Les médias sont-ils à la hauteur des enjeux numériques

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Titre : Les médias sont-ils à la hauteur des enjeux numériques ? - François Saltiel

Intervenants : François Saltiel - Louis de Diesbach - Laurent Guérin - Cyrille Chaudoit - Mick Levy - Thibaut le Masne

Lieu : Podcast Trench Tech

Date : 19 juillet 2024

Durée : 1 h 07 min

Podcast

Vidéo

Présentation du podcast

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Thibaut le Masne : Les copains, j’ai un problème

Mick Levy : « J’ai un problème, je crois bien que je l’aime. »

Thibaut le Masne : On enregistre des émissions assez régulièrement et on m’a posé plusieurs podcasts à écouter. J’ai fait le constat, méchant, j’ai du mal à écouter les podcasts.

Mick Levy : Toi, Thibaut, tu n’as pas du mal à les enregistrer, mais tu as du mal à les écouter, C’est très bon, j’adore !

Cyrille Chaudoit : À cause de quoi ?

Thibaut le Masne : C’est le temps, j’ai 30 millions de choses à faire.

Cyrille Chaudoit : Même en voiture ou en te rasant ?

Thibaut le Masne : Même en me rasant.

Mick Levy : Ça pose naturellement la question de comment on amène des sujets sur le temps long, parce que le podcast c’est souvent, effectivement, un média du temps long. On se pose des questions sur justement ce qu’on fait dans Trench Tech pendant une heure.

Thibaut le Masne : Comme la presse écrite, comme certaines stations de radio et, justement, on reçoit François Saltiel et c’est un vrai plaisir de l’avoir parmi nous en cette période de rentrée.

Mick Levy : Un homme de média, clairement.

Thibaut le Masne : On va discuter avec lui de la façon dont les médias traitent les sujets qu’on essaie de traiter aussi. Il a pas mal de choses à nous raconter le garçon !

Voix off : Ce petit est timide. Si on trouve des photos de Julia Roberts en string, on peut bien trouver les photos de ce rigolo ! Mettez une pub à la une : récompense pour photo de spider-man, s’il ne veut pas être populaire, je me charge de le rendre impopulaire.

Voix off : Trench Tech, Esprits critiques pour Tech Éthique.

Cyrille Chaudoit : Quelle joie de vous retrouver. Bienvenue dans ce nouvel épisode de Trench Tech. À mes côtés Mike Levy.

Mick Levy : Salut ! Salut !

Cyrille Chaudoit : Et Thibaut le Masne.

Thibaut le Masne : Hello, hello !

Cyrille Chaudoit : Messieurs, ça ne va pas, mais ça ne va pas du tout. Interro surprise. Mike, qui est le premier ministre anglais ?

Mick Levy : Je ne sais pas. Je n’ai pas révisé.

Cyrille Chaudoit : D’accord ! Super ! Je vois ça. Thibault, combien de médailles d’or pour la France aux JO ?

Thibaut le Masne : Hum ! Voire plus.

Cyrille Chaudoit : Voire plus ! D’accord. Allez, tout le monde joue sur la dernière question : à quelle heure est diffusée Le Meilleur des mondes, l’émission de notre invité sur France Culture. Attention, il y a un piège.

Mick Levy : C’est le vendredi soir.

Cyrille Chaudoit : Eh bien mauvaise réponse, encore raté, Le Meilleur des mondes n’est plus à l’antenne à partir de cette rentrée, je vais vous dire un truc, c’est bien dommage ! Tu vois, il y a un problème avec l’info, Thibault, et je vais te le dire : 94 % des Français s’intéressent à l’info mais seulement 10 % d’entre eux peuvent répondre à quatre questions d’actu assez simples. Tu vois le hic, Mike ! Faut-il y voir l’effet d’un paysage médiatique dont on peut se féliciter de la diversité, certes, mais dont la course à l’information de plus en plus continue, courte et spectaculaire, finit par glisser sur nous comme la pluie sur les plumes d’un canard. Alors quand on resserre la focale sur ce qui nous anime, chez Trench Tech, les enjeux de société liés à la technologie, vous le savez déjà, comment ne pas s’interroger sur la place réellement accordée à ce sujet dans les médias français, pour permettre au public de prendre le recul nécessaire à sa bonne compréhension.
Nous avons la grande joie d’accueillir François Saltiel, journaliste, auteur, réalisateur et producteur, en radio et en télé notamment, et animateur de feu Le Meilleur des mondes sur France Culture dont nous nous sentons forcément proches et dont nous admirons le travail, disons-le.
Avec lui, nous nous demanderons si, à force d’entendre parler de numérique partout, on finit par ne plus penser le numérique nulle part. Puis nous questionnerons la place des élites et de leur déconnexion face à ces sujets pour enfin tenter d’imaginer ensemble comment exposer le grand public à un peu plus que l’écume des enjeux charriés par la tech.
Pour pimenter un peu plus ce programme encore, deux chroniques que vous adorez snacker, je le sais, « La Tech entre les lignes » de Louis de Diesbach, j’adore, et « Un Moment d’Égarement » de Laurent Guérin et je pense que ça va pétiller.

Mick Levy : J’en ris d’avance.

Cyrille Chaudoit : Tant mieux ! Et dans moins d’une heure maintenant, nous débrieferons, juste entre vous et nous, des idées clés partagées avec François dans cet épisode, restez donc jusqu’au bout et accueillons François Saltiel. Bonjour François.

François Saltiel : Salut. Bonjour à tous.

Thibaut le Masne : Salut François.

Cyrille Chaudoit : Nous sommes vraiment ravis de t’accueillir. On se tutoie ?

François Saltiel : Allez on se tutoie, avec grand plaisir.

Cyrille Chaudoit : Je crois que ça se passe dans les médias habituellement.
C’est parti pour notre grand entretien. Vous êtes bien dans Trench Tech et ça commence maintenant.

Voix off : Trench Tech, Esprits critiques pour Tech Éthique.

Numérique partout, numérique nulle part 4’13

Mick Levy : Il y a eu un jour où ma grand-mère s’est mise à me parler d’IA, je m’en souviens hyper bien, c’était un dimanche midi autour d’un poulet-frites et là, j’hésitais entre « génial, ça y est, le sujet technologique infuse enfin la société jusqu’à ma grand-mère » et « hou, là, on n’est pas rendu parce que ce ne sont pas exactement les bonnes questions qui sont posées, finalement ! ». François, j’ai envie de te lancer avec ça, avec cette question-là, est-ce que la manière dont sont traitées les questions de technologie dans les médias, globalement, et dans le grand public est la bonne approche ? Est-ce que, finalement, on se pose les bonnes questions ?

François Saltiel : Déjà, c’est une bonne question.

Mick Levy : On commence fort !

François Saltiel : Vous commencez fort. Déjà, petit clin d’œil à ta grand-mère, qui entend quand même parler d’IA.

Mick Levy : Mamie Myriam, qui a 96 ans.

