IA générative - Le grand remplacement numérique

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Titre : IA générative - Le grand remplacement numérique ?

Intervenants : Bertrand Lenotre - Damien Douani - Fabrice Epelboin

Lieu : Podcast Les Éclaireurs du Numérique

Date : 16 décembre 2022

Durée : 25 min 14

Podcast

Présentation du podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Description

Quelques jours après le choc collectif de l'arrivée de ChatGPT et DALL·E, les Eclaireurs du Numérique imaginent l'avenir possible pour les créatifs de tous horizons. Suppression, ou augmentation.

Transcription

Voix off : Les Éclaireurs du Numérique, le podcast qui décrypte les enjeux cachés d’Internet.

Bertrand Lenotre : Salut tout le monde. Bienvenue dans le podcast Les Éclaireurs du Numérique. On se retrouve chaque semaine, ou presque, pour parler de l’actualité connectée, de l’actualité qu’on ne voit pas toujours surgir à la une, à la fois des éléments du Web et des médias. Bref, de tout ce que vous avez envie de savoir, mais, parfois, vous ne saviez même pas que ça existait. Aujourd’hui, on va vous parler d’IA générative. On va le faire avec Damien Douani. Salut Damien.

Damien Douani : Bonjour.

Bertrand Lenotre : Ça va bien ?

Damien Douani : Très bien, grande forme.

Bertrand Lenotre : Damien qui n’est pas un produit issu d’une IA, malgré le fait qu’il soit très « ??? » [0 min 55] avec montre connectée. Non tu es un vrai homme !

Damien Douani : Pour l’instant, je suis tout à fait vrai, même si je dois vous le dire franchement, je vais vous faire une confidence, j’ai vu récemment un reportage sur Brut, je crois, à propos des gens qui se rajoutent des puces un peu partout pour rentrer dans une logique de cyborg, eh bien, il y a des trucs que j’ai trouvés bien sympathiques. Je me suis dit que si je n’étais pas aussi douillet peut-être bien que je me ferais mettre une puce !

Bertrand Lenotre : Et puis, à côté, il y a celui qu’aucune IA ne serait assez puissante pour inventer, c’est Fabrice Epelboin. Salut Fabrice.

Fabrice Epelboin : Salut Bertrand.

Bertrand Lenotre : On va parler des IA génératives. Vous allez me dire si la définition d’IA générative va à peu près : il s’agit de produire quelque chose, un contenu qui est basé sur des modèles déjà existants, et tout ça grâce à la puissance du deep learning. On parle de modèles, ça peut être de l’écrit, ça peut être de l’image, ça peut être du deepfake, pourquoi pas, ça peut être des fake news en termes d’écrits, mais ça peut être aussi plein de choses vraiment intéressantes. Ça peut être toutes les news qu’on lit dans la presse spécialisée, sur la bourse par exemple, qui est quasiment maintenant 100 % faite par des IA génératives ; ça peut être des médicaments, ça peut être de l’art. Bref, plein de choses.

Fabrice Epelboin : Du code informatique. Ça peut être du code informatique.

Bertrand Lenotre : Du code informatique, tout à fait, la virtualisation d’OS. Plein de choses peuvent se faire aujourd’hui qui sont absolument incroyables. Et puis, ça peut être un vélo pour Décathlon, qui est fabriqué directement par une IA, qui, ensuite, balance les infos pour la chaîne de production directement, qui sont imprimées ; les cloisons de cabine pour Airbus. Bref, les IA génératives, c’est tout ce qui n’a plus besoin d’intervention humaine pour aller pratiquement discuter directement avec la machine qui va imprimer la chose derrière, par exemple, ou la réaliser. C’est un peu ça l’idée.

Fabrice Epelboin : Je vais le dire différemment. C’est la première fois que la creative class se rend compte qu’elle va effectivement devoir faire face à l’IA et la creative class au sens le plus large qu’on puisse imaginer, ça va du graphiste aux marketeux, en passant par le journaliste, évidemment. Une large partie des gens qui gagnent leur vie en étant créatifs, en produisant quelque chose avec leur cervelle, est menacée par l’arrivée de ces IA génératives, par OpenAI.

Damien Douani : Elles sont menacées ou elles peuvent être, on va dire, augmentées.

