Émission Libre à vous ! du 5 novembre 2024

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Titre : Émission Libre à vous ! diffusée sur Radio Cause Commune le mardi 5 novembre 2024

Intervenant·es : à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 5 novembre 2024

Durée : 1 h 30 min

Podcast PROVISOIRE

Page de présentation de l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue.

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous dans Libre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Recrutement et diversité de genre dans l’informatique, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme, la chronique de Benjamin Bellamy sur les cookies tiers et aussi la chronique de Vincent Calame sur La Convivialité d’Ivan Illich.

Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Le site web de l’émission c'est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles.

Nous sommes mardi 5 novembre 2024, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui, Élise. Bonjour Élise.

Élise : Bonjour tout le monde et bonne émission.

Frédéric Couchet : Merci. Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Le truc que (presque) personne n’a vraiment compris mais qui nous concerne toutes et tous » de Benjamin Bellamy sur les cookies tiers

Frédéric Couchet : Nous allons commencer par la chronique de Benjamin Bellamy, « Le truc que (presque) personne n’a vraiment compris mais qui nous concerne toutes et tous ». Aujourd’hui, Benjamin va nous parler des cookies tiers.
Bonjour Benjamin.

Benjamin Bellamy : Bonjour.
Ah, Internet ! Vous vous rappelez les fameuses « autoroutes de l’information » ? Internet, ce fabuleux réseau des réseaux, à l’échelle planétaire et qui, dans les années 90, est arrivé dans nos foyers avec la promesse d’une société hyper-connectée pour le meilleur et le encore meilleur ! Avec un accès pour toutes et tous à du contenu de qualité, gratuit, et sans publicité. C’était l’époque où tout semblait possible, où l’on imaginait un Web pur, un Web libre, un Web ouvert.
Et puis, bam !, le mur de la réalité : pour produire du contenu de qualité, il faut bien payer des créateurs et des créatrices, des développeurs et des développeuses, des serveurs et… des bobines de câble réseau ! On le sait aujourd’hui, du contenu de qualité, gratuit et sans pub, ce n’est pas possible. Ou bien c’est un cadeau, mais, là, quelqu’un l’a payé, donc ce n’est pas gratuit On s’est habitué à devoir choisir entre du contenu de qualité sans pub, mais pas gratuit, du contenu de qualité gratuit, mais avec de la pub, ou du contenu gratuit, sans pub, mais, pour la qualité, il ne va pas falloir être trop regardant !

Frédéric Couchet : Donc la publicité a financé le Web des débuts ?

Benjamin Bellamy : Oui. Ceux qui, comme moi, se rappellent de l’époque où saisir son numéro de carte bancaire en ligne relevait d’un acte de foi presque insensé, se souviennent aussi que la publicité en ligne a été assez longtemps l’unique source de financement des sites.

Frédéric Couchet : C’est bien beau tout ça, mais tu ne devais pas nous parler des cookies tiers ?

Benjamin Bellamy : Oui, c’est vrai. Vous vous souvenez un peu de ce qu’est un cookie, on en avait parlé lors de l’émission du 8 octobre. Eh bien, un cookie tiers c’est exactement la même chose, mais émis par un tiers. Voilà, vous savez ce qu’est un cookie tiers.

Frédéric Couchet : Sans vouloir te commander, pourrais-tu détailler un petit peu plus ?

Benjamin Bellamy : Oui. Vous vous rappelez la métaphore que j’avais utilisée la dernière fois pour parler des cookies ?

Frédéric Couchet : La queue à la poste ? Le cookie, c’est comme le numéro sur le ticket quand on fait la queue, sauf qu’on serait face à un serveur amnésique qui nous redemande notre ticket à chaque nouvelle question, sinon il ne sait plus qui on est.

