Pourquoi l'Open Source est crucial en 2025
Titre : Pourquoi l'Open Source est crucial en 2025 ?
Intervenants : Jérôme Herledan, alias Genma - Cédric Ravalec - Vincent Untz
Lieu : Podcast Tout est sous CTRL
Date : 23 Janvier 2025
Durée : 44 min 24
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : À prévoir
NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Description
Dans cet épisode du podcast Tout est sous CTRL, nous explorons l'importance de l'open source dans la souveraineté numérique, les enjeux de 2025, et les opportunités qu'il offre aux entreprises et institutions.
Transcription
Vincent Untz : Bonjour à toutes et à tous. Merci de nous rejoindre pour ce nouvel épisode de Tout est sous CTRL.
Aujourd’hui, nous continuons notre petit cycle d’épisodes sur l'open source. Nous allons parler un petit peu d'open source en France, la façon dont c’est adopté par les organisations, entreprises, mais pas uniquement les entreprises, aussi le secteur public. Nous avons deux personnes avec nous aujourd’hui, petite nouveauté, d’habitude on n’a qu’un seul invité, je vais les présenter tout à l’heure. Vous allez voir ça va bien se passer, beaucoup de choses intéressantes et, grâce à nos deux invités, Tout est sous CTRL.
Aujourd’hui, avec nous, nous avons Jérôme Herledan et Cédric Ravalec.
Cédric Ravalec : Bonjour.
Vincent Untz : Bonjour à tous les deux.
Jérôme Herledan : Bonjour.
Vincent Untz : Je vais vous laisser vous présenter. Jérôme vas-y.
Jérôme Herledan : Jérôme Herledan, je suis plus connu dans les communautés open source sous mon pseudo de Genma, j’ai un blog où je vais parler d’hygiène numérique, de différentes choses, de Firefox à la grande époque. Je suis dans l'open source depuis plus d’une vingtaine d’années maintenant, je ne compte plus.
Vincent Untz : Pour ceux qui ne savent pas, Firefox OS c’était un effort de la fondation Mozilla pour fournir un OS pour les téléphones portables et autres périphériques mobiles, qui n’a pas pris malheureusement.
Cédric.
Cédric Ravalec : Cédric Ravalec. Ça fait plus de 25 ans je suis dans l'open source. J’ai rejoint l’aventure Open Source Experts qui est une société spécialisée sur l'open source, qui amène du support et de l’expertise. J’ai déjà créé deux start-ups dans le domaine de l'open source et j’ai travaillé plus de 20 ans dans le domaine du service.
Vincent Untz : D’accord. Merci. Donc, dans le cadre d’Open Source Experts, il y a quelques mois, je vais le montrer ici, vous avez écrit et publié ce petit livre blanc, que je trouve assez intéressant et je c’est pour cela que je voulais qu’on parle tous ensemble ; sur l'L’OPEN SOURCE EN FRANCE, il y a beaucoup de choses assez intéressantes. Avant de rentrer là-dedans, tout à l’heure, Cédric, tu m’as parlé un petit peu d’actualité, notamment ce qui se passe aux États-Unis avec les élections.
Cédric Ravalec : Je pense que 2025, en France et en Europe, va vraiment être l’année la souveraineté parce que, avec le nouveau gouvernement américain qui arrive, se pose vraiment l’enjeu de la dépendance technologique de l’Europe et de la France notamment vis-à-vis de toutes les technologies américaines. Notre ??? [2 min 43] et nos infrastructures dépendent énormément de technologies américaines. La question de notre dépendance se pose vraiment et quelles sont les solutions pour en sortir. C’est vraiment le sujet de cette année, donc on a voulu initier, lors de l’événement Open Source Experience, qui a eu lieu en décembre 2024, ce livre blanc qui va être le premier livre blanc d’une grande série autour de la souveraineté et de l'open source avec une introduction sur l'open source en France.
Vincent Untz : L'open source, en termes de souveraineté, c’est effectivement quelque chose qui est vraiment un moyen assez intéressant pour assurer une souveraineté dans le monde du numérique de manière générale et ça fait clairement partie des solutions.
