Synthèse vente liée ordinateurs/logiciels

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Introduction

La vente liée[1] consiste à subordonner la vente d'un bien ou d'un service à celui de l'achat d'un autre bien ou service, en empêchant donc de se procurer séparément un des deux produits[2]. La vente liée ordinateur/logiciels concerne donc des logiciels vendus de force avec du matériel. L'April s'oppose à ces pratiques illégales, anticoncurrentielles et monopolistiques, qui vont à l'encontre du droit des consommateurs et de leur liberté de choisir l'ordinateur et les logiciels qui leur conviennent le mieux.

Nocifs tant pour les consommateurs que pour le logiciel libre et la concurrence, les effets de la vente liée incluent :

  • absence de choix et complexité des solutions proposées pour les consommateurs, alors même qu'ils souhaitent avoir le choix[3] ;
  • renforcement de certains acteurs déjà monopolistiques au détriment des solutions alternatives et innovantes ;
  • surcoût artificiel ;
  • marché grand public limité aux offres d'acteurs dominants et fermé à la concurrence des solutions alternatives.

L'April appelle donc au respect des consommateurs pour que chacun puisse choisir facilement leurs logiciels et matériels. marché de l'informatique grand public aujourd'hui ne propose que rarement des machines équipées de solutions libres, imposer des logiciels éloigne les utilisateurs des systèmes d'exploitation libres. Pour atteindre cet objectif, l'April soutient donc une diversification de l'offre et la transparence des conditions d'usage des logiciels pour les solutions grand public.

Définition et périmètre de la vente liée

L'interdiction de la vente liée dans la loi

L'article L122-1 du code de la consommation rappelle qu'« il est interdit de [...] subordonner la vente d'un produit à l'achat d'une quantité imposée ou à l'achat concomitant d'un autre produit ou d'un autre service ainsi que de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit, dès lors que cette subordination constitue une pratique commerciale déloyale », ce qui fait écho à l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne[4].

L'appréciation d'une pratique commerciale déloyale ou trompeuse se fait selon des critères précis, listés par l'article L120-1 du code de la Consommation : « Une pratique commerciale est déloyale lorsqu'elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu'elle altère, ou est susceptible d'altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service. ».

En d'autres termes, ce n'est pas le fait de vendre des logiciels avec un ordinateur qui est illégal en soi, mais l'impossibilité de faire autrement, et l'absence d'information sur le prix des logiciels achetés avec l'ordinateur. il faut en effet distinguer :

  • la pré-installation, légale, qui consiste à proposer un système d'exploitation et plusieurs logiciels avec des ordinateurs neufs, mais qui n'implique aucune obligation d'utilisation ni d'achat de la part des utilisateurs ; elle peut d'ailleurs s'apparenter à une vente en lots.
  • la vente liée, qui exige des consommateurs le paiement d'une licence pour acquérir une machine, avec l'achat forcé des logiciels pré-installés.

La jurisprudence renforce l'interdiction de la vente liée ordinateurs/logiciels

Ces grands principes juridiques ont été appliqués par les juges à la vente liée ordinateur/logiciels. Les victoires obtenues par le groupe Racketiciel devant la Cour de cassation le 15 novembre 2010[5], réaffirment que si le principe de la vente conjointe n'est pas interdit, les distorsions de concurrence et les modifications des comportements des consommateurs que celle-ci entraine sont anormaux et contraire aux principes de libre concurrence et d'ouverture du marché, ainsi qu'à la liberté de choix des consommateurs.

De même, le jugement UFC-Que Choisir contre HP du 05 mai 2011 devant la Cour d'Appel de Versailles rappelle que la vente liée est contraire à la diligence professionnelle et constitue une pratique commerciale déloyale ; elle est donc à ce titre illégale.

La vente liée limite le choix des utilisateurs

Un choix pourtant souhaité par les utilisateurs

Tous les primo-utilisateurs[6] ne souhaitent pas la pré-installation de logiciels. Certains utilisent un système d'exploitation alternatif et d'autres possèdent déjà les licences de ces logiciels (achat séparé ou encore licences offertes comme les licences étudiantes par exemple, via le programme MSDNAA de Microsoft). Ainsi, comme le souligne le CREDOC (observatoire des conditions de vie) « l'option qui consiste à ne proposer qu'un seul système d'exploitation pré-installé, comme c'est le plus souvent le cas aujourd'hui, ne recueille finalement l'adhésion que d'une personne sur trois, quelle que soit la catégorie sociale considérée »[7]. L'argument selon lequel les consommateurs seraient satisfaits de la situation actuelle n'a donc pas de fondement ; au contraire, aucune solution simple n'est proposée à la majorité de consommateurs qui souhaite avoir le choix. En particulier, les utilisateurs de logiciels libres se retrouvent ainsi marginalisés, contraints à payer des logiciels non souhaités par un marché anticoncurrentiel et un monopole difficile à éviter.

