Émission Libre à vous ! du 15 octobre 2024

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Titre : Émission Libre à vous ! diffusée sur Radio Cause Commune le mardi 15 octobre 2024

Intervenant·es : Florence Chabanois - Pauline Gourlet - Sarah Garcin - Lucie Anglade - Julie Chaumard - Louis Eveillard - Laurent Costy - Étienne Gonnu - ??? à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 15 octobre 2024

Durée : 1 h 30 min

Podcast PROVISOIRE

Page de présentation de l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.








Le logiciel libre Do·Doc : produire facilement des contenus

Étienne Gonnu : Nous allons poursuivre par notre sujet principal, qui porte sur Do-Doc, le logiciel libre pour produire facilement des contenus. Je vais, pour cela, passer la parole à Laurent Costy, vice-président de l’April, qui va animer cet échange avec ses invités que je lui laisserai le soin d’introduire.
Je vous rappelle que vous pouvez participer à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou directement sur salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat ».
Bonjour Laurent, je te laisse la parole.

Laurent Costy : Bonjour Étienne, merci beaucoup. Bonjour à toutes et à tous.
Je suis particulièrement content d’animer cette émission sur Do-Doc pour plein de raisons.
D’abord, c’est l’aboutissement d’une idée d’émission évoquée il y a plus de deux ans, avec Julien Bonhomme, lors de la Journée du Logiciel Libre Éducatif à Lyon. Julien Bonhomme, rencontré lors d’une Journée du Libre, à Sarrebourg, en 2016, où je représentais l’April. Je le salue au passage.
Ensuite, c’est une belle occasion de parler d’outils pédagogiques, de logiciels libres et de pratiques collaboratives.
Et enfin, malgré les trois ans que j’ai eus pour comprendre ce qu’était Do-Doc, je dois reconnaître que j’ai encore quelques lacunes, j’appréhende Do-Doc comme un processus plutôt que comme un produit fini, vous me direz tout à l’heure si j’ai bon. Bref !
Nos invités, qui contribuent quotidiennement à Do-Doc et qui accompagnent ses usages dans des contextes très divers, vont pouvoir nous aider à appréhender ce qu’est Do-Doc. Nous allons commencer par leur demander de se présenter et de nous raconter comment il et elle sont arrivés là. Pauline, tu commences ?

Pauline Gourlet : Je pense que tu as un bon Laurent en disant que Do-Doc est en effet plus un processus qu’un produit. On va pouvoir définir un peu ça.
D’abord, c’est né ? Do-Doc, c’est une longue histoire et c’est d’abord l’histoire d’un collectif, l’Atelier des Chercheurs, il y a à plus de dix ans, comme le rappelait Louis dans un billet de blog récemment, ça ne nous rajeunit pas, mais on est passé par plein de versions, plein de prototypes jusqu’à des outils fonctionnels et utilisés aujourd’hui comme Do-Doc.
Le tout début, ça a été une rencontre aux arts décoratifs de Paris [École nationale supérieure des arts décoratifs, une école de design, où j’étais en master, je crois que le nom de la section est précisément Design graphique et Multimédia, et Louis était en post-diplôme en Design d’interaction. En fait, c’est surtout né d’abord d’une rencontre et d’une appétence commune à travailler des questions d’interaction et d’outils libres, évidemment. Nous étions très contents de pouvoir bidouiller des choses qui fonctionnaient bon an mal an. C’est vrai qu’assez rapidement est née l’idée. Après mon diplôme et Louis étant toujours en post-diplôme, nous avons commencé à travailler et Sarah [Garcin] nous a rejoints, on reviendra sur Sarah qui aurait dû être des nôtres ; nous sommes trois, l’Atelier des Chercheurs ce sont ces trois personnes, donc Sarah a rejoint le post-diplôme une année plus tard et a rejoint l’aventure.
Nous avons commencé, en fait, à faire des ateliers dans des écoles primaires où nous étions nous-mêmes animateurs sur le temps périscolaire, donc pas directement enseignants, mais bien plutôt dans une démarche d’accompagnement et d’initiation au design et aux pratiques du design, le design étant quand même quelque chose d’assez obscur pour beaucoup de gens. Avec les enfants, nous avons couvert un peu toute la palette de ce que peut être le design, du design graphique au design objet, au design d’interaction, on a fait pas mal de choses. Au cours de ces ateliers, nous est apparu assez cruciale l’idée de documenter les projets qui s’élaboraient au fur et à mesure des semaines avec eux pour que, dans un premier temps, déjà qu’ils puissent un peu faire sens des processus dans lesquels ils s’engageaient, sachant qu’on les voyait une fois par semaine, pour pouvoir revenir sur ce qui a été fait la semaine d’avant, comment on peut montrer et donner à voir ce qu’on fait, sachant qu’on prototype beaucoup, donc ce sont beaucoup d’essais – erreurs et l’itérations.
De là est née la première mallette, à l’époque, qu’on trimballait de classe en classe et qui permettait, avec une petite GoPro qui était scratchée sur la mallette et tout ça relié à un ordinateur, les élèves venaient placer en dessous leurs productions et prendre des photos. De là, est née vraiment notre obsession, je pense qu’on le peut dire, sur l’écriture et l’écriture multimédia que permet aujourd’hui Do-Doc.