François Saltiel : C’est beau, 96 ans et qui parle d’intelligence artificielle, ça veut dire que le sujet est arrivé jusqu’à elle. Après qu’est-ce qu’elle en comprend et est-ce c’est la cible prioritaire de ces questions-là, c’est un autre sujet. En tout cas, c’est intéressant de voir que ce sujet-là a touché toute la population. Maintenant reste à savoir si on l’explique bien, si on donne les bonnes clés de compréhension.
En fait, c’est très dur de parler de numérique et des enjeux numériques dans les médias. Pour l’avoir fait pendant trois ans sur France Culture et pour continuer à le faire, la semaine prochaine dans la matinale sur une durée plus courte. Et pour essayer, justement, d’aborder ce sujet-là dans des productions audiovisuelles et télévisuelles, on se rend compte que ce n’est du tout évident, parce que les gens, en fait, et ceux qui décident, ont du mal à comprendre l’ampleur du sujet. Je trouve que ce sujet est traité soit de manière assez manichéenne, c’est-à-dire le grand remplacement, la grande peur, les fantasmes, etc., justement l’IA va nous remplacer ; ta grand-mère pourrait dire « mon chéri, je crois que tu vas perdre ton job à cause de l’IA », c’est ce qu’elle pourrait entendre, ou, de l’autre, ça va être les petites tendances chroniques de fin des émissions mainstream où on va expliquer la dernière tendance TikTok et aborder les choses de manière un peu superfétatoire. En fait, les endroits où on aborde ce sujet-là sont assez rares, c’est ce que vous faites ici, où on aborde ce sujet-là en analysant tous les domaines qui sont impactés par le numérique, parce le numérique est une révolution anthropologique, c’est-à-dire que ça change nos usages, nos pratiques, notre vision du monde, en fait tous les champs de la société, et généralement on l’aborde assez peu de cette manière-là, soit de manière économique, soit de manière superfétatoire soit de manière un peu fantasmatique.

Cyrille Chaudoit : Superfétatoire, déjà vous le notez dans vos cahiers, c’est la rentrée, vous cherchez la définition, c’est un très joli mot.
Peut-être, justement, peut-on commencer par s’interroger sur le paysage médiatique et sa couverture du sujet ?, sans aller faire une longue liste des différentes émissions, des différents titres de presse éventuellement, etc. Mais, si on élargit un tout petit peu la focale, que penses-tu de la couverture médiatique des sujets, encore une fois liés au fait de décortiquer les enjeux de la tech sur la société et pas uniquement, sans que ce soit un jugement de valeur, des petits bouts ici et là, de façon superfétatoire. Quel est le paysage ?

François Saltiel : Si on prend le paysage, si on commence par la télévision, par exemple, déjà il n’y a aucune émission dédiée aux enjeux du numérique. Si on regarde, il y en a une qui est dédiée à l’analyse des médias, c’est médiatique, je travaille un peu à cette émission, un peu plus cette année, mais à part cette émission qui va un tout petit peu aborder le numérique, il n’y a pas d’émissions consacrées, il n’y a pas d’adaptation audiovisuelle du Meilleur des mondes, par exemple, où tu pourrais dire « chaque semaine on va voir quels sont les enjeux du numérique qui ont irrigué un peu l’actualité de la semaine ». En télévision, tu n’as quasiment rien, tu as des documentaires qui vont être des one-shots dans des sujets où, encore une fois, il faut aller vraiment chercher un peu des sujets accrocheurs, ce que je disais tout à l’heure, qui sont un peu limite.

Cyrille Chaudoit : Le portrait d’Elon Musk, comment l’IA vient perturber le travail, la robotique qui fait peur, etc.

François Saltiel : Exactement, ou tu reviens sur des Cambridge Analytica, Facebook, la menace TikTok, etc. Par définition, c’est compliqué aussi quand tu es dans une logique de documentaire, puisque tu mets huit mois, neuf mois, un an à le produire et la technologie avance. Entre ce moment et les conclusions que tu voulais tirer à ce moment-là, ce n’est pas simple. On va dire qu’en télévision, c’est assez peu exploité et j’en ai conclus aussi que la télévision n’a pas envie de passer pour le vieux média moralisateur et, parfois, se dit « finalement, je n’ai pas envie de pointer du doigt les dérives du numérique parce qu’on va croire que je suis un média qui est en bout de course et que les jeunes, que je cherche péniblement essayer d’attraper, mais qui ne viennent pas forcément chez moi, vont considérer que je joue le vieux père la morale », j’ai l’impression.

Thibaut le Masne : Justement, ça fait partie d’une question : pourquoi est-ce qu’on cherche forcément à avoir le côté moralisateur ou, du moins, à montrer les défaillances, parce qu’il y en a quand même beaucoup dans la tech ? Pourquoi les médias ne passeraient-ils pas un peu plus de temps à montrer ce qui est fait de bien aussi dans la tech pour démontrer qu’on peut aussi aller tirer quelque chose de bien.

François Saltiel : C’est le problème du traitement médiatique, c’est que tu tombes vite dans un manichéisme, c’est-à-dire que soit, effectivement, c’est la grande crainte, la grande menace du siècle, soit on va juste l’aborder dans un côté un peu techno-angélique de l’investissement, du côté un peu B to B. En fait, arriver sur cette ligne de crête en disant « il y a des usages qui sont positifs, qui sont négatifs ». Je suis contre, et j’imagine que vous partagez cette idée, qui est de dire que la technologie est neutre et on en fait le bien et le meilleur. Non, la technologie n’est pas neutre, elle a été pensée d’une certaine manière ; ce n’est pas un marteau avec lequel tu pètes la gueule de ton voisin ou tu plantes un clou, l’exemple qui est souvent employé, qui revient tout le temps. On peut dire que ce marteau est aussi désigné de telle manière qu’il induise un comportement plutôt qu’un autre. En l’occurrence, on parle des réseaux sociaux, tu vas plus taper la tête de ton voisin que construire un meuble en plantant un clou.

Mick Levy : Du coup François, c’est cela que tu essayais de faire, finalement, dans Le Meilleur des mondes, c’est aussi ça, d’ailleurs, qu’on essaie de porter à Trench Tech. Est-ce que tu peux nous parler du Meilleur des mondes parce que, peut-être que tous ceux qui nous écoutent ne connaissent pas cette émission, qu’on vous invite d’ailleurs à aller écouter, en podcast, tous les replays sont disponibles sur les mêmes applis que celles où vous trouverez, d’ailleurs, Trench Tech. Est-ce que tu peux nous en parler ? Quelle était ton idée initiale ? Quel grand message cherchais-tu à porter avec Le Meilleur des mondes

François Saltiel : L’idée initiale était exactement celle-là. C’est-à-dire que je suis allé voir la direction de France Culture en disant « vous abordez énormément thématiques – la géographie, l’histoire, le droit, l’éducation –, il y a un champ qui semble encore un angle mort justement du paysage médiatique, qui n’est pas abordé, qui n’est pas analysé de cette manière-là, c’est le numérique ». Mais quand tu dis « numérique », tu dois déjà trouver les arguments pour convaincre un décideur. Un, il ne faut pas que tu passes pour le vieux geek de service que je ne suis pas, j’ai encore word 2007 et je suis vraiment nul en technologie, donc je ne suis pas le vieux geek qui connaît tout sur tout.

