L'inclusion numérique pour (re)donner la capacité d'agir aux citoyens

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Titre : L'inclusion numérique pour (re)donner la capacité d'agir aux citoyens

Intervenants : Armony Altinier - Christine Constant - Perrine Tanguy - Typhaine Brigand de Poret

Lieu : Podcast Déclics Responsables

Date : 10 janvier 2024

Durée : 34 min

Podcast

Présentation du podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Diverses voix off : Je vous propose un gros plan sur l’exclusion numérique avec ce chiffre : 13 millions de personnes sont en situation d’illectronisme dans notre pays, démunis face aux ordinateurs et à Internet. Elles ont, évidemment, difficilement accès aux services publics pour les aider.
On dit qu’il y a un Français sur deux, en réalité, qui n’est pas à l’aise avec le numérique. Un quart des personnes de 60 à 64 ans ne pratiquent pas l’informatique. Et les jeunes, dont on pourrait penser, compte tenu de ce qu’ils sont très usagers des réseaux sociaux, qu’ils se sentiraient davantage à l’aise avec le numérique, eh bien il n’en est rien. On dit qu’il y a également un quart des 18-24 qui sont complètement démunis pour mener à bien une démarche administrative.
Tu imagines ta vie aujourd’hui sans Internet ?
Faute d’argent ou de compétences informatiques, de nombreuses personnes sont déconnectées, des exclus du numérique, ce sont les personnes âgées, les non diplômés et les foyers à bas revenu.
Je vais vous créer une boîte mail La Poste, c’est une boîte qui est assez facile d’accès.
C’est devenu l’étape incontournable avant toute démarche administrative, la création d’une adresse mail.
C’est vraiment un vecteur pour avoir un impact social.
Observe, certes, que ça répond à un besoin, mais qu’on est à la fois encore loin de la cible sur le nombre de personnes qui ont besoin d’être accompagnées pour accéder aux services publics, et puis que ça ne remplace pas complètement, non plus, la réalité de l’interaction que vous avez avec un service public lorsque vous êtes à un guichet, que vous avez une question sur le droit que vous avez à la retraite, aux prestations de Pôle emploi, à la sécurité sociale.

Perrine Tanguy : Bonjour, nous sommes Perrine Tanguy et Tiphaine Brigand, productrice et animatrice du podcast Déclics Responsables, le podcast qui met à l’honneur les initiatives responsables dans le secteur du numérique.
Bienvenue dans une nouvelle saison de Déclics Responsables, réalisé en partenariat avec l’Impact Tank, le premier think-and-do tank européen dédié à la valorisation et la mise à l’échelle d’innovations sociales à impact positif. Cette saison a pour volonté de porter haut et fort les enjeux de l’inclusion numérique en s’appuyant sur les réflexions d’un groupe de travail dédié, lancé par l’Impact Tank. Le groupe de travail réuni un collectif, le collectif Inclusion numérique, formé dans le but de définir les clés de succès des initiatives d’inclusion numérique mises en œuvre en France depuis plus de 20 ans et fournir un rapport de recommandations concrètes aux pouvoirs publics.

Voix off : Déclics Responsables

Perrine Tanguy : Avant toute chose, Tiphaine et moi avons demandé aux invitées de se présenter.

Armony Altinier : Je m’appelle Armony Altinier. Je suis la fondatrice et présidente de la société Koena, une entreprise sociale spécialisée dans l’accessibilité numérique.

Christine Constant : Je m’appelle Christine Constant. Je travaille au conseil régional Hauts-de-France. Le titre de la fonction que j’occupe c’est conseillère technique en matière d’inclusion numérique, de lutte contre l’illectronisme et aussi des questions de coordination des politiques d’illettrisme au sein du conseil régional Hauts-de-France.

Perrine Tanguy : Pour rentrer dans le vif du sujet, nous avons voulu commencer par interroger Armony et Christine sur leur définition du concept de capacitation citoyenne.