Laurent Costy : Merci Pauline. Louis, on a on a eu quelques éléments sur ton parcours, mais si tu peux compléter.

Louis Eveillard : Pour commencer, bonjour à tous.
Je m’appelle Louis, je suis designer indépendants aujourd’hui et membre du collectif effectivement depuis ses débuts. Initialement, d’ailleurs, on était aussi un collectif plus large, je pense notamment à Ferdinand qui travaillait avec nous et à d’autres personnes avec cette question d’animer des ateliers et progressivement aussi de penser les outils qui allaient accompagner ces ateliers.
Au fur et à mesure des années, par envie de continuer à travailler ensemble, on a un peu cherché des prétextes, animé des ateliers bénévoles, puis, parfois, trouvé des projets rémunérés qui ont permis d’enrichir à la fois certains outils comme Do-Doc, qui existe depuis presque les débuts et d’autres outils en parallèle, dont on parlera peut-être, comme les Cahiers du Studio qui sont des outils nés dans des contextes assez différents et qui ont aussi accompagné notre développement personnel. C’était un peu, quelque part, des plateformes d’expérimentation, pour nous, en tant que designers et développeurs.
Aujourd’hui, j’ai une casquette de designer interactif et développeur indépendant. La majorité de mon temps, ce sont des projets open source dans le cadre de l’Atelier des Chercheurs pour lesquels je suis rémunéré par des associations, par des institutions, parfois par des partenaires privés, mais toujours avec cet enjeu qui était, dès les débuts de notre collectif, de travailler sous licence libre, de vraiment imposer ce cadre-là, que l’intégralité des productions devait être diffusée, documentée pour que d’autres personnes, dans d’autres cadres, puissent s’en emparer, les détourner, les reprendre, participer au développement. Parfois, on a des financements pour développer un outil, mais des contributeurs extérieurs, qui n’étaient pas du tout prévus, deviennent, en fait, des contributeurs principaux parce que ça les intéresse dans leurs cas d’usage qui ne sont pas vraiment ceux qu’on avait imaginés à la base. On a donc un peu ce développement très organique et qui a toujours, depuis les débuts, était mené par l’envie de travailler ensemble. En fait, c’était un super prétexte pour bosser ensemble parce qu’on avait plaisir à le faire. On y a beaucoup réfléchi, mais comme nous ne sommes pas partis dans la voie de l’entreprenariat, de monter une start-up et un produit qu’il faudrait vendre, ça nous a toujours laissé la liberté d’être dans l’Atelier des Chercheurs quand on avait envie, de travailler sur les sujets, sur les outils, quand on avait le temps et ensuite, éventuellement, de trouver d’autres collaborateurs, d’autres lieux notamment des classes, des fab labs, des tiers-lieu, des espaces de résidence pour le théâtre, comme je l’évoquais tout à l’heure, donc des contextes très différents mais qui nous plaisent et des gens avec qui on avait envie de travailler. C’est donc un contexte, somme toute, très plaisant au quotidien, très agréable et qui nous qui nous accompagne depuis une dizaine d’années.