Cédric Ravalec : Oui, clairement. D’ailleurs on voit qu’en Asie, notamment en Chine, ils n’ont pas du tout cette dépendance, ils ont développé leur propre distribution Linux, par exemple, ils développent leurs propres logiciels. On a vraiment un enjeu, en Europe et en France, qui est d’investir et de développer ces solutions, en partenariat avec les acteurs économiques de l'open source, c’est un peu ce qu’on appelle les communs numériques, donc un investissement assez fort au niveau de l’Europe et de la France pour développer ces communs. C’est un enjeu important.
Vincent Untz : Si on rentre un peu dans le détail de ce livre blanc, on ne va pas le couvrir dans son entièreté aujourd’hui, ça parle des origines de l'open source, ça parle un petit peu de l'open source en France, quel est l’état des lieux, évidemment, quels sont les acteurs qui sont visibles en France, quels sont les acteurs institutionnels, les acteurs associatifs, ça parle aussi d’écosystèmes, ça parle aussi des événements qui ont lieu autour de l'open source, il y en a quand même quelques-uns qui sont assez intéressants. Il y a aussi toute une partie qui explique les bénéfices de l'open source, comment on peut contribuer pas en tant qu’individu mais en tant qu’organisation. Je trouve que c’est assez intéressant. Là, tu parlais des communs. Du coup, je passe un petit peu au milieu, voire dans le troisième tiers du livre blanc, aux bénéfices de l'open source. Les communs c’est effectivement clairement un bénéfice dans les enjeux sociétaux, mais, si on revient un petit peu en arrière, Jérôme, est-ce que tu peux nous résumer les bénéfices de l'open source pour une entreprise de manière générale ?
Jérôme Herledan : Les bénéfices de l'open source sont liés, déjà, au côté open, l’ouverture. On a un code qui est accessible, qui est donc potentiellement éditable par beaucoup de personnes, il y a des potentialités pour détecter des failles de sécurité, du coup pour les corriger par la suite.
Vincent Untz : C’est intéressant. Il y a quelques années – c’est vrai que c’est moins le cas aujourd’hui –, il y avait tout un message qui était envoyé « l'open source est moins sécurisé parce qu’on peut regarder le code, on peut trouver les failles, etc. »
Jérôme Herledan : L’ouverture permet justement une meilleure sécurité. Potentiellement, quelqu’un peut regarder ou être amené à corriger, qui peut être indépendant de l’éditeur ou de la communauté qui est derrière le logiciel, et ce correctif va être reversé dans le commun. C’est-à-dire que tout le monde va pouvoir en bénéficier. Une personne paye avec son temps ou avec son argent, etc., pour faire ce développement et, après, ça bénéficie à tout le monde. C’est un des premiers intérêts de l'open source.
Ce côté ouverture et transparence du code permet aussi de savoir ce qui est réellement fait par rapport à l’exploitation des données, s’il n’y a des choses qui sont remontées sur des serveurs obscurs, SaaS ou autres. C’est une première chose.
Il y a aussi le côté évolutivité et adaptabilité, c’est-à-dire qu’on va pouvoir faire évoluer le code pour répondre à des besoins en développant des plugins ou autres. Ce côté ouverture est soumis à la licence avec un côté « reversibilité », je vais, après, reverser ces développements, ces améliorations, pour le bénéfice de tous. C’est un petit peu plus compliqué que ça par rapport aux licences, il y a des choses plus ou moins restrictives selon les licences utilisées. Tout cela vient, à l’origine, du logiciel libre et c’est ce qu’on explique dans la genèse : comment on est passé du logiciel libre de Richard Stallman, des années 80, au côté open source d’où le nom du livre. Nous voulions vraiment faire un focus sur l'open source en France en montrant que l’open source est présent en France que c’est quelque chose de très vivant, d’où ce livre blanc.
Vincent Untz : D’accord. Là tu as parlé des bénéfices, pas des bénéfices techniques, en fait ce sont les choses qui viennent assez naturellement avec l'open source, le travail très collaboratif. Ce qui peut assez intéresser les entreprises, ce sont aussi les bénéfices économiques, par rapport à ça, on parle aussi des bénéfices sociétaux, par exemple dans les démarcher RSE, l’utilisation de l’open source est quelque chose auquel on ne pense pas forcément qui, mine de rien, a un impact positif au niveau du RSE. Est-ce que tu peux en dire quelques mots ?
