L'inclusion numérique pour (re)donner la capacité d'agir aux citoyens

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Titre : L'inclusion numérique pour (re)donner la capacité d'agir aux citoyens

Intervenants : Armony Altinier - Christine Constant - Perrine Tanguy - Typhaine Brigand de Poret

Lieu : Podcast Déclics Responsables

Date : 10 janvier 2024

Durée : 34 min

Podcast

Présentation du podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Diverses voix off : Je vous propose un gros plan sur l’exclusion numérique avec ce chiffre : 13 millions de personnes sont en situation d’illectronisme dans notre pays, démunis face aux ordinateurs et à Internet. Elles ont, évidemment, difficilement accès aux services publics pour les aider.
On dit qu’il y a un Français sur deux, en réalité, qui n’est pas à l’aise avec le numérique. Un quart des personnes de 60 à 64 ans ne pratiquent pas l’informatique. Et les jeunes, dont on pourrait penser, compte tenu de ce qu’ils sont très usagers des réseaux sociaux, qu’ils se sentiraient davantage à l’aise avec le numérique, eh bien il n’en est rien. On dit qu’il y a également un quart des 18-24 qui sont complètement démunis pour mener à bien une démarche administrative.
Tu imagines ta vie aujourd’hui sans Internet ?
Faute d’argent ou de compétences informatiques, de nombreuses personnes sont déconnectées, des exclus du numérique, ce sont les personnes âgées, les non diplômés et les foyers à bas revenu.
Je vais vous créer une boîte mail La Poste, c’est une boîte qui est assez facile d’accès.
C’est devenu l’étape incontournable avant toute démarche administrative, la création d’une adresse mail.
C’est vraiment un vecteur pour avoir un impact social.
Observe, certes, que ça répond à un besoin, mais qu’on est à la fois encore loin de la cible sur le nombre de personnes qui ont besoin d’être accompagnées pour accéder aux services publics, et puis que ça ne remplace pas complètement, non plus, la réalité de l’interaction que vous avez avec un service public lorsque vous êtes à un guichet, que vous avez une question sur le droit que vous avez à la retraite, aux prestations de Pôle emploi, à la sécurité sociale.

Perrine Tanguy : Bonjour, nous sommes Perrine Tanguy et Tiphaine Brigand, productrice et animatrice du podcast Déclics responsables, le podcast qui met à l’honneur les initiatives responsables dans le secteur du numérique.
Bienvenue dans une nouvelle saison de Déclics responsables, réalisé en partenariat avec l’Impact Tank, le premier think-and-do tank européen dédié à la valorisation et la mise à l’échelle d’innovations sociales à impact positif. Cette saison a pour volonté de porter haut et fort les enjeux de l’inclusion numérique en s’appuyant sur les réflexions d’un groupe de travail dédié, lancé par l’Impact Tank. Le groupe de travail réuni un collectif, le collectif Inclusion numérique, formé dans le but de définir les clés de succès des initiatives d’inclusion numérique mises en œuvre en France depuis plus de 20 ans et fournir un rapport de recommandations concrètes aux pouvoirs publics.

Voix off : Déclics responsables

Perrine Tanguy : Avant toute chose, Tiphaine et moi avons demandé aux invitées de se présenter.

Armony Altinier : Je m’appelle Armony Altinier. Je suis la fondatrice et présidente de la société Koena, une entreprise sociale spécialisée dans l’accessibilité numérique.

Christine Constant : Je m’appelle Christine Constant. Je travaille au conseil régional Hauts-de-France. Le titre de la fonction que j’occupe c’est conseillère technique en matière d’inclusion numérique, de lutte contre l’illectronisme et aussi des questions de coordination des politiques d’illettrisme au sein du conseil régional Hauts-de-France.

Perrine Tanguy : Pour rentrer dans le vif du sujet, nous avons voulu commencer par interroger Armony et Christine sur leur définition du concept de capacitation citoyenne.