Christine Constant : Je suis avant tout quelqu’un de terrain. Quand je vais voir les habitants de cette région, je comprends que c’est important pour eux d’être dans un sentiment d’appartenance à un collectif. C’est, je pense, un des premiers piliers de cette capacitation citoyenne.
Le deuxième pilier, quand je discute avec eux, c’est cette capacité à agir : là où on est, comment on peut agir, en tant que citoyen, avec ce qu’on est et avec ce qu’on fait. C’est prendre aussi les citoyens là où ils sont pour les accompagner là où ils veulent aller. Cette capacitation citoyenne part dans tous les domaines, que ce soit, bien sûr, l’exercice de la démocratie, évidemment ; c’est ne pas subir son environnement, c’est agir sur son environnement, s’interroger sur ce qu’on fait, notamment avec le numérique, sur la sécurisation de ses propres données ; c’est comprendre ce qui nous entoure ; c’est aller chercher une information sur Internet, et pas seulement aller la chercher, c’est la vérifier, ça fait partie d’une démarche et de cette capacitation citoyenne. C’est être pleinement ce que je suis et ce que je fais au sein d’un collectif qui s’appelle la société.
Bien sûr, pour améliorer son lien social, pour se soigner, pour trouver un emploi, pour voyager, pour ne pas subir et agir vers les nouvelles formes de travail.

Armony Altinier : Ma définition personnelle de la capacitation citoyenne, pour laquelle je n’ai pas fait de recherches, signifie donner le pouvoir d’agir aux citoyens, qu’ils soient acteurs et actrices de leur propre vie. C’est pour ça que ça m’intéressait de participer à ce podcast puisque, comme je le disais, personnellement, je fais de l’accessibilité numérique. Ça signifie que tout ce qui est numérique est conçu et développé pour que les personnes handicapées puissent l’utiliser. Or, le handicap, c’est le premier motif de saisine du Défenseur des droits en matière de discrimination, depuis des années. Et justement, sans accessibilité, il n’y a pas cette capacitation d’agir. On ne peut pas être acteur, actrice, de ses propres déplacements, de ses études, de son travail, de quoi que ce soit, si l’environnement dans lequel on est n’a pas été pensé pour inclure aussi les personnes handicapées. Et quand je dis « nous », c’est parce que je suis moi-même aussi en situation de handicap et c’est ce qui m’a amenée, en fait, à l’entrepreneuriat pour créer au départ mon propre emploi.

Perrine Tanguy : On a cherché à savoir en quoi l’inclusion numérique permet de donner, ou de redonner, la capacité d’agir au citoyen.

Armony Altinier : J’adore le mot inclusion et, en même temps, je suis très prudente, parce que j’entends énormément de gens qui emploient le mot inclusion à tort et à travers sans jamais prendre en compte l’accessibilité. C’est un peu fourre-tout. C’est tellement devenu à la mode que,, pour montrer à quel point ça ne veut tellement rien dire, j’ai tendance à prendre l’exemple du moment où les Talibans sont arrivés au pouvoir en Afghanistan et qu’ils ont parlé de gouvernement inclusif. Donc, pour moi, il n’y a pas d’inclusion sans accessibilité. C’est pour cela que je fais quand même la distinction des deux et je trouve que c’est beau l’inclusion, à condition qu’on n’exclue pas certaines personnes dans le lot.
Pour moi, l’inclusion devrait être l’objectif politique et social, c’est-à-dire que toutes les personnes – c’est tiré de l’article un de la Déclaration universelle des droits humains –, tous les êtres humains sont censés naître et demeurer libres et égaux en droits et en dignité, sauf que, comme on le fait, toute la société n’est pensée que pour certaines personnes, qui ont certaines capacités. Donc, l’inclusion, c’est un peu synonyme de faire société, ça devrait être, en fait, un des piliers pour faire société et ce n’est possible que si, à la base, tout est réellement accessible. J’insiste parce que c’est un sujet et une obligation légale depuis 2005 – on est en 2023 au moment de ce podcast – et c’est une catastrophe en France, ce qui n’est pas le cas partout dans le monde, c’est vraiment en France en particulier. Il y a quand même un fait culturel, politique. Il y a pire que nous, bien sûr, on peut toujours trouver pire, mais il y a aussi beaucoup mieux. Il y a donc, quand même, une vraie résistance en France sur ce sujet où tout le monde est d’accord pour dire que le handicap, l’accessibilité, c’est important, prendre en compte le handicap, etc., mais personne n’est jamais d’accord pour prendre ses responsabilités dans la conception et la production d’environnements, qu’ils soient physiques ou numériques. J’espère, d’ailleurs, que ce podcast sera transcrit pour nos auditeurs et nos auditrices sourdes par exemple.
C’est vrai que mon domaine c’est plus l’accessibilité numérique, mais, de manière générale, c’est souvent lié, c’est-à-dire que les personnes qui s’intéressent politiquement à prendre en compte l’accessibilité le font dans le domaine physique et numérique, on pense évidemment à certains pays comme les pays du nord, la Suède. En termes d’accessibilité numérique, la Grande-Bretagne avait fait des choses aussi. Je sais que Barcelone est vraiment bien accessible ; c’est rien comparé à Paris, qui est une catastrophe et, avec Paris 2024, c’est très inquiétant de savoir comment les personnes vont pouvoir venir, ce qui soulève aussi un problème quotidien pour les personnes qui habitent à Paris et en région parisienne. Ce n’est pas difficile de faire beaucoup mieux !
Maintenant, je pense que c’est vraiment une histoire de volonté politique et la plupart des gens ne disent jamais non – je n’ai jamais entendu quelqu’un dire qu’il ne veut pas rendre accessible –, mais ils n’ont pas le temps, ça ne rentre pas dans les plannings, ce n’est pas la priorité, peut-être demain, on voudrait bien, mais on n’a pas les moyens. En fait, c’est un problème de changement complet de vision qu’il faudrait avoir en se disant : est-ce que c’est acceptable, quand je fais un site web et que ça ne marche pas au clavier, par exemple, ou au lecteur d’écran pour les personnes aveugles ? Du coup, ça veut dire que je fais un site web pour les personnes valides. Maintenant, il faut l’assumer. Après, c’est un choix, mais il faut aller au bout des choses. Donc, c’est de la discrimination ! C’est pour cela que c’est bien de parler de l’inclusion, mais je suis vraiment pour qu’on la mette en œuvre concrètement, au quotidien aussi. Tout le monde peut faire quelque chose. Mais on ne pourra pas faire les choses à moyens constants, sans rien changer de nos habitudes, de nos pratiques, sans rien bouleverser. Ça n’existe pas. C’est comme pour l’écologique, j’ai envie de dire que c’est la même dynamique.

