Réconcilier enfants et parents sur le bon usage du numérique
Titre : Réconcilier enfants et parents sur le bon usage du numérique
Intervenantes : Gaëlle Le Vu - Justine Atlan - Vanessa Perez
Lieu : Podcast Le numérique pour tous
Date : 15 décembre 2024
Durée : 20 min 43
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : À prévoir
NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Description
comment faire du téléphone mobile une opportunité pour réconcilier la famille autour de son bon usage ? Peut-on imaginer de faire rentrer l’usage des téléphones portables dans les programmes de l’éducation nationale ?
Transcription
Voix off : Sud Radio – Le numérique pour tous – Vanessa Perez.
Vanessa Perez : Bonjour et bienvenue dans Le numérique pour tous, l’émission dédiée au digital, à l’innovation et à la tech responsable.
Noël approche et vous vous demandez peut-être si offrir un téléphone portable à votre enfant ou à vos parents est la meilleure des choses. Entre cyberharcèlement, exposition à des contenus inappropriés, mais aussi sédentarité et empreinte écologique, je ne parle même pas de la collecte de données personnelles ou de l’addiction aux écrans, l’objet qu’est le téléphone mobile suscite beaucoup d’interrogations. Loin de se priver de cet objet devenu indispensable, comment faire du téléphone mobile une opportunité pour réconcilier la famille autour de son bon usage ? Peut-on imaginer de faire rentrer l’usage des téléphones portables dans les programmes d’Éducation nationale ? Ou encore, qu’en est-il du renforcement du contrôle et de la sanction de l’accès aux mineurs des sites pornographiques ? Un vaste programme, et c’est ce que nous tenterons de comprendre avec nos invités.
Le numérique pour tous spécial enfance et numérique, c’est parti et c’est sur Sud Radio.
Voix off : Sud Radio – Le numérique pour tous – Vanessa Perez.
Vanessa Perez : Pour commencer cette émission, j’ai le plaisir d’accueillir Gaëlle Le Vu, directrice de la RSE [Responsabilité Sociale des Entreprises] chez Orange France. Gaëlle, bonjour, nous sommes ravis de vous avoir en plateau aujourd’hui.
Avant de commencer, j’aimerais avoir votre point de vue, parce que tous les industriels, aujourd’hui, semblent faire machine arrière. Quand on regarde une publicité sur la mobilité, on nous conseille de prendre le métro ; quand on regarde publicité sur des produits alimentaires transformés, on vous dit manger-bouger et le téléphone portable, il faut commencer maintenant à réfréner et prendre un téléphone de seconde main. On est un petit peu dans une époque paradoxale, non ?
Gaëlle Le Vu : Bonjour à toutes et à tous. Je suis ravie d’être avec vous aujourd’hui.
Non, je ne pense pas, je pense qu’on est plutôt dans une responsabilisation des marques. Je pense que c’est important que les marques continuent effectivement de proposer ce qu’elles ont à vendre, mais qu’elles rajoutent à ça plus d’informations sur le bon usage de ce qu’elles vendent. Au contraire, je trouve que c’est plutôt intéressant d’aller dans ce sens et de donner les clés aux consommateurs sur ce qu’il est en train de faire, parce qu’un acte d’achat, ce n’est pas si anodin que ça, donc comprendre. Nous, en particulier sur la téléphonie, c’est ce qu’on essaye de faire en vendant des téléphones reconditionnés, parce que c’est plutôt bon pour la planète et aussi, accessoirement, bon pour le portefeuille des Français, et aussi en donnant un certain nombre de conseils sur le bon usage de ce fameux smartphone.
Vanessa Perez : Justement, ce fameux smartphone, ce fameux téléphone mobile, qui est un peu l’objet de tous les débats entre le temps d’écran, entre la sédentarité, entre le cyberharcèlement. Comment vous positionnez-vous, justement, par rapport à ce fameux mode d’emploi dont vous parlez ?