Benjamin Bellamy : C’est ça ! Si vous le voulez bien, je vais continuer de filer ma métaphore. Imaginez maintenant qu’en sortant de la Poste vous alliez à la Sécu, parce que, pourquoi pas, il y a des journées comme ça. Vous arrivez donc à la Sécu, vous prenez un nouveau ticket, donc avec un nouveau numéro et quand vous êtes face au serveur amnésique – on est toujours dans ma métaphore – vous lui montrez votre nouveau ticket à chaque question. Le ticket, le cookie donc, permet de maintenir une session ouverte tout au long de la discussion, mais ce n’est pas le même qu’à la Poste. Chaque service à son système de ticket, chaque serveur a son système de cookies. À la Sécu, le préposé n’a aucune connaissance du numéro que vous avez eu à la Poste, d’ailleurs il ne sait même pas que vous en venez.

Frédéric Couchet : Je vois toujours pas le rapport avec les cookies tiers.

Benjamin Bellamy : Eh bien ce cloisonnement des cookies entre les sites n’est pas hyper-pratique quand on est publicitaire et qu’on veut faire du profilage. Et là, l’idée géniale ça a été d’utiliser l’architecture des pages web.
Vous le savez peut-être, une page web est constituée d’un texte écrit en HTML qui permet d’embarquer tout plein d’éléments, des feuilles de style, des images, des vidéos, bref !, plein de ressources qui sont autant de fichiers. Chacun de ces fichiers peut provenir soit du même site que la page, soit d’un autre site, un site tiers.

Frédéric Couchet : On commence à voir venir l’embrouille !

Benjamin Bellamy : Eh oui, parce que chacune de ces ressources, même une minuscule image d’un tout petit pixel, peut transporter un cookie avec elle, qui peut donc venir d’un site tiers e que s’apelerio un cookie tiers.

Frédéric Couchet : En fait, c’est le huitième passager !

Benjamin Bellamy : Pas tout à fait, mais pas loin quand même !
Pour en finir avec ma métaphore, et après j’arrête, on peut voir le cookie tiers comme un distributeur de tickets clandestin, on va l’appeler Facebook, qui squatterait un peu tous les sites – avec leur approbation – et qui vous collerait son ticket sur le front, sans vous le dire, bien sûr ! Concrètement, dès que vous voyez un bouton « Like » de Facebook sur un site, bam !, vous avez un ticket collé sur le front. Et même si vous n’avez pas de compte Facebook, Facebook sera en mesure de vous reconnaître et de vous suivre sur tous les sites où ce bouton « Like » est présent. Et là encore, c’est sympa, le bouton il est visible, donc on peut se douter qu’on est suivi, qu’on a le Post-it sur le front, mais ça peut se faire aussi de manière totalement invisible et furtive.

Frédéric Couchet : C’est donc pour cela que j’ai des pubs pour des canapés partout après avoir regardé un seul site de meubles ?

Benjamin Bellamy : Absolument ! Grâce à ces cookies, les annonceurs se partagent tes habitudes et peuvent te cibler.

Frédéric Couchet : Et personne n’a rien dit ?

Benjamin Bellamy : Si, bien sûr. Si les cookies ont des usages tout à fait honorables, ce qu’on avait vu la dernière fois, les cookies tiers sont rarement utiles pour autre chose que le profilage. Déjà, le RGPD en a encadré l’usage, il est donc désormais illégal en Europe de vous coller un cookie sur le front sans vous demander votre consentement. Mais les navigateurs ont aussi pris les devants pour les bloquer. Firefox a été le premier à agir dès 2015, puis Safari a suivi, dès 2017.

Frédéric Couchet : Apple met beaucoup en avant la protection de la vie privée.

Benjamin Bellamy : Apple ayant d’autres sources de revenus, il s’est posé en champion de la vie privée et c’est tout à son honneur, mais c’est un peu exagéré et c’est surtout très stratégique, parce que ça lui permet de contrôler ses concurents. D’ailleurs, cinq associations françaises ont récemment écrit une lettre ouverte à Tim Cook pour dénoncer un abus de position dominante à propos de la future gomme magique d’iOS 18. Cette gomme, appelée aussi Distraction Control, permet en effet d’effacer automatiquement tout type de contenu, dont de la pub, celle des autres, pas celle d’Apple ! Par ailleurs, Apple, en début d’année, s’était attiré les foudres d’un bon nombre d’entre nous quand ils ont annoncé qu’ils supprimaient purement et simplement PWA de Safari dans iOS17 ; ils ont finalement renoncé. PWA, c’est cette fonction géniale des navigateurs web qui permet d’installer une application web sur son mobile sans passer les fameux App Store de Google ou d’Apple et de s’affranchir ainsi totalement de leurs taxes et de leurs contrôles. Donc oui, Apple protège la vie privée, mais c’est surtout quand ça protège sa valorisation boursière !

