Député·es, attrapez les toustes
Titre : Député·es, attrapez les toustes
Intervenant : Étienne Gonnu
Lieu : Toulouse - Capitole du Libre
Date : 16 novembre 2024
Durée : 26 min 30
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : À prévoir
NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Description
Identifier et contacter des parlementaires, les faire monter en niveau et évoluer sur les enjeux du libre, les convaincre de reprendre des propositions d'amendements ou de voter en leur faveur, telle est la voie à prendre pour espérer triompher dans les arènes législatives.
Transcription
Bonjour à toutes, bonjour à tous. J’imagine que si vous êtes là c’est que vous souhaitez en savoir plus sur le monde fascinant et les mystères du Parlement. Peut-être souhaitez-vous, vous aussi, vous lancer dans la grande aventure du plaidoyer politique pour faire triompher le logiciel libre et aller à la rencontre de ces créatures fascinantes que sont les député·es et les sénateurs et sénatrices.
En tout cas, merci de venir écouter cette conférence, modestement intitulée « Député·es, attrapez les toustes », occasion de remercier ma compagne et son incroyable talent de dessinatrice, pour cette ??? [42’]. Bien sûr, il ne s’agit pas littéralement d’aller attraper des député·es, de les enfermer dans des petites cages portatives pour les faire s’affronter les unes, les uns les autres, c’est bien sûr figuratif. Le but de mon propos, ça va surtout être de vous présenter des tuyaux sur comment identifier des député·es susceptibles de porter nos positions, de les convaincre, comment les convaincre, comment les approcher, comment les aider à monter en niveau et à évoluer sur les enjeux, comment entretenir de bonnes relations avec elles et eux et puis, in fine, surtout les pousser à agir.
Je vais parler des député·es, de l’Assemblée, le propos reste bien sûr valide pour les sénateurs et les sénatrices au Sénat, peut-être à quelques petites nuances près.
Qui sont les député·es ?
Qui sont les député·es ? Pour faciliter un petit peu, je vais prendre des profils types, je vais les identifier avec des couleurs, quatre couleurs pour faciliter la lecture de la chose.
Les « types »
On peut déjà identifier les type rouges et les types verts qui vont avoir des affinités politiques.
Les types rouges, ce sont de grandes tendances, vont être particulièrement sensibles aux notions de service public, la défense du service public, une liberté fondamentale, avec une certaine vision de la souveraineté. C’est vrai que c’est une thématique qui, parfois, peut avoir leur intérêt.
Et puis, les types verts, ce sont peut-être ceux qui ont le plus d’affinités vis-à-vis des questions du logiciel libre, ce qu’on va appeler la défense des communs, une gouvernance commune du bien commun. Ils sont contre l’obsolescence et pour le réemploi.
De l’autre côté, si on peut le dire comme ça, il y a les types jaunes et les types bleus qui vont aussi avoir certaines affinités avec des nuances.
Les types jaunes sont très dans l’innovation. Ils aiment les startups, ils chérissent la liberté d’entreprendre.
Les types bleus ont aussi une certaine attirance pour la souveraineté, dans une définition peut-être un peu différente de celle des types rouges. En tout cas, ils ont à cœur de défendre l’emploi, les petits patrons, et la France rurale leur tient, bien sûr, à cœur.
La vie de groupe
Les député·es aiment vivre en groupe, de préférence un groupe de 15 au minimum, parce que, à partir de 15, ils vont avoir des capacités spéciales à l’Assemblée, de meilleures capacités : plus de temps d’intervention, ils vont pouvoir proposer des propositions de lois. On est un groupe politique, on a des prérogatives particulières, donc c’est intéressant. En ce moment, il y a 11 groupes politiques différents et des députés non-inscrits qui, les malheureux, ont beaucoup moins de capacités
Ces quatre types sont des grandes tendances et, bien sûr, il y a toutes sortes de nuances, qui vont du rose à l’orange, tout un panel de bleus, du bleu clair jusqu’au brun, notamment. Un panel important.
Identification et 1er contact
Comment identifier et approcher les députées ?
Comment identifier des député·es qui vont pouvoir, justement, être susceptibles de défendre nos positions et comment les approcher ?
Bien sûr, sur le site de l’Assemblée – je vous ai mis la petite fenêtre qui permet de les chercher – il y a un index des député.es, un député·es ??? [4 min 15], si vous voulez, qui permet d’aller trouver des député·es, mais ça ne dit pas directement quelle est leur affinité avec les sujets informatiques en général et, plus particulièrement, le logiciel libre. Le plus simple, c’est tout simplement de leur demander. C’est ce qu’on fait notamment avec le Pacte du logiciel libre. On contacte les candidats et les candidates, notamment pour les élections législatives, pour les élections locales aussi, etc. Un des buts, c’est de savoir qui se positionne en faveur d’une priorité au logiciel libre, ce qui est écrit dans le Pacte. Ça nous permet donc un premier niveau d’identification.
