Émission Libre à vous ! du 19 novembre 2024
Titre : Émission Libre à vous ! diffusée sur Radio Cause Commune le mardi 19 novembre 2024
Intervenant·es : Florence Chabanois - Marta Rybczynska - Michael Opdenacker - Gee - Frédéric Couchet - Elise à la régie
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 19 novembre 2024
Durée : 1 h 30 min
Page de présentation de l'émission
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Déjà prévue.
NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription
Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Informatique embarquée logiciels libres, c’est le programme de l’émission du jour. Avec également au programme, en début d’émission, la chronique de Gee intitulée « L’April a 28 ans » et, en fin d’émission, la chronique de Florence Chabanois sur le thème « On ne rigole plus et on se lève ».
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org.
Nous sommes mardi 19 novembre 2024, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission aujourd’hui, Bookynette. Salut Booky.
Bookynette : Salut Fred.
Frédéric Couchet : Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « Les humeurs de Gee » – « L’April a 28 ans »
Frédéric Couchet : Nous allons commencer par la chronique « Les humeurs de Gee ». Gee, auteur du blog-BD Grise Bouille, vous expose son humeur du jour : des frasques des GAFAM aux modes numériques, en passant par les dernières lubies anti-Internet de notre classe politique, il partage ce qui l’énerve, l’interroge, le surprend ou l’enthousiasme, toujours avec humour. L’occasion peut-être, derrière les boutades, de faire un peu d’éducation populaire au numérique. Le thème de la chronique du jour : « L’April a 28 ans ». Bonjour Gee.
Gee : Salut Fred
Frédéric Couchet : Merci Gee. En plus, c’est extraordinaire, parce que Magali et toi vous êtes présents au studio et on me dit, dans l’oreillette, que la rédaction du Lama déchaîné veut intervenir. On va donc ouvrir l’antenne une cinquantaine de secondes à la rédaction du Lama déchaîné.
Message de la rédaction du Lama déchaîné
[Virgule sonore]
Gee : Ici, en direct de la rédaction du Lama déchaîné, nous vous parlons d’une actualité brûlante.
Bookynette : La campagne de soutien financier de l’April ?
Gee : Oui. Pour bien finir l’année, l’association a besoin de pas moins de 20 000 euros. Alors, pour vous convaincre d’adhérer ou de faire un don, elle nous a embauchés, bénévolement, pour publier un hebdomadaire chaque mercredi.
Bookynette : Mais c’est demain le prochain numéro, alors ?
Gee : Eh oui ! Et il y en aura jusqu’à la fin de l’automne. Ça parle des actions de l’April, de ses membres, mais pas que !
Bookynette : Il paraît qu’il y a même des mots croisés et des anecdotes rigolotes.
Gee : Oui, la plume a également été proposée à d’autres associations ou à des personnes non-membres.
Bookynette : Rendez-vous sur April.org/campagne. Le lien sera sur la page de présentation de l’émission.
Gee : On compte sur vous pour soutenir le travail essentiel de l’April.
[Virgule sonore]
Frédéric Couchet : C’était donc à l’antenne Magali et Gee qui sont aussi en direct là.
En tout cas, merci Gee. Je rappelle que ton site web c’est grisebouille.net sur lequel on peut te soutenir, on peut aussi te passer des commandes de dessins parce que tu es dessinateur. Pour avoir fait appel à toi pour un besoin personnel, je confirme que tu as beaucoup de talent et que tu es très réactif.
Gee : Merci beaucoup.
Frédéric Couchet : Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Après la pause musicale, nous parlerons d’informatique embarquée, donc nous allons pas mal parler du noyau Linux, et de logiciels libres.
En attendant, nous allons écouter À toi de jouer par KPTN, en duo avec le groupe 7Fridays. On se retrouve dans trois minutes vingt. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : À toi de jouer par KPTN, en duo avec le groupe 7Fridays.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter À toi de jouer par KPTN, en duo avec le groupe 7Fridays, disponible sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA. Le site de KPTN, c’est kptn.org
[Jingle]
Frédéric Couchet : On va passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Informatique embarquée et logiciels libres avec Marta Rybczynska et Michael Opdenacker
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui va porter sur l'informatique embarquée et les logiciels libres, avec nos invités Marta Rybczynska et Michael Opdenacker.
N'hésitez pas à participer à votre conversation au 09 72 55 51 46 ou sur le salon web dédié à l'émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
C'est un sujet un peu particulier, assez technique, mais qui ne va pas être rendu trop technique par nos intervenante et intervenant. Déjà, nous allons commencer par une présentation, la question classique de présentation personnelle rapide, pour que les gens vous connaissent un petit peu mieux. On va commencer par Marta.