Gaëlle Le Vu : Je suis complètement d’accord. C’est à la fois un formidable facteur d’émancipation, d’ouverture sur le monde et, en même temps, c’est un outil qui peut être dangereux s’il est mal utilisé, en tout cas, il a un certain nombre de risques. C’est important d’informer, en particulier les jeunes publics, puisque, en général, le premier smartphone, c’est à 11 ans, un peu plus de 11 ans, 11 ans et demi, c’est jeune, 11 ans et demi, c’est jeune. C’est un peu comme si vous vous donniez un vélo sans le casque, sans les protections, et vous dites à votre enfant « allez, débrouille-toi avec ça et si tu tombes, tant pis ! ». Eh bien non ! Je pense qu’il faut prendre le temps d’expliquer le bon usage, d’expliquer les temps d’écran, d’expliquer un certain nombre de choses sur les mots de passe, sur les comportements sur les réseaux, etc.
Vanessa Perez : En tant qu’opérateur, justement, vous devez avoir une responsabilité sur ce sujet. Comment l’appréhendez-vous de manière très concrète ? On pense au cyberharcèlement et à toutes les autres déviances qu’il peut y avoir. Comment Orange a-t-il pris le sujet ?
vOn l’a pris de plusieurs façons. En particulier, si je prends Noël, puisqu’on est à Noël, on a lancé une offre qui s’appelle le SaferPhone dans lequel, au-delà du téléphone et du forfait, on a mis un certain nombre d’éléments pour aider à la fois les enfants et les parents. On a mis notre option cybersécurité, incluse dans cette offre, qui permet de protéger l’ensemble des devices dont celui de l’enfant. Et vous avez dans cette offre un « humain », entre guillemets, un conseiller Orange qui est là pour vous accompagner si jamais il y a un problème, vous vous faites usurper votre numéro ou des choses comme ça. C’est très rassurant.
On a aussi mis en avant tous les contrôles parentaux qui existent pour permettre aux parents de faire leur choix et d’accompagner les enfants.
On a des solutions propres, chez nous, sur nos box, qui permettent de mettre des plages horaires, ce qui est quand même est très pratique : vous vous mettez d’accord avec votre enfant et ensuite, par exemple, vous coupez le wifi sur tel équipement de telle heure à telle heure, ce qui permet quand même de se déconnecter.
Et puis on a proposé dans cette offre un contrat entre les parents et les enfants. L’idée, c’est de profiter de cette période de Noël, entre les parents et les enfants, comme on sait qu’il va y avoir pas mal de smartphones au pied du sapin – c’est le Père Noël qui les apporte, bien sûr –, l’idée, c’est de se poser en famille et de se demander comment on va utiliser ce smartphone.
Typiquement, je regardais une étude, pour le temps des repas, c’est quasiment un Français sur deux, en tout cas sur une famille sur deux qui refuse le smartphone à table, ça veut dire que la moitié acceptent, donc c’est beaucoup quand même ! Ça veut dire que la moitié des parents acceptent que leur ado…
Vanessa Perez : Vous allez les conseiller, les orienter, leur donner des règles.
Gaëlle Le Vu : Voilà ! On se dit qu’il est important que les enfants et les parents se posent et se disent ensemble ce qui est acceptable pour la famille, pour l’équilibre de la famille. C’est typiquement ce genre de choses qu’on peut faire, et après, tout au long de l’année, on propose pas mal d’ateliers aussi bien aux parents, parce que ce n’est pas facile aujourd’hui d’être parent dans un monde numérique, quand on ne maîtrise pas forcément toutes les clés. On a des ateliers gratuits là-dessus, sur bien vivre le digital, on trouve ça sur notre site. On fait aussi pas mal d’ateliers pour sensibiliser les enfants, que ce soit effectivement sur le temps des écrans, c’est quand même un gros sujet, on a fait pas mal de campagnes « Pause ton téléphone et va bouger, va faire autre chose ». Tout cela c’est un équilibre, c’est un bon usage, un équilibre.