Cette situation a des conséquences importantes sur l'ensemble du marché et sur les usages quotidiens des utilisateurs : l'omniprésence commerciale de quelques produits, au détriment d'une offre diversifiée, limite l'interopérabilité et normalise l'usage de solutions propriétaires, non compatibles avec d'autres produits, pour certains usages comme la lecture de contenus multimédias.


Obtenir une machine avec les logiciels de son choix, un parcours du combattant

Par conséquent, obtenir les logiciels et le matériel de son choix se révèle actuellement une tâche difficile pour de nombreux utilisateurs. Si certains constructeurs et revendeurs d'ordinateurs sont plus respectueux de la liberté des consommateurs que d'autres[8], la plupart des revendeurs grands publics posent de nombreux obstacles.


Un des rares compromis actuellement proposés par certains constructeurs et théoriquement imposé par le CLUF est un remboursement de la licence suite au refus du Contrat de Licence de l'Utilisateur Final. Concrètement, le consommateur doit acheter l'ordinateur et les licences logicielles, pour ensuite demander le remboursement de celles-ci par le constructeur, selon des conditions qu'il ignore avant l'achat. Le coût de la licence étant en effet secret, au mépris de l'obligation de transparence et d'étiquetage des prix[9]. Ces conditions de remboursement ont d'ailleurs été plusieurs fois jugées abusives et elles ne résolvent pas la question de la vente liée, puisque celle-ci a toujours lieu : l'achat de la machine est subordonné au paiement de la licence, même si celle-ci est remboursée ensuite - dans des conditions et à un prix aléatoires... De surcroit, même ces conditions de licences sont parfois ignorées par des constructeurs qui ne satisfont pas à leurs propres obligations contractuelles.

Les recours en justice

e refus de remboursement constamment reconnu comme inacceptable par les juges

Des actions en justice sont donc nécessaires pour faire respecter le droit au remboursement de la licence en réponse aux procédures complexes mises en place pour décourager le consommateur, incluant par exemple le renvoi aux frais de l'utilisateur de la machine et son indisponibilité pour une durée indéterminée, voire l'impossibilité d'obtenir ce remboursement. Au regard de ces difficultés, la justice a réitéré l'interdiction de ces pratiques à de nombreuses reprises, aggravant même les sanctions au regard de la mauvaise foi de certains constructeurs. Ainsi, par exemple, le constructeur Asus a été condamné à payer près de 1 500€ à un client qui souhaitait le remboursement de la licence, ce montant correspondant à la somme de la licence et du préjudice subi suite à la tentative de détournement de procédure par le constructeur[10].

Offrir la possibilité aux consommateurs de faire valoir leurs droits : l'importance de l'action de groupe

Face à ces difficultés, l'April soutient les actions en faveur de la mise en place d'actions de groupe au niveau européen. Ces modes de recours permettent aux individus de s'associer dans une plainte commune pour des litiges de masse et de faibles montants; ainsi, les consommateurs n'ont pas à porter plainte et à aller au tribunal individuellement, mais peuvent s'associer plus simplement à une plainte déposée par une association de consommateur par exemple. Cela donnerai ainsi à chacun la possibilité de faire respecter plus efficacement ses droits.

Renforcement d'un monopole déjà existant.

Des constructeurs qui ne proposent pas de solutions alternatives

L'absence de sanction de la vente liée — et donc son acceptation tacite par les pouvoirs publics — renforce la situation de déséquilibre et de quasi-monopole sur le marché logiciel. Un éditeur monopolistique utilise sa situation dominante pour faire perdurer ce déséquilibre, en profitant de la concurrence réelle entre les constructeurs. Le marché est en effet ultra-concurrentiel entre ces derniers, qui dépendent des négociations de licences pour obtenir une marge commerciale par la baisse des prix des licences et par la publicité des logiciels en version d'essai. Être le seul acteur sur le marché à ne plus accepter la vente liée de certains logiciels revient à prendre le risque de ne plus bénéficier de ces contrats. Ainsi, les constructeurs sont directement dépendants d'un éditeur unique et des contrats qui sont signés avec ce dernier : c'est un abus de position dominante au sens du droit européen, car ces contrats et le monopole de Microsoft ont pour effet de ne pas permettre l'émergence d'éventuels concurrents sur le marché logiciel.