Marta Rybczynska : Bonjour tout le monde. Je m'appelle Marta Rybczynska et mon travail à un impact sur les milliards de devices que vous utilisez tous les jours. Comment suis-je arrivée là ? J’ai un double master en informatique et sécurité réseaux, ensuite j'ai fait une thèse en sécurité aussi. À l'époque, vers 2005, c'était assez difficile de se faire financer un travail sur la sécurité dans le Libre, j'ai donc fait un détour dans une société de semi-conducteurs et ça m'aide, aujourd'hui, parce que je comprends d'où viennent les bugs matériels.
Après ce passage, j'ai décidé de me lancer à mon compte. J'ai d'abord créé Syslinbitet, puis Ygreky pour travailler sur l’embarqué et surtout sur la sécurité du Libre. Aujourd'hui, je peux dire que je suis sur la sécurité du Libre 100 % de mon temps.
Frédéric Couchet : D'accord. Merci Marta. Michael.
Michael Opdenacker : Bonjour à tous et à toutes. Moi, je suis Michael Opdenacker. Je suis consultant et formateur en informatique libre embarquée. J'ai commencé à peu près il y a 20 ans dans le Libre, vraiment en tant que contributeur actif. J'avais créé une première société qui s'appelait Bootlin, que j'ai fait connaître dans le monde entier par des contributions à des projets libres comme le noyau Linux, mais aussi par des supports de formation qui sont partagés de façon intégrale sous licence libre, ce qui nous a fait connaître très vite. Plus nous étions ouverts, plus nous partagions du code et de l'expérience, plus nous étions visibles et plus nous avions de clients pour financer nos activités et boucler la boucle.
Depuis, j'ai passé la main à deux collaborateurs et je suis repassé indépendant dans le cadre d'une société qui s'appelle Root Commit, pour ne faire plus que du conseil et de la formation.
Je suis aussi un libriste et adhérente de l'April, d'assez longue date, peut-être pas autant que les gens dans cette salle, bien sûr. J'ai même eu notre prophète Richard Stallman à la maison quelques jours, peut-être que vous l'avez aussi vécu, et c'est une expérience, croyez-moi !
Frédéric Couchet : On va pas qualifier l'expérience d'avoir Richard à la maison, pour l'avoir aussi vécue. Je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui ce soit encore le prophète de beaucoup de gens. Ceci est une autre histoire suite aux évolutions récentes de la FSF, la Fondation pour le logiciel libre, et de Richard Stallman.
En tout cas, merci pour cette présentation.
On va donc parler d'informatique embarquée et de logiciels libres. On peut peut-être déjà commencer par définir ce que sont les systèmes embarqués, parce qu'il est possible que les gens qui nous écoutent ne connaissent pas du tout ce domaine. Est-ce que vous pourriez nous expliquer un petit peu ce qu’est l'informatique embarquée ? Qui veut commencer ? Michael, vas-y.
Michael Opdenacker : Pour moi, l'informatique embarquée, c'est l'informatique qui n'est pas embarquée dans un ordinateur normal. C'est donc l'informatique qui tourne sur tout autre chose qu'un PC ou un serveur. Ça tourne sur une petite carte électronique, plus ou moins grosse, qui a une fonction bien particulière, ça peut être une machine à laver, ça peut être un parcmètre, ça peut une couveuse. Peut-être que Marta a envie de citer d'autres exemples.
Marta Rybczynska : On a de l’embarqué tout autour de nous : un frigo, une radio, un microphone, un téléphone portable, ce sont tous des équipements embarqués qu’on utilise tous les jours, sans même parler des machines de vente des billets de métro. C'est partout.
Frédéric Couchet : D’accord. Donc, ce que tu appelais tout à l’heure device, c'est en fait un équipement, c'est un matériel qui embarque une partie logicielle et la partie logicielle, c'est, quelque part, le système embarqué. Contrairement à l'informatique que la plupart des gens connaissent, avec un ordinateur portable ou un ordinateur de bureau avec lequel on interagit, là, dans le système embarqué, on interagit avec le matériel et aussi un petit peu avec le logiciel. C’est donc présent partout aujourd’hui.
Depuis combien d'années, à peu près, l’embarqué se développe-t-il ? C'est récent ? Vous avez une idée ?