Mick Levy : Tu n’es pas dans le cloud !

François Saltiel : Non. Qu’est-ce que le cloud d’ailleurs, il faut que tu me le rappelles.

Mick Levy : Tu nous parles comme avec des oreillettes Bluetooth, quand même !

François Saltiel : Que j’ai empruntées à quelqu’un juste à côté, parce que je ne suis même pas sur un ordinateur, je suis sur un téléphone.

Mick Levy : Ce n’est pas à moi, c’est celles d’un ami !

François Saltiel : Exactement, d’ailleurs, ma question, c’est pour un ami.
Tu vois, le côté où tu ne veux pas passer pour un geek et les mecs vont dire « ça n’intéresse personne ou ça n’intéresse que les passionnés, les geeks, ce n’est pas notre grand public ». L’idée c’est de comprendre que tu ne vas pas faire une émission qui va parler à des gens qui sont passionnés de technologie, avec des trucs techniques, qui vont écarter une grande partie du public. Déjà, le mot « numérique » et le mot « technologie » ne sont pas très vendeurs, non plus, « numérique », « nouvelles technologies », tout de suite…

Mick Levy : C’est vachement mieux qu’informatique, quand même, c’est bien pour ça qu’on a pris un nouveau mot d’ailleurs.

François Saltiel : C’est déjà vachement mieux informatique. Je ne sais pas comment vous êtes arrivé au titre de votre émission. C’est pour cela que je me suis dit comme titre, je vais appeler ça Le Meilleur des mondes, je vais emprunter ça à Aldous Huxley, en me disant « on part sur l’imaginaire », on part sur un titre qui dépasse, justement, le pur champ du numérique, déjà avec une référence culturelle, ça tombe bien, on est sur France Culture, pour que les gens se disent « ah oui, cette émission ne me parle pas de technologie, elle me parle de la vie, elle me parle de la société, elle me parle de dystopie, elle me parle du monde en fait ». Je pense que c’était un bon choix ; on aurait appelé ça « version geek », ça aurait moins bien marché.

Mick Levy : Bien sûr, et puis c’est canon parce qu’il y a même une forme de double sens. Limite, on peut le prendre comme une question : est-ce que le numérique permet vraiment le meilleur des mondes ou est-ce que le numérique, au contraire, c’est une ironie, veut nous vendre le meilleur des mondes.

François Saltiel : Exactement. C’était le miroir inversé par rapport à la promesse de tous les architectes de la technologie qui te vendent toujours un monde meilleur, de vouloir rendre le monde meilleur, Le Meilleur des mondes étant le miroir critique, justement, de cette vision idéalisée qui peut vite sombrer dans la dystopie, donc Le Meilleur des mondes est sur cette frontière.

Cyrille Chaudoit : Très bien vu. Un titre très bien trouvé, d’ailleurs cher à notre cœur et à celui de Louis de Diesbach qui nous en parle régulièrement, qui tient une chronique.

François Saltiel : Je ne sais pas si ce clin d’œil sera avant ou après, je vous laisse, mais j’ai vu sa référence sur l’une de ses dernières chroniques.

Cyrille Chaudoit : Exactement. Ce qu’on vient de se dire ça dit quoi de l’infusion de la tech et de ses enjeux dans notre société au sens beaucoup plus large ? En étant peu provoc, et si finalement c’étaient ceux qui pensent que la tech ne devait être traitée que sous un angle un peu gadget, un peu geek, qui auraient raison ?

François Saltiel : Et pourquoi ces personnes-là auraient-elles raison ?

Cyrille Chaudoit : Justement ! C’est à toi que je pose la question, bon sang ! C’est plutôt l’animateur, maintenant on va tout de suite mettre les choses au point.

Mick Levy : Si on ne peut plus poser des questions aux journalistes qu’on reçoit ! François est aujourd’hui notre invité.

Cyrille Chaudoit : C’est fou ! C’est un peu la question corollaire, évidemment de façon un peu provoc. On est tous conscients que le numérique, au-delà de la couverture médiatique qu’on vient d’aborder, est présent dans nos usages depuis longtemps et puis on est tous connectés, hyper-connectés, toi un peu moins que les autres, on a bien compris. Mais ces personnes-là, c’est-à-dire à peu près nous tous, pourquoi semblent-elles moins intéressées par une approche plus profonde des questions que cette espèce d’écume qui reste avec l’actualité de la tech. Est-ce que, finalement, on a vraiment besoin de se poser autant de questions ? Est-ce qu’on a envie de se poser ces questions, peut-être ?

François Saltiel : Est-ce qu’on a envie de se poser des questions ? Tu as raison. En fait, je pense qu’il y a des questions qu’on ne voit pas tout de suite émerger. Je vais prendre un exemple classique, les sites de rencontres. Par exemple, qu’est-ce que les applications de rencontres changent à la relation amoureuse, à la relation à l’autre, au consumérisme de la relation ? Si tu ne poses pas cette question-là, tu peux juste te dire qu’une appli de rencontres c’est cool ou ce n’est cool, c’est entré dans ton usage, mais tu ne vas pas forcément la questionner d’un point de vue sociologique, historique, philosophique. Après, tu vas dire « finalement ça raconte quoi ? Comment ces algorithmes qui permettent de matcher telle ou telle personne implantent-ils aussi une certaine vision de la relation et de l’amour, mais qui est derrière et comment cela interfère-t-il sur ma propre compréhension des choses ? » ; il faut quand même pousser le truc un peu plus loin. Je pense que plein de gens se disent « j’utilise le numérique, mais ça n’a pas vraiment beaucoup d’impacts sur moi, ça ne change pas grand-chose », or, ça change les choses. Je pense que le numérique amplifie des comportements, amplifie des phénomènes, parfois crée des nouvelles perceptions, mais il faut arriver à bien expliquer tout ça et à faire comprendre aux gens que ça peut être dans leurs usages de manière instinctive, rituelle, quotidienne, automatique, réflexive, mais en fait, derrière, ça modifie quand même leur rapport…

Cyrille Chaudoit : Il faut réussir à les extirper de leurs usages, faire un peu de pédagogie pour ouvrir le champ de la réflexion en disant « derrière ces usages, il peut y avoir telle conséquence plutôt positive ou négative ».

Mick Levy : En fait, c’est la loi d’Amara qui joue constamment à plein dans le numérique. On a déjà parlé de la loi d’Amara Fabienne Billat nous en avait parlé à un moment, qui dit que, finalement, on a tendance à surestimer les impacts du numérique à court terme et à avoir beaucoup de mal à les imaginer, donc à les sous-estimer plutôt à long terme. C’est exactement ça, l’appli de rencontres, tu dis « vas-y, c’est cool et ça me permet de rencontrer très vite des gens, etc. » En fait, tu sous-estimes complètement les impacts cachés, à long terme, sur le consumérisme, sur tous les éléments que tu viens de nous donner.