Christine Constant : Aujourd’hui, je pense, que les politiques d’inclusion numérique pour accompagner le citoyen, existent, elles sont identifiées, voire renforcées dans certains territoires. Chez nous, dans la politique régionale Hauts-de-France, ce sont vraiment deux piliers, il y en a d’autres : trouver un emploi, agir vers l’emploi et agir vers la citoyenneté. Je vais peut-être développer la deuxième partie.
Pour ces politiques, j’allais dire vis-à-vis du citoyen et de l’habitant, bien sûr trois piliers.
On avait l’aménagement du numérique du territoire. Quand je dis « on avait », c’est que cette question d’aménagement numérique du territoire, pour que chaque habitant puisse avoir accès à un réseau, avoir une connexion, n’est plus une problématique, elle est complètement en fin de développement sur le territoire Hauts-de-France. La question, après, c’est comment on finance cette fibre quand on est un citoyen en difficulté. Je reviendrai là-dessus.
C’est l’accès à un matériel. Être citoyen, c’est avoir aussi cette capacité à utiliser un ordinateur pour aller chercher une information, on en parlait tout à l’heure. C’est donc toute une politique vis-à-vis du reconditionnement, du réemploi des ordinateurs pour les publics les plus fragiles.
Et c’est l’accès, bien sûr, à des services de médiation numérique. On a peu à près 2000 lieux de médiation numérique en région Hauts-de-France, on les développe, on les monte en puissance et en qualité avec toute une série de politiques publiques.
Pour renforcer tout ça, on a déclaré cette question d’inclusion numérique d’intérêt général en région Hauts-de-France, puisqu’on a créé un service d’intérêt économique général, qui a été adopté en janvier 2022, qui permet, bien sûr, de rendre lisible cette politique et de pouvoir monter la recherche de financements publics, qu’ils soient européens, nationaux ou régionaux et d’affecter des fonds conséquents tout en ayant, bien sûr, un vecteur juridique sécurisé. Nous sommes donc arrivés à monter quelques SIEG [Services d’intérêt économique général] en mobilisant des fonds européens à la hauteur des besoins, j’exagère un peu en disant « à la hauteur des besoins », mais on a mobilisé à peu près 15 millions d’euros sur ce sujet-là.
Nous sommes fiers d’avoir déclaré d’intérêt général cette inclusion numérique et la lutte contre l’illectronisme en région Hauts-de-France. L’idée de l’exécutif régional, c’est de ne pas laisser un seul habitant, un seul citoyen au bord du chemin et ne pas créer de nouvelles fractures et de nouvelles difficultés face à l’évolution du numérique.