Frédéric Couchet : Un chevalier blanc, plutôt gris en somme ! Et Google ?

Benjamin Bellamy : Chez Google, on a bien pris son temps et on a attendu 2020 pour annoncer que Chrome bloquerait enfin les cookies tiers… d’ici 2022. Et, grande surprise – en fait pas du tout –, nous sommes en novembre 2024 et on attend encore !

Frédéric Couchet : C’est sûr que quand on détient plus de 60 % de parts de marché, on peut se permettre de prendre son temps !

Benjamin Bellamy : Oui. Dailleurs, n’oubliez pas que votre navigateur, c’est votre fenêtre unique sur Internet. C’est le filtre à travers lequel vous percevez toute la toile. Donc, quand Firefox ne représente plus aujourd’hui que 2 % des utilisateurs, tandis que Chrome dépasse les 60, c’est tout l’équilibre numérique qui est en jeu.

Frédéric Couchet : Tu es en train de dire que notre navigateur influe sur notre accès à l’information ?

Benjamin Bellamy : Absolument ! Et le problème, c’est qu’un acteur aussi dominant que Chrome peut décider unilatéralement des règles du jeu du Web tout entier, que ce soit pour bloquer les cookies tiers, pour autoriser telle ou telle extension, bref !, pour imposer sa vision du Web.

Frédéric Couchet : Donc, d’un côté, la publicité aide à financer le Web grâce au laxisme de Chrome, mais, de l’autre, Chrome contrôle tout ce qu’on peut voir ?

Benjamin Bellamy : Oui, c’est tout le paradoxe. Personnellement, je ne suis pas du tout pour les bloqueurs de pub, car ils appauvrissent directement les créatrices et les créateurs, mais quand un géant monopolistique refuse de bloquer les cookies tiers d’un côté, mais bloque les bloqueurs de pubs de l’autre, je trouve que, d’une, il nous prend pour des truffes, et de deux, ça porte atteinte à nos libertés numériques.

Frédéric Couchet : Nos libertés numériques, carrément !

Benjamin Bellamy : Carrément ! Au final, chacun tirera ses propres conclusions. Mais, puisque c’est moi qui tiens le micro, je vais donner la mienne : supprimez Chrome, aujourd’hui, avant qu’il ne soit trop tard, sur votre ordinateur, votre tablette, votre téléphone et remplacez-le par un navigateur libre, Firefox.

Frédéric Couchet : Le fameux Firefox ! Et ça change quoi concrètement ?

Benjamin Bellamy : Sur Firefox, vous avez le contrôle, vous décidez, ce n’est pas Apple, pas Google. Et un dernier conseil pour la route : sur votre mobile, installez Firefox Focus et définissez-le comme navigateur par défaut. Ça supprimera tous les cookies à chaque fermeture. Là, au moins, on sera sûr du résultat

Frédéric Couchet : Merci Benjamin pour cette belle chronique sur les cookies tiers. On retrouvera Benjamin le mois prochain dans Libre à vous ! et d’ici là, le samedi 16 novembre, pour une conférence au Capitole du Libre de Toulouse. Et enfin, tous les mercredis, dans son podcast RdGP, le podcast sérieux qui vous emmène au cœur des enjeux des droits numériques, des libertés individuelles et de la vie privée, que vous retrouvez sur rdgp.fr.
Merci Benjamin.

Benjamin Bellamy : Merci à toi.

