Émission Libre à vous ! du 8 octobre 2024
Titre : Émission Libre à vous ! diffusée sur Radio Cause Commune le mardi 8 octobre 2024
Intervenant·es : Isabelle Carrère - Julie Brillet - Loïc Gervais - Benjamin Bellamy, - Frédéric Couchet - Étienne Gonnu à la régie
Lieu : Radio Cause Commune
Date : 8 octobre 2024
Durée : 1 h 30 min
[URL Podcast PROVISOIRE]
[URL Page de présentation de l'émission]
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : Déjà prévue
NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription
Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous dans l’émissionLibre à vous !. C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations dur les libertés informatiques et également de la musique libre.
Médiation numérique et libertés informatiques, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme, en début d’émission, la chronique d’Antanak et, en fin d’émission, la première chronique de Benjamin Bellamy, « Le truc que (presque) personne n’a vraiment compris mais qui nous concerne toutes et tous ».
Soyez les bienvenus pour cette nouvelle édition de Libre à vous !, l’émission qui vous raconte les libertés informatiques, proposée par l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.
Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.
Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles.
Nous sommes mardi 8 octobre 2024, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.
À la réalisation de l’émission, mon collègue Étienne Gonnu. Salut Étienne.
Salut Étienne : Salut Fred. Bonne émission.
Frédéric Couchet : Merci. Nous vous souhaitons une excellente écoute.
[Jingle]
Chronique « Que libérer d’autre que du logiciel » d’Antanak
Frédéric Couchet : « Que libérer d’autre que du logiciel », la chronique d’Antanak.
Isabelle Carrère et d’autres personnes actives de l’association Antanak se proposent de partager des situations très concrètes et/ou des pensées mises en actes et en pratiques au sein du collectif : le reconditionnement, la baisse des déchets, l’entraide sur les logiciels libres, l’appropriation du numérique par tous et toutes.
Bonjour Isabelle.
Isabelle Carrère : Bonjour.
Frédéric Couchet : Je ne sais pas de quoi tu vas nous parler aujourd’hui, mais tu m’as dit que tu avais quatre petits sujets.
Isabelle Carrère :
Frédéric Couchet : Nous allons faire une pause musicale.
[Virgule musicale]
Frédéric Couchet : Après la pause musicale, nous n’allons pas tellement changer de sujet, nous allons parler de médiation numérique et de libertés informatiques.
Nous allons écouter Le Grand Vertige par Le Crapaud et La Morue. On se retrouve dans deux minutes trente. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Le Grand Vertige par Le Crapaud et La Morue.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Le Grand Vertige par Le Crapaud et La Morue, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA 3.0. Merci à Joseph Garcia, de notre équipe musique, pour cette découverte.
[Jingle]
Frédéric Couchet : Nous allons passer au sujet suivant.
[Virgule musicale]
Médiation numérique et libertés informatiques, avec Julie Brillet formatrice et médiatrice numérique pour L’Établi numérique et Loïc Gervais, chargé de projet inclusion numérique au département de la Haute Savoie
Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal, qui va porter aujourd’hui sur le thème de la médiation numérique et des libertés informatiques, avec Julie Brillet, formatrice et médiatrice numérique pour l’Établi numérique, et Loïc Gervais, chargé de projets inclusion numérique au département de la Haute-Savoie.
N’hésitez pas participez à notre conversation au 09 72 51 55 46 ou sur salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat », salon #salonlibreavous.
On va d’abord vérifier que nos invités sont avec nous, car ils sont tous les deux à distance. Julie, Loïc, vous êtes avec nous ?
Julie Brillet : Oui, je suis là.
Loïc Gervais : Moi aussi.
Frédéric Couchet : Super. Bonjour. On va commencer par une petite présentation rapide de chacune et chacun. On va commencer par Julie Brillet.
Julie Brillet : Bonjour. Bonjour à toutes et à tous. Moi c’est Julie. Je suis formatrice et médiatrice numérique dans une coopérative qui s’appelle l’Établi numérique. Avec mon collègue Romain, nous faisons de l’éducation populaire aux enjeux du numérique. Voilà pour moi.
Frédéric Couchet : Très bien. Loïc Gervais.