Christine Constant : Je suis avant tout quelqu’un de terrain. Quand je vais voir les habitants de cette région, je comprends que c’est important pour eux d’être dans un sentiment d’appartenance à un collectif. C’est, je pense, un des premiers piliers de cette capacitation citoyenne.
Le deuxième pilier, quand je discute avec eux, c’est cette capacité à agir : là où on est, comment on peut agir, en tant que citoyen, avec ce qu’on est et avec ce qu’on fait. C’est prendre aussi les citoyens là où ils sont pour les accompagner là où ils veulent aller. Cette capacitation citoyenne part dans tous les domaines, que ce soit, bien sûr, l’exercice de la démocratie, évidemment ; c’est ne pas subir son environnement, c’est agir sur son environnement, s’interroger sur ce qu’on fait, notamment avec le numérique, sur la sécurisation de ses propres données ; c’est comprendre ce qui nous entoure ; c’est aller chercher une information sur Internet, et pas seulement aller la chercher, c’est la vérifier, ça fait partie d’une démarche et de cette capacitation citoyenne. C’est être pleinement ce que je suis et ce que je fais au sein d’un collectif qui s’appelle la société.
Bien sûr, pour améliorer son lien social, pour se soigner, pour trouver un emploi, pour voyager, pour ne pas subir et agir vers les nouvelles formes de travail.

Armony Altinier : Ma définition personnelle de la capacitation citoyenne, pour laquelle je n’ai pas fait de recherches, signifie donner le pouvoir d’agir aux citoyens, qu’ils soient acteurs et actrices de leur propre vie. C’est pour ça que ça m’intéressait de participer à ce podcast puisque, comme je le disais, personnellement, je fais de l’accessibilité numérique. Ça signifie que tout ce qui est numérique est conçu et développé pour que les personnes handicapées puissent l’utiliser. Or, le handicap, c’est le premier motif de saisine du Défenseur des droits en matière de discrimination, depuis des années. Et justement, sans accessibilité, il n’y a pas cette capacitation d’agir. On ne peut pas être acteur, actrice, de ses propres déplacements, de ses études, de son travail, de quoi que ce soit, si l’environnement dans lequel on est n’a pas été pensé pour inclure aussi les personnes handicapées. Et quand je dis « nous », c’est parce que je suis moi-même aussi en situation de handicap et c’est ce qui m’a amenée, en fait, à l’entrepreneuriat pour créer au départ mon propre emploi.

Perrine Tanguy : On a cherché à savoir en quoi l’inclusion numérique permet de donner, ou de redonner, la capacité d’agir au citoyen.

Armony Altinier : J’adore le mot inclusion et, en même temps, je suis très prudente, parce que j’entends énormément de gens qui emploient le mot inclusion à tort et à travers sans jamais prendre en compte l’accessibilité. C’est un peu fourre-tout. C’est tellement devenu à la mode que,, pour montrer à quel point ça ne veut tellement rien dire, j’ai tendance à prendre l’exemple du moment où les Talibans sont arrivés au pouvoir en Afghanistan et qu’ils ont parlé de gouvernement inclusif. Donc, pour moi, il n’y a pas d’inclusion sans accessibilité. C’est pour cela que je fais quand même la distinction des deux et je trouve que c’est beau l’inclusion, à condition qu’on n’exclue pas certaines personnes dans le lot.
Pour moi, l’inclusion devrait être l’objectif politique et social, c’est-à-dire que toutes les personnes – c’est tiré de l’article un de la Déclaration universelle des droits humains –, tous les êtres humains sont censés naître et demeurer libres et égaux en droits et en dignité, sauf que, comme on le fait, toute la société n’est pensée que pour certaines personnes, qui ont certaines capacités. Donc, l’inclusion, c’est un peu synonyme de faire société, ça devrait être, en fait, un des piliers pour faire société et ce n’est possible que si, à la base, tout est réellement accessible. J’insiste parce que c’est un sujet et une obligation légale depuis 2005 – on est en 2023 au moment de ce podcast – et c’est une catastrophe en France, ce qui n’est pas le cas partout dans le monde, c’est vraiment en France en particulier. Il y a quand même un fait culturel, politique. Il y a pire que nous, bien sûr, on peut toujours trouver pire, mais il y a aussi beaucoup mieux. Il y a donc, quand même, une vraie résistance en France sur ce sujet où tout le monde est d’accord pour dire que le handicap, l’accessibilité, c’est important, prendre en compte le handicap, etc., mais personne n’est jamais d’accord pour prendre ses responsabilités dans la conception et la production d’environnements, qu’ils soient physiques ou numériques. J’espère, d’ailleurs, que ce podcast sera transcrit pour nos auditeurs et nos auditrices sourdes par exemple.
C’est vrai que mon domaine c’est plus l’accessibilité numérique, mais, de manière générale, c’est souvent lié, c’est-à-dire que les personnes qui s’intéressent politiquement à prendre en compte l’accessibilité le font dans le domaine physique et numérique, on pense évidemment à certains pays comme les pays du nord, la Suède. En termes d’accessibilité numérique, la Grande-Bretagne avait fait des choses aussi. Je sais que Barcelone est vraiment bien accessible ; c’est rien comparé à Paris, qui est une catastrophe et, avec Paris 2024, c’est très inquiétant de savoir comment les personnes vont pouvoir venir, ce qui soulève aussi un problème quotidien pour les personnes qui habitent à Paris et en région parisienne. Ce n’est pas difficile de faire beaucoup mieux !
Maintenant, je pense que c’est vraiment une histoire de volonté politique et la plupart des gens ne disent jamais non – je n’ai jamais entendu quelqu’un dire qu’il ne veut pas rendre accessible –, mais ils n’ont pas le temps, ça ne rentre pas dans les plannings, ce n’est pas la priorité, peut-être demain, on voudrait bien, mais on n’a pas les moyens. En fait, c’est un problème de changement complet de vision qu’il faudrait avoir en se disant : est-ce que c’est acceptable, quand je fais un site web et que ça ne marche pas au clavier, par exemple, ou au lecteur d’écran pour les personnes aveugles ? Du coup, ça veut dire que je fais un site web pour les personnes valides. Maintenant, il faut l’assumer. Après, c’est un choix, mais il faut aller au bout des choses. Donc, c’est de la discrimination ! C’est pour cela que c’est bien de parler de l’inclusion, mais je suis vraiment pour qu’on la mette en œuvre concrètement, au quotidien aussi. Tout le monde peut faire quelque chose. Mais on ne pourra pas faire les choses à moyens constants, sans rien changer de nos habitudes, de nos pratiques, sans rien bouleverser. Ça n’existe pas. C’est comme pour l’écologique, j’ai envie de dire que c’est la même dynamique.