Perrine Tanguy : On a ensuite cherché à comprendre quels bénéfices chacun pourrait tirer de ces actions.

Christine Constant : J’en viens aussi aux perspectives. Le bénéfice de tout ça, c’est que cette politique inclusion, dont je viens de parler, est une politique qui essaye d’accompagner le citoyen vers un niveau d’usage du numérique. On a peut-être aujourd’hui, grâce à ces politiques qui commencent à se stabiliser, cet écosystème qu’on a créé en région avec plein d’associations – je ne vais pas toutes les citer, mais on a vraiment toute une série d’acteurs publics et parapublics qui œuvrent ensemble pour cette question-là –, cette opportunité de repenser la transition numérique comme à un vrai levier d’innovation et de la relation aux citoyens et aux collectivités.
Aujourd’hui, on a la démilitarisation de tout un service public et toute une série de services innovants qui se mettent en place dans les collectivités qui ne sont pas forcément pensés en fonction du citoyen. L’idée, c’était qu’une meilleure accessibilité à ces services soit un facteur d’innovation pour repenser les politiques publiques qu’on propose aux citoyens. Cela réinterroge vraiment et je crois beaucoup à ce vecteur d’innovation qui va être, dans les années à venir, quelque chose d’important. C’est, bien sûr, s’occuper du citoyen, de celui qui est éloigné et mettre au bon niveau, au bon endroit, des services de qualité et de médiation pour faire en sorte que chaque citoyen en trouve à proximité. Il faut continuer, mais, j’allais dire, de l’autre côté de la barrière, du côté de l’offre, réfléchir à simplifier les choses. Nous parlions, l’autre jour, avec une collectivité, très concrètement : le citoyen a une carte déchets, une carte pour la cantine scolaire, une carte pour un autre service de la commune. Pourquoi ne pas repenser les services de la commune au profit d’une simplification qui permettrait au plus grand nombre de pouvoir accéder aux services numériques ? Ce facteur d’innovation, c’est une opportunité.
Ensuite, c’est peut-être aussi, j’allais dire maintenant que toutes les structures, en tout cas pour nous dans les Hauts-de-France, sont à peu près identifiées sur cette question-là, c’est de repenser commun, créer bien sûr les communs numériques, une vision commune, donc dans une gouvernance commune. Ça permet, j’allais dire, d’aller encore plus loin vis-à-vis du citoyen. C’est pour cela qu’en région Hauts-de-France, nous avons créé des feuilles de route du numérique, il y en a une par EPCI [Établissement public de coopération intercommunale], actuellement 70 EPCI ont une feuille de route du numérique. Dans cette feuille de route, l’inclusion numérique est dans cette feuille de route et elle est pensée en même temps que le développement des services numériques de la collectivité sur l’innovation, la gestion de l’eau ou autre. L’inclusion numérique est vraiment un des piliers de ces feuilles de route et c’est très important bien sûr vis-à-vis des habitants, mais aussi vis-à-vis des agents dans les services publics, c’est-à-dire comment, aujourd’hui, les agents d’une commune ou d’un EPCI sont au bon niveau de formation, justement pour apporter quelque chose, une valeur ajoutée au citoyen par rapport à ses besoins.
C’est encore un des vecteurs qu’on souhaite développer. C’est indiqué dans ces feuilles de route et on travaille avec chaque EPCI du territoire pour aller beaucoup plus loin dans cette démarche-là.
Le résultat qu’on espère dans tout ça, c’est que tout ce qu’on met en place dans ces feuilles de route dans chaque EPCI, dans ce SIEG, dans ces fonds publics, c’est d’essayer d’avoir, tout simplement, une amélioration du service rendu au citoyen et que le citoyen puisse s’y retrouver et aussi agir de son côté, bien sûr en pouvant trouver du matériel, trouver des réseaux et réfléchir ensemble, c’est très important. Il faut que les citoyens soient dans la gouvernance et que, dans ces gouvernances, on trouve aussi de nouveaux modèles économiques et que le citoyen soit complètement impliqué dans l’élaboration de solutions par rapport à ses besoins.