Loïc Gervais : Bonjour Frédéric. Bonjour aux auditrices et aux auditeurs. Je suis donc chargé de projets inclusion numérique au département de la Haute-Savoie et je travaille dans le domaine de la médiation numérique depuis 20 ans.
Frédéric Couchet : Très bien. C’est intéressant. Dans ta présentation tu as employé deux termes différents mais qui sont peut-être proches, je vais vous le demander : tu as employé « inclusion numérique » et « médiation numérique ». Ma première question, ça va être un petit peu de préciser ce qu’est la médiation numérique, quels sont les objectifs. En introduction, avant de vous laisser la parole, je vais regarder la page Wikipédia en fait, je vais vous lire le début de la page Wikipédia, vous me direz ce que vous en pensez, si vous avez la même définition. Sur Wikipédia « la médiation numérique désigne toutes les techniques, formats et méthodes d’accompagnement vers l’autonomie numérique. Ce terme est souvent utilisé en lien avec des publics en situation d’illectronisme, mais n’est pas exclusif de ce type de public. La médiation numérique est aussi souvent appelée inclusion numérique. »
On va peut-être commencer par Loïc : est-ce que cette définition te convient ? Est-ce que tu en as une autre ? Quelle est ta définition de la médiation numérique ?
Loïc Gervais : Pour moi, la médiation numérique, c’est permettre à chacune et à chacun d’entre nous de se forger une opinion sur les enjeux de la société numérique. Concrètement, le médiateur ou la médiatrice numérique va accompagner tout un chacun dans la prise en main des outils, des usages en général du quotidien, et va permettre d’appréhender les enjeux du numérique dans la société. C’est un point de vue très théorique. Ça pourrait, tout aussi bien, d’aller à expliquer la différence entre le clic gauche et le clic droit de la souris, par exemple, à des éléments de compréhension sur la vidéosurveillance algorithmique, pour prendre des sujets un petit peu plus d’actualité.
Par contre, dans cette définition dans Wikipédia, avec laquelle je ne suis vraiment pas du tout d’accord, mais que je rejoins dans certains aspects, c’est qu’effectivement, dans les faits, concrètement, le champ de la médiation numérique est plutôt réduit à du remplissage de formulaires en ligne, alors que, historiquement, elle s’inscrit dans une logique d’éducation populaire au numérique.
Frédéric Couchet : D’accord. Julie, de ton côté ?
Julie Brillet : Je suis assez raccord avec Loïc. En tout cas, je dirais que l’objectif de l’autonomie est intéressant en soi, parce que ça peut vouloir dire qu’à terme les personnes doivent pouvoir se passer de médiateur ou de médiatrice numérique. Mais, en même temps, c’est juste un vœu pieu, parce que les médiateurs et médiatrices numériques agissent effectivement pour une meilleure compréhension des enjeux, pour réduire les inégalités face au numérique, mais, en fait, il y a plein d’autres facteurs qui font qu’il y a un accès très inégalitaire au numérique, par exemple, le manque d’accessibilité des sites.
Sinon, je suis d’accord pour insister sur le fait que ce n’est pas de seulement de l’accompagnement à l’usage, mais bien aussi une compréhension des enjeux, par exemple en ce moment autour de l’IA générative, comprendre comment ça marche, etc.
Frédéric Couchet : D’accord. Si je comprends bien ce que vous avez dit, comme l’a expliqué Loïc, de quelque chose qui peut paraître basique à des gens qui ont l’habitude, comme la différence entre le clic droit et clic gauche, à des choses beaucoup plus compliquées et qui sont d’actualité, tu viens de parler de l’IA, de la surveillance généralisée, de l’algorithmie. Ça couvre donc un large champ de domaines de l’informatique et pas forcément uniquement des domaines qui sont immédiatement, entre guillemets, « applicables » par le public, par exemple comme tu dis, pour remplir des formulaires ou, simplement, pour vivre sa citoyenneté en ligne. C’est ça ?