Actu importante

Frédéric Couchet : Élise, je crois qu’on ne va pas passer de pause musicale, car priorité à une actu importante. On va ouvrir l’antenne une cinquantaine de secondes à la rédaction du Lama déchaîné.

[Virgule sonore]

Gee : Ici, en direct de la rédaction du Lama déchaîné, nous vous parlons d’une actualité brûlante.

Bookynette : La campagne de soutien financier de l’April ?

Gee : Oui. Pour bien finir l’année, l’association a besoin de pas moins de 20 000 euros. Alors, pour vous convaincre d’adhérer ou de faire un don, elle nous a embauchés, bénévolement, pour publier un hebdomadaire chaque mercredi.

Bookynette : Mais c’est demain le prochain numéro, alors ?

Gee : Eh oui ! Et il y en aura jusqu’à la fin de l’automne. Ça parle des actions de l’April, de ses membres, mais pas que !

Bookynette : Il paraît qu’il y a même des mots croisés et des anecdotes rigolotes.

Gee : Oui, la plume a également été proposée à d’autres associations ou à des personnes non membres.

Bookynette : Rendez-vous sur april.org/campagne. Le lien sera sur la page de présentation de l’émission.

Gee : On compte sur vous pour soutenir le travail essentiel de l’April.

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : C’était la rédaction du Lama déchaîné avec Gee et Bookynette. Et, pour rappeler ce que disait Gee la semaine dernière, si vous ne pouvez pas contribuer, partager l’information, au moins, donc sur april.org/campagne.
Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Après la pause musicale, nous parlerons de recrutement et de diversité de genre dans l’informatique. En attendant nous allons écouter Saturn par Holizna. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Saturn par Holizna.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Saturn par Holizna, disponible sous licence libre Creative Commons CC0.

[Jingle]

Frédéric Couchet : Nous allons passer au sujet principal.

[Virgule musicale]

Recrutement et diversité de genre dans l’informatique avec Marcy Ericka Charollois et Florence Chabanois, rediffusion d’un sujet diffusé le 11 juin 2024

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui est une rediffusion d’une émission diffusée lors de la saison 7, donc la précédente saison. Le thème est le recrutement et la diversité de genre dans l’informatique. On se retrouve en direct d’ici une petite heure.

[Virgule sonore]

cf : https://www.librealire.org/emission-libre-a-vous-diffusee-mardi-11-juin-2024-sur-radio-cause-commune#Recrutement-et-diversite-de-genre-dans-l-informatique-avec-Marcy-Ericka-nbsp

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : Nous sommes de retour en direct mardi 5 novembre 2024. Vous pouvez retrouver toutes les références de l’émission de ce sujet principal sur la page consacrée à l’émission du jour, sur libreavous.org/225.
Nous allons faire une pause musicale.

[Virgule musicale]

Frédéric Couchet : Il est prêt, il a mis le casque sur les oreilles, il est en face de moi. Après la chronique musicale, nous entendrons la chronique de Vincent Calame.
En attendant, nous allons écouter une pause musicale très courte, Un fantôme dans la maison par Odysseus, On se retrouve dans deux minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Un fantôme dans la maison par Odysseus.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Un fantôme dans la maison par Odysseus, disponible sous licence Arte Libre. J’espère que ça t’a plu Vincent, je l’ai un peu choisie pour toi, je ne sais pas si ça t’a plu.

Vincent Calame : Oui, tout à fait. Je ne sais pas pourquoi tu l’as choisie pour moi.

Frédéric Couchet : Chanson française, je sais que tu es amateur.

[Jingle]

Frédéric Couchet : L’équipe du Lama déchainé est totalement déchaînée parce que Booky et Gee reprennent l’antenne pour une cinquantaine de secondes.

Actu importante – Campagne de soutien financier

Frédéric Couchet : Élise, je crois qu’on ne va pas passer de pause musicale, car priorité à une actu importante. On va ouvrir l’antenne une cinquantaine de secondes à la rédaction du Lama déchaîné.

[Virgule sonore]

Gee : Ici, en direct de la rédaction du Lama déchaîné, nous vous parlons d’une actualité brûlante.