Marta Rybczynska : C'est aussi vieux que l'informatique elle-même, si on part de l’histoire des logiciels libres : quand Richard Stallman a commencé, c'était avec un logiciel d'imprimante. C'était donc déjà embarqué.
Frédéric Couchet : D'accord, OK.
Avant de rentrer dans la partie logiciels libres au niveau de l'embarqué, ça veut dire qu'il y a principalement des grands acteurs, des grandes structures, des grands industriels dans l'embarqué. C'est plutôt un monde de grandes structures, parce que, tout à l'heure, quand on va parler de vos structures, on va se rendre compte que ce n'est pas du tout ce même niveau. Donc, ce sont principalement quoi ? Des acteurs industriels dans la téléphonie, dans l'automobile, qui interviennent.
Michael Opdenacker : Oui et non. Je dirais qu'il y a effectivement des grands systèmes, des gens qui font des puces sur lesquelles on va faire tourner du logiciel embarqué, comme Arm, etc., des gens qui peuvent être assez connus dans le monde du téléphone, par exemple, mais il y a aussi des tout petits intégrateurs, des petites PME, qui vont faire des produits, par exemple un appareil particulier qui va faire faire le distributeur de billets de métro, pas forcément très gros, et qui sont spécialisés dans un produit particulier. C’est ce qui est un peu spécial dans l'embarqué, c'est qu’on a vraiment un logiciel sur mesure, avec juste les composants dont on a besoin. Donc on n'a pas toute une Debian, par exemple, une distribution GNU/Linux, on n'a pas besoin de toute cette complexité, parce qu'on fait une seule chose et on la fait bien.
Frédéric Couchet : D'accord. Rappelle quand même ce qu’est une distribution GNU/Linux.
Michael Opdenacker : C’est quelque chose qu'on peut installer sur son PC, qui va fonctionner comme un Windows. C'est un ensemble de logiciels qui vont faire tourner l'ordinateur et apporter toutes les fonctionnalités qu'on attend : pouvoir se connecter à Internet, pouvoir afficher une vidéo, et faire tourner les programmes de son choix.
Frédéric Couchet : D'accord. Donc, ça permet de répondre à tous les besoins, en tout cas au maximum de besoins des personnes. Là où finalement, si je comprends bien, le logiciel embarqué répond à une fonctionnalité précise. C'est ça, Marta ?
Marta Rybczynska : C’est ça. On a une fonctionnalité principale dans l’équipement, par exemple la gestion d'un écran et d’un clavier là où quelqu'un va acheter les billets et on ne permet pas d'utiliser les autres fonctions que, peut-être, cet équipement pourrait faire.
La particularité que je vois de l’embarqué en Europe, c’est qu’on a énormément de structures de cinq, dix, 20 personnes qui font ce type d'équipement et ce sont les logiciels libres qui ont permis ces développements.
Quand j'ai commencé ma carrière, mon premier travail c'était dans une petite société et là on écrivait tout nous-mêmes. Ça allait dans les années 2000, mais aujourd'hui, écrire tous les logiciels qui gèrent les réseaux, qui gèrent le Bluetooth, qui gèrent toutes les puces électroniques qu'on utilise, ce n’est tout simplement pas possible, il faudrait une équipe d’une centaine de personnes et, pour la petite structure de dix de personnes, ce n’est pas possible. Donc les développements de nouveaux produits qu’on voit, viennent du fait que ces petites structures sont capables de prendre tous les composants libres qui existent, de les assembler, d’écrire éventuellement une toute petite explication sur ce que fait la fonction pour ce type d'équipement.
Frédéric Couchet : D’accord. Avant de rentrer dans le détail de la partie logiciels libres, est-ce que ça veut dire que, dans le monde de l'embarqué, il n'y a pas de logiciels privateurs, c’est-à-dire non libres, du tout ?
Michael Opdenacker : Ah si, parce que les applications développées par le créateur de la machine sont propriétaires. Elles n’ont aucune obligation, d'ailleurs, d'être libres. Donc souvent ces parties-là, ces briques métiers spécifiques à chaque matériel, sont propriétaires, privatrices. Par contre, ces gens-là peuvent collaborer sur l'infrastructure, sur toutes les briques communes qu’ils utilisent. D’ailleurs, c'est assez intéressant de voir ces sociétés qui collaborent ouvertement, qui partagent les efforts d'ingénierie pour améliorer les couches d'infrastructure qu’ils utilisent. Par exemple plein d'entreprises, souvent concurrentes, travaillent ensemble pour améliorer le noyau Linux, le cerveau du système.