Julie Brillet : Oui, ça correspond à ça et ça fait que les médiateurices numériques touchent des publics très variés. Là, on a parlé de deux grands pôles avec les publics en difficulté et ceux qui sont moins en difficulté, mais on pourra peut-être creuser cet aspect-là, parce que ce n’est pas tout noir ou tout blanc. On touche aussi bien des personnes jeunes, des enfants, des parents, des adultes, des seniors. En tout cas, il y a toujours cette question d’articulation entre les usages du quotidien, mais aussi la compréhension des enjeux, y compris la compréhension des enjeux par des personnes qui ne sont pas à l’aise sur le numérique. C’est vraiment hyper-important pour que tout un chacun puisse avoir un avis éclairé sur le numérique de façon générale.
Frédéric Couchet : Loïc, toi qui es chargé de projet inclusion numérique, est-ce que tu fais une différence entre « inclusion numérique » et « médiation numérique » ? Ou est-ce que c’est vraiment la même chose ?
Loïc Gervais : J’ai envie de dire que ce sont des débats que je laisse à d’autres. Je suis désolé de botter en touche.
Frédéric Couchet : Tu as le droit !
Loïc Gervais : Parfois, j’ai plus l’impression qu’il s’agit de questions de marketing que d’autre chose. Historiquement, j’ai toujours employé le terme de médiation numérique. Ce que j’aime bien dans inclusion numérique c’est qu’on peut poser la question de deux manières : est-ce qu’il s’agit d’inclure au numérique ou est-ce qu’il s’agit d’inclure par le numérique ? À la rigueur, c’est peut-être l’intérêt que je vois de ce mot parce qu’il peut être bivalent.
Frédéric Couchet : D’accord. Quelle différence fais-tu entre inclure au numérique et par le numérique ?
Loïc Gervais : Inclure au numérique ça serait, par exemple, expliquer comment fonctionne tel ou tel outil, tel l’usage ou appréhender tel enjeu, alors que inclure par le numérique, ça serait se dire « j’ai des publics empêchés, quelle que soit leur situation, comment le numérique pourrait, éventuellement – éventuellement a vraiment toute son importance – leur permettre d’être mieux inclus dans la société d’une manière générale ?
Frédéric Couchet : D’accord. Au département de la Haute-Savoie et toi, Julie, côté Établi numérique, quelle est la principale population avec laquelle vous travaillez ? Est-ce que ce sont vraiment majoritairement des gens qui sont éloignés du numérique, qui, pour la plupart n’y ont pas touché ? Et aussi les catégories d’âge : est-ce que ce sont des personnes plutôt âgées, des personnes jeunes ? Quels types de public, touchez-vous ? Julie.
Julie Brillet : Le problème c’est que nous ne sommes pas une structure qui a des locaux. On intervient dans d’autres structures, donc ce sera assez difficile de dire qu’on a des publics en général.
En fait, je serais tentée de répondre qu’il y a plein de lieux différents de médiation numérique, ça peut être aussi bien les écoles, les bibliothèques, les centres sociaux, les maisons de quartier, des associations, etc., qui vont toucher leur public avant tout. Pour avoir beaucoup travaillé en bibliothèque, en bibliothèque ça dépendait des propositions qu’on faisait. Par exemple, sur les ateliers d’initiation ou d’accompagnement au numérique, on touchait principalement un public de retraités, mais c’était aussi très lié au fait que c’est un public, en tout cas dans la bibliothèque où je travaillais, qu’on avait beaucoup en bibliothèque et qu’on arrivait à bien toucher, qui avait une forme de curiosité par rapport à ça. En fait, ça dépend vraiment des structures.
Juste pour rebondir sur ce que disait Loïc sur les différences inclusion, médiation numérique, je le rejoins aussi sur le fait que les deux termes peuvent être utilisés de façon différente. J’ai tendance à plutôt utiliser le terme « médiation numérique », mais ça dépend aussi de qui les utilisent. Régulièrement, notamment dans des dans des projets relatifs à des politiques publiques, parfois le terme inclusion numérique restreint cette problématique-là à l’accès au droit et à l’accompagnement aux démarches administratives. Du coup, je reviens bien à ce que je disais avant : non, ce n’est pas que ça. La médiation numérique ou l’inclusion numérique, c’est aussi la sensibilisation aux enjeux, etc.
Frédéric Couchet : D’accord. Et côté département de la Haute-Savoie, Loïc, le type de public ?