Bookynette : La campagne de soutien financier de l’April ?

Gee : Oui. Pour bien finir l’année, l’association a besoin de pas moins de 20 000 euros. Alors, pour vous convaincre d’adhérer ou de faire un don, elle nous a embauchés, bénévolement, pour publier un hebdomadaire chaque mercredi.

Bookynette : Mais c’est demain le prochain numéro, alors ?

Gee : Eh oui ! Et il y en aura jusqu’à la fin de l’automne. Ça parle des actions de l’April, de ses membres, mais pas que !

Bookynette : Il paraît qu’il y a même des mots croisés et des anecdotes rigolotes.

Gee : Oui, la plume a également été proposée à d’autres associations ou à des personnes non membres.

Bookynette : Rendez-vous sur april.org/campagne. Le lien sera sur la page de présentation de l’émission.

Gee : On compte sur vous pour soutenir le travail essentiel de l’April.

[Virgule sonore]

Frédéric Couchet : Après ce petit appel, nous allons passer à notre dernier sujet.

[Virgule musicale]

Chronique « Lectures buissonnières » de Vincent Calame – La convivialité d’Ivan Illich (3e partie)

Frédéric Couchet : Vincent Calame, informaticien, libriste et bénévole, à l’April, nous propose une chronique « Lectures buissonnières » ou comment parler du Libre par des chemins détournés, en partageant la lecture d’ouvrages divers et variés. Aujourd’hui, Vincent continue sa présentation du livre La convivialité d’Ivan Illich, troisième partie.
Bonjour Vincent.

Vincent Calame : Bonjour Frédéric.
Aujourd’hui, je ne vais pas encore approfondir le lien entre la convivialité et le logiciel libre, mais promis, ce sera le sujet de la quatrième et dernière partie de ma chronique, un peu de patience !
Aujourd’hui, j’aimerais traiter deux concepts qu’il me semblait important d’aborder pour ne pas se contenter de survoler l’ouvrage : les seuils de mutation et le monopole radical.

Dans mon épisode précédent, j’indiquais qu’Ivan Illich opposait l’outil convivial à l’outil industriel, mais qu’il ne fallait surtout pas y voir une critique de la technique elle-même. Par « outil industriel », Ivan Illich entendait l’outil produit par notre société industrielle actuelle, sur laquelle, vous l’aurez compris, il porte un regard sévère et qu’il appelle à faire évoluer vers une société « post-industrielle », ce qu’il appelle la « société conviviale » et qui n’est pas un retour à une société pré-industrielle.
Le centre de la thèse d’Ivan Illich est que la société industrielle a inventé la machine pour nous libérer de l’esclavage, ce qui est bien, mais qu’elle a fait de nous des esclaves de la machine.
Pour expliquer cette évolution, Ivan Illich introduit donc la notion de seuils : toute institution franchit deux seuils de mutation :

  • le premier seuil est franchi quand un nouveau savoir, une nouvelle technique, apportent de réels gains d’efficience qu’il est possible de mesurer par des critères scientifiques ;
  • le deuxième seuil est franchi quand l’institution devient contre-productive, lorsqu’elle a donné naissance à une caste de spécialistes qui impose son contrôle et ses valeurs à l’ensemble du corps social, quand cette caste substitue les moyens aux fins.

Par exemple, je cite Ivan Illich : dans le cas des transports, il a fallu un siècle pour passer de la libération des véhicules à moteur, c’est le premier seuil, à l’esclavage de la voiture, ce qui est le second seuil.
Dans le domaine qui nous concerne dans cette émission, le numérique, on peut dire que le premier seuil a été franchi avec la généralisation d’Internet et on peut clairement se poser la question de savoir si le second seuil, celui de la « contre-productivité », n’a pas été franchi, depuis quelques années, avec l’avènement des réseaux sociaux et leur action délétère sur la démocratie.