Implications pour le logiciel libre

Concrètement, cela implique que les développeurs et vendeurs de logiciels libres ne bénéficient pas des mêmes avantages pour proposer leurs produits. Ils ne bénéficient pas de la même exposition et de la même publicité pour leurs produits auprès du grand public : leurs noms et produits étant moins présents, ils restent souvent inconnus du grand public. Et tout est fait pour décourager les consommateurs plus avertis, y compris de la publicité abusive ou illégale[11]. Les revendeurs incitent alors à accepter la vente liée, en la présentant comme inévitable et affirmant qu'aucune alternative n'est réellement envisageable. Des mécanismes de même type agissent également au niveau des constructeurs : puisqu'ils proposent leurs machines avec une suite logicielle donnée, leur matériel et les spécifications techniques ne sont échangées qu'avec son éditeur ; ainsi, les éditeurs de logiciels alternatifs et notamment l'industrie du libre ont plus de difficultés que les opérateurs dominants à utiliser le matériel vendu, ce qui renforce le camp de ceux qui prétendent qu'il n'y a pas d'alternative envisageable. Les pratiques anticoncurrentielles et déloyales se renforcent mutuellement. Pour sortir de cette spirale et permettre à tous de ne plus subir ces ventes forcées, il existe cependant des solutions simples techniquement, qui respectent l'esprit et la lettre de la loi sans imposer de complexité supplémentaire à l'utilisateur.

Des solutions existent, pour une évolution qui reste encore à définir.

L'optionnalité

L'April ne souhaite pas l'interdiction de la vente d'un ordinateur avec des logiciels pré-installés mais la possibilité de choisir quels logiciels sont achetés avec l'ordinateur : l'optionnalité. En d'autres termes, les logiciels sont en option (comme tout autre service) et les consommateurs peuvent décider de les acheter ou non avec la machine. Ceci entraine, le cas échéant, un paiement supplémentaire pour les logiciels lors de l'achat. L'optionnalité peut par exemple prendre la forme de machines pré-équipées de logiciels n'étant pas activés. La clé d'activation pourrait alors être achetée en même temps pour les utilisateurs souhaitant utiliser les programmes pré-installés. Une telle solution ne pose d'ailleurs pas de difficulté technique particulière, les constructeurs proposant déjà à leurs clients professionnels des ordinateurs avec les logiciels de leur choix, sans condition de valeur et ou de volume, et avec une facturation clairement séparée des licences des logiciels.

D'autres solutions logicielles sont aussi envisageables, comme par exemple un écran de sélection de l'OS, qui entraine la désinstallation complète des logiciels non souhaités par les utilisateurs lors de la première utilisation, avec un système de paiement en ligne. Aujourd'hui, ces solutions semblent d'ailleurs préférables pour beaucoup à la vente systématique de machines sans aucun logiciel, qui peuvent aller à l'encontre de l'attente de certains primo-achetants. C'est d'ailleurs le sens de la décision qui a été rendue par le Tribunal de Grande Instance de Paris dans le procès Darty/UFC-Que Choisir[12].

Clarification des positions : les procès intentés par l'UFC-Que Choisir

En 2006, l'UFC-Que Choisir a lancé une action en justice contre des revendeurs et fabricants, arguant que les machines devaient être vendues sans logiciels pré-installés pour respecter la loi. En première instance, le juge a reconnu l'existence d'une vente liée mais il n'exige pas des revendeurs grand public qu'ils vendent des ordinateurs nus, en estimant que ce serait contraire aux intérêts des consommateurs. Il a cependant reconnu que les revendeurs devaient afficher le prix des logiciels vendus avec chaque machine et proposer les contrats de licence en amont de l'achat, afin d'informer les consommateurs[13].

