Émission Libre à vous ! du 3 décembre 2024
Titre : Émission Libre à vous ! diffusée sur Radio Cause Commune le mardi 3 décembre 2024
Intervenant·es : Benjamin Bellamy - Magali Lemaire - Philippe Bareille - Luigi Mistrulli - Julie Chaumard - Frédéric Couchet - Étienne Gonnu à la régie
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 3 décembre 2024
Durée : 1 h 30 min
Page de présentation de l'émission
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Déjà prévue.
NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription
Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes, bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
La ville de Paris et les logiciels libres, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme, en début d’émission, la chronique de Benjamin Bellamy sur le RGDP, le Règlement général sur la protection des données, et, en fin démission, la chronique de Julie Chaumard sur le retour d’expérience de la messagerie libre Galae.
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles et également les moyens de nous contacter.
Nous sommes mardi 3 décembre 2024, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission du jour, mon collègue Étienne Gonnu. Salut Étienne.
Étienne Gonnu : Salut Fred. Bonne émission.
Frédéric Couchet : Merci. Nous vous souhaitons une excellente écoute. [Jingle]
Chronique « Le truc que (presque) personne n’a vraiment compris mais qui nous concerne toutes et tous » de Benjamin Bellamy sur le RGDP, le Règlement général sur la protection des données
Frédéric Couchet : Nous allons commencer par la chronique de Benjamin Bellamy, « Le truc que (presque) personne n’a vraiment compris mais qui nous concerne toutes et tous ».
Benjamin est fondateur et dirigeant de la société Ad Aures, papa de Castopod et animateur du podcast Rien De Grave Patron.
Le thème du jour, le RGDP, le Règlement général sur la protection des données.
Bonjour Benjamin.
Benjamin Bellamy : Attends, excuse-moi, je referme ma gourde.
Bonjour Frédéric.
Frédéric Couchet : Aujourd’hui, tu vas nous parler de bouchons en plastique, de la planète Mars et du RGPD.
Benjamin Bellamy : Non. Là je ne te parlerai de rien du tout, car, avant tout, mes 666 partenaires et moi-même souhaitons utiliser des cookies et autres traceurs pour mesurer l’audience, pour les réseaux sociaux, pour améliorer ton expérience, pour personnaliser le contenu et mesurer sa performance, pour des publicités personnalisées, pour mesurer la performance des publicités, pour te géolocaliser précisément, pour analyser ton terminal et, pour améliorer ma chronique ! Pas de panique ! Tu peux autoriser ou refuser tout ou partie de ces traitements qui sont basés sur ton consentement ou l’intérêt légitime de mes partenaires, à l’exception, bien entendu, des cookies et traceurs nécessaires au fonctionnement de cette chronique.
C’est bon, tu acceptes tout ? Ou tu veux en savoir plus ?
Frédéric Couchet : Je veux bien en savoir plus, s’il te plaît.
Benjamin Bellamy : OK ! D’abord, il y a les fonctionnalités essentielles, ah non ça je ne te demande pas en fait. Les fonctionnalités liées aux réseaux sociaux, tu acceptes ou tu refuses ?
Frédéric Couchet : Je refuse !
Benjamin Bellamy : Je note. La mesure d’audience, tu acceptes ou tu refuses ?
Frédéric Couchet : Je refuse !
Benjamin Bellamy : Je note. Les fonctionnalités liées à l’amélioration de ton expérience, tu acceptes ou tu refuses ?
Frédéric Couchet : Je refuse !
Benjamin Bellamy : Je note. Personnaliser le contenu éditorial et mesurer sa performance, tu acceptes ou tu refuses ?
Frédéric Couchet : Je refuse !
Benjamin Bellamy : Je note. Personnaliser les publicités et mesurer leur performance, tu acceptes ou tu refuses ?
Frédéric Couchet : Attends ! Il y en a encore beaucoup comme ça ?
Benjamin Bellamy : Oui !
Frédéric Couchet : Mais beaucoup, beaucoup ?
Benjamin Bellamy : Là, on en est à la moitié. Après, il faut qu’on voie ensemble mes 666 partenaires, j’ai besoin de ton consentement pour chacun d’entre eux !
Frédéric Couchet : Mais on va y passer des heures !
Benjamin Bellamy : Ah oui !
Frédéric Couchet : On ne peut pas aller plus vite ?
Benjamin Bellamy : Si tu acceptes tout, c’est fini dans une seconde.
Frédéric Couchet : On n’a pas le temps ! Bon, OK, j’accepte tout.
Benjamin Bellamy : Ah ! Allons-y ! Alors, ces bouchons en plastique ! Ah non attends, avant ! Dis donc, chenapan, le 5 novembre à 15 heures 45, tu étais sur plaisirs-open-source.com ! Du coup, qu’est-ce que tu dirais d’un stimulateur solitaire sous licence GPLv3 ? Je vois que t’es dans le 18e et justement il y a un vendeur, pas loin, qui fait des promos.
Frédéric Couchet : Non merci ! Je vois pas de quoi tu parles.
Benjamin Bellamy : Tant pis. J’ai un peu perdu le fil. Ah oui, les bouchons. Je ne sais pas si vous avez vu cette polémique, en particulier sur un certain réseau social en pleine perdition, sur les bouchons de bouteilles plastique. La colère gronde. Pourquoi ? Figurez-vous que, fidèle à sa légendaire créativité législative, l’Europe a encore réussi à nous étonner. Attention nouvelle règle ! Désormais les bouchons des bouteilles en plastique doivent être solidaires des dites bouteilles. « Révolte ! C’est une atteinte à notre liberté de jeter du plastique dans la mer ! » [Prononcé à forte voix, NdT]. Déjà je vous rappelle que l’eau du robinet c’est 4 euros 34 pour 1000 litres, soit 300 fois moins que l’eau en bouteille. Passons !
Un post en particulier a retenu mon attention. Un crypto bro mettait côte à côte deux photos. Sur la première on y voyait une majestueuse fusée SpaceX s’élançant vers l’infini et, sur la seconde, un stupide bouchon en plastique, s’élançant vers nulle part, parce qu’accroché à sa bouteille comme une moule à son rocher. Et l’auteur du post de commenter un truc dans le genre : « Pendant que les Américains se préparent à aller sur Mars, eh bien, en Europe, on attache les bouchons aux bouteilles ! ». Sans doute pour mettre en exergue la futilité rétrograde de nos lois européennes face à la grandeur conquérante de l’esprit américain !
Alors là, stop. Déjà, parce que moi, sur Mars, je n’irai pas. Et vous non plus ! Et nos enfants non plus ! Nous allons tous rester vivre sur Terre et, jusqu’à preuve du contraire, nous allons tous y mourir aussi et probablement plus vite que prévu si on continue à balancer du plastique dans la nature !
Je ne sais pas si vous avez vu la semaine dernière à Busan, en Corée – non, pas les zombies qui courent pour essayer d’attraper le dernier RER un jour de grève –, le sommet de la toute dernière chance contre la pollution plastique. Finalement, ils ont décidé qu’ils allaient plutôt ne rien décider du tout et continuer à ne pas recycler 90 % des 13 millions de tonnes qu’on balance tous les ans dans les océans, parce que, bon, flemme, pas trop envie !
Frédéric Couchet : Très bien, mais quel lien avec le RGPD ?
Benjamin Bellamy : Tout cela pour dire que la créativité législative, ce n’est pas un gros mot, même quand ses effets en font râler plus d’un et que ça gâche leur rêve débile d’aller passer leurs vacances sur Mars. Le RGPD, c’est exactement la même chose. Un Règlement européen qui se soucie plus du bien être de nous toutes et de nous tous que de l’enrichissement d’une poignée de mégalomanes. Ai-je l’air d’être énervé là ?
Frédéric Couchet : Un peu, oui !
Benjamin Bellamy : OK, je suis peut-être un petit peu en colère, mais j’ai une bonne raison : une étude récente, reprise par moult articles putassiers, accuse le RGPD d’être « un gouffre monumental de productivité à l’échelle européenne ». Rendez-vous compte ! À cause du RGPD, on perdrait 575 millions d’heures par an, soit plus de 14 milliards d’euros, 2 milliards rien que pour la France. En cause, les fameux cookies banners que le RGPD nous « impose », ces bandeaux cookies dont le souci de notre vie privée est la priorité, mais, s’ils nous enquiquinent ce n’est pas leur faute, c’est la faute au RGPD !
Re-stop. Le RGPD n’a jamais – j’insiste bien, jamais – dit que tous les sites de la planète devaient devenir pénibles. Ce que le RGPD dit, en revanche, c’est que c’est fini la fête du slip des données personnelles, arrêtez de faire n’importe quoi avec, dorénavant le traitement de ces données personnelles est encadré. Attention, c’est passé vite, donc je vais répéter, car chaque mot compte : « traitement, données, personnelles.