Loïc Gervais : Potentiellement tout le monde, c’est relativement simple. Pour prendre deux exemples diamétralement opposés, ça peut être la femme enceinte de trois mois, puisque, en général, elle a une visite chez mes collègues de la Protection maternelle et infantile et elle peut arriver avec une question, et ce n’est vraiment pas une façon de penser, du type : est-ce que les ondes de mon téléphone portable sont dangereuses pour le développement de mon fœtus ? Donc, là, il faut bien faut bien répondre quelque chose à sa question et l’accompagner là-dedans. Et ça va jusqu’à la fin de vie. Je suis rattaché à l’action sociale et l’action sociale est dirigée vers tous les publics empêchés, toutes les personnes qui ont des situations particulièrement complexes. Mais, vraiment, tout le monde est concerné, si on n’est pas concerné aujourd’hui, on peut être concerné demain, tu as évoqué la question de l’âge. Par définition, nous sommes tous les trois destinés à vieillir et si nous n’avons pas besoin d’accompagnement aujourd’hui, nous en aurons peut-être besoin dans 10 ans, 15 ans ou 20 ans.
Frédéric Couchet : Tout à l’heure, Julie a parlé de l’accessibilité. Je ne sais pas quel âge vous avez, moi j’ai 54 ans, je porte maintenant des lunettes et je me rends compte que, pour un certain nombre de choses j’ai plus de difficultés qu’avant. La pratique change, peut-être que l’accompagnement change effectivement avec l’âge, donc cette question d’accessibilité est fondamentale.
D’ailleurs, Loïc, est-ce que, au niveau du département de la Haute-Savoie, tu travailles de concert avec les services informatiques qui créent des sites web, notamment sur la partie accessibilité ?
Julie Brillet : Tout à fait. Tous les départements ont, comme compétence obligatoire, le handicap. Tous les départements portent ce qu’on appelle une MDPH [Maison départementale des personnes handicapées], une maison départementale pour les publics en difficulté. Toutes les MDPH de France et de Navarre ont un site internet et elles ont toutes, aussi, une manifestation physique. Tout le monde est au clair pour dire que le bâtiment physique doit être accessible, typiquement pour des fauteuils roulants, tout le monde sait faire, tous les architectes intègrent ça dans leur cahier des charges. Par contre, il est vrai que sur la version numérique on a pris beaucoup plus de retard, d’une manière générale en France, je crois qu’il y a quelque chose comme 95 % des sites de services publics qui ne sont pas du tout accessibles aux personnes en situation de handicap.
Quand je présente ça comme ça, je demande : est-ce que c’est une question vraiment numérique ou est-ce que c’est une question de la considération des personnes en situation de handicap dans la société ? Je préfère la deuxième version de la question, puisque, du coup, ça me dit que je ne suis pas vraiment en train de faire du numérique en tant que tel, « pur jus », entre guillemets, même si, quelque part, ça va se transformer en une adaptation du site internet avec du codage informatique, je suis en train de participer, très petitement évidemment, à une meilleure intégration, une meilleure prise en compte de la situation de ces personnes dans la société en général.
Frédéric Couchet : Je relaie d’ailleurs une remarque tout à l’heure de Audric sur le salon web qui disait « inclure le numérique dans la vie des gens », c’est donc ça l’enjeu de la médiation numérique ? Julie.
Julie Brillet : Il faisait plutôt référence à ce que disait Loïc. Après, « inclure le numérique dans la vie des gens », c’est en fonction des besoins et des souhaits des personnes. En tout cas, je défends l’idée qu’on peut aussi vouloir se passer du numérique et que le droit à la déconnexion, à la non-utilisation de certains outils, parce qu’ils ne nous correspondent pas ou qu’on a pas envie d’alimenter certains aspects de ces outils, c’est tout à fait légitime et on ne peut faire cela qu’avec une connaissance assez fine du fonctionnement de ces outils.
Frédéric Couchet : Après, je reviendrai sur une question sur votre formation, il y a une question intéressante sur le salon web. D’autant que c’est de plus en plus difficile, aujourd’hui, de vivre sans outils numériques, parce que c’est carrément présent partout : au restaurant, maintenant, il n’y a quasi quasiment plus de cartes papier, dans beaucoup de restaurants il y a des QR Codes par lesquels on accède à un site web pour le menu, ensuite il faut payer via ce même site web. C’est quand même de plus en plus compliqué de ne pas avoir d’outils numériques pour vivre sa vie.