Cyrille Chaudoit : C’est la même chose que les gens qui te disent « moi, la data, pourquoi j’y ferais attention, enfin je n’ai rien à cacher ! »

Mick Levy : Il en relève exactement de la même idée. Du coup, est-ce qu’il n’y a pas la tendance des médias aussi au snacking en ce moment, poussée beaucoup, finalement, par les réseaux sociaux, des formats très courts, qui ne se prêtent pas à la compréhension de phénomènes longs, complexes et multifactoriels comme tu as commencé à le décrire avec le numérique.

François Saltiel : Oui, évidemment. De toute façon, on le sait, c’est ce que vous faites ici, pour pouvoir appréhender correctement les choses il faut du temps, tu as quand même la variable du temps, et c’est paradoxal. Ce que le numérique apporte par rapport à un système médiatique, c’est justement l’affranchissement des contraintes, du temps et des formats. En télévision, en radio, on est contraint à 3 minutes, 52 minutes, 45 minutes, des jingles, etc., en télévision encore plus.
On se rend compte que le numérique devait nous offrir cet espace où le temps a moins d’importance, où on pète les frontières, pour autant, il a provoqué, dans nos usages de consommation et dans la production de contenus, des temps encore plus courts pour capter cette attention, des documents qui doivent être encore plus attractifs pour nous emmener dans un flux. Après, c’est compliqué de parler du numérique et de l’essentialiser sur un contenu puisque tu peux avoir, effectivement, sur YouTube où tu passes une interview, on aime ou on n’aime pas, mais tu as deux heures et demie d’entretien avec quelqu’un. Il y a encore, parfois, cette promesse du temps long, mais la manière dont les médias l’utilisent et la manière dont on l’utilise au quotidien, tu as raison, c’est plutôt ce côté de snacking, c’est plutôt un temps très court, rapproché, pour capter l’attention.
Là où le numérique aurait pu nous permettre un affranchissement des formats, de par sa modalité économique qui fonctionne sur l’économie de l’attention et de par sa concurrence accrue, en fait, on est face à une pléthore de flux, il faut que les flux, les contenus, soient les plus attrayants possible pour capter, justement, ce spectateur qui est de plus en plus sollicité. On arrive donc à un truc un peu paradoxal et c’est vrai qu’on a besoin de temps pour comprendre les choses en profondeur et ce temps-là se réduit.

Mick Levy : En même temps qu’on parle, en même temps que je t’écoute, François, j’étais en train de chercher des exemples d’autres domaines qui se rapprocheraient de cette problématique-là, c’est-à-dire où, à la fois, il faut beaucoup en parler pour comprendre tout ce qui se passe parce que c’est complexe et où, à la fois, on n’y donne pas du tout la bonne attention. L’exemple qui revient c’est l’environnement, je pense.

Cyrille Chaudoit : Oui, même si ça a quand même peu changé ces dernières années.

Mick Levy : L’environnement, effectivement, parce qu’on en parle énormément et sous tous les angles. On a créé cette forme d’urgence.

Cyrille Chaudoit : Tu as aussi des programmes, des émissions, voire des magazines entiers – on n’a pas beaucoup parlé de presse écrite – qui traitent le sujet sur une verticale, je dirais. Mais c’est vrai qu’il n’y a pas tant de sujets que ça. On verra un peu plus tard, avec un certain nombre de chiffres assez éloquents que, paradoxalement, les Français se disent très intéressés par ces sujets-là, les sciences et la tech arrivent plutôt en bonne place, même devant les sujets économiques, politiques, etc., c’est un rapport de l’Arcom qui date de mars 2024. Pour autant, c’est le diagnostic qu’on est en train de poser, on voit bienque ce n’est forcément traité, entre guillemets, « à sa juste valeur », donc ça crée un petit décalage.

Thibaut le Masne : C’est justement le risque qu’on peut avoir, François, je te laisserai compléter, la réponse que tu commences à lancer. C’est que le fait que plus on avance, plus on déploie de nouvelles technologies, plus on avance et plus on développe aussi des points. Au final, le risque n’est-il pas moins sur les usages mais plus sur la façon dont on arrivera à discerner, entre guillemets, « le bien du mal », pas le bien du mal, mais plutôt, face à notre comportement, essayer de prendre ce pas de côté, de prendre ce recul, justement sur le numérique, pour essayer d’en décrypter un petit peu tous ses usages ?

François Saltiel : Pour répondre à ta question, je pense que ce qui est compliqué – c’est pour cela aussi qu’on a du mal et que les médias ont du mal à en parler –, c’est que notre approche du numérique est ambivalente, en fait, on est dans une ambivalence constante et je pense que vous en êtes aussi l’incarnation. C’est-à-dire que tu vas utiliser le numérique, tu vas inviter des gens qui vont le critiquer, tu vas avoir une prise de conscience sur certaines dérives et sur certains aspects et, en même temps, tu vas continuer à mettre tes enfants devant un écran deux heures pour avoir une soirée tranquille et tu te demandes si ce que tu es en train de faire est logique par rapport à ce que tu pensais. On est constamment dans ces ambivalences-là.

Thibaut le Masne : Je ne fais jamais ça !

François Saltiel : J’imagine. Tu vois, ce sont vraiment des oreillettes un peu particulières.

Cyrille Chaudoit : Ce sont les enfants d’un copain !

François Saltiel : C’est ça !

Mick Levy : Du coup, je peux les mettre devant la télé ! Tranquille !

François Saltiel : Tu peux y aller !
Il y a ce côté ambivalent qu’on a avec le numérique entre analyse critique – nous sommes des observateurs, mais nous participons aux trucs ; nous sommes à la fois victimes et, en même temps, tentés de dénoncer des choses ; nous sommes même coupables puisqu’on participe, parfois, à des effets négatifs. C’est compliqué pour un média de pouvoir aborder cette ambivalence-là sans faire la morale, tout en intéressant les gens, tout en essayant d’être le plus vulgarisateur possible, et il y a parfois plein de notions qui méritent, on a l’obligation de prendre du temps pour analyser le vocabulaire qui est anglophone, qui est complexe et quand même un peu technique, pour comprendre ce qu’il y a derrière. Je pense que tout cela fait que le sujet est un peu chiant à traiter parce qu’il est exigeant et dans une économie on a besoin de rapidité, d’efficacité, de performance immédiate, on se dit que ce n’est le sujet le plus facile.
La deuxième chose, c’est qu’en plus ce temps technologique est très rapide, on parle de choses qui évoluent en permanence, et le temps de la réflexion, le temps de la critique, le temps de la compréhension est forcément plus long et parfois, justement, cette rencontre ne s’opère pas tout de suite. Je pense que les médias se disent que c’est trop compliqué, ce n’est pas facile, ça intéresse très peu de gens, passons à autre chose.

Mick Levy : François, on va on va justement passer à autre chose. C’est le temps de prendre un petit temps de recul et de se poser sur le temps long, tu vas voir, avec la chronique« La Tech entre les lignes » de Louis de Diesbach.

« La Tech entre les lignes » de Louis de Diesbach 21‘ 33

Mick Levy : Louis, ça fait plaisir de te retrouver et toi ? Content de rempiler pour cette deuxième partie de notre saison.