Jérôme Herledan : Justement, le côté bénéfice ça va être le côté mutualisation où, sur un développement donné, des grands groupes vont pouvoir s’associer pour demander et financer un développement qui va être commun pour tous. Plutôt que chacun demande à un éditeur des développements spécifiques, là il va y avoir une mutualisation.
Il y aura aussi une rationalisation. En utilisant l'open source, on va avoir plus de transparence sur les modules qu’on peut configurer ou intégrer, donc avoir une empreinte numérique carbone plus réduite, en faisant par exemple des compilations de noyau plus spécifiques, en réduisant l’empreinte.
Il peut y voir quoi d’autre aussi comme bénéfices ?
Avec ce côté indépendance, on n’est pas soumis à une licence de l’éditeur, on va pouvoir acheter du support et de l’expertise auprès de l’éditeur, mais on n’a pas une licence qui peut être multipliée par 3 d’une année sur l’autre, comme ça a été le cas, par exemple, pour VMware. Il y a eu un rachat et les licences des VMware ont exposé. Là, avec des équivalents open source, on va avoir un financement qui ne porte pas sur la licence même du produit mais sur un accompagnement par l’éditeur.
Vincent Untz : Cela est assez intéressant aussi, je pense qu’il faut creuser. Il ne faut pas se dire que l'open source c’est gratuit pour une entreprise, c’est possible, mais, en fait, il y a toujours des coûts qui sont cachés, simplement, pour une DSI, le temps de quelqu’un, par exemple, donc il y a des coûts. Par contre, généralement il n’y a pas de coût de licence, on va plus se tourner vers de l’assistance, de l’accompagnement, des services. Il y a plusieurs business modèles, mais quand on parle, entre guillemets, « d’une solution open source à 100 % », ça peut etr le cas.
Cédric Ravalec : Je voulais juste rebondir sur ce que tu présentais, ce que tu disais Jérôme, ce qui est très intéressant en France c’est qu’une association s’est créée, qui s’appelle TOSIT [The Open Source I Trust], une association qui regroupe les grands acteurs, aussi bien secteur public que secteur privé, qui utilisent l'open source voire qui contribuent et qui développent des solutions open source. Par exemple Orange, la SNCF, le Crédit agricole, France Travail en font partie.
Vincent Untz : Ce sont effectivement des très grands groupes.
Cédric Ravalec : Oui, plutôt des grands groupes. C’est une bonne chose, ça donne une dynamique et un sens. Ils travaillent ensemble pour promouvoir l'open source, pour avoir aussi des retours d’expériences entre eux sur la mise en œuvre de ces solutions. Je pense qu’il faut le souligner, puisque c’est une très bonne initiative en France, c’est quelque chose qui se développe assez fortement, ils mènent pas mal d’actions, ils étaient d’ailleurs présents à l’Open Source Expérience.
Vincent Untz : Tout à fait, ils étaient présents et on retrouve quelque part, ce qui est assez intéressant, cette notion communautaire. TOSIT n’a pas de vocation particulière à part se regrouper, justement, avoir ces échanges entre eux, s’entraider, progresser et ça va vraiment dans l’état d’esprit de l'open source.
Cédric Ravalec : Oui et je crois qu’il y a aussi un besoin. Quand un acteur économique prend une solution logicielle, donc qu’il paye une licence, c’est souvent l’éditeur qui crée le club d’utilisateurs pour que les clients puissent échanger. Dans le cadre de l'open source, comme la plupart du temps il n’y a pas d’éditeur – il pourrait y en avoir un mais pas tout le temps – ça permet à ces acteurs, à ces clients, à ces consommateurs de l'open source de pouvoir se rencontrer. C’est un peu le club des utilisateurs de l'open source pour les grands comptes.
Vincent Untz : Tout à fait.
