiment sur cette pigne plutôt fidèle à Richard Stallman et au free software, ce sont des gens qui sont extrêmement engagés sur des combats comme on l'a vu avec HADOPI en France, ACTA plus récemment, là ils sont en train de se mobiliser sur le traité transatlantique TAFTA, toutes les questions en fait liées à la propriété intellectuelle et à la circulation de l'information et des connaissances dans le monde numérique sont devenues des questions centrales pour le mouvement du logiciel libre et c'est aussi comme ça qu'il a eu un second souffle
Xavier de la Porte : Justement Sébastien Broca, c'est ce qu'on va regarder en deuxième partie d'émission c'est-à-dire comment la question du logiciel libre à la fois s’articule et sort de l'informatique en amont d'ailleurs et en aval de son histoire. Tout de suite Thibaut Henneton qui s'est plongé cette semaine dans son ordinateur pour répondre à la question « Tout réseau est-il conscient ? »