Pas de données personnelles, pas de bandeau cookies.
Pas de traitement de données personnelles, pas de bandeau cookies.
Et dans le cas où il y a traitement de données personnelles, et dans ce cas-là uniquement, le RGPD dit que ce traitement doit être licite, loyal et transparent. Et que les données collectées doivent être minimales et traitées de manière à en garantir la sécurité et la confidentialité. C’est tout ! Je ne sais pas vous mais, à moi, ça ne me paraît pas exagéré, surtout quand on voit que nos données fuitent de partout toutes les semaines.
Je te connais, tu vas me dire « globalement je vois bien, mais concrètement, ça veut dire quoi licite ? »
Frédéric Couchet : Oui, concrètement ça veut dire quoi « licite » ?
Benjamin Bellamy : Tu ne vas pas le croire, mais dans son article 6 justement, le RGPD a anticipé ta question. Et, pour que ce soit vraiment bien clair, il a même listé les six cas de figure de traitements licites. Six et pas un de plus.
- 1. Le traitement est nécessaire à l’exécution d’un contrat, par exemple votre adresse dans le cadre d’un service de livraison.
- 2. Au respect d’une obligation légale, par exemple une réglementation bancaire.
- 3. À la sauvegarde des intérêts vitaux, par exemple votre dossier médical si vous êtes dans le coma.
- 4. À l’exécution d’une mission d’intérêt public, un recensement par exemple.
- 5. Aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le site, pour limiter la fraude par exemple.
- 6. La personne a consenti au traitement de ses données, par exemple la prospection commerciale.
Et comme le RGPD est très laxiste – si, le RGPD est laxiste –, sur ces six bases légales, nous ne pouvons pas nous opposer aux quatre premières : contrat, obligations légales, intérêts vitaux, intérêt public. Donc, là, ça va vite, pas de case à cocher ou à décocher. On ne peut s’opposer qu’aux deux dernières : intérêt légitime et consentement. Et encore, pour l’intérêt légitime, ça peut être coché par défaut. Le consentement, lui, doit juste être libre, spécifique, éclairé et univoque. Normal.
Bref, tout cela veut dire que quand vous voyez un bandeau cookies, ce n’est pas la faute au RGPD, c’est la faute au responsable de traitement du site, qui est en train de se gaver avec vos données personnelles. Mais un simple cookie de session pour se connecter ne nécessite aucun bandeau cookies. Exemple : le site e-commerce qui utilise mon adresse, pas de bandeau cookies ; le journal payant en ligne qui a mon numéro d’abonné, pas de bandeau cookies ; le site de ma banque qui doit sûrement vérifier deux/trois trucs sur moi, pas de bandeau cookies ; la page RGPD du site du ministère de l’Économie qui ne devrait traiter aucune donnée personnelle, pas besoin de bandeau cookies !
Pour faire simple, un site tire ses revenus de la publicité, parce que, pourquoi pas, on ne paye pas son loyer avec de la visibilité !, bandeau cookies, OK, je veux bien. Pour tous les autres, non ! Un site qui ne vit pas de la pub n’a aucune bonne raison d’afficher un bandeau cookies, sauf à caresser son tableur avec nos données personnelles. Oui, je l’ai déjà dit il y a deux mois, mais il va falloir vous y habituer, car je le répéterai tant qu’ils seront là !
Et enfin, un site qui vous dit « le respect de votre vie privée est notre priorité » vous ment. C’est un menteur. Si c’était vraiment le cas, il ne traiterait pas vos données personnelles en dehors des besoins du contrat, il n’aurait pas besoin de ce bandeau et il ne l’afficherait donc pas. Et nous, on économiserait 575 millions d’heures par an, par exemple pour partir en vacances et se la couler douce sur des plages sans plastique, en buvant de l’eau dans nos gourdes. À votre santé !
Frédéric Couchet : Merci Benjamin, on te retrouvera l’année prochaine et, d’ici là, tous les mercredis dans ton podcast RdGP, il n’y a pas de faute, c’est Rien de Grave Patron, rdgp.fr, le podcast sérieux qui vous emmène au cœur des enjeux des droits numériques, des libertés individuelles et de la vie privée.
Frédéric Couchet : Merci Frédéric. Bien évidemment, les auditrices et auditeurs auront démasqué mon horrible mensonge ! Je précise que le 5 novembre, à 15 heures 45, tu n’étais pas sur plaisirs-open-source.com puisque tu étais déjà ici en train de me donner la réplique.
Frédéric Couchet : Merci Benjamin.
En régie, on me dit « priorité à l’actualité ». Je crois que la rédaction du Lama déchaîné veut intervenir une cinquantaine de secondes.
Message de la rédaction du Lama déchaîné
[Virgule sonore]
Gee : Ici, en direct de la rédaction du Lama déchaîné, nous vous parlons d’une actualité brûlante.
Bookynette : La campagne de soutien financier de l’April ?
Gee : Oui. Pour bien finir l’année, l’association a besoin de pas moins de 20 000 euros. Alors, pour vous convaincre d’adhérer ou de faire un don, elle nous a embauchés, bénévolement, pour publier un hebdomadaire chaque mercredi.
Bookynette : Mais c’est demain le prochain numéro, alors ?
Gee : Eh oui ! Et il y en aura jusqu’à la fin de l’automne. Ça parle des actions de l’April, de ses membres, mais pas que !
Bookynette : Il paraît qu’il y a même des mots croisés et des anecdotes rigolotes.
Gee : Oui, la plume a également été proposée à d’autres associations ou à des personnes non-membres.
Bookynette : Rendez-vous sur April.org/campagne. Le lien sera sur la page de présentation de l’émission.
Gee : On compte sur vous pour soutenir le travail essentiel de l’April.
[Virgule sonore]
Frédéric Couchet : Donc rendez-vous mercredi 4 décembre 2024 pour le numéro 7, qui sera l’avant-dernier.
Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Après la pause musicale, nous parlerons de la ville de Paris, de sa stratégie logiciels libres. En attendant, nous allons écouter Un fantôme dans la maison par Odysseus. On se retrouve dans une minute quarante. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Un fantôme dans la maison par Eric Querelle aka Odysseus.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Un fantôme dans la maison par Odysseus, disponible sous licence Art Libre.
[Jingle]
Frédéric Couchet : Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Paris et logiciels libres avec Magali Lemaire et Philippe Bareille
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur la ville de Paris et sa stratégie concernant les logiciels libres, avec nos invités Magali Lemaire, chef du bureau de l’ingénierie logicielle et du développement, et Philippe Bareille, chargé de mission open source, OSPO, Open Source Program Office, que nous allons évidemment expliciter dans le cours de l’émission.
N’hésitez pas à participer à votre conversation au 09 72 55 51 46 ou sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ». Toutes les références qu’on citera dans l’émission seront disponibles sur la page consacrée à l’émission du jour sur le site libreavous.org/228.
En mai 2019, nous avions déjà consacré une émission aux stratégies logiciels libres des villes de Grenoble et Paris, avec Laurence Comparat de Grenoble et Pierre Levy de Paris. C’était l’émission 27. Si vous voulez réécouter le podcast ou lire la transcription, vous allez sur libreavous.org/27. Je précise aussi que la ville, au-delà de sa stratégie logiciels libres, soutient les actions de l’April ; la ville est en effet membre de l’April depuis presque dix ans.
On va commencer par une question traditionnelle de présentation. On va commencer par Magali Lemaire.
Magali Lemaire : Bonjour.
Frédéric Couchet : Bonjour. Une petite présentation rapide.
Magali Lemaire : Depuis 2019, effectivement, je fais partie de l’équipe Lutece, une plateforme de services open source qui permet de partager, réutiliser et adapter des services numériques au sein de la ville de Paris. Ça fait trois ans maintenant que je pilote cette équipe qui a en charge la maintenance, le développement et l’évolution de cet outil.
Nous avons déployé un grand nombre de services numériques à la ville de Paris. L’essentiel de nos services numériques est d’ailleurs développé avec Lutece.
Voilà, pour une petite présentation ce n’est déjà pas mal.
Frédéric Couchet : Sachant qu’on va détailler un peu plus Lutece dès le début de l’émission. Philippe Bareille.
Philippe Bareille : Bonjour. Philippe Bareille. Pour ma part, j’ai rejoint la ville de Paris en 2016 en tant que chef de projet technique sur la plateforme dont on vient de parler Magali, à l’instant, sur toute la généricité de la plateforme, entre autres. Depuis maintenant deux ans, j’ai été amené à me positionner sur la prise en charge et, disons, l’application de la politique open source de la ville via la création de ce dont tu parlais tout à l’heure, l’OSPO, qui est le bureau de programme de l’open source à la ville.