Jérôme Herledan : En fait, c’est quelque chose qui est apparu ces dernières années, qui est de plus en plus présent, ce côté regroupement autour d’organismes. Donc TOSIT est une association, on a le CNLL, le Conseil national du logiciel libre ; là c’est un peu différent. Des industriels, plutôt côté éditeurs et fournisseurs de services autour l'open source, s’associent pour se fédérer. On a des déclinaisons comme le Hub Systematic du côté de Paris, PLOSS-RA du côté de la région lyonnaise. En fait, toutes les régions de France ont ces systèmes de regroupements où les industriels parlent entre eux et se disent « tiens, il y a un tel développement qui peut être fait », une mutualisation et une entraide aussi avec « j’ai tel client qui cherche telle solution, je ne sais pas y répondre, mais, dans mon réseau de partenaires je vais amener ça ». C’est vraiment intéressant, on n’est plus dans de l'open source communautaire à l’ancienne, avec le côté de logiciel libre qui amenait la confusion avec logiciel libre = gratuit, on est dans un côté « il y a des industriels, des fournisseurs de services et moi, en tant que client final, une entreprise ou autre qui utilise de l’informatique mais ce n’est pas mon métier premier, je vais pouvoir m’appuyer sur ces industriels-là qui, eux, connaissent le métier, ont l’expertise et vont pouvoir me fournir des services et l’accompagnement sur la base de logiciels open source ». On retrouve donc le côté souveraineté, indépendance, etc., qui est permis parl'open source, mais avec le côté sécurisé : j’ai un industriel, j’ai une assurance, j’ai un support, j’ai un guichet qui va pouvoir répondre à mes problématiques informatiques. J’ai quelqu’un à qui téléphoner et avec des engagements contractuels.
Vincent Untz : C’est effectivement essentiel pour les utilisateurs, quand on est une entreprise qui a une solution au cœur de son SI. Si on utilise un composant pour lequel on n’a aucun acteur vers lequel se retourner c’est un problème, c’est un risque, mine de rien, alors que si on a quelqu’un avec qui on peut interagir et après avoir du soutien, de l’accompagnement lorsqu’il y a un problème, on sait qu’on ne va pas courir de risques.
Cédric Ravalec : C’est aussi l’objet d’Open Source Experts, la société qu’on a créée. Il faut voir que l’écosystème open source et l’ensemble des acteurs c’est très fragmenté, d’ailleurs pas seulement en France, même au niveau mondial, c’est assez fragmenté et pour un donneur d’ordres, un client, c’est en effet assez compliqué, parfois, de trouver les bons interlocuteurs sur telle ou telle solution open source qu’ils ont choisi d’implémenter dans leur système d’information. Là, finalement, l’objectif c’est de pouvoir créer un écosystème d’acteurs, à travers Open Source Experts, pour pouvoir répondre aux demandes d’expertise ou de support des clients. Ça simplifie la démarche pour le client, ça lui donne un point de contact unique, ne pas devoir aller chercher la bonne expertise sur tel ou tel sujet.
Je souhaitais revenir sur un autre point important, une initiative aussi, les OSPO, les Open Source Program Officers qu’on va retrouver chez des grands comptes qui utilisent beaucoup l'open source. Ce sont des personnes qui sont en charge de définir la stratégie, la politique open source de ces grands comptes. D’ailleurs, on retrouve souvent ces responsables, ces OSPO, au TOSIT. C’est aussi une très bonne aussi initiative de s’être organisés sous forme d’une alliance, ça a été poussé par la fondation Eclipse, si je ne dis pas de bêtise, et OW2, une autre organisation. Je souhaitais le préciser. Il existe des structures pour aider les sociétés à se structurer, à avoir une stratégie en termes de licence, en termes d’implémentation, autour de ces composants logiciels.
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Jérôme Herledan : L’OSPO, par exemple, donne lieu à un chapitre dédié au sein du livre blanc. Le but c’était vraiment de donner plein de pistes pour expliquer la genèse de l'open source, ce qu’est un OSPO. Le but c’est de dire « il y a cette notion-là », ça donne un pointeur pour, après, pouvoir creuser. Il y a des sites internet dédiés qui expliquent toute une démarche, etc., sur la façon dont on met en place ce programme-là, mais il faut déjà avoir cette notion-là, savoir que cette notion d’OSPO existe.