17’ 52

Armony Altinier : Je trouve que ce serait un monde tellement plus apaisé, tellement plus agréable. Pour ce qui est de l’accessibilité, on a souvent tendance à penser aux effets induits de l’accessibilité pour les personnes non handicapées en disant, par exemple, un ascenseur, une rampe, si je suis en fauteuil, c’est utile, si je suis avec une poussette, chargé ou fatigué, c’est utile aussi. C’est un peu le principe essentiel pour certains, utiles à toutes et tous, c’est le concept de conception universelle, design for all qui bénéficie vraiment à toutes et tous. Donc, de toute façon, c’est positif à chaque fois pour tout le monde. Mais surtout, c’est vraiment une question qu’on doit se poser aujourd’hui plus que jamais. Quand je disais « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité », on est là en fait : est-ce que tout le monde devrait avoir les mêmes droits ou pas ?, et là, la question, c’est dans quel monde veut-on vivre ? J’ai envie de vivre dans un monde où tout le monde a sa chance et où c’est tellement plus agréable et plus riche de découvrir d’autres façons de penser, d’autres manières d’interagir avec le monde. Avec la montée des problèmes écologiques, on parle même de donner des droits aux animaux, aux non-humains, mais là, on n’en est même pas à l’égalité au niveau des humains. Je pense donc que ce serait bien de repenser tout ça, et c’est un énorme changement, c’est certain.
Il y a eu des accords internationaux là-dessus. Il y a une convention internationale qui s’appelle la Convention internationale des droits des personnes handicapées, des Nations-Unies, qui est une des plus ratifiées. Il y a donc quand même un consensus sur le fait que, oui, les personnes handicapées sont des êtres humains et, oui, elles devraient les mêmes droits que tous les autres êtres humains, mais cela a un impact extrêmement fort sur la responsabilité. On est passé du modèle médical du handicap où les personnes qui avaient une maladie, une déficience, avaient un problème, donc on devait les aider ; c’est plutôt le modèle de la charité ou médical, ce qu’on appelle le modèle médical – du coup, c’était la responsabilité sur la personne –, à ce qu’on appelle le modèle social du handicap : les personnes sont parfaites comme elles sont, elles sont très diverses.
Ça me fait toujours rire quand j’entends parler de personnes en « situation de handicap ». J’ai plutôt envie de parler de personnes en situation de validité, c’est peut-être plus juste. Du coup, à qui revient la responsabilité ? À toutes les personnes, à tout le monde. En fait, c’est à chacun de concevoir le monde en se disant : il n’y a pas que moi dans ce monde-là, comment je fais pour prendre en compte la diversité des situations et que tout le monde puisse participer.
C’est un mot que je vais prononcer dans le podcast, parce qu’il n’est pas assez prononcé en France, c’est le mot « validisme ». Le validisme, c’est la discrimination à l’encontre des personnes handicapées, c’est justement quand on pense le monde pour et par des personnes valides. Tout est conçu là-dessus, du coup, si on ne rentre pas dans une espèce de modèle standard – d’ailleurs, en général, il est aussi très masculin, très blanc, très jeune, très valide –, si on ne rentre pas dans ces standards-là, on est complètement exclu, discriminé, mis de côté. Je pense donc que c’est un mot qu’il faut faire connaître aussi, puisqu’on ne peut pas combattre quelque chose qu’on ne nomme pas. Donc, le validisme, c’est aussi un moyen de capacitation personnelle pour les personnes handicapées, de déconstruire un petit peu ce qui est perçu comme une fatalité ou montré comme une fatalité en disant « désolé, on ne peut pas, tu es en fauteuil ! ». En fait, ce n’est pas qu’on ne peut pas, on ne veut pas. On pourrait. On pourrait faire les choses autrement, il n’y a donc pas de fatalité là-dedans.

Perrine Tanguy : Comme dans chaque épisode de cette série, en partenariat avec l’Impact Tank, nous avons demandé à nos invitées de nous présenter des projets coup de cœur qui vont dans le sens de l’inclusion numérique.