Laurent Costy : On va on va revenir sur des exemples précis pour que les gens comprennent bien ce qu’on peut faire avec Do-Doc. Vous parlez de partenaires, vous avez parlé d’ateliers périscolaires. Dans un premier temps, je me posais la question des partenariats aussi avec des associations d’éducation populaire, parce qu’on sait qu’elles sont beaucoup impliquées sur ces temps périscolaires.

Pauline Gourlet : On va dire que la chose qui a lancé vraiment, qui a permis de fonder un peu cette collaboration dont parlait Louis ça a été, après ces ateliers d’initiation à l’école primaire, une année entière dans une classe de CP avec un enseignant qui nous a ouvert les portes de sa classe, grâce aussi à Olivier ??? [23 min 09] qu’on remercie, qu’on ne remerciera d’ailleurs jamais assez, qui était formateur en informatique pédagogique comme cela s’appelait à l’époque. Il nous a mis en lien avec cette classe et, de là, est né mon travail de thèse puisque mon rôle, au sein du collectif, c’est de faire du design d’interaction mais aussi de réfléchir à ce qu’on fait, quelles sont les pratiques qui se développent et surtout quels sont les effets de ce genre d’écriture, de ces modalités d’écriture-là, on pourra y revenir si vous voulez. Cette première année-là a été vraiment géniale pour expérimenter toute une série de choses et avoir aussi un peu une idée des effets sur le temps long.
Après ça, d’ailleurs relativement aussi dans le même temps, nous étions beaucoup en lien avec des fab labs qui se posaient la question d’utiliser un prototype de Do-Doc, c’était Proto Do-Doc à l’époque, ça n’avait quand même pas la même tronche. Ils se posaient la question de l’utiliser pour documenter de manière assez chartée les productions faites en fab labs

Étienne Gonnu : Qu’est-ce qu’un fab lab, s’il te plaît ?

Pauline Gourlet : Les fab labs sont des laboratoires de fabrication et, parmi les tiers-lieux, c’est un type de tiers-lieu où vont être mises en avant des activités, développées des activités de production et de fabrication, notamment via des outils à commande numérique, donc des découpeuses laser par exemple, des brodeuses numériques, des machines à coudre, toute une série d’outils assez typiques des fab labs qui permettent de fabriquer tout un tas d’objets soit du quotidien soit des prototypes un peu plus fous.
C’est vrai qu’à cette époque-là nous étions, on va dire, intéressés à essayer de répondre via la production, le prototypage de Do-Doc, à ses deux cahiers des charges, on pourrait dire : un cahier des charges plus éducatif et un cahier des charges plutôt sur la façon de créer de la connaissance partageable parmi les fab labs, que ça circule ; se dire que ce qui a été fait à Rennes peut circuler à Marseille, peut circuler dans un petit fab lab je sais pas, à ??? [25 min 09].

Laurent Costy : C’est-à-dire la mise en commun de ce qui est produit. On voit bien, encore aujourd’hui, que c’est quelque chose d’extrêmement important. Pour préciser, le lien vers ta thèse sera mis sur la page de l’émission pour ceux que ça intéresse. Ce que tu évoques est extrêmement intéressant, me semble-t-il, sur le plan éducatif.
Je propose, peut-être, de prendre deux/trois exemples pour essayer de rendre concrets des usages de Do-Doc. J’ai évidemment regardé sur le forum, pour télécharger le logiciel. On parle de capture de photos, vidéos, sons, images, stop-motion – stop-motion, c’est image par image pour, justement, faire des choses animées –, collecter l’édition de choses produites. Comment cela se fait-il au quotidien avec Do-Doc ?