Frédéric Couchet : Donc, si je comprends bien, en fait toutes ces structures, qu'elles soient petites ou grandes, voient avant tout un aspect pragmatique de la partie logiciel libre. C'est-à-dire qu'elles ont une base logicielle qui est le noyau Linux – peut-être détaillerez-vous après ce que fait ce fameux noyau –, un logiciel libre sur lequel ces structures peuvent rajouter une sorte d'interface qui peut être libre mais qui est souvent plutôt une interface privatrice ou propriétaire, c'est ça ?
Marta Rybczynska : Tout à fait.
Frédéric Couchet : On va parler du noyau Linux et d'autres outils, est-ce que vous pourriez expliquer ce que fait un noyau de système d'exploitation, notamment le noyau Linux. Quel est son rôle ?
Marta Rybczynska : Le noyau permet d'utiliser les matériels. Aujourd'hui, les équipements qu'on a, les puces électroniques sont assez complexe et on a besoin de beaucoup de logiciels juste pour utiliser leurs fonctions. Au lieu d’écrire à chaque fois ces logiciels compliqués, on a une couche qui s'appelle un système d'exploitation qui nous fait l'interface. Assez souvent, pour tous les types de matériels similaires, ça offre la même interface aux développeurs de couches métiers et ça simplifie le développement de notre application derrière.
Frédéric Couchet : D'accord. Noyau Linux, tout à l'heure Gee, dans sa chronique, a évoqué la version 2.0 en 1996 ; la première version publique, c'est 1991, c'est ça ?
Michael Opdenacker : Tout à fait.
Frédéric Couchet : Est-ce que vous savez à partir de quel moment des industriels ou des structures ont commencé à s'intéresser à ce noyau pour, justement, s'en servir de base commune pour l'embarqué ? Est-ce arrivé tout de suite ?
Michael Opdenacker : Plutôt à la fin des années 90, si je ne me trompe pas, quand on a commencé à avoir des appareils connectés comme des caméras ou des appareils réseau qui n'étaient plus sur des PC, en quelque sorte, contrairement aux premiers serveurs sur Internet. À ce moment-là, on a fait marcher Linux sur d'autres plateformes, d'autres processeurs. Au lieu d’avoir le même microprocesseur que dans votre PC, vous avez un type de processeur qui ressemble plus à ce qu'on trouve dans les téléphones, par exemple.
Frédéric Couchet : C'est un matériel particulier, en fait. On comprend bien que le choix du noyau Linux est un choix de mutualisation, sans doute de coût d'ingénierie. Est-ce aussi un choix de performance ? N'y avait-il pas d'autres moyens qui pouvaient être utilisés ?
Marta Rybczynska : C'était possible. Je ne sais pas exactement comment ça s'est passé. Pour moi, la révolution dans le monde de l’embarqué, du point de vue de l'utilisation de Linux, ça a été Android. Android utilise le noyau Linux et c'était le moment où Linux a commencé à être utilisé dans les milliards de téléphones. Il y a donc eu un effort financier assez important pour améliorer, corriger des choses, ajouter de nouvelles fonctionnalités. À partir de là, c'était un choix logique, pour toutes les autres sociétés, d’utiliser ce noyau qui a le support de toutes les puces qu’on pouvait vouloir mettre dans son équipement.
Frédéric Couchet : Ce qui est intéressant, visiblement, c'est que ces structures-là contribuent directement à un système libre, pour des raisons pragmatiques de business. Leurs contributions peuvent être réutilisées par d'autres structures, mais aussi par des développeurs ou développeuse indépendantes. C'est ça ?
Michael Opdenacker : Exactement. Je voudrais en profiter pour faire une comparaison avec Windows : avec Linux, on a un noyau et avec les Windows, on a des pépins !
Frédéric Couchet : Joli !
Michael Opdenacker : C'est pour cela qu'on a choisi un noyau.