Armony Altinier : Il y a plusieurs petites initiatives que je trouve intéressantes parce que beaucoup de choses se passent dans l’actualité de l’accessibilité numérique. En cours, pas plus tard que le 8 septembre dernier, il y a une modification législative dans le cadre d’une transposition d’une directive européenne qui entre en vigueur pleinement le 28 juin 2025, donc tout cela est vraiment en train de bouger, justement pour mettre enfin en œuvre, concrètement, l’accessibilité numérique.
Là-dessus j’aimerais bien citer l’Observatoire du respect des obligations d’accessibilité numérique qu’a sorti la Fédération des Aveugles de France, une association, qui a fait un audit sur 2194 sites, qui montre que seulement 68 respectent leurs obligations d’affichage. Mais, c’est pire que ça : seulement 17 sur les 2194 audités, c’est-à-dire 0,77 %, déclarent être actuellement pleinement en conformité avec la législation. On est donc très loin. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils l’ont sorti, je crois, le 28 juin, justement, à deux ans de l’entrée en vigueur des nouvelles législations pour voir si ça allait pouvoir augmenter ou pas. Je pense que c’est intéressant de s’y pencher. J’en profite, une deuxième, parce que c’est sorti il n’y a pas très longtemps, un appel de l’association Valentin Haüy à se créer un compte, si ce n’est déjà fait, sur la plateforme citoyenne de la Cour des comptes pour soutenir deux propositions qui visent à intégrer le contrôle du respect de l’accessibilité numérique – parce que la Cour des comptes fait des contrôles – dans les missions de la Cour des comptes. C’est vraiment en cours, on peut encore créer un compte, on peut encore aller voter là-dessus pour que, du coup, la Cour des comptes puisse se saisir de ces propositions.
L’accessibilité, l’inclusion, c’est un sujet qui est très transversal, ce n’est donc pas une autorité magique, externalisée, qui va pouvoir le prendre. Comme je le disais, c’est vraiment une façon de concevoir et de développer. Ça peut être un podcast, ça peut être un site web, ça peut être un bâtiment, c’est changer tout ça. C’est donc quelque chose de très transversal et on a besoin, à plusieurs endroits, que plusieurs institutions puissent faire ce rôle de contrôle, de rappel et de sensibilisation.

Christine Constant : Un des piliers de notre SIEG, c’est d’atteindre tous les citoyens, quelle que soit leur situation et leur position, par rapport à cette politique, positivement. Un chef d’une petite entreprise, directeur d’association, une personne en situation de fragilité sociale, mais il y a quelque chose qui nous intéresse au plus haut point, pas au détriment des autres, c’est la jeunesse. C’est quelque chose qui nous intéresse beaucoup et tout ce qu’on peut faire sur la question de l’inclusion numérique et de la jeunesse, on le fera.
L’indice de fragilité numérique que nous avons en région indique bien qu’une partie de notre population jeune est en difficulté vis-à-vis du numérique et il faut rattraper tout ça. On a mis en place des politiques d’éducation au numérique, notamment avec des structures comme le CRAJEP [Comité Régional des Associations de Jeunesse et d’Éducation Populaire], comme l’École Supérieure de Journalisme avec qui on a un partenariat, qui accompagne l’éducation au numérique au niveau des médias. Cette partie d’éducation au numérique nous intéresse énormément, pour que, justement, le jeune devienne et soit un citoyen. On a donc un programme qui s’appelle ECN [Éducation à la Citoyenneté Numérique], notamment avec le CRAJEP, qui traite aussi des questions de formation des acteurs qui sont proches des jeunes et des jeunes sur les questions des biais algorithmiques, la mobilisation vis-à-vis du numérique en tant que citoyen.
Si je devais citer des exemples, il y a aussi les centres sociaux, le concept des centres sociaux connectés avec qui on travaille.
L’éducation numérique pour préparer les citoyens de demain nous paraît vraiment une des priorités sur le sujet qui nous intéresse, dont on parle aujourd’hui, qu’est la citoyenneté.

Perrine Tanguy : Enfin, on a demandé à Christine et Armony de nous partager leur vision de l’avenir du numérique et, plus particulièrement, de l’inclusion numérique.