Fabrice Epelboin : Augmentées ou menacées, c’est un vrai débat. Augmentées ou menacées, pour l’instant, ce qu’on voit, en termes d’usage, ce sont plutôt des gens qui font partie de cette creative class, on a de bons exemples, qui font joujou avec l’IA et qui se rendent compte, les uns après les autres, que, effectivement, augmentée ou effacée, c’est vraiment le débat qui se pose face à cette nouvelle génération d’intelligence artificielle.

Damien Douani : Complètement. C’est assez bluffant. Les gens qui nous écoutez, si vous n’avez pas joué à ça, vous pouvez taper dans Google, vous tapez « IA générative » et vous allez trouver des tombereaux d’informations autour de tout ce qui est texte. C’est ce que tu disais, Bertrand, les textes, c’est le premier truc qui vient en tête, notamment lorsque le texte est très formaté, par exemple les textes autour de tout ce qui est bourse, par exemple, c’est toujours la même chose. Le canevas, on va dire, est toujours le même. Il suffit juste de remplacer les trous par les valeurs, etc. D’ailleurs, pas à la présidentielle qui vient de passer mais à la précédente, Le Monde avait utilisé une IA générative pour générer des milliers d’articles de résultats de vote dans le moindre petit patelin français. L’idée, c’était de dire qu’on ne va pas mettre un journaliste derrière chaque résultat de chaque patelin. On a ces résultats officiellement par le ministère de l’Intérieur, donc, on va générer des milliers de pages internet, ce qui fera que quand on tape, quand on cherche sa bourgade, boom !, on a un truc qui sort, qui est généré par une IA.

Bertrand Lenotre : Et c’était bien foutu.

Damien Douani : Et c’était bien foutu, mais ce n’est rien du tout par rapport à ce qui vient de sortir.

Fabrice Epelboin : On est d’accord, mais c’était déjà les prémices de l’histoire. Là, on est face à quelque chose, où on peut lui poser, par exemple, une question : « quel va être l’impact de la crise énergétique sur l’industrie aéronautique européenne ? », et il pond un article qui est vraiment d’un niveau, allez, on va dire d’un niveau d’un journaliste des Echos qui ne s’est pas trop cassé le cul.

Bertrand Lenotre : C’est ça. En fait, ce que tu pointes du doigt, Fabrice. C’est très précisément, à mon sens, ceux qui vont s’en sortir qui l’utilisent sont soit ceux qui arrivent à augmenter ce qu’ils savent déjà, soit ceux qui travaillent de manière moyenne, parce qu’ils n’ont pas le temps, parce qu’ils bâclent le truc et, dans ces cas-là, ce genre d’outil-là peut largement faire leur taf.

Fabrice Epelboin : Complètement. J’ai vu le thread d’une directrice marketing d’ une grosse boîte, qui avait fait joujou avec pendant une journée, et qui disait « ce truc est l’équivalent pour du conseil à SIO [Système d’Information et Organisation], est l’équivalent d’un junior qui a déjà deux ans d’expérience. C’est nettement supérieur à un stagiaire qui sort d’école de commerce, mais c’est l’équivalent de quelqu’un que je vais payer 50 000 balles par an dans ma boîte. » On en est là. Objectivement, c’est vrai. J’avais vu la démo et la personne avait fait faire toute une stratégie marketing, de la stratégie de base au contenu à utiliser pour faire du SIO. Effectivement, c’était un travail tout à fait décent et ça lui a demandé 20 minutes.

Damien Douani : Après il y a des erreurs. J’ai vu des gens comme Rafi Haladjian qui a créé notamment le Nabaztag, qui a fait plein d’autres choses, une application qui s’appelle Juice, il a voulu faire faire sa bio, le truc s’est planté complètement. Il est allé chercher un autre Haladjian. Il y a quand même la question de la source de données qui est importante, qualitatives et qui, aujourd’hui, n’est peut-être pas super au taquet.
Cependant, quand on s’amuse, typiquement avec ChatGPT qui est basé sur GPT 3, qui est, effectivement, un des moteurs sémantiques les plus puissants au monde en termes d’intelligence artificielle, d’un seul coup, on a l’impression enfin de parler – enfin, si je puis dire – à un chatbot intelligent, la promesse du chatbot est enfin réalisée. Mais surtout, tu te dis « et si Google se faisait contourner ? », parce que ce truc-là, avec la base de données de Google, tu poses des questions et le truc te répond de manière structurée, et c’est ça qui est fascinant.