Louis de Diesbach : Je suis ravi de vous retrouver, surtout qu’on n’a jamais eu aussi besoin de Trench Tech et d’esprit critique. On le sait, 2024 est une année importante : plein d’élections partout dans le monde, les Jeux olympiques qui sont juste derrière nous, mais un truc hyper-important dont on a peu parlé, c’est l’anniversaire d’un tout vieil Emmanuel de la philosophie.

Mick Levy : Tu parles d’Emmanuel Goffi’ Tu as trop kiffé, il n’est quand même pas si vieux que ça notre Emmanuel de la Philo Tech.

Louis de Diesbach : Pas Emmanuel Goffi, certes un grand philosophe, mais un autre très grand Emmanuel de la philosophie, Emmanuel Kant.

Mick Levy : Ah oui, le philosophe allemand.

Louis de Diesbach : Précisément, l’homme qui n’a jamais quitté sa ville natale et sans doute un des moins fun de l’histoire de la philosophie. 1724 – 1804, Koenigsberg – Koenigsberg, voilà pour les balises. Mais c’est aussi, et même avant tout, une des plus grandes révolutions de la pensée.

Mick Levy : Et là, tu vas certainement nous parler d’un de ses fameux textes.

Louis de Diesbach : Tout à fait. Kant s’est révélé un écrivain très prolixe sur le tard. Il publie, en 1784, un texte incroyable et d’ailleurs très accessible, une vingtaine de pages, ça s’appelle Qu’est-ce que les Lumières ?

Mick Levy : Il le pose comme une question. Du coup, c’est quoi ?

Louis de Diesbach : Kant nous dit que les Lumières, la philosophie des Lumières, c’est oser penser, c’est oser se servir de son propre entendement et, finalement, la question des Lumières est celle de l’éducation du genre humain.

Mick Levy : Et selon lui, les gens n’osent donc pas penser, mais pourquoi ça ?

Louis de Diesbach : Par paresse, par flemme, par lâcheté, en fait par un peu tout ce que lui appelle l’état de minorité où quelqu’un décide de tout à notre place.

Mick Levy : Je crois que je vois où tu veux en venir, mais éclaire-nous quel est le rapport avec la tech ?

Louis de Diesbach : En fait, il peut y en avoir beaucoup, mais, ce que j’aime beaucoup dans ce texte, c’est que Kant nous amène l’importance de l’éducation et de l’apprentissage. Alors attention, oser penser par soi-même, ce n’est pas une obligation à tout apprendre ou à tout connaître, mais c’est une interdiction que l’homme libre se fait à lui-même de laisser sa raison passive. Le philosophe ne nous dit pas qu’on doit tout savoir, mais qu’on doit redevenir maître de sa propre pensée, de sa propre raison. C’est une sorte d’interdiction du laisser-aller.

Mick Levy : Ça a l’air un peu sévère quand même à ce stade. Tout ça c’est positif ? Rassure-moi, c’est positif ?

Louis de Diesbach : C’est certain, je le disais, Kant n’est pas vraiment le roi des comiques. Mais cette nouvelle façon d’aborder l’éducation du genre humain, c’est avant tout une élévation personnelle et individuelle qui a des conséquences merveilleuses sur la population dans son ensemble. Si tout le monde commence à penser librement et par soi-même, Kant estime que ça va finir par faire réagir les principes du gouvernement qui trouvera alors profitable pour lui-même de, je cite, « traiter l’homme, qui est, dès lors, plus qu’une machine, conformément à sa dignité » et ça, c’est plutôt positif.
Alors chers auditeurs, chères auditrices, en 2024, refusez l’extinction des feux, écoutez Trench Tech et servez-vous de votre propre entendement.

Voix off : Trench Tech, Esprits critiques pour Tech Éthique.

La déconnexion numérique des élites 24’ 38

Cyrille Chaudoit : Merci Louis. Nous allons continuer de traiter l’homme conformément à sa dignité et quant à nous, on ne va pas faire l’épisode sur la fin du Meilleur des mondes. Mais, pour pousser la réflexion sur les conséquences d’une société en manque de repères, pour bien s’approprier les enjeux de son progrès technique, il me semble important d’en interroger les causes. Or, quand je me demande pourquoi une société semble ignorer ce qui préside à sa destinée, je ne peux m’empêcher de me demander à qui profite le crime. Sans aller jusqu’à soupçonner un éventuel intérêt à maintenir le peuple dans l’ignorance, peut-être pouvons-nous, au moins, interroger la compétence de nos gouvernants. De nos politiques aux patrons d’entreprise, en passant par les directions d’antennes, par exemple, sommes-nous victimes de la déconnexion des élites en matière du numérique, cher François ?

François Saltiel : C’est une bonne question si on prend justement le politique. L’Assemblée nationale a connu de multiples mouvements et renouvellements, mais, pour avoir parlé à quelques députés à une époque, on disait que sur les 577 on avait peut-être 12 qui comprenaient complètement les enjeux du numérique et les sujets dont vous parlez régulièrement : souveraineté technologique, analyse critique. D’ailleurs, tu le vois bien, mais tu le vois même aux États-Unis. À chaque fois que les Musk, les Zuckerberg et autres sont questionnés au Sénat ou dans les différentes commissions, tu as des questions parfois complètement à côté, qui sont prononcées par des hommes d’un certain âge ; ce n’est l’âge qui fait la connaissance, tu peux avoir 75 ans et comprendre parfaitement les enjeux. Il y a effectivement une forme de déconnexion et tout ça va ensemble. À partir du moment où on a un paysage médiatique qui ne va pas arriver à transmettre, à poser les bonnes questions, à donner les bonnes clés pour essayer de faire ce qu’on pourrait appeler de l’acculturation au numérique, permettre justement cette culture-là. On a une éducation aux médias qui est certes intéressante, nécessaire, mais sans doute pas suffisante et, derrière, on a assez peu d’associations, je pense à La Quadrature du Net qui fait un super travail pour, justement, essayer d’éclairer les décisions politiques, pour comprendre où elles vont. Finalement, on se rend compte qu’on a finalement assez peu de phares, assez peu de carrefours pour informer, donc finalement les politiques ne comprennent pas tout le temps les enjeux, prennent des décisions sans être forcément assez bien instruits ou cherchent à s’instruire sur ces questions-là et, après, c’est un chaînon qui a des conséquences. Dans une émission du Meilleur des mondes , on avait invité la Quadrature du Net pour montrer aussi que ce manque d’acculturation au numérique peut avoir des enjeux politiques, parce que, derrière, ce sont des décisions qui sont prises et le citoyen que l’on n’éclaire pas ou qui n’arrive pas, pour reprendre la thématique de la lumière, à s’éclairer par lui-même, va être victime de décisions qui lui échappent.

Cyrille Chaudoit : Le lien avec ce qui est dit du discours d’Emmanuel Kant est tout à fait trouvé, c’est-à-dire que si le peuple, lui-même, est davantage nourri et éclairé sur ces sujets, d’une certaine manière, ça va forcer un peu le politique à prendre aussi le sujet à bras-le-corps.
Avec ce que tu nous décris, notamment sur l’Assemblée nationale, je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec, justement, le réchauffement climatique et ces enjeux-là dont on a vu, en 2023, que c’était à peu près la première fois que les députés étaient sensibilisés, voire formés sur une petite journée, vite fait, à ces enjeux-là. Est-ce qu’il va nous falloir autant de temps que sur la thématique du réchauffement climatique pour qu’on provoque l’intention de former nos élus à ces enjeux, pour qu’ils sachent en parler et prendre les bonnes décisions ?

