Synthèse interopérabilité

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Interopérabilité

L'interopérabilité dans le numérique est définie en droit européen comme la capacité des logiciels à échanger des informations et à utiliser mutuellement les informations échangées. Elle est essentielle à l'innovation, à la diversité, à la pérennité du patrimoine numérique et à une saine concurrence permettant la liberté de choix des utilisateurs. L'interopérabilité repose sur l'utilisation de standards ouverts.[1]

Lorsque l'interopérabilité n'est pas prévue à la conception du logiciel ou que l'auteur ou éditeur ne donne pas accès aux informations essentielles à sa mise en œuvre, la loi française [2] autorise les auteurs ou éditeurs de logiciels à rechercher eux-mêmes ces informations par des travaux de décompilation et d'ingénierie inverse.

L'April considère que cette exception de décompilation est vitale pour les auteurs de logiciels libres et pour permettre l'interconnexion avec des logiciels propriétaires ou rendre possible l'utilisation de formats fermés — comme, par exemple, permettre l'utilisation des formats de Microsoft Office au sein de la suite bureautique libre OpenOffice.org.

Toutefois, au regard des difficultés techniques de sa mise en œuvre, cette exception ne saurait suffire à encourager la concurrence et l'innovation ; il s'agit surtout d'une protection juridique pour les auteurs et éditeurs de logiciels. C'est pourquoi l'April souhaite l'instauration d'un réel droit à l'interopérabilité, c'est-à-dire un droit à disposer des informations essentielles à sa mise en œuvre et à les redistribuer sans restriction.

Enfin, l'April réaffirme l'importance majeure des standards ouverts pour le développement d'une administration électronique durable, flexible et non discriminatoire.

L'interopérabilité, garantie par des standards ouverts, permet la concurrence et le libre choix des utilisateurs.

Définition de l'interopérabilité

L'interopérabilité est « la capacité d'échanger des informations et d'utiliser mutuellement les informations échangées » [3]. Elle permet simplement une saine concurrence. A contrario, les spécifications fermées sont seulement connues des éditeurs de logiciels qui se servent souvent de ce secret pour verrouiller les usagers et bloquer la concurrence.

De même, l'interopérabilité n'est pas une simple compatibilité. Il ne s'agit pas seulement de permettre à deux systèmes de communiquer entre eux, mais aussi de lire et de modifier les informations et contenus de manière fiable en garantissant que n'importe quel système présent ou futur puisse s'interconnecter. On ne peut donc parler d'interopérabilité d'un produit ou d'un système que lorsqu'on en connait toutes les interfaces. Ainsi, des systèmes divers sont assurés de pouvoir agir ensemble sur les mêmes informations : c'est une garantie de diversité et de choix.

À l'inverse, ce que l'on appelle les « standards de fait » ne représentent que les protocoles ou formats les plus largement utilisés, sans prendre en compte aucune autre caractéristique, que ce soit sur leur ouverture, la possibilité d'interaction avec d'autres systèmes ou leur fiabilité.

Exemples quotidiens de produits non-interopérables

L'interopérabilité ne se limite pas à la question des logiciels ; elle intervient en effet dès que se pose la question de l'interconnexion de deux produits semblables, y compris dans des objets du quotidien.

Ainsi, par exemple, les chargeurs de téléphone portable ne sont pas interopérables, et la Commission européenne s'est saisie de ce dossier pour dénoncer cet état de fait[4]. Chaque marque de téléphone (voire chaque modèle) exige l'utilisation d'un chargeur précis, avec des connectiques différentes d'une marque à l'autre, bien que le transformateur soit le même et que cela ne se justifie pas par un quelconque impératif technique.

Il en va de même avec les cartouches d'imprimante: chaque marque, voire chaque modèle d'imprimante exige également un modèle bien particulier de cartouche d'encre, protégé par le droit des brevets et qui interdit à toute marque concurrente de proposer des cartouches d'encre. Une fois l'imprimante achetée, le client est donc captif des consommables vendus par la marque.

Un dernier exemple pourrait être celui des machines à café à capsules comme la Nespresso de Nestlé. Les dosettes de café ne sont vendues que par Nestlé par exemple, ce qui rend le consommateur dépendant du bon vouloir de cette marque. Si celle-ci augmente ses prix ou tout simplement arrête sa production, la machine devient inutilisable.