Vincent Untz : Tout à fait. Là, on va vraiment entrer sur la façon dont on organise sa relation à l'open source, établir une stratégie vis-à-vis de l'open source au sein de l’entreprise. Au lieu d’avoir des choses très éparses, on va avoir quelqu’un, une équipe qui va centraliser ce sujet-là et aussi se faire l’avocat, expliquer à tout le monde pourquoi nous utilisons de l'open source, quel est l’intérêt, etc. C’est très intéressant.
Cédric Ravalec : Il y a des enjeux juridiques, puisque l'open source ce sont aussi de gros enjeux en termes de licence, il existe énormément de licences sur les logiciels open source qu’ils vont être amenés à utiliser. C’est un enjeu important, surtout si l’entreprise a pour vocation, par exemple, à développer des offres sur le marché basées sur des composants open source, je pense par exemple à Thales. Ça peut être aussi des constructeurs automobiles qui utilisent l'open source dans leurs véhicules. Donc cet enjeu, cet impact des licences open source est un point extrêmement important, mais aussi, tu en parlais tout à l’heure, sur la partie support et expertise comment on s’organise, les OSPO jouent un rôle important.
Jérôme Herledan : L’OSPO va aussi va amener l’esprit open source au sein d’une entreprise, du coup il peut potentiellement dire « peut-être y a-t-il des logiciels internes qui peuvent être utiles à d’autres, on va les libérer », en fait les mettre sous licence open source, pour amener à la création de communautés ou d’apports extérieurs, donc des contributions. C’est aussi un volet important de l'open source : on passe de consommateur à « consomm’acteur » qui est de dire « maintenant que je suis impliqué, j’ai des connaissances, etc., il y a peut-être des choses que je peux reverser à la communauté », ce qu’on appelle des contributions. Ça peut être, tout simplement, du code, amener des patchs, des correctifs, des nouvelles fonctionnalités, mais aussi de la traduction : si le logiciel est par défaut en anglais, le traduire en français ou dans d’autres langues pour avoir une accessibilité et permettre l’usage par tout un chacun. Il y a le côté documentation qui est très important et la documentation ce n’est pas uniquement faire des tutoriels, ça peut être des conférences, des retours d’expérience. Ce qui est intéressant, dans des grands salons informatiques qui peuvent être généralistes, comme l’Open Source Experience, ou thématiques sur les communautés – Kubernetes, OpenStack ou que sais-je –, c’est qu’ils vont amener des retours d’expérience en disant « moi, gros industriel, j’ai pu mettre en place de tel cloud basé sur cette technologie pour 100 000 postes et voilà comment j’ai fait. » Le but, ce n’est pas de donner tout le détail et les secrets industriels, mais de dire « c’est faisable sur ces briques-là » et après un autre va dire « ah !, tu as réussi, quelle technique as-tu utilisée, pourquoi, etc. ? »
Vincent Untz : On est vraiment est sur le partage de connaissances, l’entraide, ce genre de choses.
Jérôme Herledan : C’est très intéressant parce qu’on voit que pour une même problématique il y a plusieurs façons de faire. Par exemple, si on prend un cas que je connais bien, Nextcloud, il y a plein de façons d’installer Nextcloud sur la partie gestion de stockage, est-ce qu’on met du ??? [17 min 51], est-ce qu’on met du S3 ? Pour la base de données, est-ce qu’on fait du cluster, etc. ? Les gens sont demandeurs de ce retour d’expérience en disant « moi j’ai buté, sur telle problématique, etc. », il y a ce côté entraide. Ce sont des professionnels qui parlent à d’autres professionnels et ça rassure aussi les décisionnaires qui disent « OK, il y a de l’entraide, il y a du support, il y a des réponses techniques qui vont m’amener à avoir un SI stable sur ces bases open source. »
Vincent Untz : Il y a tout un chapitre, dans le livre blanc, sur la façon de contribuer qui, je pense, démystifie bien la chose parce que, souvent, on se dit « OK, j’utilise de l'open source », mais on ne pense pas aller à l’étape d’après, qui ne semble pas naturelle et qui, pourtant n’est pas très compliquée, contribuer. Comme tu le dis, il y a beaucoup de façons de le faire, ce n’est pas uniquement fournir du code, c’est bien fournir du code, évidemment, mais ce n’est pas uniquement ça. C’est vraiment intéressant, je pense que, pour beaucoup de personnes, ça mérite de se pencher sur ce chapitre pour comprendre que chacun peut participer et chacun a de la valeur à apporter.