Frédéric Couchet : Tout à l’heure, tu parlais de distribution GNU/Linux, là, on parle du noyau Linux. Dans une distribution GNU/Linux, il y a le noyau Linux, il y a les outils, il y a plein de choses autour. Pour l'embarqué, le principal logiciel qu'on utilise, c'est Linux. Est-ce qu’il y a des logiciels spécialisés ? Est-ce qu'on pourrait mettre, par exemple, une distribution comme Debian dans de l'embarqué ou est-ce qu'on doit développer spécifiquement quelque chose ? Michael Opdenacker : Curieusement, effectivement, on utilise dans l'embarqué un projet qui s'appelle BusyBox. C'est un projet qui vient d'un ancien mainteneur de la distribution Debian qui s'appelait Bruce Perens. C'était une époque où il fallait une trentaine de disquettes pour installer une Debian. Il arrivait, parfois, que le disque dur soit planté. Ce qu’il voulait, dans ces cas-là, c’était pouvoir redémarrer sur une seule disquette son ordinateur avec tous les outils qui suffiraient – un petit éditeur de texte, des petites commandes pour le réseau –, pour réparer son disque dur et refaire marcher sa machine sans avoir à tout réinstaller. On a donc un petit projet, qu'on utilise pratiquement dans la quasi-totalité des systèmes embarqués, qui s'appelle BusyBox, et pour ceux qui connaissent, on retrouve des équivalents très simples, très légers, de commandes que vous trouvez sur une distribution GNU/Linux, les petites commandes qu’on tape. Il existe des versions beaucoup plus légères qui sont déployées pratiquement partout. Donc, quand vous avez un petit périphérique embarqué, un matériel embarqué, vous arrivez à vous connecter à distance dessus, vous pouvez retrouver votre éditeur, vous pouvez retrouver vos commandes si vous êtes informaticien, c'est très rigolo.
Frédéric Couchet : Je souris parce que sur le salon web, quelqu'un me demande comment ça s'écrit. C’est BusyBox, développé principalement au début par Bruce Perens. C'est donc le premier outil. Est-ce qu'il y en a d'autres ? On parlait tout à l’heure des distributions grand public ou pour serveurs, en général GNU/Linux, est-ce qu’il y a, entre guillemets, des distributions ou des outils « spécialisés » pour construire un système embarqué à base de Linux au-delà de BusyBox. Marta.
Marta Rybczynska : Tout à fait. BusyBox est un outil qu’on met dans son système. Dans l’embarqué, on fait face à un gros problème : le processeur qu'on utilise a beaucoup moins de ressources qu'un processeur de PC. Le plus souvent, on a moins d'espace disque, donc on a besoin d'avoir une distribution beaucoup plus petite qu’une Debian, Fedora ou Red Hat standard. Pour ces raisons-là, on utilise des outils pour construire une distribution sur mesure. Et là, deux solutions sont les plus utilisées : Buildroot et Yocto Project. Certaines personnes essaient de tout faire depuis le début, mais, avec le nombre de logiciels aujourd’hui, même si on a une petite plateforme embarquée, faire tous ces assemblages à la main, ça devient assez compliqué. Donc, majoritairement, on utilise un de ces deux systèmes pour choisir exactement que ce qu'on veut mettre dans son système avec ce dont on a besoin.
Michael Opdenacker : Au passage, c'est marrant pour ceux qui seraient nostalgiques des débats entre éditeur de texte Vim et Emacs. Dans l'embarqué, on a Buildroot ou Yocto et chacun a son camp, fait partie de son camp.
Frédéric Couchet : Pour être clair, ces deux outils sont des outils libres. Que font-ils exactement par rapport à BusyBox et quelle est la différence entre les deux, à part, peut-être, des différences d'équipe, je ne sais pas ? Que font-ils exactement par rapport à BusyBox ?
Michael Opdenacker : Ce sont des outils que vous lancez. Vous définissez une configuration, vous dites un peu ce que vous voulez mettre dans votre système, il y a différentes façons de le décrire, et, après, vous lancez l'outil et l'outil va compiler, va récupérer les sources, le code source de chacun des logiciels, par exemple du noyau Linux, de BusyBox et les autres sur Internet. Il se connecte, il les compile, compiler, ça veut dire transformer le code source en code machine. Après, ça vous crée une image que vous pouvez mettre sur une carte SD, par exemple, et vous démarrez votre machine avec ça. C’est prêt à l'emploi.
Frédéric Couchet : D'accord. Quelle est la différence entre les deux, à part que ce sont deux projets concurrents ? Est-ce qu’il y a vraiment des différences fonctionnelles par rapport aux besoins, par rapport au type de système embarqué qu'on veut ? Marta.
Marta Rybczynska : La différence est surtout dans la manière de décrire la façon dont on va construire son système. Les mêmes logiciels peuvent être inclus dans les deux. La différence, c'est la manière de configurer et la manière dont la personne qui développe le système va choisir ce qu'elle veut. Et là, on rentre dans les préférences comme entre Vim et Emacs.