Christine Constant : Si je savais ! En tout cas, je sais que je voudrais vraiment que dans cinq ans tout le monde se soit dit que la question de l’inclusion numérique n’est pas l’affaire d’une structure publique, parapublique. Si on aboutit à ça en disant que chacun a sa petite part du boulot, que chacun est concerné par ce sujet, là où il est pour pouvoir agir, je pense qu’on aura fait un grand pas, notamment sur des partenariats public/privé, sur des questions de fiscalisation, défiscalisation, le principe aussi du pollueur/payeur. Que chacun puisse être bien conscient qu’investir dans l’inclusion numérique, c’est investir dans l’innovation des pratiques et que tout le monde peut s’y retrouver. C’est mon vœu le plus cher. Que chacun puisse dire « j’ai fait ça sur l’inclusion numérique. »
Puis trouver un petit peu de fonds. La question de l’aménagement du numérique, on en parlait : dans les cinq ans la France sera, en tout cas je l’espère, complètement fibrée. Et peut-être qu’une partie de ces fonds dédiés à l’aménagement du numérique pourrait être affectée à l’usage du numérique.
On peut agir aussi en modifiant son accessibilité, j’en parlais tout à l’heure, qu’à cinq ans tout le monde ait repensé aussi l’accessibilité au numérique, pas seulement par rapport à l’accompagnement du citoyen, mais ait réfléchi à comment il pouvait rendre ses services publics et parapublics accessibles, faire un bout de chemin et que tout le monde s’y soit retrouvé entre la montée en compétences des gens et l’accessibilité de l’autre côté.
Et continuer des politiques publiques vis-à-vis des cibles les plus vulnérables, celles qui ont besoin, et se dire qu’on se fait confiance, parce que, j’allais dire, l’inclusion numérique est un puits sans fond, dans le sens où le numérique évolue tout le temps, il faut donc une adaptation en permanence des habitants. Je pense donc qu’il faut ancrer cette question d’inclusion numérique dans la totalité des politiques publiques, parapubliques, privées, et que chacun puisse, je le redis, prendre sa part de responsabilité et sa part de financement dans ces questions d’inclusion numérique, que ce ne soit pas quelque chose d’exception.
Penser inclusion numérique comme on pense à d’autres politiques complètement transversales.
C’est mon vœu le plus cher : qu’il n’y ait plus de politique d’inclusion numérique, qu’elle soit complètement ancrée dans le quotidien de chacun d’entre nous, puissance publique ou puissance privée.

Armony Altinier : Je fais de l’accessibilité depuis plus de 15 ans. C’est un petit peu déprimant, ça n’avance pas très vite malgré les lois, etc., mais j’ai envie d’être plutôt positive. Le 20 septembre prochain, on fêtera l’anniversaire de la Web Accessibility Directive qui n’a pas eu tous ces effets en France puisqu’il n’y avait aucun organisme de contrôle réellement nommé. Ce qui me donne espoir, c’est qu’avec la transposition en cours d’une autre directive européenne qui s’appelle European Accessibility Act sur les produits et les services numériques, cette fois, il y a des organismes de contrôle qui sont nommés. Il y a tout un effort à faire. On a un gros effort aussi de monter en compétences en France.
Il y a aura toujours besoin de personnes qui vont aider, justement, à prendre en compte le sujet. Ce n’est pas juste qu’il suffit de vouloir, c’est aussi un sujet assez technique, où il y a des vrais enjeux et des vrais défis technologiques, où on construit, en fait. Parfois, on n’a pas de réponse, on ne sait pas tout rendre accessible, même si la grande majorité, on pourrait déjà, mais c’est vrai qu’il peut y avoir des cas. On fait pas mal de recherche et développement chez Koena. On a étudié des cas sur de la réalité augmentée, sur des choses comme ça, où il y a pas forcément de solution en soi.
Aujourd’hui, chez Koena, on fait des choses très basiques, il y en a besoin. Ce que j’espère, ce que j’aimerais bien qu’à terme on soit plus à la pointe, comme on l’est déjà, mais qu’on soit sollicité plutôt pour cette expertise assez rare. Je pense qu’on existera toujours. D’ailleurs j’en profite, on va faire une levée de fonds prochainement, pour ceux qui veulent soutenir, avec WE DO GOOD, donc une levée de fonds participative, justement pour essayer d’accompagner ce mouvement. Je pense que c’est nécessaire que tout le monde s’approprie ce sujet et je pense que Koena restera. On est sur des enjeux encore techniquement très complexes.
J’ai plutôt envie d’être optimiste et de me dire que dans cinq ans – allez, il faut y croire, et c’est vers cela qu’on tend, c’est aussi pour cela qu’on œuvre chez Koena – ce ne sera plus un sujet. Que l’accessibilité sera rentrée dans les mœurs, ce sera un métier comme un autre et on ne sortira plus un service numérique sans penser à son accessibilité et en faisant en sorte de n’oublier personne.