Fabrice Epelboin : Là où ça devient fantastique, c’est que le patron de Microsoft [Satya Narayana], dont le nom m’échappe à l’instant, a clairement commencé à travailler avec ChatGPT, donc, ça va se passer. En tout cas, il va y avoir beaucoup de travail investi sur ce qui peut remplacer Google. C’est vrai qu’un truc à qui tu poses une question et qui te pond un article pour te répondre, c’est assez convaincant.

Damien Douani : On va être très clair : Google travaille depuis des années en IA. Ils ont d’ailleurs des sites sur lesquels vous pouvez aller, où ils font de la collaboration, de la coconstruction ; vous pouvez entraîner des IA. Ils travaillent sur du texte, ils travaillent sur de la génération d’images, etc. Les labos de Google sont très bons en IA. Est-ce qu’ils préparent la suite de Google comme une logique, quelque part, de prompts qu’on écrit ?

Fabrice Epelboin : Forcément !

Damien Douani : J’espère pour eux, j’espère vraiment pour eux. Mais là, ce qui est impressionnant, c’est, d’un seul coup, de voir ce truc-là sortir et dire « ah ouais ! Le futur, là, c’est clair, ça fonctionne, ça marche, c’est efficace ! ». Pour tout vous dire, je fais des chroniques, vous savez peut-être, sur une chaîne de télé qui s’appelle Sqool Tv, qui est dédiée à l’éducation et au numérique, et j’ai donc fait une chronique en utilisant Copy.ai qui est un des meilleurs outils, aujourd’hui, classés dans le copywriting. Le copywriting, pour ceux qui savent pas, en gros, en français, c’est la conception-rédaction : vous écrivez du texte qui vous aide à générer du texte, on va dire, vendeur ou accrocheur, notamment pour des sites web. Je me suis donc amusé à écrire le début de ma chronique avec Copy.ai et ça marche ! La question que j’avais posée à Copy.ai c’était, en gros, « génère-moi un texte sous forme de chronique sur ce qu’est, justement, l’intelligence générative et ce à quoi ça sert. ». Et elle m’a sorti deux/trois paragraphes assez longs, que j’ai à peine retouchés, j’ai juste rajouté un chapô, au début, pour faire l’intro de la chronique, après, j’ai copié-collé le texte et, au bout de deux minutes, j’ai dit « ce que je vais vous raconter c’est 99 % sorti d’une IA. »

Bertrand Lenotre : On comprend mieux pourquoi tu fais autant de trucs avec autant de mégas.

Fabrice Epelboin : Chut, il ne faut pas le dire ! Mais c’est vraiment ça : remplacer ou augmenter, c’est le truc que nous pose cette IA générative, qui a d’ailleurs un taux d’adoption absolument spectaculaire. ChatGPT est passé de zéro à un million d’utilisateurs en cinq jours. C’est bluffant !

Damien Douani : On parle du texte, il n’y a pas que du texte, il y a évidemment plein d’autres choses. On peut fabriquer des objets, des choses comme ça, notamment, par exemple, des prothèses avec les technologies d’impression en 3D. C’est-à-dire qu’une IA pense une prothèse et va donner les informations à l’imprimante directement ; ça se passe sans intervention humaine. Selon Gartner, il y a un truc génial : d’ici 2025, 30 % des nouveaux médicaments seront carrément issus d’IA génératives, figurez-vous, parce que les IA génératives sont capables, tout simplement, d’aller chercher des molécules organiques en se basant sur des molécules qui existent déjà. Elles en créent de nouvelles et elles créent des médicaments comme ça. C’est absolument hallucinant ! On vit là un changement de monde.