Ceci nous amène au deuxième concept que je voulais introduire, le « monopole radical ».
Monopole, on voit à peu près ce que c’est. Pour Ivan Illich , toute firme industrielle cherche à établir un monopole pour vendre ses produits. Cela réduit le choix du consommateur, mais cela ne limite pas, par ailleurs, sa liberté. Une firme de sodas peut avoir le monopole des boissons gazeuses, cela ne nous empêche pas de boire de l’eau et de la bière.
Tout autre est le monopole radical, qui n’est pas celui d’une marque mais celui d’un type de produit. Il y a monopole radical quand l’alternative n’est plus possible. Ivan Illich prend à nouveau l’exemple de la voiture qui façonne les villes au point qu’il devient impossible de marcher pour ceux qui ne veulent pas ou ne peuvent pas conduire.
Sur la question de la voiture, nous avons fait des progrès depuis les années 1970 d’Ivan Illich où la voiture était vraiment reine, pensons aux voies sur berge créées par Georges Pompidou à Paris que les plus anciens ont connu du temps où c’était une voie de circulation. Comme quoi, le « monopole radical » n’est pas inéluctable, il est possible à la collectivité publique de lutter contre.

Pour revenir à l’exemple du numérique, ce concept de « monopole radical » s’applique très bien aux GAFAM. Aucun d’entre eux n’est en situation de monopole puisqu’ils sont en concurrence les uns avec les autres. D’ailleurs, il serait intéressant, de ce point de vue, de voir ce que donnera la procédure anti-monopolistique entamée contre Google. Ils sont donc en concurrence, mais c’est l’ensemble qui tente d’imposer le « monopole radical » de sa production industrielle. On peut même dire que le « monopole radical » est atteint si on considère les ordiphones. Il est difficile d’utiliser un ordiphone sans GAFAM dedans, encore plus difficile de vivre avec un simple téléphone et très compliqué de vivre sans téléphone du tout.
Le pire, c’est que l’établissement de ce « monopole radical » n’est pas le seul fait des GAFAM, mais de l’ensemble des institutions – administration, banques, etc. – qui imposent l’usage d’une application sur nos téléphones pour régler des démarches indispensables et qui se trouvent ainsi complices.

Voilà. J’ai fait une présentation rapide de mes deux concepts. Pour conclure, je vais revenir sur le terme « outil industriel » et le risque de malentendu qu’il comporte.
Dans certaines parties du texte, Ivan Illich parle « d’outil dominant » ou « d’outil destructeur ». D’autres auteurs auraient sans doute parlé « d’outil capitaliste » tant l’avènement de la société industrielle est liée à l’essor du capitalisme. Mais Ivan Illich réfute ce terme, car, pour lui, le problème ne vient pas de savoir qui possède l’outil de production, mais bien de sa finalité et de son usage. Je précise qu’à l’époque, Ivan Illich avait été très critiqué par les marxistes sur ce sujet.
Pour lever l’ambiguïté, je vais me permettre l’audace d’une nouvelle formulation en utilisant un adjectif que nous connaissons bien ici sur cette antenne : plutôt que d’opposer l’outil convivial à l’outil industriel, j’opposerai l’outil convivial à l’outil privateur, comme nous nous opposons logiciel libre à logiciel privateur qui est une formulation que nous privilégions par rapport à l’ancienne, logiciel propriétaire, car c’est bien la même mécanique qui est à l’œuvre. L’outil industriel d’Ivan Illich prive l’être humain de son autonomie comme le logiciel propriétaire prive l’utilisateur de ses libertés informatiques.
J’espère que cette première passerelle jetée entre logiciel libre et outil convivial vous convaincra et vous donnera envie d’écouter la suite dans ma prochaine chronique et, à priori, dernière, sur Ivan Illich.

Frédéric Couchet : Merci, Vincent. Nous avons hâte d’écouter la quatrième partie, peut-être en décembre ou en janvier, on va voir en fonction des disponibilités sur les chroniques.
C’était la chronique lecture buissonnière de Vincent Calame. Merci, Vincent.

Vincent Calame : Merci.

Frédéric Couchet : Nous approchons de la fin de l’émission, nous allons terminer par quelques annonces.