Frédéric Couchet : D’accord. On va parler du bureau de programme. Alors excusez-moi, je vais dire « logiciel libre », même si c’est effectivement le terme générique aujourd’hui, international, Open Source Program Office, donc bureau open source, bureau logiciel libre.
On va commencer par faire un petit retour sur Lutece. En 2019, avec Pierre Levy, on avait beaucoup parlé de Lutece, un projet qui est quand même très ancien à la mairie de Paris, exactement depuis 2002 et je crois, de mémoire, que la ville de Paris est une des premières collectivités à avoir libéré un développement interne sous licence libre, à une époque où pas grand monde le faisait.
Donc première question, toute simple : Magali, tu as commencé, c’est quoi Lutece ?
Magali Lemaire : Lutece est une plateforme de services open source qu’on a mise en place pour développer des services numériques de manière être souverains sur nos développements, permettre leur réutilisation par d’autres collectivités, d’autres organisations.
On peut imaginer Lutece, en gros, comme une grosse boîte de Lego qui permettent de créer des services modulaires, c’est-à-dire qu’on fait des assemblages et ça permet de faire des services numériques. On a, par exemple, des outils qui permettent de faire de la prise de rendez-vous pour les Parisiens au sein des centres de santé des mairies, entre autres. Philippe, tu m’arrêtes, mais je crois qu’on a 60 instances déployées au sein de la ville de Paris sur la partie rendez-vous.
On a des applications comme DansMaRue, une application mobile qui permet aux Parisiens de déclarer des incidents sur l’espace public, qui est énormément utilisée.
Très connue aussi des Parisiens, on a une application pour enlever des encombrants au pied de son immeuble, qui fait un peu plus de deux millions de demandes à l’année.
On a, comme ça, des services qui sont très utilisés.
Lutece a permis de déployer des solutions assez rapidement et de manière souveraine, c’est-à-dire que nous sommes totalement autonomes sur le développement et la réutilisation de nos outils.
On a d’autres services, comme le Budget participatif qui a permis aux Parisiens de déposer des projets pour la ville de Paris.
On a énormément de services, 160 services numériques, de mémoire, en tout.
C’est architecture qui est vraiment un modulaire, qui repose sur plus de 500 plugins ou modules.
Frédéric Couchet : D’accord. Si je comprends bien les Parisiens et Parisiennes qui aujourd’hui, utilisent, qui ont recours à des sites de la ville de Paris pour différents usages, comme tu le dis, par exemple les encombrants, etc., finalement, derrière c’est Lutece, même si ces personnes ne s’en rendent pas compte, c’est un logiciel libre.
Magali Lemaire : Tout à fait.
Frédéric Couchet : Donc la totalité des services offerts aux habitants et habitantes de Paris sont gérés par Lutece ?
Magali Lemaire : Non pas la totalité, une bonne partie, mais pas la totalité. Il y a quelques logiciels propriétaires, mais l’essentiel des services numériques est sur Lutece.
Frédéric Couchet : D’accord. Tu n’étais pas là en 2002 à l’époque, pas encore, quelle a été la volonté, l’objectif de Paris de se lancer dans ce développement interne et, surtout, de libérer très tôt. Savez-vous, peut-être Philippe, s’il y avait un objectif particulier ? Est-ce que c’était, comme tu l’as dit, de souveraineté ? Un objectif de coût ?
Magali Lemaire : C’est déjà un gain économique énorme, conséquent. La réutilisation de logiciels libres permet de disposer à moindre coût de services numériques qui ont déjà été développés. Ensuite, ça permet, effectivement, de mettre à disposition de tous l’argent que nous aurons déjà investi sur des services numériques ou sur des outils open source.
Frédéric Couchet : Donc, service public, argent public, logiciel libre.
Philippe Bareille : Tout à fait, comme dit la campagne de la Free Software Foundation Europe, la Fondation pour le logiciel libre au niveau européen, Public Money, Public Code.
Frédéric Couchet : Est-ce que vous êtes parti sur des choses qui existaient déjà ou est-ce que tout a été développé à partir de zéro ? Est-ce qu’il existait une sorte de préversion, un logiciel qui faisait déjà un certain nombre de fonctionnalités auxquelles vous en avez ajouté ou est-ce que vous avez simplement dit « on va repartir de zéro avec des spécifications, et on va tout développer » ? Philippe Bareille.
Philippe Bareille : À l’époque, donc en 2001, la volonté qui a provoqué un peu le développement et cette décision, en fait, de développer en interne une plateforme telle que Lutece, a été motivée par le besoin du maire de l’époque, Bertrand Delanoë, de mettre en place une plateforme no-code ou low code, c’est-à-dire une plateforme complète qui permette de développer des sites, de mettre en place des sites internet par des personnes non techniques. C’était absolument essentiel. Les agents du service public n’ont pas tous un master en informatique, il leur fallait donc un outil qui leur permette d’administrer le contenu des sites web des 20 mairies d’arrondissement à l’époque.
Vous allez me dire qu’aujourd’hui il y a Drupal, il y a WordPress, il y a tous ces logiciels de création de site web qui le font très bien, et qui sont assez récents, finalement, parce qu’à l’époque tout cela n’existait pas. Il y avait un outil, Spip, qui pouvait permettre de le faire, open source également, avec le logo du renard écrasé, de l’écureuil écrasé [Polatouche, écureuil volant, NdT]. Du coup, blague à part, ça nous paraissait très compliqué de réintégrer Spip, de contribuer à Spip pour en faire une ferme à sites qui est vraiment le besoin qui est apparu à l’époque : constituer une fabrique à sites, un site qui nous permette d’administrer d’autres sites. Le besoin était qu’un agent du service public de la mairie du 1er puisse administrer la mairie du 1er, mais également un autre site, et intervenir, comme ça, de façon transverse.
Le fait de sortir cette application a coûté de l’argent et, au final, la volonté de l’exécutif de l’époque était de valoriser cet argent et de ne pas l’utiliser une seule fois pour un besoin précis qui était celui de la ville de Paris. On peut très facilement imaginer que la plupart des villes et des administrations en France peuvent avoir un besoin similaire : Marseille avec ses arrondissements, Lyon, etc., et même une mairie sans arrondissement, peuvent avoir ce besoin d’administrer du contenu facilement. Le besoin qui est ressorti à ce moment-là, a été de se demander « quel est le moyen technique pour mettre à disposition des autres administrations, qui partageraient notre besoin, ce site qui nous a coûté de l’argent ; on a dépensé, on a on est arrivé à quelque chose de fonctionnel qui remplit un besoin, quelle est la solution technique ? ». La solution technique était effectivement d’ouvrir ce code et cette décision d’ouvrir le code a été votée par le Conseil de Paris en 2002, on peut retrouver tous les éléments, tout est public. Ça a été voté par le Conseil de Paris à ce moment-là.
Frédéric Couchet : C’était quelque chose de novateur. Je me posais la question de la date de la création de l’ADULLACT, l’Association des Développeurs et Utilisateurs de Logiciels Libres pour les Administrations et les Collectivités Territoriales, et je viens de vérifier, c’est 2002, donc même avant que cette notion de mutualisation de collectivités commence à être poussée par une association spécialisée ; l’April le fait aussi, mais l’ADULLACT s’est créée spécifiquement pour ça. Le début du développement, c’est donc en 2001. En 2002, c’est la délibération qui le met sous licence libre. Là, on est plus de 20 ans plus tard.
Est-ce que tu as une idée du nombre de lignes de code qu’il y a dans ce logiciel ?
Philippe Bareille : Je crois que c’est plus de deux millions.
Frédéric Couchet : Plus de deux millions, c’est donc un gros logiciel. Aujourd’hui, dans l’équipe, combien êtes-vous à travailler sur ce logiciel, côté vraiment ville de Paris ? On parlera peut-être après aussi de la communauté Lutece autour, mais côté ville de Paris, combien êtes-vous sur ce projet ?
Magali Lemaire : Nous sommes 17.
Frédéric Couchet : D’accord. C’est donc un projet important et, toi, tu es responsable du développement du Lutece. C’est ça ?
Magali Lemaire : Exactement. Je suis responsable de l’équipe qui s’occupe du développement et de la maintenance de Lutece. On a une partie des chefs de projet qui s’occupe de l’organisation de toute la feuille de route, c’est-à-dire collecter les besoins, faire les mises à jour, vraiment voir les besoins fonctionnels et, derrière, se coordonner avec l’équipe de développement pour prioriser et mettre en route l’ensemble des fonctionnalités pour faire vivre notre framework.