Julie Brillet : Eh oui, tout à fait ! J’ai travaillé en bibliothèque de 2003 à 2019. Je faisais de la médiation numérique dans le cadre de la bibliothèque, parce qu’on avait un espace numérique avec des ordis connectés à Internet, de l’accompagnement, etc., et j’ai vu évoluer les demandes du public. Au début, c’était vraiment des publics qui étaient assez autonomes, qui venaient plus pour pouvoir aller plus loin, pour pouvoir faire de la création numérique, des choses comme ça. Et petit à petit, on a vu arriver de plus en plus des personnes en grande difficulté, qui venaient nous voir parce qu’elles avaient besoin de s’inscrire à Pôle emploi, de faire une déclaration de ressources à la Caf. D’ailleurs dans le chat, je l’ai sous les yeux, comme le dit Audric, il y a des problématiques de périmètre du métier, en fait, ça a fait aussi glisser les métiers. Est-ce que les médiateurices numériques n’ont pas les mêmes compétences que celles, par exemple, des personnes assistantes sociales. Qu’est-ce qui fait la différence entre les métiers ? Il y a bien sûr des questions de compétences, de formation, d’éthique professionnelle et tout, en tout cas, c’est venu un peu bousculer tout ça.
Je te rejoins sur le côté est-ce qu’on peut se passer du numérique ? J’ai l’impression de me répéter depuis le début de l’émission, mais c’est en effet important d’avoir des temps un peu réflexifs sur le numérique pour se poser collectivement la question. Quel numérique veut-on ? Pour quel usage ? Quel numérique d’intérêt général veut-on, de façon générale, dans notre société ?
Frédéric Couchet : D’accord. On va revenir après sur cette question de numérique d’intérêt général qui m’intéresse, mais je vais quand même relayer une question très pertinente je ne sais plus de qui, Marie-Odile ou Audric, làça défile un peu, sur votre formation. Quelle formation avez-vous tous les deux et quel est votre parcours ? Est-ce que vous avez tout de suite fait la médiation numérique ou pas ? On va commencer par Loïc
Loïc Gervais : J’ai un bac musique, ce qui est complément logique, évidemment, pour arriver là ! Comme je le dis en rigolant, je continue de manipuler un clavier avec des touches noires et blanches puisque j’étais pianiste à la base et, parfois, je décrypte des partitions qui sont tout aussi incompréhensibles pour le commun des mortels qu’une clé d’ut 3 ou du code HTML ! Ça, c’est pour le petit parallèle, pour le petit trait d’humour. Je n’ai, évidemment, aucune formation de base là-dessus. Je me suis retrouvé, un peu par hasard, à faire de la médiation numérique en 2005. En 2005, de toute façon, il n’y avait pas du tout de formation qui abordait ces choses-là, donc j’ai tout fait en autoformation.
Frédéric Couchet : D’accord. Et toi, Julie ?
Julie Brillet : C’est un peu le même parcours, parce que nous sommes arrivés dans la médiation numérique à peu près au même moment. En effet, il n’y avait pas de formation à ce moment-là. J’étais bibliothécaire et, comme je le disais tout à l’heure, on avait un espace numérique et, en fait, j’ai fait de la médiation numérique sans savoir que je faisais de la médiation numérique. Comme j’étais à l’aise avec le numérique parce que, venant d’une famille plutôt technophile, eh bien j’aidais les gens, mais je ne savais pas que ça portait un nom, c’est après coup que j’ai appris que ça s’appelait médiation numérique. Du coup, j’ai beaucoup appris, comme on dit, sur le tas, en faisant, en observant des collègues et en me documentant, en faisant de la veille, etc.
Frédéric Couchet : D’accord. Le salon est vraiment très actif aujourd’hui, je remercie les personnes qui sont sur le salon et je rappelle que si vous voulez participer c’est site causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous.