François Saltiel : Je pense, malheureusement, qu’un tel retard a été pris, et le train continue à avancer, que même si on arrive à rattraper, il y a toujours un delta entre ce que la technologie nous impose comme défis et la connaissance qu’on peut en avoir. Ça va quand même mieux et je pense qu’on peut le voir notamment à l’échelle de la régulation européenne. Je pense qu’il y a rarement eu une année, comme celle qu’on vient de vivre, où il y a eu autant de textes, où on a parlé autant de régulation : DSA, DMA, IA Act, etc. Dans Le Meilleur des mondes on essaie d’expliquer ces textes qui sont parfois un peu compliqués à comprendre, qui sont un peu denses, et, dans les médias en général, il y a eu quand même un traitement. Il y a quand même une volonté de reprise en main par le législateur, une volonté d’encadrer, justement, les usages du numérique qui était quasiment inexistante avant. Ça va mieux, ça avance, mais, de l’autre côté, les technologies, leurs conséquences prennent toujours un train d’avance et un temps d’avance. Force est de constater que ce qui se joue avec le DSA et le DMA c’est même une bonne nouvelle, ça reste une bonne voie.

Thibaut le Masne : Sur le côté législatif, c’est effectivement forcément une bonne nouvelle qu’on se prenne un peu par la main sur ces sujets-là et je trouve que l’Europe joue un rôle important de ce point de vue-là, pas parce qu’ils ne savent pas innover, mais parce que ce sont des choses qui les préoccupent.
Je voudrais revenir un petit peu sur le rôle des décideurs, des chefs d’entreprise, est-ce qu’ils ont vraiment quelque chose à faire ? Dit autrement, il existe quand même un sacré paquet de choses où ils peuvent se documenter, où ils peuvent aller chercher de l’information, où on peut les évangéliser sur le sujet, mais bon an mal an, moi travaillant dans une entreprise, quand on commence à parler des sujets tech, c’est « tant que ça marche, ne viens pas me chercher ! ». N’a-t-on pas un peu ce problème-là et ce syndrome-là ?

François Saltiel : Oui. Après, je serai moins exigeant du côté des entrepreneurs et des entreprises. Quel est leur rôle ? Ce n’est à eux, finalement, de faire une sorte d’acculturation aux enjeux du numérique et des nouvelles technologies. Comme tu dis, il faut que les entreprises comprennent ces nouveaux outils, qu’elles les mettent en application éventuellement sur leurs domaines de compétences, qu’elles expliquent à leurs employés, à leurs salariés ce que ça peut avoir comme conséquences sur leur quotidien, sur leur travail, mais est-ce que c’est à un chef d’entreprise de participer à la bonne compréhension des enjeux du numérique ? Je pense que c’est davantage aux politiques et, éventuellement, aux journalistes et aux décideurs d’antennes pour éclairer les médias.

Mick Levy : Du coup, François, je comprends très bien, ça va aussi avec ce que disait Cyrille, finalement, autour de l’opinion publique : si on arrive à mobiliser l’opinion publique, ça va aussi forcer les politiques à s’intéresser beaucoup plus à cette question. Donc, on en vient aussi à la responsabilité des médias, effectivement, c’est ce que tu es en train de toucher. Toi, quand tu vas rencontrer un patron d’antenne, que ce soit à la télé, à la radio, que tu lui proposes un programme autour du numérique et des enjeux, quelle tête fait-il ? Comment est-ce accueilli ?, manifestement pas super bien vu ce que tu nous disais en première partie. Mais que faut-il pour les faire bouger ?

François Saltiel : En fait, il faut continuer à faire un peu de lobbying dans le sens de « regardez, la question du numérique est une préoccupation du grand public », vous l’avez dit en préambule en disant que ça fait partie des sujets qui intéressent le plus, en plus ta mamie.

Cyrille Chaudoit : C’est aussi une étude de l’Arcom.

Mick Levy : Entre l’Arcom et ma grand-mère, finalement !

François Saltiel : En tout cas, ce sont deux indicateurs très fiables qui nous montrent que la question du numérique fait partie des questions du public. On le voit bien ! Regarde le nombre de bouquins qui sortent, regarde le nombre de conférences qu’il y a, regarde les sujets des ??? [31 min 30] et des enfants, par exemple, qui alimentent quasiment une discussion sur deux lorsque tu es avec des jeunes parents aujourd’hui. Il y a une préoccupation publique et il n’y a pas forcément une réponse qui fonctionne. Tu peux donc aller voir les décideurs en disant « je pense que ça intéresse les gens ». Après, eux te disent souvent que le numérique est devenu un sujet tellement transverse qu’il existe un petit peu partout. Ils te disent « la question des jeunes et des écrans, on en parle au 20 heures sur un petit reportage de quatre minutes, l’expérience dans cette école. »

Mick Levy : C’est partout donc c’est nulle part !

François Saltiel : C’est partout, donc, si c’est partout, on le traite, mais on n’a pas forcément besoin de le traiter en tant que tel, d’avoir une émission dédiée à 100 % sur cette question-là, parce qu’elle est trop diffuse, elle est dure à appréhender. On en a parlé : des applications de rencontres à l’immortalité en passant par l’IA, en passant par la régulation. On te dit « c’est quoi ton sujet, quel est ton angle, et on en parle déjà un petit peu partout ».
Et puis il y a quand même un deuxième sujet, encore une fois, où les médias vont te dire « est-ce que ça intéresse les gens, est-ce que tu crois vraiment que les gens vont regarder une émission comme ça ? »

Mick Levy : Justement, le patron de l’antenne, c’est en effet l’audimat.

Cyrille Chaudoit : Précisément, en la matière, désolé c’est une question un peu large, mais est-ce qu’on est un peu victime de la société de consommation à laquelle les médias se sont attelés ?, d’ailleurs on parle de consommation de médias quand on cherche les études relatives aux audiences, on va dire. Rappelons que la plupart des médias français et internationaux sont détenus par de très grandes entreprises elles aussi, pas de service public, en tout cas pour le moment, et souhaitons que ça reste comme ça. In fine, sur la responsabilité des médias et des patrons de médias : est-ce que cette consommation de médias n’a pas poussé les patrons d’antennes à faire justement de l’infotainment là où, précisément, on aurait besoin d’un peu plus de temps et de profondeur, jusqu’à modeler les attentes du public ? J’ai encore devant moi une planche du fameux rapport de l’Arcom, on vous mettra le lien sur la fiche de l’épisode, ce qui ressort en premier comme attente c’est « comprendre le monde qui m’entoure ». Par contre, très loin dans le diagramme, « pouvoir en discuter et débattre avec mon entourage et prendre des décisions éclairées en tant que citoyen » très loin derrière. Il y a donc quand même un petit hiatus entre « je veux comprendre le monde qui m’entoure » pour en faire quoi finalement derrière.
Ça me laisse penser que cette lessiveuse à informations, c’est finalement comme un robinet « oui, on se sent informé, on pense mieux comprendre le monde qui nous entoure », c’est le chiffre que je donnais tout à l’heure en préambule, finalement il n’y a que 10 % des Français qui retiennent l’actualité alors que 94 % d’entre eux se disent intéressés par l’information.
Est-ce qu’il n’y a pas une logique un peu trop mercantile est infotainment aujourd’hui dans les médias ?