Perrine Tanguy : Dans cet épisode, on adresse à la fois la fracture numérique du deuxième degré, concernant l’incapacité à accéder et à maîtriser les interfaces. Ceci montre que l’accessibilité numérique est essentielle à l’inclusion. Pour vraiment réduire cette fracture, il faut faire de l’accessibilité un facteur d’innovation, afin de s’assurer que le design universel pour les services numériques soit la règle et non l’exception. Pour ce faire, il est essentiel de prendre en compte la diversité des utilisateurs et de leurs usages.
Nous abordons aussi la fracture de troisième degré, adressant le besoin de développer une maîtrise de son utilisation du numérique pour évoluer dans la société. Ceci peut prendre la forme suivante : savoir développer ses compétences et connaissances via Internet, développer un regard critique sur les contenus en ligne, protéger ses données, être en capacité de s’adapter aux évolutions numériques. Une véritable maîtrise du numérique donne une capacité d’agir dans diverses sphères de la vie. Ici, on parle de capacitation citoyenne. Pour être à son plus haut niveau de maîtrise, le numérique devient un véritable vecteur de citoyenneté. Mais est-ce vraiment le cas ?
Comme l’explique Laurence Monnoyer-Smith, cette question fait débat depuis les années 90. D’un côté, les cyber-optimistes mettent en avant les caractéristiques du Web susceptibles de revivifier les pratiques démocratiques. De l’autre, des cyber-réalistes montrent que, loin de constituer des espaces d’expression libres et ouverts, les arènes virtuelles sont, tout autant que les autres, soumises à des formes d’imposition de pouvoir accentuées par des inégalités d’accès et/ou de maîtrise de l’outil informatique. Aujourd’hui, il semblerait que ce débat fasse place plutôt à un constat d’une mutation de la participation publique avec, comme le dirait Clément Mabi, une libération de l’expression poétique.
Certes, il est plus facile d’exprimer ses opinions sur les réseaux sociaux ou de lancer une pétition en ligne pour interpeller les pouvoirs publics, voire, avec quelques tailles ??? [32 min 55], interpeller directement nos dirigeants. Pour autant, nous pourrions nous demander si ce nouvel espace de dialogue pèse réellement dans la balance démocratique, ou bien encore, si le numérique fait de nous des citoyens plus engagés. Or, il semblerait que le désengagement politique reste important. Une enquête de l’Institut Montaigne parle même d’une « désaffiliation politique d’une grande partie de la jeunesse ». Il semblerait donc qu’aujourd’hui le numérique ne favorise pas la participation citoyenne à la gouvernance, mais pourquoi ? Le niveau de compétences numériques serait-il trop bas ? Y aurait-il une trop grande désillusion politique ? Y a-t-il une réelle prise en compte des manifestations publiques dans l’espace numérique ? Ou bien encore plein d’autres facteurs ?
D’ailleurs, avec toutes ces nouvelles capacités technologiques, comment se fait-il que nous ne fassions pas de la technologie et du progrès numérique un débat démocratique ? Faire participer tout le monde au débat ne serait-il pas un moyen de faire de l’inclusion numérique une évidence dès la conception ?

J’espère que cet épisode t’a plu et t’a éclairé sur le rôle clé que joue le numérique dans la capacitation citoyenne. D’autres épisodes de cette série de podcasts, en collaboration avec Impact Tank, arrivent très bientôt pour te partager les divers enjeux et initiatives en matière d’inclusion numérique.
Pour te tenir au courant, n’hésite pas à nous retrouver sur Linkedin, ??? [34 min 10], ou sur les pages des réseaux sociaux de Déclics Responsables et de ???.
Enfin, si tu as aimé cet épisode, n’hésite pas à le partager et à mettre cinq jolies petites étoiles sur Apple Podcasts.
Je te souhaite de passer une belle journée et si, toi aussi, tu souhaites contribuer à l’inclusion numérique, tu peux voter auprès de la Cour des comptes.
À très vite.