Fabrice Epelboin : Il y a cette histoire de Stack Overflow. Pour ceux qui ne connaissent pas, Stack Overflow est une espèce de grande bibliothèque de trucs et astuces pour les codeurs, vraiment une référence universelle et tous les codeurs un peu feignants, ou pas bons, ont tendance à copier-coller – c’est typiquement mon style – copier-coller de Stack Overflow. C’est une énorme communauté de codeurs. Ils se sont fait assaillir de code qui sortait de ChatGPT qui a une option pour vraiment faire du code informatique. Ils ont été obligés de virer les intelligences artificielles de la plateforme parce qu’ils commençaient à être floodés. Forcément, l’intelligence artificielle peut vraiment déborder des humains, fussent-ils nombreux. On commence donc à voir apparaître des avants signes d’une espèce de ségrégation des intelligences artificielles par rapport aux communautés humaines. Ce qui était, quand même, un thème de science-fiction total et qui commence à être une réalité. On a une première plateforme qui interdit les intelligences artificielles.

Bertrand Lenotre : Pour aller plus loin que ce que tu dis dans la lignée de cela, déjà, premier élément, c’est que ça prouve que tout ce qui est algorithmiquement faisable – on va dire que faire du code, quelque part, c’est une compréhension de langage. Mais si tu es, à nouveau, un programmeur moyen ou plutôt bon, tu peux te faire concurrencer par une machine, effectivement. La question qu’on pourrait se poser, ce que j’imagine demain, c’est avoir des produits, des sites web – je dis produits ou services, pour moi un site web est un produit ou un service, tu parlais tout à l’heure de médicaments –, à l’instar de ce qu’on a aujourd’hui sur des produits de consommation où il y a marqué « avec ou sans OGM », demain, pourquoi pas, qu’il y aurait « conçu par une IA » ou « conçu à x % par de l’IA » ou « 100 % conçu par de l’humain ». Je vous paye ce que vous voulez que, dans trois à cinq ans, on va avoir ça, on va avoir des gens qui vont dire « nous sommes des vrais humains. »

Fabrice Epelboin : Exactement comme « fabriqué à la main dans les boulangeries », on va vers ce monde.

Bertrand Lenotre : Oui ! On va aller vers ça

Damien Douani : La question qui se pose aujourd’hui clairement, par exemple en matière de divertissement, lorsqu’on regarde un petit peu ce qui se fait sur Netflix et ailleurs et qu’on voit des films qui sont des copiés-collés, scène par scène, minute par minute, de choses qui ont déjà été faites, en fait des agrégations de films qui ont déjà été faits ! Les scenarii, aujourd’hui, sont vraiment des choses qui sont millimétrées pour marcher, on se demande si ce ne sont pas déjà des IA qui sont à la manœuvre.

Fabrice Epelboin : En tout cas, c’est clair que ça pourrait être fait par des IA ; ça fait partie des creative class qui sont menacées.

Bertrand Lenotre : Alors, j’ai essayé des IA. Je vais vous raconter rapidement une petite histoire là-dessus. Mais à nouveau, tu ne vas pas créer le chef-d’œuvre du siècle qui, on va dire, sortira des clous. C’est vraiment encore humain qui va être capable de sortir le truc, cette étincelle que n’est pas encore capable d’amener vraiment l’IA. En revanche, si tu veux faire du copier-coller de trucs qui marchent, du flux de base pour Netflix, le truc moyen sur lequel tu veux faire du retour sur investissement et des producteurs, aucun problème.
Déjà, premier élément, il y a quelques années de ça, j’étais invité au MIP TV, à Cannes. Le MIP, c’est le marché international des programmes, et une partie traitait des nouvelles technologies. Il y avait une boîte, allemande je crois, qui présentait un outil qui était capable, soi-disant, d’analyser des films et dans ressortir ce qui allait marcher ou pas. Bien sûr, après, tu discutes avec eux, ils expliquent qu’ils regardent les patterns de films qui ont bien marché au box-office ; ils croisent ça et ils se disent « ce film-là a tous les éléments qui vont bien dans la dramaturgie, dans le scénario et dans le déroulé pour faire en sorte qu’il fonctionne ». Après, si les mecs jouent comme des quiches, ça ne va peut-être pas fonctionner ! Ils rajoutaient même les éléments style, le casting qui est bankable ou pas, les gens qui aiment les films avec tel acteur, etc. On peut donc faire une sorte de calibrage qui va dire, au final, « notre IA a déterminé qu’à 90 % votre film va marcher. ».