Vanessa Perez : Comme les nouvelles générations de parents, qui ont des adolescents, on était pourvues d’un téléphone mobile sans en avoir l’éducation, n’avez-vous pas le sentiment que quelque chose est en train de se mettre en place, et là, on en a encore pour cinq ou dix années avant que les choses se clarifient clairement ? On a des parents qui sont ravis de donner un téléphone mobile à leurs enfants pour leur dire « regardez une série » et avoir la paix, on va appeler ça comme ça.
Gaëlle Le Vu : C’est un équilibre. Je pense qu’on est en plein milieu de cette transformation. Le smartphone, en tout cas le digital, fait partie de notre vie. Je pense que la question n’est pas de se dire « je n’en veux plus », c’est là. Maintenant, c’est comment je vais effectivement trouver cet équilibre, parce que, à nouveau, si on reprend le temps des écrans, l’attention des enfants, c’est important. Je sais pas si vous vous rappelez quand on était plus jeunes, le sujet était beaucoup le temps de la télé. On disait qu’il ne faut jamais laisser son enfant devant la télé le matin.
Vanessa Perez : Je rappelle qu’on a en plateau des gens qui ont entre 40 et 50 ans, on va dire ça.
Gaëlle Le Vu : Du coup, c’était beaucoup par rapport à ça. Ça a évolué, maintenant c’est le smartphone. Le smartphone, c’est plus puissant, en tout cas ça fait entrer beaucoup plus de choses dans la maison que la télé ne le faisait, mais il va falloir retrouver cet équilibre. Et, effectivement, il faut qu’on accompagne les jeunes parents et nous, en tant que opérateur responsable, on estime effectivement qu’on a quelque chose à faire pour leur proposer des solutions, des conseils et ce qu’on peut faire.
Vanessa Perez : J’allais vous poser les questions : est-ce que c’est la responsabilité de l’opérateur, de l’Éducation nationale ou de l’État à travers elle, d’éduquer un enfant ? Ne faut-il pas, avant tout, éduquer un parent ? C’est une vraie question aujourd’hui.
Gaëlle Le Vu : Nous ne voulons surtout pas nous substituer à toutes ces parties prenantes. On veut juste être un acteur parmi d’autres. Effectivement, je pense que c’est à la fois l’Éducation nationale, nous en tant qu’opérateur, on estime, en tout cas, que c’est de notre responsabilité de participer à ça ; les associations sont extrêmement présentes aussi, sur le sujet.
Vanessa Perez : Vous collaborez avec qui e-enfance, qu’on recevra en deuxième partie d’émission. Concrètement la collaboration avec les associations ?
Gaëlle Le Vu : C’est assez déterminant parce qu’elles ont un savoir que nous n’avons pas forcément, c’est-à-dire une compréhension de la situation. Nous ne sommes pas des experts en éducation, nous ne sommes pas des experts sur ces sujets-là. On a donc besoin, pour orienter nos actions, d’aller nous confronter à ces associations qui vont, quelque part, un peu nous aider, nous guider dans nos actions. Après, on s’appelle Orange, on a une force de frappe qu’on va mettre au service de ces sujets, c’est comme cela que ça marche, et c’est comme cela qu’on aura un impact positif sur la société.
Vanessa Perez : Justement, avez-vous le sentiment que c’est une opportunité, on va le dire comme ça, pour des marques et des industriels, d’ouvrir un nouveau dialogue qui soit encore plus sincère et encore plus authentique ? On ne peut plus faire semblant aujourd’hui.
Gaëlle Le Vu : Oui, je pense que c’est important, c’est une opportunité et c’est ce qu’attendent beaucoup de nos concitoyens. On voit quand même l’équilibre, aujourd’hui, dans les attentes qu’il y a vis-à-vis des entreprises et des marques, qui est de plus en plus fort, en disant que les marques ont une capacité d’agir, que, peut-être, les pouvoirs publics ont un peu moins, ils ont un peu moins de moyens. Donc, on a un rôle à jouer là-dedans. Oui, j’en suis convaincue.