Cédric Ravalec : Je pense que l’État le sait et quand il passe des appels d’offres pour développer des fonctionnalités dans les logiciels open source, c’est une manière aussi pour lui de contribuer, de faire évoluer le produit, d’investir et d’essayer de définir des communs. On le voit parce que, parmi les membres fondateurs d’OSE, la société Facteur FX qui développe un logiciel qui s’appelle OCS Inventory, par exemple, est amenée à travailler sur l’amélioration de ce produit ce qui est financé, en grande partie, par ses clients, c’est donc aussi une manière de contribuer.
Vincent Untz : C’est un soutien économique local. On retombe sur le sujet de la souveraineté, d’une certaine façon, c’est un cercle assez vertueux ici : on a à la fois sa propre indépendance d’un point de vue souverain et, en plus, on encourage l’économie locale. Ça a beaucoup de sens.
Cédric Ravalec : Je pense que l’Europe essaie de définir une politique claire pour savoir sur quels produits investir d’un point de vue européen. Je pense qu’il y a quand même une dynamique assez forte.
Vincent Untz : Quelque part, tu me tends la perche pour faire une transition sur tout ce que sont des aspects que je vais qualifier de réglementaires, ce n’est pas vraiment le bon terme, mais qui encouragent l’utilisation de l'open source en France et en Europe. Il y a plusieurs choses, encore une fois c’est bien dans le livre blanc. De mémoire, ça parle d’une circulaire qui avait été mise en place en 2012 par Jean-Marc Ayrault à l’époque. Il y a d’autres choses. Est-ce que vous avez quelques détails à partager là-dessus ?
Cédric Ravalec : Je peux dire qu’on travaille beaucoup sur la partie publique, on répond à des appels d’offres, et c’est vrai que les donneurs d’ordres publics se doivent, quand ils rédigent leurs appels d’offres, de laisser l’ouverture à l'open source, c’est un point important, ils ont l’obligation à ce que l'open source puisse répondre. C’est une ouverture assez importante, c’est ce qui fait d’ailleurs que dans les SI du secteur public l'open source est extrêmement présent et continuera à se développer assez fortement. C’est aussi le cas ont des structures plus privées. Par exemple, nous sommes en train de répondre à un gros appel d’offres pour un gros opérateur qui se pose la question de développer une solution open source basée sur des composants déjà existants, pour gérer l’ensemble de son asset dans son système d’information. Je pense que c’est aussi le cas dans votre société.
Vincent Untz : Tout à fait. Il y a aussi un référentiel de solutions open source qui sont recommandées effectivement, il y a tout un ensemble de choses.
Cédric Ravalec : D’ailleurs à l’initiative de la DGFiP, le ministère des Finances. Tu peux en parler parce que tu connais très bien le sujet.
Jérôme Herledan : Tout à fait. Il y a le SILL, le socle interministériel de logiciels libres qui, en fait, est un ensemble de logiciels de référence qui sont utilisés dans les ministères. Pour chaque logiciel, une petite fiche descriptive indique des fonctionnalités et il y a le nom d’un porteur, en fait le référent au sein d’un ministère qui dit « c’est moi qui ai la connaissance, qui suis en lien avec les communautés, qui vais pouvoir vous accompagner si vous avez des bugs ou des problématiques autour du logiciel pour comprendre ce qu’il fait ». On voit aussi de plus en plus maintenant, avec l’OSPO, c’est « je mets en place une stratégie open source pour bien l’utiliser, etc., pour bien comprendre » et l’étape d’après c’est d’avoir une politique open source en disant « maintenant, dès lors que je vais faire évoluer mon SI ou mettre en place un nouveau logiciel, je vais challenger les solutions open source pour voir s’il y en a une qui pourrait répondre à mon besoin ou voir ce qui manque pour qu’elle réponde : est-ce que ces petits manques, en termes de fonctionner ou autres, ça peut être fait par des développements que je peux financer ou cofinancer ? Et si, vraiment, la solution n’y répond pas ou la maturité est insuffisante pour répondre, alors là je vais m’intéresser à des solutions propriétaires ». C’est vraiment une politique qu’on retrouve de plus en plus dans des grands comptes ou dans des grands organismes qui disent « pour avoir cette indépendance, c’est open source first et ça passe par une méthodologie d’analyse, par exemple la méthodologie QSOS, qui est une méthodologie de qualification des logiciels open source : on fait une comparaison et on dit « par rapport à mes besoins, c’est telle solution qui ressort. »
Vincent Untz : Je reviens juste sur le SILL très rapidement. C’est un référentiel qui est fait par les ministères. On pense que ça ne peut être utile que pour le secteur public, mais je pense que, pour le secteur privé, c’est aussi intéressant d’aller voir là-dedans, parce que, quelque part, si c’est recommandé de ce côté-là, c’est aussi pertinent côté privé. Je trouve que ce sont des choses qui sont intéressantes qui méritent la peine d’être regardées.