Frédéric Couchet : Qu’est-ce qu’un framework ? Lutece, au-delà d’être un logiciel, c’est aussi framework. Comment définirais-tu un framework ?
Magali Lemaire : C’est une bonne question. Est-ce que tu as une définition ?
Philippe Bareille : Simplement, on pourrait dire que c’est une plateforme de développement. C’est un outil qui permet de définir un certain nombre de règles et de normes à respecter pour pouvoir développer de nouveaux services sur cette plateforme, qui soient à l’identique et normalisés.
Frédéric Couchet : Ce qui fait, par exemple, que si une collectivité se dit « j’ai un besoin qui n’est pas fourni actuellement par Lutece, j’ai le socle Lutece sur lequel je peux me connecter pour ajouter vraiment ce dont on a besoin » et en utilisant les outils de développement que propose Lutece.
Magali Lemaire : Exactement.
Frédéric Couchet : Je vais relayer une question qui est sur le salon web de Marie-Odile. Je rappelle que si vous voulez posez des questions ou réagir, c’est sur le site causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous. Elle demande si toutes ces applications sont gratuites. Je suppose qu’il y a deux sens dans la question. La première, je pense que c’est plutôt gratuites pour les personnes usagères de Paris.
Magali Lemaire : Oui, évidemment, pour les personnes qui utilisent les services numériques, c’est entièrement gratuit, les citoyens ne payent pas.
Frédéric Couchet : La deuxième question : est-ce que la réutilisation, par exemple par des collectivités ou même, peut-être des entreprises, d’ailleurs je n’en sais rien, on verra, vous me direz s’il y en a, est-ce que c’est gratuit, c’est soumis à redevance ? Je suppose que non, vu que c’est un logiciel libre.
Magali Lemaire : Non, c’est gratuit. La réutilisation est gratuite. En général, si la collectivité a les compétences en interne pour mettre en place sa solution, ça reste des compétences internes. Après, on peut faire appel à des sociétés ou à des prestations de services pour mettre en place la solution.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc la ville de Paris a lancé ça, on va remettre les dates : début du développement 2001, 2002 la mise sous licence libre. Aujourd’hui, ce sont plusieurs millions de codes ; pour les gens qui nous écoutent dans le futur, nous sommes en 2024. Est-ce qu’il n’y a que la ville de Paris qui utilise Lutece aujourd’hui ?
Magali Lemaire : Non, il n’y a pas que la ville de Paris. Il y a Lyon, depuis combien de temps ?
Philippe Bareille : Lyon, de tête, c’est aux alentours de 2015, 2015/2016. Ils ont adopté Lutece pour mettre en place un certain nombre de services numériques. Ils sont accompagnés de leur côté.
Frédéric Couchet : Ils sont accompagnés par la ville de Paris ou par des prestataires ?
Magali Lemaire : Les deux.
Philippe Bareille : Au final, les deux. Je pense que je ne suis pas le premier à dire ça dans cette émission, mais, quand on parle de logiciel libre, on parle de réutilisateurs, d’une communauté qui anime et qui entretient le code, qui fait des revues de code, qui fait des revues de contributions, etc. Avec la ville de Lyon, c’est tout à fait le même principe. On les considère comme un utilisateur de la plateforme qu’on développe ensemble. On essaye de mettre en place des leviers pour leur permettre aussi de contribuer à la plateforme, pour continuer de l’enrichir. Je ne cache pas que ce n’est pas toujours facile à mettre en place, ce n’est pas toujours évident. On cherche toujours à animer un club d’utilisateurs suffisamment vaste qui puisse animer, entre-soi, cette communauté.
Frédéric Couchet : Excuse-moi de t’interrompre, le défi est-il technique ou politique ? Est-ce que c’est techniquement parce que des choix sont faits ou est-ce que c’est parce que les villes ont peut-être des stratégies politiques différentes ?
Philippe Bareille : Non, je dirais que dès l’instant où une ville fait le choix de faire de l’open source, d’adopter les valeurs et les pratiques de l’open source, ça revient à un domaine plutôt technique : une fois que cette décision est prise, ça redescend sur les agents et les agents l’appliquent. Il suffit juste, ensuite, de mettre en place une gouvernance qui soit correctement partagée, qui soit correctement gérée, de façon professionnelle, en respectant toutes les valeurs et toutes les bonnes pratiques de ce milieu-là. C’est très réglementé, c’est très normé, on ne fait pas ça n’importe comment.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc il y a Lyon. Est-ce qu’il y a d’autres collectivités ou même des entreprises ?
Magali Lemaire : On a Plaine Commune aussi.
Frédéric Couchet : Donc du côté de Saint-Denis, Pierrefitte, etc. Avec Étienne, nous sommes contents, vu que nous sommes tous les deux résidents de Plaine Commune.
Philippe Bareille : Si vous êtes utilisateur de l’application bienVU, c’est l’équivalent de DansMaRue à Paris, qui consiste à faire des signalements d’anomalies sur l’espace public. Vous signalez un événement anormal et c’est attribué à un service technique qui viendra le résoudre.
Frédéric Couchet : D’accord. Je ne savais pas qu’il y avait Lutece derrière bienVU, en fait.
Magali Lemaire : Après, on a, je crois, la réutilisation de l’application PEPS.
Philippe Bareille : Tout à fait, dans le département de l’Yonne. Donc, là, c’est un département qui est utilisateur d’une partie de Lutece, d’une application, d’un assemblage en fait.
Frédéric Couchet : Qu’est-ce que PEPS ?
Magali Lemaire : De mémoire, si je ne dis ne pas d’âneries, ce sont les aides sociales.
Philippe Bareille : C’est une application qui a été renommée « Y-solidarités », avec « Y », parce que c’est le département de l’Yonne qui l’a implémentée.
On a aussi une agglomération de communes de Mont-de-Marsan qui est utilisatrice depuis plus de 10 ans, 15 ans même, et on a très régulièrement de nouveaux prospects, des gens qui viennent s’ajouter. C’est très difficile de répondre à ta question, dans le sens où on partage, donc on rend l’application publique, du coup, il y a des utilisateurs – attention, je parle de clandestins, mais c’est juste dans le fait qu’ils ne se revendiquent comme utilisateurs –, qui ont la possibilité de télécharger. Nous avons quelques métriques sur les téléchargements effectués, mais ça veut pas dire que ce sont des villes ou des administrations qui ont mis en place la solution en production. Nous avons donc ces métriques-là, mais, au final, rien n’impose à une administration utilisatrice de se déclarer, de faire partie de la communauté, d’investir dans la communauté en retour.
Frédéric Couchet : L’intérêt de Lutece concerne uniquement les collectivités ou ça peut intéresser des entreprises ?
Magali Lemaire : Non. On a aussi un groupement d’Éhpad.
Philippe Bareille : Tout à fait. Un groupement territorial hospitalier qui a fait le choix de basculer sur Lutece sa prise de rendez-vous, parce qu’il était absolument contre l’idée de rejoindre une très grande structure qui permet de faire du rendez-vous, je m’efforce de ne pas la nommer. Pour des raisons éthiques, ils n’ont pas voulu l’utiliser. Quand il a été question de mettre en place des visites, aux résidents, dans leur groupe territorial hospitalier, ils se sont tournés vers une solution libre, comme Lutece, pour pouvoir être transparents, maîtriser un petit peu ce qui était fait des données, etc., et ne pas être dépendants de la politique d’une entreprise privée.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc, dans l’accompagnement des collectivités, comme tu disais tout à l’heure Magali, il y a des prestataires qui sont aussi un peu spécialisés et que vous référencez, des entreprises.
Magali Lemaire : Disons déjà que nous travaillons avec un certain nombre de prestataires qui ont remporté des marchés à la ville de Paris. Ils sont donc référencés dans le cadre de ces marchés-là. On travaille avec trois gros prestataires et après, chaque collectivité aussi, par le biais de marchés publics, fait elle-même travailler des prestataires, soit qui montent en compétence sur Lutece, soit qui ont déjà des compétences sur le sujet.
Frédéric Couchet : D’accord, je vois une autre question sur le salon web, une question de mon collègue Étienne : est-ce que c’est Paris qui garde la main sur le projet ou est-ce que la gouvernance est partagée entre les membres de la communauté des utilisatrices et contributrices ? Donc la question la gouvernance, qui un gros sujet, ça va peut-être intégrer un peu la partie OSPO dont on parlera tout à l’heure, mais ce n’est fait pas grave.