Vanessa Perez : Merci beaucoup, Gaëlle Le Vu. Je rappelle que vous êtes directrice de la RSE chez Orange France.
Restez avec nous. On marque une courte pause avant de découvrir comment, justement, ces fameuses associations tentent de faire entendre leur voix auprès des gouvernements et des grandes plateformes pour protéger les enfants des dérives du numérique.
Le numérique pour tous, spécial numérique et enfance, ça continue dans quelques instants et c’est sur Sud Radio.
Voix off : Sud Radio – Le numérique pour tous – Vanessa Perez.
9’ 50
Vanessa Perez : Pour continuer cette émission spéciale enfance et numérique, j’ai le plaisir de recevoir Justine Atlan. Justine, bonjour. Vous êtes présidente de l’association e-enfance, donc le 3018. Rappelez-nous, quand même, c’est fondamental d’avoir ce numéro en tête au quotidien.
Justine Atlan : Absolument. 3018, c’est le numéro pour les parents et les enfants sur toutes les questions qu’on va évoquer sans doute ensemble sur les usages numériques aujourd’hui.
Vanessa Perez : Partagez-nous quelques chiffres, parce qu’ils sont affolants. On parlait de cyberharcèlement, on parlait des dérives du numérique et de l’accès à certaines informations pédopornographiques vis-à-vis des enfants. Rappelez-nous les chiffres-clés qui font qu’il faut quand même être très vigilant vis-à-vis de ces écrans.
Justine Atlan : Les chiffres-clés. Ce qui m’a beaucoup surprise cette année, dans les études qu’on a faites, c’est qu’on a quand même pris conscience du fait qu’on a 67 % des enfants de huit-dix ans qui sont déjà inscrits sur un réseau social. Ça veut dire qu’on a près de 70 % des enfants, au primaire, qui sont déjà sur un réseau social. Je vous rappelle que les réseaux sociaux sont censés être inaccessibles pour les moins de 13 ans. Voilà ! Tout cela les met effectivement en contact avec des gens, avec des contenus qui, évidemment, ne sont absolument pas adaptés aux enfants. On a deux millions de jeunes du collège qui, chaque mois, consultent des contenus pornographiques qui, je vous le rappelle, sont interdits aux moins de 18 ans. Voilà un peu l’état du numérique et des enfants aujourd’hui.
Vanessa Perez : Il y a quand même un peu une responsabilité des parents. On dit qu’un adolescent arrive aujourd’hui avec 1300 images de lui sur des réseaux sociaux. Donc, les parents ont posté leur enfant à la plage, au ski ou dans d’autres situations. Il y a donc cette responsabilité. Ne faut-il pas revenir sur les fondamentaux de l’éducation, je suis désolée de le dire ainsi, mais la responsabilité n’est pas uniquement celle des criminels et des enfants. ? Les parents y sont pour quelque chose.
Justine Atlan : Bien sûr. Les criminels, effectivement, existent, ont toujours existé et ils existent aussi dans le numérique, mais ça, malheureusement, c’est une constante dans l’humanité. On peut faire beaucoup de choses, mais ça, les parents ne peuvent pas. En revanche, effectivement, les parents ont la responsabilité, de toute façon, c’est juridiquement le cas, d’éduquer leurs enfants, de les protéger, de les préparer à la vie d’adulte, donc de les accompagner sur un chemin, notamment dans les usages numériques. Ils ont donc aussi la responsabilité de ne pas les équiper trop tôt, de savoir ce qu’ils font, de les empêcher d’être face à des contenus, de les accompagner.
La difficulté du numérique, si on est honnête, c’est que c’est apparu dans le monde d’un seul coup et, finalement, les adultes et les jeunes ont découvert en même temps un nouveau monde. Donc, les parents n’ont absolument pas été en capacité de jouer leur rôle d’adulte parce que, eux-mêmes, ne connaissaient pas cet univers-là. En même temps, leurs adolescents dévoraient littéralement ces nouveaux usages. C’est vrai qu’il y a eu cette difficulté-là.