Fabrice Epelboin : C’est provisoire. À l’époque, bien sûr, tous les producteurs disaient : « Non, mon job de producteur c’est de faire ça, etc. »

Bertrand Lenotre : Eh non, ou plus vraiment, on devient un producteur remplacé ou augmenté. Et c’est à nouveau ce même débat. Aujourd’hui, Netflix a des algorithmes capables, premièrement, de nous générer des visuels, huit visuels différents, en fonction de ce qu’on aime, en fonction de notre historique sur la plateforme, il va générer un visuel qui correspond à ce qu’on aime. Si tu es plutôt film à l’eau de rose ou film d’horreur, par exemple, je n’en sais rien, il va sortir, pour le même film, un angle de vue ou une scène, ou un acteur, si tu adores tel acteur, même s’il passe trois secondes dans le film, il va te générer un visuel qui va te donner envie de regarder. On est là-dedans.

13’ 47

Damien Douani : Un mec qui tue avec une rose !

Bertrand Lenotre : On est là-dedans ! Tu parlais des films. Tu aimes les films d’horreur et les films à l’eau de rose, eh bien, dans le film, on va faire une scène – si elle existe, bien sûr, ils ne vont pas générer des trucs qui n’existent pas dans le film – par exemple avec une mariée, peut-être qu’elle va être un peu plus rouge, le côté sanguinolent mais avec une mariée.
Cela existe déjà et, aujourd’hui, on est sur cette logique-là, de recherche et d’analyse. Pour revenir sur cette histoire de scénario. Il y a quelques années, un film a été fait, qui était sur la base d’un scénario produit par une IA. Honnêtement, j’ai regardé le film, c’est imbitable, le truc part dans tous les sens, c’est du grand n’importe quoi, il n’y a pas véritablement de logique, en fait, l’IA avait ingéré plein de films de science-fiction. Ce qui est rigolo, c’est qu’ils avaient sorti un scénario et, quand on le regardait, on reconnaissait bien certains patterns de films, mais, mis bout à bout, ça ne ressemblait à rien.
Aujourd’hui, on commence à avoir des scénarios de films qui commencent vraiment à avoir de la gueule. Ce n’est pas le film du siècle, mais ça marche ! Tu as les mêmes logiques de pics, de climax, de retournements de situation, de cliffhanger, etc. Aujourd’hui, si tu arrives à nouveau à avoir une sorte de pattern de création par rapport à une logique – et c’est ce que demande Netflix aujourd’hui aux producteurs, avoir une sorte de pattern avec des cliffhanger toutes les cinq minutes, au bout de 30 ou 45 minutes, tu coupes le truc, il faut que ça finisse d’une certaine manière, etc. – si tu arrives à écrire ce pattern-là, donc le programmer, une IA peut l’utiliser.

Damien Douani : Imagine pour un film, mais imagine pour la musique ! C’est déjà en train de se passer très largement. Pour l’instant, les musiques faites par des IA ne sont pas extraordinaires. Le problème, c’est que ceux qui font vraiment de la musique qui se vend par milliards et qui utilisent des IA ne le disent pas. Je pense que beaucoup de créateurs utilisent aujourd’hui des IA.

Fabrice Epelboin : Ceci dit très honnêtement, le pire, et qui va probablement arriver très vite, c’est dans l’industrie des médias, parce que c’est vraiment quelque chose qui est parfaitement capable d’écrire un article correct. Ça ne créera pas du Mediapart, ça ne fera pas une investigation à la place d’un journaliste, mais tous les articles médias qui ne sont guère que du relais d’une information existante et d’une mise en contexte d’une information existante ou d’autres informations existantes, c’est capable de faire tout ça.

Damien Douani : Les rédactions web de tous les journaux, par exemple, qui, en général, sont faites par des gens à qui on demande 18 articles par jour, une IA le fait dix fois mieux et sans faute d’orthographe.

Fabrice Epelboin : Oui. Certains médias. On pourrait parler notamment, entre autres, du modèle de Reworld. On aime ou on n’aime pas, ce n’est pas la question, en gros, c’est un modèle qui est basé sur de la production massive, Reworld Media.