Jérôme Herledan : Il y a tout un système de filtres, il y a tout un panorama. Ça va des usages de la bureautique mais aussi à des usages en termes de cloud, d’infrastructure, ça couvre vraiment toutes les toutes les couches d’un SI informatique.
Cédric Ravalec : D’ailleurs, ils ont aussi mis à disposition sur Internet l’ensemble des études qui ont été menées durant les contrats de support et d’expertise, qui sont faites sur les logiciels open source sur différents domaines fonctionnels, que ce soit la bureautique, le cloud. On peut retrouver ces études et ces comparaisons de solutions open source sur internet. Vous retrouverez dans le guide une URL pour accéder à l’ensemble de ces études.
Jérôme Herledan : En fait, c’est sur la forge l’ADULLACT. L’association ADULLACT a une forge. On y retrouve l’ensemble de ces mémoires, on appelle ça des mémoires de veille. Il y a différentes thématiques.
Vincent Untz : L’ADULLACT est une association très active en France depuis très longtemps, depuis de nombreuses années.
Jérôme Herledan : Qui porte l'open source auprès de tout ce qui est collectivités, ça va de la mairie, au département, à la région.
Vincent Untz : C’est une association dont on n’entend pas forcément souvent parler quand on n’est pas au courant, mais qui a un rôle vraiment prépondérant.
Si on regarde le secteur de l'open source en France d’un point de vue économique et d’un point de vue des différentes entreprises, parts de marché, etc., déjà, historiquement, quels sont les premiers acteurs, donc les premières entreprises open source qui sont apparues en France. Avez-vous des exemples qui vous viennent en tête ?
Cédric Ravalec : La première société, c’est une société de services qui s’appelait Alcôve. À l’époque, on appelait ça des SSLL, Sociétés de Services en Logiciels Libres, ça date des années 96, 1996, avant la bulle internet. En tout cas, ça a été la première société en France qui s’est créée pour amener du service et de l’expertise. Il faut savoir quw le terreau l'open source c’est vraiment l’infrastructure IT. Après on est arrivé sur la partie plutôt poste de travail, LibreOffice.
Vincent Untz : C’est assez cohérent avec l’histoire de l'open source. Quelque part, c’est grâce à l'open source que le Web a pu fonctionner
Cédric Ravalec : Exactement, la base du Web c’est l'open source, ce sont des briques open source
Vincent Untz : C’est ce qui a fait que ça marche et après c’est rentré dans l’entreprise et après c’est devenu une norme et ça s’est popularisé à tous les niveaux, mais, effectivement, ça a vraiment commencé par l’infrastructure.
Cédric Ravalec : Exactement. Et ce terreau-là a donné lieu à beaucoup d’éditeurs, Centreon en fait partie. L’histoire de Centreon, je ne sais pas s’il y a une vidéo sur le sujet : deux stagiaires qui étaient dans une société de services informatiques qui, sur la base de Nagios, si je dis pas de bêtises, tu le sais peut-être mieux que moi, ont développé.
Vincent Untz : Il y a très longtemps, on n’a plus du tout de Nagios maintenant.