Philippe Bareille : Tout à fait. C’est un gros sujet. Je vais rester volontairement flou tout en essayant d’apporter quelques exemples concrets. Au final, il faut savoir que Lutece a été créée sur des besoins internes de la ville, en exploitant les ressources internes à la ville et en faisant travailler un petit écosystème qui permette de faire évoluer cette solution pour satisfaire ses propres besoins. La feuille de route, jusqu’à il y a quelques années, était principalement guidée par l’équipe électorale, l’équipe municipale, qui se retournait vers la direction informatique en disant « je me suis engagée sur tel projet citoyen, trouvez une solution, apportez une réponse technique à ce besoin public. ». C’est comme cela que la feuille de route de Lutece a toujours évolué. En fait, nous ne sommes pas une société de services qui cherche à vendre un outil, on ne fait pas au doigt mouillé une estimation des besoins qu’une ville pourrait avoir, on résout d’abord nos besoins avec cette solution.
La gouvernance implique de se mettre d’accord entre utilisateurs d’une même application pour dire « j’aurais besoin de telle fonctionnalité, par contre, j’aurais besoin que ce soit fait comme ça, parce que, au final, mon besoin est spécifique – et c’est quelque chose de tout à fait humain de dire qu’au final, on partage le même besoin – mais attention, je ne suis pas comme toi, j’ai des besoins très différents, j’ai une organisation qui est différente, j’ai une qui est politique différente, etc. ». On essaye donc de prendre en compte ces éléments-là et on se rend compte assez rapidement que, finalement, chacun se focalise sur ce qui le rend unique et rend son besoin unique. C’est là où il y a toute une culture à mettre en place qui est attendons de voir ce qui est spécifique à chacun, mais concentrons-nous d’abord sur ce qui est commun, avançons sur les 80 %, parce que, en général, c’est ça, c’est du 80/85 % de besoins communs. Mais on a tendance à regarder un petit peu plus les 15 % qui restent à combler et qui sont spécifiques. Dire « je ne prends pas ta solution telle qu’elle est, parce qu’il faut que mon besoin spécifique soit absolument pris en compte », est bien souvent un argument rédhibitoire pour certains : « vu que ça ne couvre pas mes 15 %, je vais me tourner vers une autre solution – qui ne les couvrira pas mieux, qu’on soit bien clair –, parce que je me sens plus à l’aise et je sais qu’en payant, je me rends compte que j’ai un certain pouvoir de modifier la feuille de route pour prendre en compte mon besoin spécifique ». Pour répondre à ta question, c’est là où on a quelques difficultés à gérer ces communautés pour identifier et se mettre d’accord sur des besoins communs à résoudre et à utiliser en premier, quitte à itérer ensuite, c’est-à-dire à faire évoluer dans la direction que chacun souhaiterait, mais ce tronc commun reste une difficulté à identifier.
Magali Lemaire : Disons que ça fait trois ans qu’on a restructuré l’équipe Lutece. On essaye de ne faire que du Lutece. On commence à faire de la promotion, on commence à packager des solutions pour les distribuer au plus grand nombre. Ça fait donc assez peu de temps, finalement, qu’on est en promotion, on essaye. Ce n’est pas notre activité principale, c’est vraiment une activité annexe. Philippe est quasiment à temps plein sur l’open source, mais nous, c’est vraiment à côté.
Frédéric Couchet : Oui, vous devez déjà développer l’outil.
En parlant de développer l’outil, on parlera tout à l’heure de la partie OSPO, Open Source Program Office, on expliquera aussi en français ce que ça veut dire, on parle de collectivités françaises, mais est-ce que Lutece est traduite dans différentes langues, permettant, par exemple, d’être utilisée par d’autres collectivités, parce que, finalement, la mutualisation au niveau de l’Europe, d’ailleurs même au niveau du monde, peut fonctionner.
Magali Lemaire : Oui. Philippe a fait un énorme travail avec pas mal de gens qui ont participé. Tu vas expliquer un peu la démarche.
Philippe Bareille : Tout à fait. En fait, ça fait partie des libertés, de ce que l’OSPO m’a permis d’achever, de réaliser. C’est un ensemble de mesures et d’actions très concrètes pour mieux diffuser la solution Lutece, etc. J’y reviendrai dans le détail tout à l’heure si tu m’en donnes la possibilité. J’ai organisé un hackathon. Un hackathon, c’est un effort commun à faire travailler des bénévoles sur la résolution d’un ??? [38 min 58], d’un problème commun, comment développer un nouveau service. On peut faire évoluer un outil, on peut développer de nouveaux services, on peut corriger, de façon très urgente, une anomalie qu’on constate tous. Tout d’un coup, il y a une force de frappe qui va se réunir, l’espace d’un week-end, de deux jours, d’une semaine. C’est donc ce qu’on a organisé dans le cadre de l’internationalisation de Lutece, c’est-à-dire la rendre internationale en proposant des traductions pour que l’application puisse être utilisée à l’étranger.
Pourquoi a-ton fait ça ? Déjà pour améliorer sa capacité à pénétrer un marché qui, jusqu’à maintenant, était plutôt franco-français, parce qu’on a clairement vu un intérêt chez nos voisins, déjà européens, et par le biais de contributions avec les États-Unis, notamment l’Université Johns-Hopkins à Baltimore qui a été rendue célèbre pendant le Covid, notamment parce que c’est elle qui diffusait tous les chiffres liés au Covid pendant la durée de cette pandémie. Un programme d’enseignement auprès de ses étudiants leur permettait de travailler sur des projets concrets du monde open source et c’est comme cela que Lutece a été utilisée et que des étudiants de là-bas ont pu contribuer.
On a donc vu un certain intérêt manifesté par des villes, des administrations, des ministères à l’étranger. Quand je me suis trouvé à faire de la démonstration de Lutece, je voyais des yeux écarquillés parce que, effectivement, les interfaces et tous les textes étaient en français. J’avais beau m’exprimer en anglais avec eux, trouver un terrain d’entente, etc., au final je me suis dit « non, ce n’est pas très vendeur » et je leur en ai parlé. En séance, je leur ai dit « il va falloir qu’on traduise » et ils m’ont dit « on est là pour ça », et c’est un peu ça la magie, je trouve tout à fait magique de voir la volonté personnelle de ces gens qui sont des décideurs, qui ont un poste, qu’on pourrait imaginer très différents, dire « en fait, je ne vais pas descendre ça à mes équipes, je le fais, tu comptes sur moi, je prendrai sur mon temps personnel pour apporter des traductions. ».
Donc, aujourd’hui, le cœur de Lutece, le projet cœur est effectivement traduit en six langues principalement européennes et nordiques, de Scandinavie on va dire, et il y a un projet qui va couvrir 12 langues au final et c’est absolument exceptionnel. Il va y avoir plusieurs autres hackathons organisés l’année 2025, on fera tout pour communiquer du mieux possible et investir un maximum de personnes.
Frédéric Couchet : D’accord. On va faire une pause musicale. Après la pause musicale, on parlera un peu de CiteLibre aussi, qui était un peu l’étape au-dessus, et on parlera de l’OSPO.
En attendant, nous allons écouter De Vagues en Vagues par MƏscaL ϛet. On se retrouve dans trois minutes trente. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : De Vagues en Vagues par MƏscaL ϛet.
Frédéric Couchet : J’ai demandé de couper un petit peu la musique pour pouvoir finir tous les sujets qu’on souhaite aborder, ça va être un petit peu un défi. En tout cas, nous venons d’écouter De Vagues en Vagues par MƏscaL ϛet, disponible sous licence Art Libre.
[Jingle]
Deuxième partie 45’ 26
Frédéric Couchet : N’hésitez pas à venir sur le bouton « chat » du site causecommune.fm, salon #libreavous si vous voulez réagir ou poser des questions.
Nous parlons toujours de la stratégie logiciels libres de la ville de Paris avec Magali Lemaire et Philippe Bareille. Juste avant la pause musicale, nous avons parlé un petit peu en détail de Lutece et on va commencer à parler de ce que je vois comme étape un petit peu supérieure, peut-être de présentation, je ne sais pas, on va demander, qui est CiteLibre, notamment le site web citelibre.org.
Donc, Magali Lemaire, qu’est-ce que CiteLibre ?
Magali Lemaire : Comment pourrait-on définir CiteLibre ? En gros, on a constaté une difficulté à diffuser Lutece, parce que c’est une solution qui était d’abord trop technique, en tout cas d’abord diffusée avec un abord trop technique, et on s’est demandé, avec l’équipe, comment faire en sorte de faire des packages qui soient un peu plus parlants pour les collectivités et les organisations. Du coup, on a packagé des outils de manière à ce que les collectivités ou les associations puissent déployer un outil clé en main, prêt à l’emploi, sans investir des sommes considérables, sans faire appel à des compétences particulières et toujours dans la philosophie de ce qui avait été décidé un peu au départ dans la mise en œuvre de Lutece, c’est-à-dire ne pas avoir de compétences techniques délirantes pour arriver à faire quelque chose avec Lutece.