Les standards ouverts construisent l'interopérabilité

Les standards ouverts permettent d'assurer l'interopérabilité [dépend déf standard] ; par l'expression « standards ouverts », on désigne « tout protocole de communication, d'interconnexion ou d'échange et tout format de données interopérable et dont les spécifications techniques sont publiques et sans restrictions d'accès ni de mise en œuvre » [5]. Au niveau européen, les conditions pour qu'un standard soit défini comme ouvert ont été précisées par une proposition de l'IDABC[6] :

  • « le standard est adopté et sera maintenu par une organisation sans but lucratif et ses évolutions se font sur la base d'un processus de décision ouvert accessible à toutes les parties intéressées (décision par consensus ou majorité) ;
  • le standard a été publié et le document de spécification est disponible, soit gratuitement, soit au coût nominal. Chacun a le droit de le copier, de le distribuer et de l'utiliser, soit gratuitement, soit au coût nominal ;
  • la propriété intellectuelle — c'est-à-dire les brevets éventuels — sur la totalité ou une partie du standard est mise à disposition irrévocablement et sans redevance ;
  • il n'y a pas de restriction à la réutilisation du standard. »

Interopérabilité et concurrence

L'interopérabilité est essentielle car elle assure un marché sain et la concurrence : elle ouvre la possibilité à tout auteur ou éditeur de proposer des solutions concurrentes ou s'interconnectant avec des solutions existantes. Si cela ne permet pas toujours d'empêcher les abus de position dominante, l'interopérabilité est une condition nécessaire à l'émergence de solutions concurrentes et permet aux utilisateurs d'utiliser les outils qu'ils souhaitent sans être systématiquement contraints de faire appel à l'éditeur de la solution ou à ses sous-traitants.

L'interopérabilité permet aussi de garantir la pérennité des données et rend possible la création d'outils nécessaires à la lecture si l'éditeur originel disparait, ou si les outils ou les formats deviennent obsolètes. Cependant, pour que cela soit possible, l'interopérabilité doit être réelle.

Lorsque l'interopérabilité n'est pas assurée par les concepteurs du logiciel, elle peut être mise en place par ingénierie inverse, qui reste cependant une solution limitée et extrêmement difficile à mettre en œuvre.

L'exception de décompilation

En l'absence de publication effective des spécifications techniques, l'exception de décompilation permet de rechercher les informations nécessaires à l'interopérabilité sans demander l'autorisation à l'éditeur : « La reproduction du code du logiciel ou la traduction de la forme de ce code n'est pas soumise à l'autorisation de l'auteur lorsque la reproduction ou la traduction […] est indispensable pour obtenir les informations nécessaires à l'interopérabilité d'un logiciel créé de façon indépendante avec d'autres logiciels »[7], sous des conditions définies par la loi[8].

La nécessité d'un droit réel à l'interopérabilité

Des logiciels libres ont pu se développer malgré l'absence de standards ouverts, grâce à la rétro-ingénierie. OpenOffice.org en est d'ailleurs un bon exemple, car il a été rendu compatible avec les formats bureautiques de Microsoft uniquement grâce à la décompilation. Pour autant, si la garantie de pouvoir le faire est essentielle, la rétro-ingénierie n'est pas pour autant optimale : étant donnés les couts d'une décompilation, peu d'auteurs ou éditeurs peuvent se lancer dans cette entreprise. D'autant plus que l'éditeur du format fermé peut modifier les spécifications techniques dans une version ultérieure, et tout le travail de décompilation serait alors à refaire. À l'inverse, l'ouverture des conditions d'élaboration et de maintenance du standard garantit la stabilité d'un format ou d'une norme, nécessaires à l'interopérabilité.

L'April soutient donc l'existence d'un droit réel à l'interopérabilité, qui soit effectivement applicable et permette d'obtenir sans restrictions les spécifications techniques pour la mettre en œuvre. Quelques acteurs tentent en effet de limiter la distribution de ces informations, notamment par l'existence de licences limitant les conditions d'utilisation et de distribution. C'est le cas notamment des licences RAND (« reasonable and non-discriminatory », raisonnables et non-discriminatoires), bien que le sens exact de ces termes n'ait jamais fait l'objet d'une précision jurisprudentielle ou d'un consensus.

Concrètement, de telles licences impliqueraient que les éditeurs propriétaires puissent par exemple

  • conditionner l'utilisation du standard par des tiers au paiement d'une redevance ;
  • limiter les utilisations du standard ;
  • interdire la redistribution de logiciels utilisant ces spécifications.

Cela donne donc le contrôle complet à une entreprise sur ce qu'est un standard, la seule implication de la licence RAND étant que les conditions doivent être les mêmes pour tous les tiers dans la même situation.