Aujourd’hui, honnêtement, 20 ans plus tard, ça fait quand même 20 ans, ça fait une génération, je pense que les parents ne peuvent plus être complètement dans cette ignorance. Maintenant, il faut les aider encore un petit peu, quand même, à rentrer dans le numérique de l’enfant qui est pas forcément le même que le numérique de l’adulte, c’est aussi ça. Un adolescent, ça reste un adolescent, il va chercher dans le monde numérique ce qu’il cherche ailleurs, c’est-à-dire être avec ses copains, échanger, apprendre à se connaître, découvrir des choses, prendre parfois des risques, ce qui n’est pas du tout, évidemment, l’usage quotidien que fait un adulte et ça demande encore un petit effort aux parents. Mais la génération d’il y a 20 ans devient parent, on a donc des jeunes parents beaucoup plus présents. On voit qu’on a près de la moitié des parents d’aujourd’hui qui sont sur Snapchat, qui ont un compte Snapchat. Les parents dont on parlait il y a 20 ans ne sont vraiment plus les mêmes que ceux qu’on a aujourd’hui et c’est formidable parce que c’est une super opportunité de les adresser, de les accompagner et de les rendre très actifs dans l’éducation numérique de leurs enfants.
Vanessa Perez : Justine, là aussi, on va parler des grandes plateformes. On pense à Netflix. Quand on voit de la violence, du sexe, de la drogue, ce sont quand même des rôles modèles qui sont des anti-modèles et beaucoup d’enfants consomment, justement assez tôt, ce type de séries. Là aussi, n’y a-t-il pas une forme de régulation ou de responsabilisation qui devrait être mise en place ?
Justine Atlan : D’abord, c’est vrai que sur les plateformes de contenu, comme sur le numérique d’ailleurs, comme sur les réseaux sociaux, comme sur un téléphone, sur Netflix il y a du contrôle parental. Donc, à nouveau, les parents doivent savoir que sur Netflix on peut créer un compte pour son enfant ou son ado avec, justement, une offre qui va être complètement restreinte et adaptée à l’âge de son enfant. Donc aujourd’hui, c’est effectivement un peu irresponsable de mettre son enfant dans un compte dit adulte. Dans ce cas-là, Netflix, par exemple, va effectivement couper tous les contenus qui sont dits violents, un peu comme sur les jeux vidéo, etc.
Après, les créations de visuels sont à l’image de notre société. Ça nous interroge aussi plus globalement que le numérique. Le numérique est le miroir de notre société, un miroir très grossissant, mais un miroir quand même. Je trouve que le numérique nous a révélé beaucoup des failles qu’on avait déjà préalablement dans l’éducation, dans les valeurs de la société qu’on transmettait. On s’est pris une grande claque, parce que, effectivement, on les voit très grossièrement, mais le numérique n’a pas forcément créé beaucoup de nouvelles problématiques, il les a amplifiées, il les a rendues accessibles à tout le monde. Il a ce gros problème qui est qu’il n’est pas capable de voir la différence entre un enfant et un adulte, il les touche donc de façon complètement inconsidérée. Pour autant, pour moi il ne crée rien de nouveau. C’est à nous de nous interroger plus globalement sur ce que sont les représentations dans notre société, quelle est la place de la violence, qu’est-ce qu’on promeut effectivement comme rôle modèle, mais ça peut être à la télévision, ça peut être dans les spectacles, ça peut être au cinéma, ça peut être dans la publicité, ça peut être à l’Assemblée nationale, ça peut être dans plein de lieux où, finalement, nous sommes tous responsables, en tant qu’adultes, du monde qu’on veut créer et qu’on veut montrer à nos enfants et adolescents.