Frédéric Couchet : Quelque part, c’est une sorte de ce qu’on appelait à l’époque « sur étagère ». Tout est packagé, à l’époque il y avait un cédérom avec un manuel, etc. Aujourd’hui, c’est plutôt un package logiciel avec de la documentation et sans compétences techniques, on monte son propre site, sa propre instance Lutece.
Magali Lemaire : Exactement. On peut déployer des solutions. On a packagé une solution de rendez-vous, dont on a parlé tout à l’heure, qui est très utilisée au sein de la ville de Paris. De par le nombre d’intégrateurs qu’il y a sur le marché, sur toutes les mairies qui peuvent utiliser des outils de rendez-vous, notamment sur tout ce qui concerne les rendez-vous titres, les rendez-vous que les usagers, les citoyens prennent pour faire titres d’identité, leurs passeports, on a aujourd’hui une interface qui est obligatoire, car l’ANTS, l’Agence nationale des titres sécurisés, oblige les collectivités à communiquer sur leurs créneaux de rendez-vous disponibles dans les mairies, de manière à ce que n’importe qui puisse demander un rendez-vous dans n’importe quelle mairie, indépendamment du fait qu’il habite la collectivité ou pas. C’est un marché qui est assez conséquent, et on se rend compte qu’il y a plein de petites collectivités qui payent cher ces solutions des intégrateurs. Du coup, comme nous avions développé cette solution de rendez-vous et d’interface avec l’Agence nationale des titres sécurisés, on s’est dit qu’on allait la packager et la mettre à disposition.
Frédéric Couchet : Tu as employé plusieurs fois le mot « intégrateur ». Peux-tu expliquer le rôle d’un intégrateur ?
Magali Lemaire : Les intégrateurs sont, en fait, des sociétés de services informatiques qui peuvent prendre nos solutions, ou d’autres solutions, et qui font du développement informatique pour développer des services numériques ou d’autres services pour des collectivités. En gros, soit ils développent, soit ils prennent nos outils et ils les paramètrent, soit ils font des développements spécifiques en plus de nos outils ; ça peut être nos outils ou d’autres, évidemment.
Frédéric Couchet : Pour les personnes qui nous écoutent, c’est intéressant de se dire que de l’argent public permet à des entreprises du secteur privé de répondre à des appels d’offre et de proposer des solutions. Soit, comme tu le disais, elles peuvent tout développer from scratch, mais elles peuvent prendre un outil qui est disponible, qui est développé avec de l’argent public et qui est utile dans d’autres cas. C’est quand même très intéressant comme démarche et c’est ce que permet le logiciel libre.
Magali Lemaire : Oui, exactement.
Frédéric Couchet : D’accord. Et CiteLibre, c’est aussi une communauté, c’est de la documentation, c’est quoi d’autre ? Est-ce qu’il y a d’autres choses ? Philippe Bareille.
Philippe Bareille : En effet, CiteLibre, c’est ce concept qui permet de mettre en avant un service numérique, plutôt que la technique derrière. Les ambitions de cette communauté c’est de faire parler les utilisateurs d’un outil qui permet de mener à bien une volonté politique, que ce soit effectivement faciliter la prise de rendez-vous, lutter un petit peu contre les lapins, ces fameux rendez-vous non honorés qui posent pas mal de problèmes, notamment dans le médical aujourd’hui, mais également d’inclure le citoyen dans sa vie locale, au quotidien, avec des modules, comme ça, de participation citoyenne, par exemple, et autres.
Ce sont donc des outils qui nous permettent de réunir une communauté d’utilisateurs ou de gens juste intéressés autour de fonctionnels qui leur permettent déjà de mieux découvrir l’outil, de voir une projection d’utilisation dans leurs villes, dans leurs associations, parce que Lutece ou même CiteLibre, du coup, on parle de CiteLibre, n’est pas cantonnée à de l’administration – on en parlait tout à l’heure –, c’est très adapté pour des associations de ce type-là.
C’est un outil qui permet de faciliter via ce prisme d’utilisation très pratico-pratique j’ai envie de dire. On sort de toute considération technique, etc. C’est un outil qui se lance en une ligne de commande. Tout a clairement été fait pour être facilement téléchargeable, testable sur son ordinateur local.
Frédéric Couchet : Lutece fonctionne sur quels systèmes d’exploitation ? Quand tu dis « installable en un clic », entre guillemets, c’est sur quels systèmes ?
Philippe Bareille : Aujourd’hui, on l’a packagé sous ce qu’on appelle un format conteneurisé. Pour faciliter un petit peu la compréhension, ce sont des boîtes qui vont se télécharger avec des images prêtes à l’emploi, des images applicatives. Il faut savoir qu’un service numérique ce n’est pas juste, on va parler concrètement, un exe sur lequel on double-clique, ça va lancer un logiciel. Ce n’est pas du tout ça. C’est beaucoup plus compliqué que ça. C’est une interaction de plusieurs serveurs, de plusieurs machines qui sont toutes spécialisées : une va gérer la base de données, une va gérer l’application, une va gérer de la statistique, une va gérer l’envoi de messages. On a, comme cela, isolé toutes les fonctionnalités un peu un peu phares et CiteLibre s’occupe, toute seule, de gérer justement l’orchestration de ces différentes images applicatives pour qu’elles rendent un service le plus complet possible et vraiment à l’image de notre utilisation à la ville de Paris. Ce n’est pas un sous logiciel qu’on va partager en espérant que les gens y trouvent leur bonheur. C’est réellement l’application telle qu’on l’utilise, dans la même version, dans les mêmes fonctionnalités, etc., qu’on met à disposition. Au final, nous sommes nous-mêmes utilisateurs de ce qu’on met à disposition pour permettre à d’autres de l’utiliser dans les mêmes conditions, dans les mêmes versions, dans les mêmes besoins fonctionnels, etc. Sachant que c’est absolument modulaire, donc si une option ne nous plaît pas, on la désactive, on ne l’a plus.
Frédéric Couchet : Magali.
Magali Lemaire : Concrètement, parce que c’est vrai que pour arriver à se rendre compte de ce qu’on peut faire avec, par exemple des démarches, d’état-civil. On peut imaginer qu’une mairie, une collectivité ou même une association, fasse des formulaires à l’usage des gens. Par exemple, on fait un appel à projet dans une commune pour que des jeunes, par exemple, participent à un appel à projet quelconque dans un domaine particulier où on attribuera une bourse, par exemple, où la collectivité attribuera une bourse. On peut tout à fait dire que Lutece permettra de faire un formulaire sur lequel des jeunes puissent déposer leur dossier qui, derrière, arriverait dans une solution de traitement où les agents de la collectivité pourraient accéder au dossier de manière sécurisée, le traiter, l’évaluer, attribuer une bourse ou pas, et faire une réponse à l’usager. Du coup, ce sont déjà des solutions vraiment très pragmatiques.
Frédéric Couchet : D’accord. OK. Le temps passe vite. Est-ce que sur CiteLibre vous vouliez ajouter quelque chose avant qu’on parle un petit peu de l’OSPO ? Magali.
Magali Lemaire : On essaye juste, avec le temps dont on dispose, de packager de plus en plus de solutions. On essaye de faire la solution DansMaRue, dont on parlait, avec des choses assez simples parce que, au final, ce n’est pas très compliqué. DansMaRue va sortir en 2025. Et on a tout ce qui est gestion de la relation usagers, c’est-à-dire toute la relation avec le citoyen : quand il fait une réclamation au sein de la collectivité, de quelle manière on peut y répondre avec cet outil.
Frédéric Couchet : D’accord. OK. Si on doit revenir sur CiteLibre pendant la fin de la discussion, n’hésitez surtout pas, mais l’idée initiale de l’émission, c’était aussi de parler un petit peu d’une relative nouveauté ces dernières années dans le secteur public et aussi le secteur privé, qui donc l’OSPO, l’Open Source Program Office, donc « bureau open source » ou « bureau logiciel libre ». On va faire plus simple. Philippe Bareille, vu que tu es responsable OSPO à la ville de Paris, qu’est-ce qu’un OSPO ?
Philippe Bareille : La définition d’OSPO est tout à fait variable. On a la liberté d’en définir un petit peu le périmètre et sa nature.
Il faut savoir que ce terme, OSPO, existe depuis 20 ans, on n’a rien inventé, c’est très commun dans le secteur privé. Nous ne nous sommes pas dit « tiens, comment allons-nous innover ? ». Par contre, comment allons-nous utiliser les bonnes pratiques du secteur privé qui est capable de créer des communautés de consortiums de constructeurs automobiles pour travailler sur des mêmes composants, sachant que dans une voiture il y a 170 logiciels différents. Ils ont réussi, eux, à se mettre d’accord sur ce genre de choses alors qu’ils sont totalement concurrentiels. Finalement, quelles sont les bonnes pratiques de ce genre de relation, d’échanges, de partenariats dont on pourrait s’inspirer ?