Christine Constant : Aujourd’hui, je pense, que les politiques d’inclusion numérique pour accompagner le citoyen, existent, elles sont identifiées, voire renforcées dans certains territoires. Chez nous, dans la politique régionale Hauts-de-France, ce sont vraiment deux piliers, il y en a d’autres : trouver un emploi, agir vers l’emploi et agir vers la citoyenneté. Je vais peut-être développer la deuxième partie.
Pour ces politiques, j’allais dire vis-à-vis du citoyen et de l’habitant, bien sûr trois piliers.
On avait l’aménagement du numérique du territoire. Quand je dis « on avait », c’est que cette question d’aménagement numérique du territoire, pour que chaque habitant puisse avoir accès à un réseau, avoir une connexion, n’est plus une problématique, elle est complètement en fin de développement sur le territoire Hauts-de-France. La question, après, c’est comment on finance cette fibre quand on est un citoyen en difficulté. Je reviendrai là-dessus.
C’est l’accès à un matériel. Être citoyen, c’est avoir aussi cette capacité à utiliser un ordinateur pour aller chercher une information, on en parlait tout à l’heure. C’est donc toute une politique vis-à-vis du reconditionnement, du réemploi des ordinateurs pour les publics les plus fragiles.
Et c’est l’accès, bien sûr, à des services de médiation numérique. On a peu à près 2000 lieux de médiation numérique en région Hauts-de-France, on les développe, on les monte en puissance et en qualité avec toute une série de politiques publiques.
Pour renforcer tout ça, on a déclaré cette question d’inclusion numérique d’intérêt général en région Hauts-de-France, puisqu’on a créé un service d’intérêt économique général, qui a été adopté en janvier 2022, qui permet, bien sûr, de rendre lisible cette politique et de pouvoir monter la recherche de financements publics, qu’ils soient européens, nationaux ou régionaux et d’affecter des fonds conséquents tout en ayant, bien sûr, un vecteur juridique sécurisé. Nous sommes donc arrivés à monter quelques SIEG [Services d’intérêt économique général] en mobilisant des fonds européens à la hauteur des besoins, j’exagère un peu en disant « à la hauteur des besoins », mais on a mobilisé à peu près 15 millions d’euros sur ce sujet-là.
Nous sommes fiers d’avoir déclaré d’intérêt général cette inclusion numérique et la lutte contre l’illectronisme en région Hauts-de-France. L’idée de l’exécutif régional, c’est de ne pas laisser un seul habitant, un seul citoyen au bord du chemin et ne pas créer de nouvelles fractures et de nouvelles difficultés face à l’évolution du numérique.