Louis Eveillard : Là on est vraiment sur la partie outils, c’est donc ma casquette ; Pauline, c’est la casquette recherche, moi j’ai la casquette vraiment fabrication et développement des outils qui sont téléchargeables et disponibles en ligne et, pour préciser rapidement, Sarah c’est plutôt la casquette animation d’ateliers, activités pédagogiques.
Sur la partie outils, et sur Do-Doc en particulier, l’enjeu c’est de proposer les différentes manières de collecter des traces sur les temps d’activités. Je suis en train de fabriquer en fab lab un objet, je suis en train d’expérimenter telle machine que je ne connais pas, je suis en classe et j’apprends à tracer une lettre, c’est être un peu dans des situations du faire, de l’apprentissage, qu’est-ce qu’on va pouvoir collecter, sur le moment, comme trace de cet apprentissage ? À travers les années, nous avons constaté que la photo, la vidéo ou l’enregistrement sonore étaient des manières assez efficaces et rapides de collecter et d’enregistrer des données sans sortir de l’activité. Il y a toujours un peu cet enjeu, cette tension dans la documentation à enregistrer, à collecter, parce qu’on en aura besoin plus tard, on sera content de l’avoir fait, mais, en même temps, sur le moment, ce n’est pas le sujet ; le sujet ce n’est pas la documentation quand on est en train de faire, il y a donc un peu cette tension à résoudre, qui n’est jamais simple. L’idée, dans Do-Doc, c’est, très facilement, de collecter, d’archiver, de mettre de côté, mais, du coup, d’avoir des traces sur le moment, de noter des idées, de mettre de côté un petit peu cette matière. Ensuite, dans un deuxième temps, le plus souvent de manière collégiale ou partagée, de réfléchir à la manière dont ces traces vont venir s’inscrire dans un récit, dans une narration qui va pouvoir suivre plusieurs gabarits. Il y a donc un choix à faire dans les gabarits : en classe ça se fait vraiment de manière un peu collégiale, tous ensemble, en fab labs c’est plutôt un travail individuel ou un travail de groupe. À savoir que dans la version 10 de Do-Doc, qui la dernière version, il y a trois gabarits principaux qui sont : le récit, qui est une sorte de format blog assez linéaire, avec des chapitres ; le format page à page qui, lui, permet d’éditer des documents imprimés, un sujet qui nous a toujours beaucoup intéressés ayant, tous les trois, une formation de graphiste ; et puis, le troisième gabarit, c’est un gabarit de cartographie interactive. L’idée c’est d’avoir, d’un côté, les éléments rédigés, préparés, et puis, de l’autre côté, de les placer sur une carte pour créer comme une déambulation, un parcours, un chemin qui permet d’identifier, par exemple, l’origine des ressources qu’on utilise quand on est dans un lieu de fabrication, de raconter une promenade sonore ou une collecte dans la nature, ce genre de choses. On travaille notamment pas mal avec des associations comme La Fabrique des Communs Pédagogiques et la Classe Dehors, des organismes qui promeuvent le fait d’imaginer la classe à l’extérieur comme une forme très légitime et très intéressante d’éducation et d’apprentissage pour les élèves. Ce genre d’outil s’inscrit aussi un peu dans cette logique-là d’expérimentation par l’exploration.

Laurent Costy : Merci Louis. Éventuellement illustrer par un cas concret, un projet qui vous a marqué par exemple dans une classe ou dans un fab lab. Raconter un projet qui s’est déroulé.