L’OSPO final, à la ville de Paris, n’a rien de bureaucratique qui s’inscrive dans une hiérarchie lourde, etc. Au contraire, c’est quelque chose de tout à fait abstrait, en fait c’est un concept. C’est une façon de montrer que, oui, on a compris quelles étaient les attentes quand on est acteur dans l’écosystème open source ; on les a comprises, on les accepte, on adopte ce qui est attendu d’un acteur dans l’écosystème open source. On n’est pas juste consommateur, on ne fait pas que profiter d’un système.
Frédéric Couchet : On n’est pas que le passager clandestin dont tu parlais tout à l’heure.
Philippe Bareille : C’est tout à fait ça, sortir du bois, s’assumer en disant « oui, nous sommes nous-mêmes consommateurs d’open source, nous sommes producteurs d’open source. Nous cherchons à valoriser ce travail-là, nous cherchons des partenaires, nous cherchons des personnes avec qui on pourrait coconstruire, on pourrait cofinancer cette solution ». Donc, au final, il y a un moment où il faut communiquer dessus, c’est ce qu’on fait aujourd’hui et merci.
L’OSPO permet d’avoir une feuille de route dédiée à l’open source et qui puisse correspondre aux attentes de la feuille de route du numérique dans une structure.
Donc, quel que soit le type de structure, que ce soit du secteur privé, public, académique, etc., un OSPO est tout à fait implémentable, il n’y a aucune contrainte forte, c’est juste un signal fort qui est donné à l’extérieur disant que oui, on considère l’open source comme étant un levier de productivité, de gain, de souveraineté. On en adopte les bonnes pratiques et les préceptes. On partage ses valeurs. On a un point de contact qui est effectivement identifié et cette personne, à la ville de Paris, c’est moi-même pour l’instant. Mais, dès qu’on a la possibilité de partager aux équipes, on est cet écran, cette ouverture, ce point de contact, cette main tendue auprès des communautés.
Frédéric Couchet : Est-ce que l’OSPO est forcément incarné par une personne ou est-ce que ça peut être une entité, même informelle ?
Philippe Bareille : C’est une entité informelle, c’est tout à fait ça. C’est pour cela que je dis pour l’instant, mais, au final, ça peut être interchangeable ; on a une boite mail qui est relevée par un certain nombre de personnes. Au final, c’est un écran, c’est vraiment un point d’entrée vers la structure.
Frédéric Couchet : D’accord. Est-ce qu’il y a une OSPO des meilleures pratiques, c’est-à-dire, quand on met en place cette entité ou cette personne, cette stratégie logiciels libres, y a-t-il des cases qu’on doit cocher ? Tu disais tout à l’heure qu’on n’est pas qu’une personne, une structure utilisatrice, on est aussi contributrice. Y a-t-il une gouvernance ? Y a-t-il des cases à cocher pour que ça fonctionne ?
Philippe Bareille : Oui, selon moi, oui. On a eu la chance d’être une des premières administrations à mettre en place, à travailler sur cette notion d’OSPO, sachant que nos premiers travaux et nos premières décisions remontent à 2019, quand même, ça ne date pas d’hier ! Nous sommes membre de l’association OW2. Lorsqu’elle a commencé ses travaux de définition d’un OSPO, la difficulté était de trouver un terrain d’entente qui puisse correspondre à tout secteur d’activité, un cadre qu’on s’engage à respecter. Si on veut lancer un OSPO, quelles sont les démarches à suivre, quelles sont les idées à considérer, quels sont les domaines d’application de l’OSPO, en gros quels sont les domaines que l’open source pourrait m’aider à valoriser, à résoudre, quels sont les problèmes à résoudre, en quoi l’open source peut résoudre certains sujets dans tous les domaines ?
On a donc eu la chance de travailler avec OW2, ça a duré deux ans. J’ai pris un des premiers exemplaires avec moi aujourd’hui.
Frédéric Couchet : Tu vas le traduire en français.
Philippe Bareille : Merci ! C’est un cahier de bonne gouvernance pour la mise en place d’un OSPO dans une structure, quelle qu’elle soit.
Frédéric Couchet : C’est le manuel de bonne gouvernance d’un OSPO. Je crois que c’est un document public, c’est ça ?
Philippe Bareille : C’est un document public.
Frédéric Couchet : On rajoutera dans les références sur le site.
Philippe Bareille : Avec grand plaisir. On peut le trouver dans toutes les bonnes librairies, parce qu’il est effectivement commercialisé, mais on peut tout à fait le télécharger et l’imprimer chez soi. C’est un document qui permet d’appliquer un cadre et qui permet d’identifier tous les sujets que l’open source peut impacter de près ou de loin. Ça ne veut pas dire qu’on s’engage à résoudre chacun de ces domaines, on en a identifié 25, par contre, charge à chaque structure de définir les priorités. Par exemple si, pour le volet RH, ressources humaines, elle estime que l’open source peut valoriser son recrutement, la valeur ajoutée de ses agents ou de ses employés, etc., ça doit apparaître dans les fiches de poste, tout le cadre légal doit être adressé pour leur permettre soit de contribuer à des projets extérieurs, soit d’avoir une identité propre, j’allais dire de « commiteur », de contributeur à des projets que ce soit interne ou en externe. C’est juste un exemple de l’open source appliquée aux ressources humaines. Ce livre, ce petit notebook, permet de ne rien oublier, d’avoir le spectre le plus vaste possible pour savoir, en connaissance de cause, dans quoi on s’engage et, ensuite, libre à nous de l’implémenter et de laisser certains sujets qui ne sont pas prioritaires parce que peut-être que l’environnement de l’entreprise ne s’y prête pas, peut-être que ça ne correspond pas à la feuille de route de l’entreprise ou de la structure. C’est tout à fait libre. Je fais souvent le rapprochement avec les méthodes agiles, tout le monde dit faire de l’agile. Au final, même si onen adopte un ou deux préceptes, ce n’est déjà pas mal parce qu’on fait ce qu’on peut aussi.
Frédéric Couchet : En une phrase, c’est quoi faire de l’agile ?
Philippe Bareille : On va dire que l’agile une méthode d’organisation qui couvre un certain nombre de préceptes, je crois qu’il y en a 12 qui ont été traduits dans toutes les langues. Au final, ce sont des meetings quotidiens, ce sont des cycles très courts d’amélioration de projets ou de construction de projets, avec une facilité d’adaptation sur des cycles les plus courts possibles.
Frédéric Couchet : Pour éviter de rentrer dans des longs cycles de développement. Si vous voulez en savoir plus, je vous renvoie sur l’émission Libre à vous ! concernant l’agilité. Vous avez sur libreavous.org et vous cherchez « méthodes agiles », parce que je n’ai pas en tête le numéro de l’émission, on a consacré une émission à ce sujet.
Le temps file très vite, il nous reste relativement peu de temps.
J’avais deux questions. La première : quelles sont vos relations de travail entre toi qui es OSPO et toi, Magali, qui est bureau de l’ingénierie logicielle et développement. Comment cela passe-t-il en fait ?
Magali Lemaire : On a des réunions hebdomadaires avec Philippe pour définir effectivement la stratégie qu’on met en place. On a un comité global de gouvernance de Lutece et ensuite, avec Philippe, on décline des plans d’action hebdomadaires dans lesquels, effectivement, on évalue ce qu’on met en place, notamment dans le cadre de CiteLibre ou les opérations qu’on doit faire pour packadger ou pour préparer les interventions de Philippe pour l’accompagner sur la communication sur des salons. C’est vraiment très pragmatique. Après, c’est comment on le décline au quotidien au sein de l’organisation, comme on arrive à communiquer à l’extérieur, mais vraiment aussi au sein de la ville de Paris, puisqu’on a énormément de personnes qui l’utilisent. Du coup, on a un gros travail de communication et d’accompagnement des utilisateurs, avec du support. Tout cela fait partie d’OSPO.
Frédéric Couchet : D’accord. Mon collègue Étienne, qui est très réactif, me dit que c’est l’émission 59, donc vous pouvez aller sur libreavous.org/59 et vous retrouvez l’émission sur l’agilité.
Tu dis que les OSPO c’est relativement récent dans le secteur public. Donc, ma deuxième question : est-ce que vous avez commencé à avoir des réunions entre OSPO du secteur public ? Est-ce que vous profitez d’événements ou est-ce que vous avez des échanges plus réguliers ?