Damien Douani : Reworld Media qui est aujourd’hui le premier groupe des magazines français.

Fabrice Epelboin : Et qui pourrait être le premier groupe de magazines demain, à moins que quelqu’un d’autre prenne cette place, sans la moindre intervention d’êtres humains dans la rédaction du contenu, ou alors, vraiment, du secrétariat de rédaction, parce que, effectivement, c’est possible, c’est parfaitement possible. Donc ça arrivera.

Damien Douani : Oui, ça peut arriver. Ça arrivera ici et à d’autres endroits, à priori assez rapidement.

Bertrand Lenotre : De toute façon, à partir du moment où vous avez un groupe qui met ça et qui crée une économie autour de l’IA, tous les autres sont obligés de suivre. C’est tout simplement une question de survie.

Damien Douani : Il faut voir d’autres éléments, parce que, à nouveau, je pense que l’enjeu c’est ça : est-on remplacé ou est-on augmenté ? J’ai discuté avec quelqu’un – j’espère qu’on le recevra dans es Éclaireurs –, qui est Étienne Mineur, un designer qui crée des jeux et qui écrit aussi des livres. Il a testé justement ces outils-là et il me dit « c’est bluffant ! ». Pour lui qui est à la fois un créateur de mécaniques de jeux, de visuels, etc., il en est aujourd’hui à affiner sa manière de dialoguer avec la machine. Ce que j’imagine, c’est que, peut-être demain, pour les meilleurs, même pour les moins bons, à la rigueur. Les moins bons qui ont besoin de créer quelque chose au kilomètre, seront des gens qui auront appris à dialoguer avec la machine, un peu comme, aujourd’hui, tu apprends les Google Dorks pour pouvoir tirer vraiment parti au maximum de Google Dorks, les petites astuces pour utiliser le moteur de recherche de Google et arriver à extirper de l’info, que le moteur sait sortir des ??? [17 min 40] en général. Les meilleurs seront ceux qui arriveront à dialoguer avec la machine pour que la machine leur produise exactement ce vers quoi ils ont dans la tête, dans l’imagination, ce qui leur permettra de base pour aller encore plus loin. C’est ça qui est assez fascinant.

Fabrice Epelboin : Complètement. Jusqu’au jour où tu passeras par un implant Neuralink.

Damien Douani : Exactement ! D’ailleurs qui recoupe, on va dire, la doctrine, la vision de Elon Musk qui est de dire « soit l’IA nous tuera, soit l’IA nous augmentera » et c’est pour cela qu’il fait Neuralink en se disant « il faut que l’IA nous aide, donc je veux dialoguer au plus proche de la machine et de l’humain », d’où Neuralink.

Bertrand Lenotre : À votre avis, essayons de conclure l’émission là-dessus. Là on est face à une technologie qui est d’une disruption d’une violence vraiment inouïe, la working class est face à cette interrogation : grand remplacement ou grande augmentation ? Et, forcément, ça appelle à une forme de législation. À votre avis, combien de temps va-t-on attendre avant que le législateur, en France ou en Europe, se saisisse de ça et se dise « ouh là là, il faudrait peut-être ne serait-ce que commencer à y réfléchir », pas écrire une législation, mais juste commencer à y réfléchir.

Damien Douani : Il sera déjà trop tard, de toute façon.

Bertrand Lenotre : Je ne sais pas.

Damien Douani : Il est déjà trop tard, d’une certaine façon, on est déjà embarqué dans le process.

Bertrand Lenotre : Oui, il est déjà trop tard, mais il n’est pas trop tard, typiquement, pour que les législateurs commencent à réfléchir à la question. Je ne dis pas légiférer, c’est trop tôt, mais réfléchir à la question.

Damien Douani : Ça pose des questions derrière, il y a deux choses. D’abord, ce que je vous disais tout à l’heure, sans rigoler, le côté, comme on fait pour les OGM, dire : il y a eu de l’IA ou pas d’IA dedans. Peut-être que demain, il y aura besoin d’avoir cette distinction-là, de préciser, peut-être que des marques pourront dire « nous faisons travailler des vrais gens ». Vous savez, comme aujourd’hui on dit « les call centers sont en France et pas à Madagascar ». Demain nous auront peut-être « nous avons des vrais gens dans nos call centers, pas des IA. »

Fabrice Epelboin : Soyons clairs, les call centers c’est terminé. C’est typiquement le genre de truc qui va être exterminé par cette technologie.