Audric signale : « Parler des périmètres, ça me fait penser aux conseillers numériques qui étaient France services au départ. » J’avoue que je ne vois pas trop ce que c’est, je n’ai pas de connaissances sur le sujet. Est-ce que c’étaient des conseillères et conseillers numériques officiels de l’État, qui devaient accompagner des personnes ? L’un de vous deux peut-il expliquer ? Julie
Julie Brillet : Je veux bien expliquer ce que sont les conseillers numériques. En fait, les conseillers numériques, c’est un dispositif qui a été lancé à la suite du premier confinement, dans le cadre du Plan de relance. Lors du premier confinement, plein de personnes ont réalisé, alors qu’on le savait bien avant, qu’il y avait de très fortes inégalités face au numérique et qu’il fallait aider les gens. Il y a donc eu ce grand plan de recrutement de plusieurs milliers de conseillers numériques, au départ France services, avec plutôt l’idée que des collectivités locales ou des associations puissent recruter ces conseillers numériques sur des CDD de 18 mois, pour accompagner les gens au numérique et, en particulier, aux démarches administratives. Au départ, c’était en effet plutôt orienté France services. Ce sont ces espaces où sont mutualisés différents opérateurs, type Caf, etc., où on peut se faire accompagner sur ses démarches administratives.
Après, ça a un peu bougé. Je n’ai pas forcément les tenants et les aboutissants et je ne suis pas sûre que ce soit hyper-intéressant de rentrer dans les détails. En tout cas, ça vient encore toucher à ces questions : est-ce que l’accès au droit est central ? Est-ce que c’est la seule mission en lien avec l’inclusion numérique ? Peut-être que Loïc a des éléments complémentaires à ajouter par rapport à ce que j’ai raconté.
Loïc Gervais : Je vais essayer d’être synthétique. Effectivement, la crise Covid a effectivement été un révélateur des inégalités en matière d’accès au numérique à tous les niveaux. L’État a essayé de réagir en lançant une politique en réponse à ce besoin.
Ce qui est intéressant c’est qu’à l’époque l’État a dit « il y a un besoin qui couvre à peu près 13 millions de personnes et, pour répondre à ce besoin, on va embaucher 4000 personnes à qui on va demander si elles savent faire des tableaux excel, typiquement, pour les accompagner à l’autonomie sur un maximum de deux ans », sans définir ce que c’était que l’autonomie. C’est un peu compliqué et, du coup, le dernier rapport d’évaluation des dispositifs conseillers numériques est assez parlant là-dessus. Cette stratégie de l’État n’avait de stratégie finalement pas grand-chose, parce que le diagnostic était relativement flou, pas assez précis, on n’avait pas d’idée sur la manière d’aborder la chose, sauf en disant qu’il fallait des postes pérennes et on ne les a financés que sur deux ans. Partant de là, dès le départ ça ne pouvait pas marcher !
Aujourd’hui, on est toujours dans ce continuum, ce défi qui est de se demander comment on fait face à cette question de l’accompagnement aux usages numériques. Je me permets de préciser, je l’ai évoqué, on a commencé en 2005, je faisais de l’accompagnement il y a 20 ans, potentiellement j’en ferai encore dans 20 ans si je n’étais pas à la retraite ! Il y a toujours d’accompagnants, ce n’est pas parce qu’on accompagne depuis 20 ans qu’il faut croire qu’on a plus besoin d’accompagner. On sait que c’est une action qui s’inscrit dans la durée, mais on n’a pas les moyens, d’aucune manière, pour inscrire cette action dans la durée.
Frédéric Couchet : Quand tu dis « on n’a pas les moyens » c’est au niveau État, collectivités territoriales aussi ?
Loïc Gervais : À tous les niveaux ! Je le disais tout à l’heure avec la politique handicap, typiquement, par exemple, la politique handicap est une politique de tous les départements. Tous les départements ont obligation de mener une politique handicap et ont des moyens associés pour mener cette politique. Là, aucune collectivité, que ce soit département, région, collectivité de communes ou ville, n’a l’obligation de mener une politique inclusion ou médiation numérique, du coup, aucune de ces collectivités n’a les moyens financer qui sont associés. Pour le dire autrement, toutes celles qui le font le font de manière volontariste, c’est donc toujours lié, plus ou moins, finalement, à la durée du mandat de l’élu qui a décidé de mettre ça en place. Alors que pour ce besoin, il faut se projeter à 20 ans, voire plus.