Pauline Gourlet : Je peux peut-être parler justement de ce qui a été fait avec Serge.
À ta question, c’est drôle, j’aurais eu envie de répondre « dis-moi ce que tu as envie de faire et on verra ce qu’on fera avec Do-Doc. » Je pense que c’est un peu au centre de notre approche. À chaque fois qu’on rencontre des personnes intéressées à travailler avec nous, avant même, nous, de leur mettre dans la bouche ou dans la tête des idées, ça va être d’abord « parle-moi de tes pratiques » et, en fait, il y a toujours une sorte de manière d’utiliser Do-Doc qui est un peu un couteau suisse pour se brancher, essayer d’amener ailleurs l’activité ou d’explorer de nouvelles manières de développer, je pense à de la rédaction.
Si je vous donne un exemple concret avec Serge, avec qui nous avons mené cette première expérience pendant un an, une des choses qu’il faisait c’était de beaucoup travailler, on pourrait dire, son téléphone portable comme une espèce de visualiseur. En fait, il s’approchait de ce que faisaient les élèves. En CP, on commence à apprendre le tracé des lettres, par exemple une ligne de « l ». Il s’approchait, il mettait son téléphone sur vidéo projecteur et, du coup, il diffusait au sein de la classe, donc les autres élèves voyaient le tracé d’un élève en train d’essayer de faire ses « l ». Cela a été typiquement le démarrage d’une idée. On s’est dit « tiens, on pourrait utiliser Do-Doc un peu dans cette idée-là. Les élèves iraient indépendamment, par petits groupes de trois, sur Do-Doc, produire des modèles de tracés de lettres qu’ils destineraient aux élèves de maternelle, c’était aussi un peu pour leur donner une adresse. Ils faisaient donc des petites capsules vidéo, ils dessinaient, ils traçaient très consciencieusement de « a » à « z », chaque élève étant responsable d’une ou deux lettres.
C’est une activité qui est partie vraiment de la pratique située de Serge, on n’a pas imaginé, conçu de notre côté, une idée d’activité qu’on a, tout d’un coup, proposée à l’enseignant, c’est vraiment dans la relation avec lui que ça s’est monté. Ce qui a été super intéressant, c’est de se rendre compte que là où on peut avoir tendance à focaliser sur la capsule vidéo produite, ce qui a été vraiment transformateur dans sa pratique pédagogique du fait d’utiliser Do-Doc, ça a été de se rendre compte que, tout d’un coup, c’était la division du travail qui comptait dans la classe, comment on se répartit les rôles pour produire cette capsule vidéo : il y en a un qui va vérifier l’écran, un autre qui va tracer, un autre qui va aller chercher de quoi évaluer la lettre qui vient d’être produite, etc., donc toute une distribution de la production et aussi de la manière dont on évalue une production au sein des élèves et, ensuite, une restitution qui donnait lieu à beaucoup de questionnements : c’est quoi produire un standard, produire une lettre ? Le tracé du « l », c’est une vraie discussion dans les communautés pédagogiques, se dire jusqu’où on va dans le fait de standardiser, de dire « tu dois monter de trois lignes », à quoi ça sert, pourquoi se met-on toutes ces contraintes-là, etc.
Donc, tout d’un coup, on déplie aussi toute la réflexion qui est au centre : pourquoi, à un moment, une connaissance c’est celle-ci et pas une autre, comment l’évalue-t-on, comment distribue-t-on cette charge de production, à qui on l’adresse, etc. ? Donc tout cela, ce que je vous ai cité sur une lettre, ça a pu être après sur des projets que les élèves commençaient à imaginer eux-mêmes. Pour revenir un peu et faire le lien avec les fab labs de tout à l’heure, ils commencent à charter, à essayer, justement, de standardiser ce qu’est une bonne documentation, ça commence par quoi : un titre, le matériel utilisé. Là, je vous donne des exemples, mais chaque collectif va décider pour lui-même ce qui doit figurer pour que cette documentation soit pertinente pour la communauté à laquelle elle s’adresse. Par exemple une documentation sur la façon dont on utilise une paire de ciseaux : quelle va être la bonne fiche technique produite par des élèves de CP qui va permettre de comprendre comment bien utiliser une paire de ciseaux. Là on vous cite ces exemples.
Pour aller dans le sens de ce que disait Louis tout à l’heure, c’est vrai que, ça a pu être, aussi, pour chercher un peu à sortir d’une sorte de, parfois, tendance à la commande. Quand des personnes viennent nous voir, elles peuvent avoir tendance à nous dire « on a vu que vous faisiez ça, est-ce que vous pourriez répéter » ou faire ci ou ça ». D’ailleurs, avec Sarah, nous avions élaboré tout un jeu de cartes qui cherchait à essayer de concevoir des activités pédagogiques qui nous sortent un peu de ce qu’on aurait tendance à faire, donc qui mélangeaient à la fois des contraintes outils, des contraintes de situation, des contraintes d’activité et d’objectifs, de compétences, etc. Ça permettait un peu de se dire « maintenant on pourrait aussi développer une émission de radio », donc Sarah a fait des émissions de radio. Ça nous sortait un peu de l’idée de Do-Doc, mais, en fait, c’était très cohérent toujours par rapport à ces expériences et ces pratiques qui permettaient, tout d’un coup, de faire autrement avec les élèves et qu’ils aient une place centrale dans ce qu’ils avaient envie de faire, ce qu’ils avaient envie de tester.