Damien Douani : C’est un premier point. Peut-être que la législation pourrait dire : il faudra mentionner si vous utilisez des humains ou des IA et, ce que nous sommes en train de raconter, ce n’est pas de la SF, ce n’est pas de la science-fiction.
Deuxième élément, il y a la question du droit d’auteur qui se pose. À nouveau, j’ai dialogué, j’ai discuté avec certains créateurs qui disent : « On sait pas, on a un vrai problème. » Emmanuel Parody, que nous avons reçu, posait la question sur Twitter. Il disait effectivement que le groupe de presse entièrement par IA, c’est maintenant une vraie perspective, ça va arriver, qu’en est-il des droits d’auteur ? Parce que l’IA a quand même besoin de deux/trois couillons à l’AFP qui pondent l’information originale pour ensuite faire ses 25 déclinaisons à la place des bastonneurs des services web.

Bertrand Lenotre : Oui, parce que c’est du sample. En fait, c’est exactement ce que font les musiciens, c’est du sample de choses qui existent déjà et qu’on agrège pour faire autre chose. C’est du sample.

Damien Douani : Le truc, c’est que ce sample peut donner lieu à des créations. Tu prends le Daft Punk, c’est de l’agrégat, c’est du sample, mais elles ont, on va dire, le génie créatif de Daft Punk par-dessus. Tout cela n’a pas du tout fait s’effondrer le système de rémunération, alors que là, on n’est pas dans du sample au sens où n’a pas un petit bout de phrase de l’AFP qui a été collé à un autre bout de phrase. Tout est reformulé, donc, en termes de droits d’auteur, c’est un vrai gros challenge.

Fabrice Epelboin : C’est impossible de remonter à la source.

Bertrand Lenotre : En fait, on est sur ce que Fabrice et moi défendions, nous nous interrogions, rappelle-toi Fabrice, il y a une dizaine d’années, sur la question du remix, la question fondamentale, la question du remix culturel, des éléments culturels. Là, quand vous jouez avec Dall-E et que vous dites, par exemple « sors-moi, s’il te plaît, une affiche pour le prochain podcast des Éclaireurs du Numérique à la façon de Picasso » et que le truc est capable de le sortir, on se demande où ça s’arrête, où s’arrête l’inspiration, où s’arrête le pompage, où s’arrête la création. C’est fou, c’est juste fou !

Fabrice Epelboin : Je pense vraiment que c’est au niveau de la rémunération des droits d’auteur que ça s’arrête. À un moment, il va falloir repenser le truc à la lumière des possibilités de la technologie d’aujourd’hui et ça appelle un travail législatif de fond, mais vraiment de fond.

Damien Douani : Il y a un sujet qu’on n’a pas abordé et, pourtant, c’est un sujet qui vous passionne tous les deux, c’est la communication politique, parce que, franchement, des programmes politiques, des réactions, des textes, des communiqués de presse des partis politiques, on n’est vraiment pas loin de la communication politique gérée par des IA génératives. Il suffit de regarder comment fonctionnent, par exemple, tous les gens autour de Macron qui ont à peu près tous le même discours qui a l’air tellement formaté qu’il a l’air quasiment robotique. On n’est pas loin de la communication politique gérée par des IA.

Fabrice Epelboin : On pourrait créer toutes pièces un candidat pour les prochaines présidentielles avec un programme, des interviews.

Damien Douani : Qui serait pour ou contre le grand remplacement des IA par l’IA.

Bertrand Lenotre : Il serait à la fois pour et contre, c’est ce qui serait nouveau.

Fabrice Epelboin : II faut lui poser la question.

Damien Douani : Il serait le chat de Schrödinger, il serait quantique, en fait, il serait à la fois pour et contre et ce serait encore plus fort que Macron.

Bertrand Lenotre : Le premier candidat quantique ! Je l’annonce à la fin de ce podcast, pour ceux qui sont arrivés jusqu’ici, 20 minutes. Les Éclaireurs du Numérique annoncent prochainement, en 2030, la constitution, pour la prochaine présidentielle, d’un candidat quantique.