François Saltiel : La question en pose beaucoup. Tu as déjà, effectivement, un truc de base. Je pense qu’il faut quand même distinguer, comme tu l’as fait, les médias privés des médias publics. Les médias privés, finalement, c’est ni plus ni moins que Facebook et Instagram, c’est-à-dire qu’on leur tape dessus en permanence, en mode captation de l’attention, mais la télévision c’est ça : j’essaye de capter l’attention pendant 52 minutes, pourquoi 52 ? Pour vendre 8 minutes de publicité derrière et ça fait une heure.

Cyrille Chaudoit : C’est temps de cerveau disponible de Patrick Le Lay bien avant l’économie de l’attention.

François Saltiel : C’est exactement le temps de cerveau disponible de Patrick Le Lay de l’époque, qui avait fait la une de Télérama, il avait fait une conférence pour vendre ça à Coca-Cola. En fait, c’est le modèle de base des médias, c’était le modèle aussi des tabloïds et des premiers quotidiens quand la publicité est arrivée : du sang du sexe et du sport et une page de pub au mieux. En fait, on est toujours dans ce modèle économique-là et c’est le modèle économique de base. Le but d’une chaîne privée c’est de rentrer la pub et, pour rentrer de la pub, il faut pour capter l’attention et, pour capter l’attention, il faut faire des choses qui soient le plus mainstream possible, le plus facile possible. C’est ce modèle qu’il ne faut jamais perdre de vue. Le service public, c’est différent. Normalement, il a un cahier des charges et il doit se dire « je dois faire de l’audience, mais je dois répondre à tel ou tel aspect, parler d’Europe, parler des enjeux climatiques, éventuellement parler du numérique ». Il est assujetti en fait à cette audience-là. On sait très bien que France 2 regarde ses chiffres d’audience autant que TF1 et l’émission s’arrête si les gens ne regardent pas.

Cyrille Chaudoit : Pardon, je t’interromps juste un instant, mais c’est intéressant, tu parles de ce cahier des charges pour le service public. C’est une image quand tu dis cahier des charges ou il y a véritablement une réflexion en amont et si oui par qui est-elle menée ? Qui donne ce cahier des charges ?

François Saltiel : Tu as des missions de service public qui sont justement décidées par les institutions. Par exemple, faire des émissions littéraires, ça fait partie du cahier des charges ; arriver à parler d’Europe en fait partie, surtout pour une chaîne comme Arte, c’est une évidence ; parler d’éducation, ce sont des missions de service public.

Cyrille Chaudoit : Du coup, quand on coupe Le Meilleur des mondes, ça veut dire que, dans le cahier des charges, le poids du numérique est très très faible.

François Saltiel : Je ne pense pas que parler du numérique soit dans le cahier des charges noir sur blanc, comme il a pu être édité à une certaine époque, parce que, justement, ce sujet-là est récent et nouveau et on a encore un peu de mal à l’appréhender.
Petite parenthèse par rapport au numérique, qu’on n’a pas dit, qui paraît une évidence, mais c’est bien de le redire. Le numérique, les nouvelles technologies, c’est le progrès et on a tendance à rarement questionner le progrès ; on se dit que si ça avance c’est que ça va dans le bon sens. Ce n’est pas à vous que je vais apprendre que qui dit progrès ne dit pas forcément le mieux pour l’humanité.

Mick Levy : Est-ce qu’il n’y a pas une autre forme d’ambivalence, finalement, dans les médias : tous les médias sont venus sur Internet, les médias vidéo, notamment, investissent même TikTok, le pire grand méchant loup des réseaux sociaux, rappelons-le, ainsi qu’Instagram, Facebook, etc., donc doit avoir un peu l’impression et se dit « finalement, on traite le numérique puisqu’on y est ! ». N’y a –-t-il pas cette ambivalence-là en quelque sorte ?

François Saltiel : C’est vrai. Soit on le traite puisqu’on est et, surtout, on est un peu complice. À un moment, tu veux vendre une émission sur France 2, tu vas analyser les dérives des réseaux sociaux et après tu vas regarder un petit peu en profondeur comment en France 2, j’ai pris une chaîne respectable, va utiliser Facebook, Instagram et les réseaux sociaux pour essayer de toucher un public. Évidemment qu’ils donnent leur contenu, évidemment qu’ils essayent de toucher une cible qui ne regarde plus la télévision. Ça devient donc compliqué, parce que soit tu pointes du doigt des choses et des phénomènes, mais tu en es complice ou tu en es victime ou victime consentante ou acteur, soit tu as cette vision de moralisateur et, si ce que tu dis est juste, les médias disent « écoute, on est dans le numérique puisqu’on fait des podcasts » ou alors « parce qu’on va lancer une chaîne Twitch, on essaye de lancer une chaîne Twitch. » Il ne faut pas non plus confondre le canal, le contenu et le contenant. C’est ce grand fourre-tout aussi qui n’est pas simple. Le numérique doit être une matière à penser, c’est une matière à penser, une matière à réflexion, c’est même une matrice pour essayer d’analyser la manière dont on évolue.

Thibaut le Masne : C’est joli. Matière à penser, c’est intéressant.
Du coup, François, est-ce ce que tu as une vision aussi de la façon dont ça se passe à l’étranger ? Est-ce qu’on est dans le même constat ? Est-ce que c’est le même constat qu’en France ?

François Saltiel : À l’étranger, j’ai quelques références, le paysage américain qu’on suit forcément, j’imagine que ce sont des sources que vous avez aussi, WiredThe Verge et autres. Tu as l’impression que ce sont des médias très renseignés, mais qui sont un peu plus proches du business. Tu as aussi un truc où tu vois des podcasteurs stars qui vont faire un gros coup parce qu’ils vont avoir Elon Musk un jour et en avoir un autre le lendemain. C’est un peu plus à l’américaine. De toute façon, en Amérique, le service public en tant que tel est beaucoup moins fort, établi, qu’il ne l’est chez nous. Je pense que tu as un côté un peu plus chaud, business, il peut y avoir de la critique. D’ailleurs, quand je suis allé à Stanford, que j’ai reçu Fred Turner, un professeur de Stanford qui a écrit un bouquin passionnant sur la construction de la Silicon Valley, lui-même nous disait « j’adore aller en Europe parce que je me rends compte que c’est ici que mon discours critique est accueilli ; dans la Silicon Valley on n’a pas le temps de s’y intéresser », c’est inaudible et on a l’impression que ça n’intéresse pas les gens. Le rapport critique à la rigueur des technologies, on le trouve plus en Europe qu’aux États-Unis et, même chez nous, on est en train de se dire qu’il est trop léger.