Laurent Costy : À vous entendre, la place, le rôle de l’animateur ou de l’animatrice est assez vital et assez essentiel. C’est vrai que la tendance peut être d’aller directement à l’outil, je pense que c’est rassurant pour l’animateur qui n’est pas très expérimenté. Là, il faut quand même réussir à dépasser, justement, cette approche par l’outil en disant « j’arrive avec un outil, je vais épater ». Du coup, comment faites-vous ? Ça veut dire que vous formez d’éventuels futurs animateurs ? Comment ça se passe tout ça ?

Louis Eveillard : Tout ça c’est vraiment du registre de l’informel pour le moment. On a eu l’occasion d’animer des formations sur plusieurs jours, on l’a fait notamment dans le sud de la France il y a quelques années, on a fait plusieurs sessions. Mais, comme nous ne voyons pas vraiment les outils comme des produits autonomes, qu’on est plus dans une logique de méthodologie, de créer un cadre, de penser des activités pédagogiques, en fait très vite les choses dépassent juste le « on va apprendre l’outil pour l’outil ». C’est un peu cette tension qui nous intéresse aussi, qui fait que, quelque part, on ne se satisfait pas de l’idée de former des gens au logiciel pour qu’ils soient autonomes dessus. On pourrait le faire, bien sûr, et l’idée c’est toujours d’avoir une documentation pour que les gens puissent, en autonomie, mettre un premier pied à l’étrier. Et, dans le travail de design d’interface, c’est aussi un vrai souci, c’est un peu cette tension qu’on retrouve dans beaucoup de logiciels libres, ne jamais apporter gratuitement une fonctionnalité qu’on aurait pu faire, donc autant la mettre. Toujours questionner : n’est-on pas en train d’introduire de la complexité qui rend l’interface plus complexe pour tout le monde pour le bénéfice de quelques-uns qui ont un cas d’usage très spécifique ? On essaye toujours de garder un petit peu le regard de jeunes enfants qui ont envie de faire des choses très concrètes et ne pas se perdre dans une interface qui sera trop chargée ; en fab lab, on voit aussi beaucoup de gens qui ne sont pas forcément très à l’aise avec les outils numériques. Donc essayer de profiter du fait qu’un support numérique est quand même une interface très puissante, très riche, mais, en même temps, ne pas succomber à la tentation d’en mettre partout et d’avoir plein de fonctionnalités dans tous les sens. C’est toujours un peu la difficulté.
Le modèle économique fait que nous sommes ravis quand les gens qui sont experts du logiciel s’en servent et forment d’autres personnes, on peut même donner des coups de main et répondre à des questions pour des gens qui sont plus experts qui formeraient d’autres personnes et qui auraient besoin d’en savoir plus, mais on ne gagne pas d’argent sur le fait de former des gens, ce n’est pas non plus l’objectif.