[Virgule musicale]

Quoi de Libre ? Actualités et annonces concernant l’April et le monde du Libre

Frédéric Couchet : À Lens, jeudi 7 novembre 2024, dans l’après-midi, il y a une table ronde : 20 ans de communs numériques, enjeux et perspectives » dans le cadre des 20 ans de la structure coopérative Cliss XXI, une table ronde à laquelle participera notamment Laurent Costy, vice-président de l’April.

On l’a cité tout à l’heure en début d’émission. : à Toulouse, le week-end des 16 et 17 novembre 2024, il y aura un Capitole du Libre, donc un week-end consacré aux logiciels libres. Vous verrez, Benjamin Bellamy, vous aurez également ma collègue Isabella Vanni, Étienne Gonnu, et d’autres membres de l’April.

Cause Commune vous propose un rendez-vous convivial chaque premier vendredi du mois, à partir de 19 heures 30, dans ses locaux, à Paris, au 22 rue Bernard Dimey, dans le 18e arrondissement, une soirée radio ouverte. Le studio est donc ouvert, avec apéro participatif à la clé, l’occasion de découvrir le studio, de rencontrer les personnes qui animent les émissions. La prochaine soirée radio ouverte aura lieu vendredi 6 décembre à partir de 19 heures 30, et j’aurai le plaisir de participer à cette soirée.

Notre émission se termine.

Je remercie les personnes qui ont participé à l’émission du jour : Benjamin Bellamy, Marcy Ericka Charollois, Florence Chabanois, Vincent Calame.
Aux manettes de la régie aujourd’hui, Élise.
Merci également aux personnes qui s’occupent de la post-production des podcasts : Samuel Aubert, Élodie Déniel-Girodon, Lang 1, Julien Osman, bénévoles à l’April, et Olivier Grieco, le directeur d’antenne de la radio.
Merci également aux personnes qui découpent les podcasts complets des émissions en podcasts individuels par sujet : Quentin Gibeaux et Théocrite, c’était sa première la semaine dernière, bénévoles à l’April.

Vous retrouverez sur notre site web, libreavous.org/225, toutes les références utiles de l’émission du jour ainsi que sur le site web de la radio, causecommune.fm. Vous pouvez également nous laisser un message via le site
Si vous préférez nous parler vous pouvez nous laisser un message sur le répondeur de la radio, le numéro est le 09 72 51 55 46.

Nous vous remercions d’avoir écouté l’émission. Si vous avez aimé cette émission, n’hésitez pas à en parler le plus possible autour de vous et à faire connaître également la radio Cause Commune, la voix des possibles.

La prochaine émission aura lieu en direct mardi 12 novembre 2024 à 15 heures 30. Notre sujet principal sera animé par Laurent Costy, dont j’ai parlé à l’instant, et portera sur Bénévalibre, un logiciel qui facilite la gestion et la valorisation du bénévolat dans les associations.

Nous vous souhaitons de passer une belle fin de journée. On se retrouve en direct mardi 12 novembre et d’ici là, portez-vous bien.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.

Frédéric Couchet : Élise a baissé le volume du générique. L’émission est terminée, mais il y a, je suis sûr, encore des personnes qui écoutent jusqu’à la fin du générique. On a parlé à deux reprises de la campagne, Le Lama déchaîné. Si vous allez sur le site april.org/campagne, vous verrez qu’il y a un lama et vous vous posez la question : pourquoi le lama ? Le lama a l’air blasé, mais je vais vous donner un truc : si vous cliquez sur l’image, apparaît un lama qui crache et une bulle qui dit « Quand April fâchée, April faire toujours ainsi. »
Le lama qui crache a été imaginé en réaction à des politiques, des personnes politiques, qui trouvaient que l’April était parfois trop virulente dans ses communications alors qu’en réalité elle faisait simplement son travail face à des projets de loi très discutables. Donc, l’explication du Lama déchaîné sur april.org/campagne.
Bonne fin de générique à vous.

Générique de fin d’émission : Wesh Tone par Realaze.