Frédéric Couchet : D'accord. On parle de développeurs et développeuses. En termes de connaissances techniques, au-delà de connaître ces outils, faut-il connaître des langages de programmation ? Faut-il s'y connaître vraiment en types de processeurs ? Quelles sont les compétences pour entrer dans ce domaine ?
Michael Opdenacker : Je pense que ce qu'on voit beaucoup, quand on crée un système libre embarqué, c'est surtout du langage C pour écrire des applications de base et après un peu de ce qu'on appelle shell, c'est encore un langage de programmation pour lier les programmes entre eux. Python aussi, de plus en plus, qui est un autre langage de script très populaire sur Internet.
Frédéric Couchet : Qui se développe beaucoup. Il n’y a pas très longtemps a eu lieu la conférence Python à Strasbourg, la PyCon. J'espère que des vidéos de présentation.
Donc, entre guillemets, « n'importe quelle personne qui travaille dans l'informatique » peut finalement se mettre sur ce domaine. Dans mon imaginaire, pour être clair, je pensais qu'il fallait coder ce qu'on appelle bas niveau, c'est-à-dire vraiment tout maîtriser, passer beaucoup de temps à tout écrire pour faire de l'embarqué. Donc, quelque part, qu’il fallait des compétences un peu au-dessus de la normale. En fait, finalement, ce n'est pas le cas.
Marta Rybczynska : Non. On peut rentrer dans l’embarqué par la voie Linux et les systèmes de construction des distributions. Il y a un sous-métier, les embarqués avec les systèmes temps réel. Ce sont des noyaux qui sont encore plus petits pour les processeurs qui ont encore moins de ressources. On utilise ça par exemple dans les montres connectées et là, le plus souvent, il faut rentrer beaucoup plus dans le matériel, parce que sur ces systèmes, les contraintes sont si fortes qu’il faut choisir manuellement quelles fonctionnalités, pas les logiciels mais les fonctionnalités qu’on veut inclure ou non. Et, assez souvent, il faut écrire aussi les petits modules qui vont gérer le matériel. Donc, là, il faut rentrer un peu plus dans les détails.
Michael Opdenacker : Par contre, pour quelqu'un qui a l'habitude, qui connaît bien Linux, en particulier ce qu'on appelle son interface texte en ligne de commande, où on tape des commandes sur un terminal, c'est franchement facile de faire ses premières armes avec l'embarqué. On démarre sur un noyau qu'on a compilé, on a un shell qui se lance, on peut commencer à taper les commandes, démarrer ce qu'on veut. Donc, franchement, si vous connaissez déjà Linux, si vous avez une certaine habitude, une familiarité avec ce logiciel, avec ce système, n'hésitez pas à vous lancer dans l'embarqué, c'est très facile. Vous pouvez, par exemple, prendre des petites cartes qui coûtent pas cher, comme une Raspberry Pi ou d'autres. Vous trouverez plein de ressources pour les démarrer de 36 façons différentes avec la distribution de votre choix ou sur quelque chose que vous aurez construit sur mesure.
Frédéric Couchet : En fait, tu expliques qu’on peut se faire son propre système embarqué pour un besoin à la maison ou autre, par exemple pour piloter le chauffage à la maison ou des trucs comme ça.
Marta Rybczynska : Absolument. Et on peut faire ça sans aucune connaissance des matériels. On achète les petites cartes embarquées qui sont toutes prêtes. On a le support de ces cartes dans Buildroot ; il faut juste connecter le senseur aux autres équipements qu’on veut mettre. Il y a plein de tutos sur Internet pour savoir comment faire. Ça se fait en un ou deux jours, pendant un week-end de fêtes de fin d'année, ça peut être un projet assez sympa à faire.
Frédéric Couchet : D'accord. Donc l'embarqué ce n'est pas que dans une grosse structure, ce n'est pas que dans les grands environnements, ce n'est pas qu’en « production », entre guillemets, ça peut aussi chez soi.
Michael Opdenacker : Il y a énormément de listes dans ce domaine. C'est une communauté très vivante, on va dire.
Frédéric Couchet : D’accord. Nous allons faire une pause musicale avant de rentrer un peu dans le détail de ce que vous faites et aussi des défis.
Nous allons écouter You Will Be Wild par John Lopker. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : You Will Be Wild par John Lopker.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter You Will Be Wild par John Lopker, disponible sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By. Tout à l’heure, j’ai oublié de donner le sous-titre qui est Trump Slaves, les esclaves de Donald Trump.
[Jingle]
Deuxième partie 41‘13
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre notre discussion