Il ne vous aura pas échappé que les dernières élections législatives sont intervenues dans un contexte plutôt particulier, mais il se trouve que 17 personnes élues étaient signataires du Pacte lors d’élections précédentes. On a au moins identifié 17 députés sur 500 et quelque [577]. Il suffit d’un député pour poser un amendement, je reviendrai sur les actions plus tard.
Donc, ça, c’est quand on leur demande.
Et puis, parfois, peut-être même le plus souvent, on va les identifier dans le feu de l’action. Le but, c’est leur faire faire des actions. Je reviendrai plus en détail sur ces différentes actions, en tout cas dans le feu de l’action, on va pouvoir identifier de manière ciblée qui sont les député·es qui peuvent être intéressés par nos sujets. Quelles sont ces actions ? Par exemple, les député·es peuvent poser des questions au gouvernement, je reviendrai, comme je vous le disais, plus en détail là-dessus. Par exemple, une sénatrice de type bleu, Joëlle Garriaud-Maylam, avait posé des questions écrites relatives à l'« Open Bar », le contrat entre Microsoft et la ministère de la Défense. Cela nous a montré qu’elle était intéressée. Nous sommes entrés en contact avec elle et on a pu mener différentes actions, lui proposer d’autres questions écrites, etc., donc mener des actions avec elle sur ce dossier-là. C’était ce dossier en particulier qui l’intéressait, c’était donc un contact de poids. Donc les questions écrites.
Les député·es peuvent aussi rédiger des rapports. Je pense au député Philippe Latombe, un député de type jaune, qui a publié un rapport sur la souveraineté numérique où, et ce n’est quand même pas rien, il préconisait de systématiser l’usage du logiciel libre et de n’utiliser les logiciels – lui dit propriétaires, bien sûr, nous disons privateurs – que dans des exceptions dûment justifiées. Si on ne prend pas un logiciel libre, il faut expliquer pourquoi et bien sûr, il y a parfois de bonnes raisons, s’il n’y a pas de logiciel libre pour un usage, par exemple.
Une autre députée de type jaune, Anne Le Hénanff, pour donner un autre exemple, a déposé un rapport sur la cybersécurité où elle parlait du « piège Microsoft ».
On peut avoir, comme cela, des exemples de bonnes raisons pour contacter des député·es.
Parfois aussi, on va être auditionné. C’est plus rare, mais moi, en 2019, déjà, j’avais auditionné au Sénat par une commission d’enquête sur la souveraineté numérique. Un des sénateurs présents à l’audition, Pierre Ouzoulias, de type rouge, est venu me voir après l’audition et nous avons discuté. Il était intéressé par ces questions-là, notamment les questions du numérique et éducation. On a aussi pas mal travaillé avec lui sur la loi AGEC, la loi anti-gaspillage économie circulaire. C’est aussi une des manières de nouer des contacts et d’identifier des député·es.
Enfin, une autre manière, dans le cadre du jeu de la création de la loi : les député·es peuvent déposer des amendements pour faire évoluer les lois. Parfois, des député·es vont déposer des amendements qui ne parlent pas forcément directement de logiciels libres, mais, en tout cas, qui montrent de l’intérêt pour les libertés informatiques. Encore une bonne occasion de les contacter, soit, par exemple, pour leur proposer des argumentaires, leur souligner des points de vigilance sur des formulations, leur proposer de faire des liens avec d’autres dossiers, etc.
Quand je dis « points de vigilance », ça dépend, c’est la raison aussi de proposer des profils types. Ce n’est pas juste pour le plaisir d’identifier, de se dire « ils ne sont pas du même bord politique », ça joue sur la façon dont on va les contacter. On ne va pas parler de la même manière avec un type bleu ou un type rouge. Pour prendre un exemple en terminologie, si je vous parle d’utilisateurs/utilisatrices, de citoyens/citoyennes ou de consommateurs/consommatrices, je ne suis pas sur le même registre. Je vais adapter en fonction des discours et en fonction du sujet.
On contacte aussi pour proposer par rapport à un angle. Il ne s’agit pas non plus de dire « non, il faut pas dire open source, il faut dire logiciel libre », ce n’est pas très productif. Par contre, si vous parlez de « vente liée » au lieu de « vente forcée » – si la distinction vous intéresse, je pourrai bien sûr vous en parler après – ça n’a pas les mêmes impacts, la vente forcée étant une qualification qui permet d’être beaucoup plus efficace dans la lutte contre ces pratiques. Il y a là un intérêt politique à préciser la chose et ça permet de nouer du contact.