Damien Douani : Pour 2027.

Bertrand Lenotre : Principalement basé sur de l’IA.

Fabrice Epelboin : En 2027, c’est un peu tôt, 2032.

Bertrand Lenotre : Rendez-vous, pour un prochain podcast, en 2032, dans ce cas-là, avec, effectivement, le premier président de la République, ou une présidente, parce que l’IA, à priori, n’est pas sexuée, mais on lui demandera, qui sera élue présidente de la République française.

Damien Douani : Le premier candidat non binaire.

Fabrice Epelboin : Si, binaire pour le coup, excuse-moi, mais il est vraiment binaire. S’il y a un candidat qui sera indécrottablement binaire, ce sera celui-là.

Bertrand Lenotre : Et vous allez tous adorer, parce que, évidemment, tout son look aura été fabriqué par une IA qui prendra en compte tout ce que vous aimez voir chez un homme ou une femme politique. Ce sera merveilleux !

Fabrice Epelboin : Et puis, ça sera individualisé, chacun aura son portrait personnalisé du candidat parfait, en fonction de ses préférences, dédicacé.

Damien Douani : Exactement.

Bertrand Lenotre : Je sens qu’on va refaire un truc là-dessus en 2032 : premier candidat quantique des élections.
On a parlé des IA génératives. Je voulais juste terminer en vous signalant un truc que j’ai vu là, qui est pourtant sorti en 2021, qu’on trouve sur Canal et sur d’autres plateformes comme ça, qui s’appelle Cinq Nouvelles du cerveau. Je pense que vous avez vu ce documentaire qui est assez passionnant parce que ça pose toutes les questions d’éthique autour de ce qu’on fait avec le cerveau, dans la connaissance du cerveau et dans les ajouts possibles au cerveau. Vous avez à la fois des chercheurs qui sont très « elonmuskiens », c’est-à-dire totalement inintéressés par ce qu’il peut advenir de la race humaine, qui disent « de toute façon, nous allons être remplacés par des IA, c’est évident, nous allons tous mourir et ce n’est pas grave. » Et il y en a d’autres qui mettent un peu d’éthique, il y a notamment une discussion entre un chercheur qui est en Suisse et son fils, qui est assez passionnante parce qu’elle est vertigineuse de la non-compréhension que le père a de l’éthique du gamin de 25 ans qui, lui, fait des études sur l’intelligence artificielle. C’est assez fascinant. Ça s’appelle Cinq Nouvelles du cerveau, il faut vraiment voir ça.

Damien Douani : C’est trouvable à quel endroit ?

Bertrand Lenotre : J’ai vu ça sur Canal. Je crois que ça a été diffusé sur je ne sais plus quelle chaîne, une chaîne qui est sur le bouquet Canal au départ, puis, maintenant, on le trouve sur Canal. je pense que vous pouvez assez facilement le trouver.

Fabrice Epelboin : Ça doit se trouver sur BitTorrent !

Bertrand Lenotre : Sur BitTorrent, évidemment, tu vas le trouver parce que je vais mettre.

Fabrice Epelboin : Mets-nous ça sur BitTorrent. C’est une bonne conclusion à la culture libre et à la mort, effectivement, de l’économie, de la culture, ce qui est quand même un sujet supérieur, qui est au-delà du vol avec les anciens d’Hadopi. Cette intelligence artificielle disrupte d’une façon absolument incroyable.

Bertrand Lenotre : On termine là-dessus. Merci Damien. Merci Fabrice. La prochaine fois, va donner des conseils à Élisabeth Borne, je vous promets, parce qu’on sent qu’elle est un peu larguée là sur les histoires de coupure de courant, on va donc lui donner deux/trois conseils pour mieux s’en sortir en matière de communication. Ce sera dans le prochain épisode des Éclaireurs du Numérique. Salut à vous.

Damien Douani : À la semaine prochaine.

Fabrice Epelboin : Salut.

Voix off : Les Éclaireurs du Numérique, un podcast de Bertrand Lenotre, Damien Douani et Fabrice Epelboin. Vous avez aimé ce podcast ? Retrouvez-nous sur leseclaireursdunumerique.fr.