Ces licences RAND sont donc incompatibles avec les fondamentaux du logiciel libre car elles mettent les standards à la discrétion des éditeurs propriétaires. À l'inverse, le logiciel libre promeut l'interopérabilité, ce qui a d'ailleurs été reconnu par le référentiel européen, qui souligne que les logiciels libres ont, « par nature, des spécifications disponibles publiquement, et la disponibilité de leur code source promeut des débats ouverts et démocratiques autour des spécifications, les rendant plus robustes et interopérables. En tant que tels, les logiciels libres correspondent aux objectif de l’EIF et devraient être considérés et évalués favorablement vis-à-vis des alternatives propriétaires »[9].

La reconnaissance des standards ouverts par l'administration

La reconnaissance des standards ouverts par l'administration permettrait de promouvoir de bonnes pratiques, alors que les standards actuels entretiennent la confusion.

La LCEN de 2004 avait donné la définition des standards ouverts et promu leur utilisation par l'administration via le Référentiel Général d'Interopérabilité, qui « fixe les règles techniques permettant d'assurer l'interopérabilité des systèmes d'information. Il détermine notamment les répertoires de données, les normes et les standards qui doivent être utilisés par les autorités administratives »[10]. Son adoption a été retardée, et le premier RGI a été vidé de sa substance avant d'être publié en 2009[11].

Les discussions autour du RGI avaient commencé par une promotion des standards ouverts, avec notamment le choix du format OpenDocument pour les échanges de documents bureautiques semi-structurés. Cependant, et suite à un lobbying intense de la part de Microsoft, son format OOXML a finalement été intégré dans le RGI[12], le vidant ainsi de sa substance : la préconisation de deux formats bureautiques concurrents, l'un étant ouvert et l'autre non, a semé la confusion et limité son potentiel d'interopérabilité, alors même qu'un référentiel préconisant des formats ouverts offrirait de nombreux avantages aux administrations et aux citoyens. En effet, l'utilisation de standards ouverts permet de s'assurer que tous les citoyens peuvent effectivement communiquer avec l'administration sans avoir à acheter des solutions propriétaires parfois couteuses, et en évitant de promouvoir des distorsions de concurrence et de discriminer selon les choix réalisés par les administrés. Cela permet ainsi d'éviter les abus présentés par la Commissaire européenne Neelie Kroes, qui a dénoncé une situation dans lesquelles il arrive que « les autorités forcent les citoyens à acheter des produits spécifiques (plutôt que n'importe quel produit conforme aux standards applicables) pour pouvoir utiliser un service public. Cela peut être l'école de vos enfants qui insiste sur l'utilisation d'un traitement de texte spécifique ou votre service des impôts dont les formulaires en ligne exigent un navigateur internet spécifique »[13].

Références

  1. Loi française n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique « On entend par standard ouvert tout protocole de communication, d'interconnexion ou d'échange et tout format de données interopérable et dont les spécifications techniques sont publiques et sans restriction d'accès ni de mise en œuvre. »
    Voir aussi la définition de l'European Interoperability Framework de l'IDABC (Interoperable Delivery of European eGovernment Services to public Administrations, Businesses and Citizens – fourniture interopérable de services paneuropéen d'administration en ligne) citée par la suite
  2. Article L 122–6–1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI)
  3. Directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur.
  4. Elle vient d'ailleurs d'organiser un accord entre les industriels du secteur pour permettre la création d'un chargeur universel : http://ec.europa.eu/enterprise/sectors/rtte/chargers/index_fr.htm
  5. article 4 de la Loi pour la Confiance dans l'Économie Numérique de 2004
  6. IDABC (en) : Interoperable Delivery of European eGovernment Services to public Administrations, Businesses and Citizens – fourniture interopérable de services paneuropéen d'administration en ligne. http://ec.europa.eu/idabc/servlets/Doc?id=19529 EIF v1.0 — "The standard is adopted and will be maintained by a not-for-profit organisation, and its ongoing development occurs on the basis of an open decision-making procedure available to all interested parties (consensus or majority decision etc.). - The standard has been published and the standard specification document is available either freely or at a nominal charge. It must be permissible to all to copy, distribute and use it for no fee or at a nominal fee. - The intellectual property — i.e. patents possibly present — of (parts of) the standard is made irrevocably available on a royalty-free basis. - There are no constraints on the re-use of the standard."
  7. Article L122-6-1 du Code de la propriété intellectuelle
  8. idem, paragraphe 4.
  9. Voir la brochure de l'EIF, http://ec.europa.eu/idabc/servlets/Doc?id=19528
  10. Ordonnance n°2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives
  11. Pour plus d'information sur le RGI, voir http://www.april.org/fr/rgi
  12. voir notamment RGI : le cadeau de François Fillon à Microsoft
  13. Discours de Neelie Kroes du 10 juin 2010 à l'Open Forum Europe. Traduction par nos soins.