Cédric Ravalec : Beaucoup de produits open source se sont développées autour de ça, que ce soit Open Inventory ou d’autres. C’était vraiment le terreau de l’infrastructure avec la messagerie, avec le Web, toutes ces solutions-là. Et je pense qu’à l’époque les grands groupes ne croyaient pas à l'open source et disaient « non, il n’y aura jamais d'open source chez moi, c’est pour les universitaires » alors que finalement il y en avait, mais ils ne le savaient pas. Maintenant ça change un petit peu, mais à l’époque il faut savoir que quand on voulait utiliser un produit, il fallait l’acheter, c’était le droit d’usage. Maintenant il y a cette notion de service en mode SaaS, mais à l’époque le SaaS n’existait pas, donc si on voulait déployer une infrastructure, il fallait passer par les achats, donc acheter des licences. Or l'open source, finalement, contournait cette problématique, donc on avait des administrateurs système dans des grands groupes, je pense à des sociétés comme Total ou comme Carrefour qui, à l’époque, disaient « non, il n’y a pas d'open source chez moi » alors qu’en vérité il y en avait, mais ils n’étaient pas au courant.
Vincent Untz : C’est un peu du Shadow IT quand même !
Cédric Ravalec : Oui, mais ça s’est développé comme ça. C’est parce qu’on n’en entendait pas parler et que ça tournait qu’ils s’en sont rendu compte. Finalement ça fonctionne, c’est pérenne, c’est stable, ça s’adapte, c’est sécurisé. C’est comme ça que ça s’est développé.
Vincent Untz : Ce que tu dis me fait penser à un chiffre dans le livre blanc : 70 % des entreprises, je crois, déclarent utiliser de l'open source. Ça m’a marqué parce que ça peut sembler beaucoup, mais, en même temps, je pense que c’est 100 % des entreprises utilisent de l’open source.
Cédric Ravalec : C’est 100 %.
Vincent Untz : C’est juste que 30 % n’en ont pas conscience. C’est assez intéressant.
Cédric Ravalec : Exactement. Maintenant, il y a de l’open source partout. Depuis le début on parle de l’informatique, ce que j’appellerais l’informatique de gestion, d’accord, mais dans l’embarqué, l’informatique industrielle, l’informatique qu’on a dans les caméras qui nous filment, dans les véhicules, l'open source est aussi omniprésent maintenant. C’est partout. On a connu une révolution, il y a une vingtaine d’années, avec l’arrivée de Linux, et pas que d’ailleurs, maintenant il y a Zephyr, il y a d’autres OS open source qui arrivent sur le marché de l’embarqué et, dans l’embarqué, le logiciel open source est aussi extrêmement présent, il n’y a pas que l’informatique de gestion.
Jérôme Herledan : En fait à l’heure actuelle, toutes les start-ups qui se fondent sur Internet utilisent des briques open source. Après, l’offre des services n’est pas open source, mais les logiciels derrière le sont. Facebook, en fait, c’est 90 % d'open source et les 10 % c’est la valeur ajoutée, c’est le réseau social, la partie couche applicative qui est privée, qui est au-dessus, mais, en dessous, tout le reste est open source, jusqu’aux datacenters. Ils reversent les modèles des cartes mères de leurs serveurs pour dire « il y a une meilleure efficience énergétique, etc., je libère le plan, le design de la carte mère pour que d’autres industriels se mettent dessus, l’optimisent et moi j’en tirerai aussi des bénéfices. »
Vincent Untz : Exactement. Meta, maintenant, c’est un très bon exemple, parce que, c’est ce que tu dis : ils ont 10 % qui est vraiment la valeur ajoutée, ils n’hésitent pas à libérer tout le reste, à le rendre disponible à tout le monde. C’est un grand acteur de l'open source, quand on utilise les services de Meta, on n’y pense pas forcément, mais c’est un très grand acteur de l'open source en termes de tout ce qu’ils ont contribué à publier, ce qu’ils ont fourni. En fait, ils ont compris qu’il y a de la valeur dans ces parties-là, qui sont purement techniques, mais il n’y a aucun intérêt pour eux de ne pas les partager, au contraire, ils bénéficient à partager parce que d’autres personnes qui viennent l’enrichir.
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Jérôme Herledan : C’est le cas aussi avec Netflix