Parfois, on peut utiliser une technique un peu plus large, qu’on peut qualifier, on va dire, de méthode au chalut, quand on veut vraiment contacter très large. Par exemple, en ce moment, on a le projet de loi de finances pour 2025. Un amendement a été adopté à l’Assemblée nationale qui menace, on va dire, les écosystèmes des logiciels libres de caisse. Le sujet est assez complexe, il faudrait une autre conférence pour vous le présenter, mais je serai disponible pour en discuter avec les personnes que ça intéresse. C’est apparu au Sénat, d’abord en commission des finances, j’ai donc contacté tous les sénateurs et sénatrices de cette commission des finances, une manière de voir s’il y en a déjà qui répondent. Je l’ai fait sur une autre loi, la loi REEN, réduction de l’empreinte environnementale du numérique. J’avais contacté beaucoup de député·es pour proposer des amendements pour interdire les mesures de restrictions d’installation, une formulation qu’on a proposée au sujet du système Secure Boot. Eh bien, un député, Vincent Thiébaut, de type jaune, a été intéressé par cet amendement, il l’a repris. Ça a été d’abord adopté, puis un petit peu, comment dire, vidé de sa substance, en tout cas ça a aussi permis un contact, on ne gagne pas toujours autant qu’on veut. Mais avoir ces contacts, faire que les débats vivent sur nos sujets, ce n’est pas juste « ça de pris », ça fait partie, en fait, de la démarche. On est sur du temps long. Quand on fait du chalut, le but, c’est parfois aussi juste de faire du bruit, c’est-à-dire faire se faire entendre. Je pense à une autre loi sur laquelle nous nous étions aussi engagés parce qu’un député avait décidé qu’il fallait qu’il y ait un système de contrôle parental sur les ordinateurs ; on n’a pas d’avis là-dessus. Par contre, la manière dont c’était rédigé pouvait faire que ça interdise, de fait, la vente d’ordinateurs sans logiciels, d’ordinateurs vendus nus. J’ai contacté beaucoup de monde et, à un moment, j’ai été appelé un moment par un collaborateur d’un député qui m’a dit « j’ai des alertes qui me viennent de partout, qu’est-ce qu’il se passe ? », et c’est comme ça qu’on a pu, notamment, obtenir que les ordinateurs nus ne soient pas concernés par cette obligation.
Entretenir la relation
Une fois qu’on a contacté, il s’agit, bien sûr, d’entretenir la relation, proposer des actions. Quand on sait qu’on a des sujets qui les intéressent, les avertir, ce n’est pas toujours facile. Parfois, il y a aussi les député·es qui ne répondent plus, en tout cas, voilà, il faut essayer de garder un contact.
Et vous ?
Je vous parle ??? [11 min 42] très intéressant pour nous, être référent sur un sujet en vous disant que l’April pourra peut-être vous épauler, en tout cas avoir un avis qui pourra m’intéresser. Moi, j’ai le temps de le faire, je suis payé pour cela par l’April, je suis disponible toute la semaine, 35 heures aux heures de bureau, c’est forcément plus facile. En fait, on peut aussi le faire de façon individuelle, c’est un peu le but du Pacte, que chaque personne contacte un député ou un sénateur Yes GNU can !. Vous pouvez, sans être du métier, faire du plaidoyer politique et être référent ou référente d’une personne élue, pour lui transmettre de l’information, pour lui transmettre des arguments.
On passe à l’action
Maintenant qu’on a identifié des députés, on a eu ce premier contact, le but, c’est de passer à l’action.
Il y a deux grands types d’actions, selon ce que font les députés.
Contrôle de l’action gouvernementale
Le premier grand type, en tout cas le moins connu, on va dire, c’est le contrôle de l’action gouvernementale. Une des premières capacités qu’ont les député·es pour ce contrôle l’action gouvernementale, ce sont les questions vers l’équipe gouvernementale. Souvent, les questions écrites sont un peu plus intéressantes pour nous, parce qu’elles sont plus détachées de l’actualité ??? [12 min 57]. Un député pose donc une question au gouvernement pour forcer le gouvernement à se positionner et même si, finalement, il tourne un peu autour du pot dans la réponse, c’est déjà une position : ne pas dire quelque chose, c’est aussi dire quelque chose, donc c’est intéressant.
L’autre aspect intéressant, c’est que, parfois, il y a des infos, il y a forcément des infos dans les réponses qui vont nous permettre de déclencher ce qu’on appelle une demande CADA. Une demande CADA, c’est une demande d’accès à des documents administratifs. Je prends un exemple. Récemment, le député Latombe, dont je vous ai déjà parlé, a posé une question écrite au ministère du Travail, parce que le ministère du Travail utilise les services à distance de Microsoft et, pour cela, il a une dérogation, alors que, normalement une circulaire limite cela. Il a donc une dérogation, le député a demandé un peu ce qu’il en était et le ministère du Travail a justifié cela par une étude. On demande donc où cette étude, on veut la voir. Ça a pris un peu de temps, plus que le délai légal, mais bon !, c’est le jeu, on a fini par obtenir cette étude. À partir de cette étude, on a déclenché une nouvelle demande CADA, parce que ça nous parlait de groupes de travail, etc., on trouvait que l’étude était un peu light. Et là, très récemment, on l’a reçue. Il va falloir que je me penche sur le sujet, qu’on la publie, qu’on en discute aussi en interne, bien sûr sur la liste Atelier. Je précise que cette liste est réservée aux membres, parce qu’on reçoit parfois des documents en confidentialité, c’est donc une question de confiance. C’est la liste de l’April réservée aux membres, donc, il faut adhérer. D’ailleurs, il y a un stand de l’April pour le faire. On peut aussi faire ça en ligne. Si vous vous approchez d’Isa ou de Bookynette, elles vous feront adhérer quoi qu’il en soit !