Perrine Tanguy : On a ensuite cherché à comprendre quels bénéfices chacun pourrait tirer de ces actions.

Christine Constant : J’en viens aussi aux perspectives. Le bénéfice de tout ça, c’est que cette politique inclusion, dont je viens de parler, est une politique qui essaye d’accompagner le citoyen vers un niveau d’usage du numérique. On a peut-être aujourd’hui, grâce à ces politiques qui commencent à se stabiliser, cet écosystème qu’on a créé en région avec plein d’associations – je ne vais pas toutes les citer, mais on a vraiment toute une série d’acteurs publics et parapublics qui œuvrent ensemble pour cette question-là –, cette opportunité de repenser la transition numérique comme à un vrai levier d’innovation et de la relation aux citoyens et aux collectivités.
Aujourd’hui, on a la démilitarisation de tout un service public et toute une série de services innovants qui se mettent en place dans les collectivités qui ne sont pas forcément pensés en fonction du citoyen. L’idée, c’était qu’une meilleure accessibilité à ces services soit un facteur d’innovation pour repenser les politiques publiques qu’on propose aux citoyens. Cela réinterroge vraiment et je crois beaucoup à ce vecteur d’innovation qui va être, dans les années à venir, quelque chose d’important. C’est, bien sûr, s’occuper du citoyen, de celui qui est éloigné et mettre au bon niveau, au bon endroit, des services de qualité et de médiation pour faire en sorte que chaque citoyen en trouve à proximité. Il faut continuer, mais, j’allais dire, de l’autre côté de la barrière, du côté de l’offre, réfléchir à simplifier les choses. Nous parlions, l’autre jour, avec une collectivité, très concrètement : le citoyen a une carte déchets, une carte pour la cantine scolaire, une carte pour un autre service de la commune. Pourquoi ne pas repenser les services de la commune au profit d’une simplification qui permettrait au plus grand nombre de pouvoir accéder aux services numériques ? Ce facteur d’innovation, c’est une opportunité.
Ensuite, c’est peut-être aussi, j’allais dire maintenant que toutes les structures, en tout cas pour nous dans les Hauts-de-France, sont à peu près identifiées sur cette question-là, c’est de repenser commun, créer bien sûr les communs numériques, une vision commune, donc dans une gouvernance commune. Ça permet, j’allais dire, d’aller encore plus loin vis-à-vis du citoyen. C’est pour cela qu’en région Hauts-de-France, nous avons créé des feuilles de route du numérique, il y en a une par EPCI [Établissement public de coopération intercommunale], actuellement 70 EPCI ont une feuille de route du numérique. Dans cette feuille de route, l’inclusion numérique est dans cette feuille de route et elle est pensée en même temps que le développement des services numériques de la collectivité sur l’innovation, la gestion de l’eau ou autre. L’inclusion numérique est vraiment un des piliers de ces feuilles de route et c’est très important bien sûr vis-à-vis des habitants, mais aussi vis-à-vis des agents dans les services publics, c’est-à-dire comment, aujourd’hui, les agents d’une commune ou d’un EPCI sont au bon niveau de formation, justement pour apporter quelque chose, une valeur ajoutée au citoyen par rapport à ses besoins.
C’est encore un des vecteurs qu’on souhaite développer. C’est indiqué dans ces feuilles de route et on travaille avec chaque EPCI du territoire pour aller beaucoup plus loin dans cette démarche-là.
Le résultat qu’on espère dans tout ça, c’est que tout ce qu’on met en place dans ces feuilles de route dans chaque EPCI, dans ce SIEG, dans ces fonds publics, c’est d’essayer d’avoir, tout simplement, une amélioration du service rendu au citoyen et que le citoyen puisse s’y retrouver et aussi agir de son côté, bien sûr en pouvant trouver du matériel, trouver des réseaux et réfléchir ensemble, c’est très important. Il faut que les citoyens soient dans la gouvernance et que, dans ces gouvernances, on trouve aussi de nouveaux modèles économiques et que le citoyen soit complètement impliqué dans l’élaboration de solutions par rapport à ses besoins.

17’ 52

Armony Altinier : Je trouve