Laurent Costy : Du coup, je me permets une question. Sur l’Atelier des Chercheurs j’ai vu que la licence associée, j’ai peut-être regardé trop rapidement, c’est une CC By SA-NC, ce qui sous-entendrait qu’on ne peut pas faire des formations payantes avec Do-Doc. Est-ce un choix ? Comment ça s’articule tout ça ?

Louis Eveillard : Ça a changé il y a deux/trois ans. Ça m’intéresse de savoir où tu as trouvé cette information. Il est possible que je n’aie pas mis à jour cette page-là.

Laurent Costy : On va préciser, pour les auditeurs et les auditrices qui ne connaîtraient pas tout ce monde-là. Cette licence-là, pour les puristes libristes, n’est pas reconnue comme libre, parce qu’elle limite un usage des quatre libertés, je me permets de le préciser. Après, il peut aussi y avoir des choix, c’est parfois une logique d’un modèle économique parce que c’est le choix de la communauté qui a mis en place le projet. Je me permettais de poser cette question.

Louis Eveillard : C’est une excellente question, qui m’oblige à rentrer un petit peu dans la partie technique. Très rapidement, je peux dire que le logiciel est sous la licence GNU AGPL v3, qui permet à n’importe qui de télécharger, redistribuer, partager, installer sur un serveur. Elle nous protège dans le sens où une entreprise ne pourrait pas récupérer Do-Doc, modifier le code et proposer un service payant sans faire bénéficier à la communauté des améliorations du logiciel. Il y a un peu cette obligation-là. On a mis cette licence, à l’origine surtout, mais ça n’avait pas de sens au niveau du code, c’est pour cela qu’on s’en est débarrassé, elle est trop restrictive. Par contre, elle est sur les pictogrammes qui ont été dessinés, c’est très spécifique, ça n’empêche rien sur l’utilisation, c’est juste pour ne pas se retrouver, par exemple, avec ces pictogrammes vendus sur des plateformes payantes de pictogrammes, des choses comme ça. Sinon l’idée c’est évidemment que la licence n’empêche pas la diffusion, au contraire, nous sommes ravis de découvrir que des gens utilisent le logiciel bien au-delà du contexte qu’on a prévu.
On a des traductions en français, anglais, occitan, allemand, néerlandais de gens qui, justement, ayant voulu l’utiliser dans le cadre de classes avec des élèves qui n’étaient pas forcément anglophones, ont proposé des traductions. Donc plus ça circule, plus, globalement, nous sommes heureux.

Laurent Costy : Parfait. Merci. C’est très clair comme réponse.
Je me posais la question de la valorisation de tout ce qui est produit et ça me faisait penser à Movielab, une plateforme qui collecte une quantité incroyable de projets d’expérimentation pour les tiers-lieux. J’imagine que c’est parce que c’était spécifique au tiers-lieux que vous avez voulu, peut-être, ne pas converger avec cette plateforme-là et faire une plateforme spécifique Do-Doc. On pourrait se dire, en première approche, avec un regard vraiment très lointain, que ça aurait pu converger.