Vanessa Perez : Justement, quand on voit des campagnes de prévention, on les a peut-être tous à l’esprit, on voit cette petite fille qui se réveille le matin en ayant regardé une tablette et qui a fait beaucoup de cauchemars. Pour vous, est-ce que c’est quelque chose qui aide la société ou la solution est-elle ailleurs ?
Justine Atlan : À nouveau, nous, en tant qu’association de prévention, sommes vraiment dans l’éducation, la prévention, etc. Maintenant, c’est vrai que nous sommes aussi obligés de travailler avec tous les acteurs, sinon nous serions aussi irresponsables. Le problème c’est que temps de l’éducation est long, la prévention, c’est du long terme. Donc, pendant qu’on est en train d’éduquer, en même temps, il faut résoudre les problèmes urgents rapidement.
Effectivement, il faut travailler avec les acteurs industriels, parce que ce sont eux qui ont la main dans les outils, ce sont eux qui ont la capacité de changer immédiatement des comportements, des solutions, des fonctionnalités, et ils ont un devoir de le faire aujourd’hui.
Et puis, on a le temps des politiques, un peu intermédiaire entre le temps industriel et le temps, effectivement, de l’éducation, qui ont une responsabilité, évidemment, parce qu’on leur confie de nous construire une société plus égale et plus protectrice et on doit travailler avec eux. Le problème, c’est qu’on a souvent une mauvaise appréhension du numérique, de la technologie. On a encore des politiques qui créent des lois qui ne sont pas forcément au niveau en termes de connaissances de la technologie, de ce qu’il est possible de faire ou pas, et ça nous a fait perdre beaucoup de temps. J’espère donc qu’aujourd’hui, avec la régulation européenne qui est arrivée et qui est quand même une vraie avancée, on va pouvoir aller plus vite, parce que je ne vous cache pas que pour nous, association, ça fait 20 ans qu’on travaille sur ces sujets-là. J’ai quand même l’impression qu’on répète la même chose depuis 20 ans et, très honnêtement, il n’y a pas eu beaucoup d’avancées, mais les choses s’accélèrent depuis un an ou deux, donc on peut espérer que ça aille beaucoup plus vite et heureusement, on a des acteurs comme Orange, qui sont présents depuis très longtemps, avec qui on peut avancer ensemble.
Vanessa Perez : Justement, Justine, vous parlez des gouvernements, même s’ils ont effectivement une durée de vie qui est de plus en plus courte, on le remarque, on a fait beaucoup de bruit l’année dernière sur l’impossibilité d’aller sur des contenus pornographiques pour les jeunes. J’y suis allée pour faire mon travail, on y a accès très facilement, sans beaucoup de précautions d’usage. Où en est-on par rapport à ces garde-fous ?
Justine Atlan : Finalement, on n’est pas si mal ! Après 20 ans de travail, on n’est pas si mal !
La réalité, effectivement, c’est que les sites pornographiques sont légalement inaccessibles aux mineurs, parce que la pornographie est légalement inaccessible aux mineurs, c’est la loi. Depuis quatre ans, la loi était renforcée, donc oblige, de façon proactive, les sites pornographiques à mettre en place un système de vérification d’âge, pas juste le disclaimer « âge 18 ans : oui ou non », ce n’est pas que du déclaratif. Maintenant, les sites pornographiques doivent mettre en place un système qui va vérifier que celui qui dit « j’ai 18 ans » a vraiment 18 ans.
Vanessa Perez : Certains oui, certains non. C’est la loi.
Justine Atlan : C’est la loi. En revanche, depuis quatre ans que cette loi existe, aucun site pornographique n’a mis en place ce système. Donc, factuellement, ces sites ne respectent pas la loi. Quand on ne respecte pas la loi, on devient illégal. À partir du moment où ils sont illégaux, ils doivent donc être bloqués, comme tous les sites qui sont considérés comme illégaux en France pour plein de raisons différentes. Mais on est dans un État de droit, donc, pour pouvoir bloquer des sites, il faut qu’on ait une décision de justice qui constate effectivement que les sites ne respectent pas la loi, que la justice considère qu’ils sont illégaux, et qu’elle oblige les fournisseurs d’accès à internet à bloquer ces sites-là en France.