Philippe Bareille : Tout à fait. Merci pour cette question. Le fun fact associé à ça est que la ville de Paris a sorti son OSPO, a lancé son OSPO réellement en même temps que celui de la Commission européenne. On ne voyait pas d’autres villes dans le même processus de réflexion que le nôtre, heureusement, on a vu la Commission européenne. On commençait à regarder un petit peu de loin en se disant « tu fais ça, très bien, sache que nous aussi. À la limite, on se refait une réunion, une rencontre, quand on sera chacun prêt, qu’on aura identifié nos besoins et en quoi on considère que l’OSPO pourrait répondre à une certaine démarche là-dedans. » Ça remonte à 2019, comme je le disais, et en 2020/2022, ça y est, tout était établi chacun de notre côté, et on a pu se dire « en fait, si on évangélisait un petit peu sur cette façon de travailler, sur cela, ne serait-ce que dans l’Union européenne, au sein des États membres », ça a immédiatement pris, très clairement.
Conjointement, on a lancé un réseau d’OSPO européens qui, aujourd’hui, compte 17 membres. On a de nouvelles villes qui rejoignent un petit peu ce mouvement. On va se réunir une fois par mois, une petite heure, pour se tenir au courant des travaux respectifs, voir dans quelle mesure on peut partager soit des bonnes pratiques de l’OSPO, soit des sujets qu’on pourrait avoir en commun, faire profiter chacun de bonnes pratiques ou de questions posées au réseau et cela nous profite beaucoup.
Frédéric Couchet : D’accord. Finalement, quelque part, l’OSPO c’est aussi une politique d’ouverture pour dire « voilà comment on fait, on veut voir comment vous faites, pour progresser dans cette mise en place d’une stratégie logiciels libres. »
Philippe Bareille : C’est tout à fait ça.
Frédéric Couchet : Comme tu le disais, les OSPO sont un peu plus développés dans les entreprises, est-ce que vous avez aussi des discussions entre collectivités et entreprises, même si les situations, évidemment, ne sont pas les mêmes, néanmoins les logiciels que vous utilisez sont les mêmes, les processus sont souvent les mêmes ? Avez-vous des discussions à ce niveau-là ?
Philippe Bareille : Ça arrive. Je parlais tout à l’heure du cahier de la bonne gouvernance open source. En fait, on l’a fait avec l’association W2, mais il faut savoir qu’il y a Orange, Siemens, Nokia, Mercedes, me semble-t-il, a contribué également et des associations. On parlait tout à l’heure de la Free Software Foundation Europe qui a également contribué à ce travail-là. Donc déjà par notre emprise dans l’écosystème, on a clairement des liens directs avec des homologues de structures privées, publiques, et autres.
C’est un petit peu comme si on oubliait l’étiquette qu’on av. On a des considérations qui sont tout à fait identiques, mais dans des domaines d’application complètement différents.
Frédéric Couchet : D’accord. On approche bientôt de la fin, donc de la question finale. Mais avant, et pour être sûr de ne pas oublier, peut-être avez-vous justement des annonces à faire, que ce soit concernant Lutece, par exemple, une nouvelle version, soit sur la présence à des événements ? Concernant Lutece, avez-vous des annonces à faire ou des évolutions qui vont venir ?
Magali Lemaire : On prévoit effectivement une nouvelle version de Lutece sur 2025, on passe sur Jakarta, un autre environnement développement.
Frédéric Couchet : Avant, vous étiez sur Java, c’est ça ?
Magali Lemaire : Oui, on était sur Java. Nous avons décidé de passer sur Jakarta pour garder notre souveraineté, parce qu’Oracle a la mainmise sur Java, sur les évolutions de Java, qui est un langage de programmation pour l’environnement de développement.
Philippe Bareille : Là où c’était tout à fait ouvert, ils ont refermé.
Magali Lemaire : Ils ont refermé.
Frédéric Couchet : Du coup, c’est un gros chantier !
Magali Lemaire : C’est un énorme chantier pour nous, déjà, parce qu’on a quand même 500 plugins, modules, on a quand même beaucoup de développement à faire pour effectivement rester compatibles avec la bonne stratégie, pour ne pas perdre tout le monde en cours de route. On fait donc un travail énorme avec notre équipe pour arriver à atteindre effectivement cette feuille de route et évoluer aussi vers des solutions de conteneurisation dont Philippe a parlé tout à l’heure. On est beaucoup challengé en permanence, comme on est une vieille équipe, pour arriver à rester à un niveau technique qui soit tout à fait acceptable et évolutif.
Philippe Bareille : Et en termes d’événements à venir, demain commence l’Open Source Experience qui a lieu chaque année au Palais des Congrès à Paris, j’y serai présent ; sur le village OW2, on aura un stand pour parler de notre solution et de tous nos travaux dans l’open source. J’y serai présent mercredi et jeudi sur toute la durée du salon.
Ensuite, au début de l’année prochaine, nous serons présents à Échirolles pour la deuxième édition de leur nouvel événement dédié à l’open source qui s’appelle AlpOSS Alpes Open Source Software.
Nous serons certainement présents dans différents salons européens pour nous adresser à une audience, faire partager ce qu’on fait et essayer de trouver des partenariats.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc, si vous voulez croiser Philippe, demain et après-demain, donc mercredi 4 et jeudi 5 décembre, c’est au Palais des Congrès, au salon Open Source Experience, il intervient deux fois, une fois en français et une fois en anglais, avec, je crois, d’autres OSPO dans la partie anglaise.
Philippe Bareille : Tout à fait.
Frédéric Couchet : Je préviens Étienne, qu’il n’y aura pas de pause musicale.
Dernière question. Pour conclure, quels sont les éléments clés à retenir selon vous, en moins de deux minutes chacune et chacun, qui veut commencer ? Magali.
Magali Lemaire : Je vais démarrer. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’on développe effectivement une solution libre ; qu’on met des packages à disposition des collectivités, qui sont accessibles ; je pense que c’est surtout cela qu’il faut retenir. Il ne faut pas hésiter à prendre contact avec nous, à venir nous voir, à nous contacter, nous sommes accessibles et on peut répondre à pas mal de questions. Avec Philippe, nous sommes vraiment à disposition pour répondre aux questions des collectivités ou associations qui seraient intéressées par la solution.
Frédéric Couchet : Merci. Philippe.
Philippe Bareille : Merci Magali. Oui, c’est tout à fait ça. Le message qu’on cherche à faire passer, c’est cette ouverture et le fait qu’on peut, effectivement, partager une gouvernance, même si c’est la ville de Paris qui en est à l’initiative, nous ne sommes pas les seuls, nous n’en sommes pas les propriétaires. On ne garde pas ça comme une chasse gardée dont on ne veut pas partager tous les bienfaits. On est là pour en parler, pour partager, pour se rendre à l’évidence qu’on partage un certain nombre de besoins et qu’on n’a pas forcément besoin de payer à nouveau pour les mêmes choses, mais faites différemment.
Je comprends qu’il y ait un sentiment, une volonté de faire les choses soi-même, de venir mettre la première brique de projet. Mais ce qui est bien aussi, et c’est ce que nous nous efforçons de faire, parce qu’on ne va parvenir sur 23 ans de travail sur Lutece, mais dès qu’on peut, on réutilise une brique logicielle qui nous permet d’aller plus vite, donc pour Lutece, et d’autant plus CiteLibre. Il faut regarder le paysage avant de chercher à développer soi-même.
Magali Lemaire : Et contribuer. Venez contribuer !
Frédéric Couchet : Merci. On a consacré une émission au sujet de la gouvernance. Je vous renvoie à l’émission 205 avec Sébastien Dinot, que tu connais peut-être, Philippe.
Philippe Bareille : Tout à fait.
Frédéric Couchet : D’ailleurs, je pense qu’il sera demain au salon Open Source Expérience. C’est l’émission 205. Vous avez retenu le fonctionnement de l’émission, libreavous/205, vous trouvez l’émission, podcast et transcription disponibles, donc l’émission sur la gouvernance avec Sébastien Dinot.
Merci, Philippe Bareille et Magali Lemaire, pour cet échange.
Magali Lemaire : Merci
Philippe Bareille : Merci à vous.
Frédéric Couchet : Et vous aurez sans doute l’occasion de revenir dans quelques années pour nous parler des évolutions de Lutece et de l’OSPO.
Philippe Bareille : On viendra avec la communauté.
Frédéric Couchet : On ne va pas faire de pause musicale, on va enchaîner directement par le sujet suivant.
[Virgule musicale]
Chronique « À la rencontre du Libre » de Julie Chaumard sur « Retour d’expérience de la messagerie libre Galae »
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre avec la chronique