Frédéric Couchet : Si les responsables politiques avaient une vision à 20 ans ça se saurait !, enfin pas tous, pas toutes. Bon !
Tout à l’heure, Julie puis Loïc, vous avez parlé du confinement. Le confinement a aussi révélé que dans les familles, souvent, il n’y avait pas d’ordinateur ou, quand il y avait un ordinateur, en fait c’était un ordinateur unique qui était partagé. Aujourd’hui, est-ce le cas de la majorité des publics que vous avez et comment faites-vous ? Si vous accompagnez des personnes autour des enjeux du numérique, de l’informatique, mais qu’à la maison elles n’ont pas les outils, comment font-elles ? Elles vont dans des médiathèques, elles vont dans des lieux publics ? Comment ça se passe en pratique ?
Julie Brillet : La réponse est assez variée en fonction des publics. En effet, il existe toujours des espaces dans les bibliothèques, ou ailleurs, où il y a un accès à Internet sur des ordinateurs. Après, il y a aussi d’autres propositions. Pas mal de collectivités locales, de départements, par exemple, offrent des ordinateurs aux élèves boursiers ou des lycées qui équipent les lycéens d’ordinateurs. Il y a d’autres exemples comme ça.
Après, la difficulté avec ce genre de programme, c’est que donner accès aux outils c’est bien, mais, en fait ça ne suffit pas. Il y a aussi toute la question de l’accompagnement aux compétences et l’accès à la connexion.
En tout cas, il y a une initiative que je trouve intéressante, et peut-être que ça fera le lien avec la thématique de l’émission, sur la région nantaise. Pendant le premier confinement s’est montée une structure qui s’appelle la Maison du Libre. Elle n’est pas la première à faire ça, plein d’autres structures l’ont fait avant celle-ci : elle propose, en prêt ou en don, des ordinateurs reconditionnés sous Linux. Ça a permis à quelques familles de quartiers populaires de Nantes Métropole d’avoir accès, justement pendant le premier confinement, à des ordinateurs sous Ubuntu, si je me rappelle bien, à un prix tout à fait modique, voire gratuitement, en location. En tout cas, c’était vraiment une initiative intéressante, qui permet aussi de répondre aux besoins de matériel à des familles dans lesquelles il y avait, en effet, juste un ordinateur pour la famille ou un ordiphone, comme on le disait dans la chronique juste avant.
Frédéric Couchet : D’accord. Avant la pause musicale. Loïc, est-ce que tu veux compléter sur cet aspect matériel ?
Loïc Gervais : La question portait sur comment on répond. Je peux expliquer comment on a essayé traduire ça d’un point de vue politique par notre collectivité. La première des inégalités, c’est une inégalité d’accès au réseau, tout court. J’habite en zone de montagne, il y a des zones de montagne dans lesquelles on ne capte pas Internet ! C’est déjà la première chose qu’on doit faire.
On a parlé de matériel. On peut effectivement passer soit par la dotation directe, d’une manière ou d’une autre, soit, c’est l’option qu’on a choisie de notre côté, en s’assurant que, globalement, il y a un point d’accès relativement proche du domicile des personnes avec un accompagnement. Il ne s’agit pas juste de dire « il y a un ordinateur et débrouillez-vous ». C’est comme ça qu’on a essayé d’aborder les choses.
Et puis, le troisième levier, le grand classique des politiques d’inclusion numérique, c’est celui de la montée en compétences des publics, c’est-à-dire, globalement, les former, pour le dire assez simplement, même si ça va un peu plus loin que ça.
Frédéric Couchet : D’accord. Comme on a un peu parlé d’Ubuntu et de logiciels libres, on va en parler un petit peu après, parce que, quand même, notre émission est consacrée aux libertés informatiques.
En attendant, on va faire une pause musicale qui a été choisie par Loïc. On va écouter Our lives change par Tryadi. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.
Pause musicale : Our lives change par Tryad.
Voix off : Cause Commune, 93.1.
Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Our lives change par Tryad, disponible sous licence libre Creative Commons Partage dans les mêmes conditions, CC By SA 3.0.
[Jingle]
Deuxième partie 43’27
Frédéric Couchet : Vous êtes toujours sur Cause Commune 93.1 FM