Nous avons effectivement, en France, fait une action en justice, depuis trois ans maintenant, en demandant à la justice de constater l’irrégularité de ces sites. La justice a eu du mal. En fait, je pense que la justice a eu peur d’être interprétée comme un censeur en obligeant effectivement le blocage de sites pornographiques alors que, pourtant, c’était juste constater un non-respect de la loi. Heureusement, au bout de trois ans d’efforts, après avoir été rejetés différentes fois, nous avons enfin gagné il y a quelques mois. Il y a donc à peu près un mois, la justice a effectivement obligé quatre sites à ne plus être accessibles, en France, tant qu’ils n’ont pas mis un système de vérification d’âge.
Parallèlement, heureusement, il y a effectivement eu une pression des acteurs du gouvernement français pendant un certains temps et, heureusement surtout, un développement des techniques de vérification d’âge qui, sous cette pression-là, à la fois judiciaire et politique, a beaucoup avancé. Un marché de la vérification d’âge s’est donc ouvert, beaucoup d’acteurs ont créé des solutions. Aujourd’hui, il existe donc plein de solutions, ce qui ne permet plus aux sites pornographiques de dire « on ne sait pas comment faire. Je pense vraiment que là on est tout près d’être vraiment dans un système où, enfin, les sites pornographiques qui proposent des systèmes de vérification d’âge vont tout à fait être accessibles en France, parce que c’est la loi et c’est bien normal, et tous ceux qui ne le font pas vont être tout simplement inaccessibles, bloqués. Mais aujourd’hui, on n’y est pas encore, mais franchement, on n’est pas loin !
Vanessa Perez : Justine, pour conclure, quel le statut de votre combat aujourd’hui ? Où en êtes-vous ?
Justine Atlan : Je suis très obsédée par la vérification d’âge ; c’est vraiment mon totem. Pourquoi ? Parce que, aujourd’hui dans le numérique, tant qu’on ne vérifie pas l’âge, ça veut dire qu’on n’est pas capable d’identifier un enfant sur Internet. Donc, tant qu’on n’est pas capable d’identifier un enfant, ne peut pas le protéger. Ça veut dire qu’aujourd’hui, sur Internet, les enfants sont dans une masse globale complètement floue, où ils sont traités comme des adultes. Tant qu’on n’aura pas résolu ça, on ne pourra pas les protéger. Mais vous verrez que le jour où on arrivera à faire ça, ils vont être mécaniquement très rapidement très bien protégés, parce que tous les acteurs industriels, les réseaux sociaux, les plateformes, les opérateurs, etc., ont tous déjà préparé, construit énormément de systèmes qui sont prêts à les encadrer. Donc, ça va être, je pense, une révélation et je pense qu’on se demandera « mais comment a-ton fait pendant 20 ans, 25 ans, pour ne pas faire comme ça ? », parce que ce n’est pas si compliqué. Mais ça suppose que tous les adultes vont être d’accord, tous ensemble, pour faire une petite action supplémentaire qui va être de donner son âge pour pouvoir protéger tous les enfants. C’est une responsabilité collective des adultes, ce n’est pas aux enfants à le faire, c’est à nous, adultes, de le faire pour eux. Parlez-vous, échangez autour du numérique, parce que c’est un monde formidable qui permet aussi beaucoup aux adolescents de s’épanouir.
Vanessa Perez : Merci beaucoup, Justine Atlan. Je rappelle que vous êtes directrice générale de l’association e-enfance.
Le numérique pour tous, c 'est fini pour aujourd’hui. N’hésitez pas à nous retrouver en podcast et sur l’application Sud Radio. Vous êtes de plus en plus nombreux à nous télécharger et nous vous en remercions. Je vous souhaite une excellente fin de journée et je vous dis à la semaine prochaine.