Cependant, le jugement en appel[14] a opéré un retour brutal en arrière, en supprimant toute obligation d'information sur le prix des licences pour les revendeurs grand public. Le juge a considéré que le prix des licences OEM[15] était couvert par le secret des affaires et qu'il ne devait donc pas être révélé. Le droit des consommateurs, considérés comme des utilisateurs ignorants de machines nécessairement pré-installées, passe donc après le secret de contrats commerciaux privés, ne laissant pas aux citoyens d'autre alternative que l'action en justice pour faire respecter leur liberté de choix. L'association de consommateurs s'est cependant pourvue en cassation et une décision est attendue.

Conclusion

Au-delà de cette réponse jurisprudentielle, une reprise en main par le politique paraît essentielle pour répondre enfin à la question. Le plan France Numérique 2012 avait notamment abordé la vente liée dans certaines des actions posées[16] et des questions parlementaires[17]remettent régulièrement la question à l'ordre du jour, ce qui souligne bien la nécessité d'une vraie réponse à cette question qui concerne non seulement les entreprises, la concurrence, mais aussi et surtout les consommateurs.

Face à l'inaction du gouvernement, les décisions de justice à tous les niveaux (juges de proximité, tribunaux d'instances, cours d'appels, cour de Cassation) souligne l'illégalité des pratiques de ventes liées ordinateurs/logiciels, en tant qu'elles représentent des pratiques commerciales déloyales.

Références

  1. La vente liée est également appelée vente subordonnée ou vente forcée.
  2. Selon le glossaire européen, c'est une « pratique commerciale consistant à lier la vente d'un produit à l'achat d'un autre produit ».
  3. Voir notemment à ce sujet l'étude du CREDOC, observatoire des conditions de vie, Les attentes des consommateurs en matière d'ordinateur « nu » et de logiciels pré-installés (décembre 2007)
  4. L'article 102 du TFUE interdit « le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante », ce qui inclut « subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats »
  5. Pour plus d'information sur cette décision, voir l'analyse de l'April http://www.april.org/la-cour-de-cassation-sinteresse-la-vente-liee et le communiqué de presse de l'AFUL : http://aful.org/communiques/tres-belle-victoire-groupe-aful-racketiciel .
  6. Les primo-utilisateurs sont de moins en moins nombreux : moins de 25% des ménages en 2010 selon l'ARCEP.
  7. Les attentes des consommateurs en matière d'ordinateur « nu » et de logiciels pré-installés (décembre 2007).
  8. Voir notamment à ce sujet le classement réalisé par le site http://bons-vendeurs-ordinateurs.info/.
  9. L'Article L113-3 du code de la consommation rappelle que « tout vendeur de produit ou tout prestataire de services doit, par voie de marquage, d'étiquetage, d'affichage ou par tout autre procédé approprié, informer le consommateur sur les prix, les limitations éventuelles de la responsabilité contractuelle et les conditions particulières de la vente. »
  10. Pour plus d'information, lire par exemple : http://www.pcinpact.com/actu/news/54406-vente-liee-asus-cheque-1400-euros.htm
  11. Voir l'initiative de l'April sur la collecte de publicités ainsi que la page AchatOrdinateurLibre.
  12. Décision disponible sur le site de l'AFUL : http://aful.org/media/document/Jugement-QueChoisir-Darty-20080624.pdf
  13. Voir l'analyse de l'April.
  14. Voir le communiqué de presse de l'April.
  15. Licences vendues avec l'ordinateur neuf et non transférables à d'autres matériels.
  16. Le plan France Numérique 2012 mentionnait notamment en « Action n°64 : Promouvoir un affichage séparé des prix des logiciels et systèmes d’exploitation pré-installés. Suite à la demande du secrétaire d’État chargé de l’Industrie et de la Consommation en juillet 2008, les distributeurs mettent en place de façon volontaire un affichage du montant remboursé en cas de renonciation du consommateur à l’utilisation du système d’exploitation préinstallé. Cette démarche pourrait être généralisée en 2009. » et « Action n°65 : Permettre la vente découplée de l’ordinateur et de son logiciel d’exploitation. Réunir un groupe de travail rassemblant les acteurs de la distribution, les associations de consommateurs, les fabricants et fournisseurs de logiciels pour mettre en place un test dès le premier trimestre 2009.»
  17. De nombreuses questions ont été posées sur le sujet, voir notamment les questions au gouvernements posées en 2005 par M. Le Déaut, M. Châtel, Mme Marchal-Tarnus, ou encore M.Tourtelier.