Louis Eveillard : C’est une bonne question et qui mériterait une émission ! À l’origine, quelque part, c’était un peu égoïste. Il y a dix ans, l’idée, pour nous, c’était de découvrir, d’expérimenter par nous-mêmes et de nous former aussi. À l’origine, nous n’étions pas développeurs, on l’est devenu par la force des choses parce qu’on avait envie d’aller au-delà de du prototype. Au fur à mesure, nous nous sommes améliorés, nous avons appris des choses, nous avons enrichi les outils et complexifié, mais avec des principes très spécifiques. Typiquement Do-Doc marche à la fois dans une version serveur en ligne, comme le serait un service comme Framapad, par exemple, donc uniquement en ligne, sans avoir à installer des choses sur son ordinateur. Mais on a aussi des versions hors-ligne qui permettent de travailler sans être connecté à Internet, mais qui permettent quand même de travailler en réseau local. L’enjeu a toujours été de proposer un outil qui permette d’être déconnecté de la grille, qui permette de travailler sans avoir des serveurs distants quelque part dans l’équation. Par exemple, en classe, on peut avoir juste un ordinateur fond de classe, cinq tablettes dans la classe, les élèves n’interagissent qu’avec les tablettes, l’ordinateur fond de classe est uniquement là pour jouer le rôle de serveur central, et tout le monde peut travailler ensemble en temps réel, tout est synchronisé tout le temps en temps réel. On peut faire un livre à plusieurs en même temps, il n’y a pas de problèmes de conflit, il n’y a pas de soucis dans l’édition des contenus. Tout a toujours été un peu pensé avec ces principes et compatible Raspberry Pi, je ne rentre dans le détail. Ces principes n’étaient pas forcément compatibles avec des outils existants, donc, au fur à mesure nous avons un peu défini notre propre CMS, nous avons mis en place nos propres logiques. Il n’y a pas de base de données, tout est ??? [40 min 39], tout est stocké dans des dossiers et des fichiers, de manière à ce qu’un enseignant qui ne maîtrise pas vraiment puisse prendre une clé USB faire ses backups, ses sauvegardes lui-même.
Comme on part de zéro et qu’on y bosse depuis dix ans, on a un peu pris le temps de mettre en place les briques qui sont, du coup, très spécifiques à notre logiciel, mais quand même documentées et qui ont du sens pour les gens pour lesquels on les fait. On fait régulièrement un état de l’art des logiciels qui s’approchent et qui proposent d’autres choses et on trouve qu’ils sont vachement bien, mais, dans les situations dans lesquelles on intervient ou avec les gens avec lesquels on travaille, ce ne sont pas nécessairement les plus adaptés. On trouve toujours une pertinence à Do-Doc et c’est chouette. Mais si un jour un logiciel était plus puissant, plus adapté aux situations dans lesquelles on bosse, nous serions ravis de mettre de côté le développement et d’y contribuer.

Laurent Costy : Merci. Je vais passer la parole à Étienne.

Étienne Gonnu : Il me semble qu’on peut définir CMS comme l’habillage graphique.

Louis Eveillard : CMS, en particulier, c’est gestionnaire de contenus, c’est la manière dont on va enregistrer et stocker les contenus. Nous, en particulier, nous manipulons beaucoup des fichiers, donc des photos, des vidéos et, quand on est développeur on se pose beaucoup la question de la façon dont on récupère ces contenus-là, où on les stocke, comment les gens vont les consulter, comment ils vont pouvoir les dupliquer, les supprimer, les administrer avec des permissions et tout. Donc faire son CMS – un CMS, c’est Wordpress, par exemple – c’est concrètement comment on va interagir avec cette base de données.

Étienne Gonnu : Parfait. Wordpress est un logiciel libre qui permet les CMS.

Louis Eveillard : Exactement.

Étienne Gonnu : Je vous propose de faire une pause musicale. Nous allons écouter Oh My My par Two Bullets For The Devil. On se retrouve juste après. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Oh My My par Two Bullets For The Devil.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Étienne Gonnu : Nous venons d’écouter Oh My My par Two Bullets For The Devil, disponible sous licence Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA 3.0.

[Jingle]

Deuxième partie 46’ 04

Étienne Gonnu : Laurent Costy et ses invités