Cyrille Chaudoit : Il faut dire qu’ils ne sont pas une contradiction près. Quand je t’écoute, je repense à ton livre que je n’ai pas encore montré, qui date de 2020, c’est un très bon livre, on vous le conseille La société du sans contact – Selfie d’un monde en chute, où tu évoques notamment Peter Thiel. Peter Thiel fait l’actualité encore maintenant, tout récemment, en finançant la campagne de Trump ; Elon Musk s’y est mis également courant juillet. Tous ces libertariens, qui se disent libertariens, et qui vont financer, quand même, des politiques très conservateurs, quand bien même Trump veut casser aussi le système.
Tu étais en train de bousiller na transition puisque François nous avait confié quand même un truc assez intéressant, assez savoureux, c’est Trump, dans une certaine mesure, qui a donné ses lettres de noblesse au sujet de la tech en tant qu’objet d’analyse, puisqu’il avait été au centre des différents scandales liés, entre autres, à Cambridge Analytica et Thiel était déjà mouillé dedans. Je trouve ça assez savoureux.

Mick Levy : L’utilisation de feu Twitter aussi, il a défrayé la chronique autour de tout ça quelque part.

Cyrille Chaudoit : C’est l’heure de retrouver un Laurent Guérin qui gaze pas mal puisque il va nous parler de la confrontation Coca/Pepsi.

Voix off : Tu bluffes Anthony, ton arme n’est pas chargée.

 « Un moment d’égarement » de Laurent Guérin 40’ 50

Cyrille Chaudoit : Aujourd’hui, Laurent, tu vas nous parler d’un nouveau fail, un combat de titans entre l’un qui est blanc et rouge et l’autre rouge et bleu. Eh non, il ne s’agit pas de Captain America contre le père Noël mais bien de Pepsi contre Coca-Cola.

Laurent Guérin : Eh oui ! Et si tu bois du café, il y a de fortes chances pour que tu aies déjà bu du Nespresso, tu sais ces petites capsules individuelles si chères et si chères à George Clooney. Pourtant, il y a peu de chances que tu aies fait des dégustations à l’aveugle. Pourquoi tes amis auraient-ils eu, en effet, l’idée saugrenue de te faire déguster du Nespresso, du Senseo et du jus de chau-chau, du jus de chaussettes, sans te dire lequel est lequel, lequel est Legal et légal. Et pourtant, si ça se trouve au goût tu n’aurais pas choisi ton café préféré.
Cette idée de dégustation à l’aveugle Pepsi-Cola l’a mise en pratique aux États-Unis entre 1975 et 1983 afin de prouver que, contrairement à la croyance populaire, son breuvage avait meilleur goût que celui de son ennemi juré. Les passants s’avéraient sidérés et les résultats du Pepsi Challenge furent sans appel : Pepsi-Cola avec un meilleur goût que Coca-Cola. Les effets des campagnes publicitaires Pepsi Challenge se ressentirent sur les ventes et le challenger commença à venir chatouiller sérieusement le leader.

Cyrille Chaudoit : Pam ! Le choc de titans. Du coup, comment réagit Coca-Cola ?

Laurent Guérin : « On est trop vieux » se dire aussitôt les dirigeants de Coca-Cola, « c’est vrai qu’on sent le renfermé des grands-parents » pensa le PDG, « même notre logo n’a pas changé depuis 100 ans » éructa le directeur de la communication, « innovons » déclara Bobby Pidgeon, un des embouteilleurs en chef. Bref ! Le 23 avril 1985, Coca-Cola met les petites bouteilles dans les grandes et dévoile, à grand renfort de communication, le nouveau Coke : celui qui a un meilleur goût que l’ancien Coca-Cola, tellement meilleur qu’il a un meilleur goût aussi que l’actuelle Pepsi-Cola. Sauf que le goût on s’en fout ! Occupé à ne rien faire, il faut dire qu’il n’y a pas de guerre en cours, le peuple américain s’insurge d’une telle infamie et envoie l’infanterie. Et la petite bouteille se rebelle « ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie, n’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie et ne suis-je changé dans la recette secrète que pour voir un jour Pepsi se barrer en sucette. Mon goût, qu’avec respect toute l’Amérique admire, enfin presque, mon logo qui, tant de fois nous n’avons pu embellir, tant de fois a servi le traîneau du père Noël ne fait rien pour moi, trahit donc ma querelle ! Ô cruel souvenir de ma gloire passée, si vous pensiez mon œuvre en un jour effacée, vous pouvez repasser, le peuple veut mon bonheur. Rangez la nouveauté, cette insipide horreur ! ». Pétitions, manifestations, le combat contre le nouveau Coke s’exprime sur tous les fronts, tant et si bien que 77 jours plus tard Coca-Cola abdique et réintroduit le Coca-Cola classique.

Cyrille Chaudoit : Finalement, c’est un peu comme dans Le Guépard et cette fameuse citation « il faut que tout change pour que rien ne change ».

Laurent Guérin : En 100 ans d’existence, Coca-Cola était devenu une icône de la culture populaire, un point de repère de la nation, un intouchable dont le goût, finalement, était le cadet des soucis du peuple. Qu’importe le breuvage, en quelque sorte, pourvu qu’on ait le flacon. Le flacon voilà d’ailleurs une autre icône du soda roi. La bouteille de Coca est reconnaissable entre 1000 avec ses courbes et ses nervures verticales inspirées de la fève de cacao. Elle est présente dans les œuvres d’Andy Warhol ou de Salvador Dali, en couverture de Time Magazine, elle explose le box-office dans le film sud-africain Les dieux sont tombés sur la tête et contribue grandement à la légende. Devenu cas d’école incontournable d’un échec produit, le nouveau Cpke aura néanmoins permis à Coca-Cola de réaliser à quel point les consommateurs avaient développé une connexion émotionnelle forte avec la marque, un peu comme toi avec George Clooney. Une épiphanie qui fera dire à un porte-parole de Coca « ce fut le moment décisif où nous avons appris que des consommateurs férocement loyaux, et non la société, sont propriétaires de Coca-Cola ». Comme quoi, parfois innover c’est aussi savoir ne rien changer.

Voix off : Trench Tech, Esprits critiques pour Tech Éthique.

44’ 35

Thibaut le Masne : Elle sera facile, mais voilà une innovation qui a fait pschitt. On voit l’impact de la société sur une grande entreprise.
Alors François, quand on voit le temps qu’il a fallu à nos institutions pour prendre le sujet du réchauffement climatique un tout petit peu au sérieux, avec des députés qui, jusqu’en 2023, n’avaient même pas automatiquement été sensibilisés, voire formés, aux enjeux pourtant abondamment documentés, entre autres, par le GIEC, on peut se demander combien de temps nous avons devant nous avant que la multitude des enjeux sociétaux charriés par le numérique devienne une véritable priorité en France. Du coup, un peu à l’image du militantisme écologique d’avant la prise de conscience globale, la sensibilisation sur l’impact de l’innovation numérique est-elle, elle, condamnée à être prise en charge par la société civile ?

François Saltiel : En tout cas, on a besoin de la société dite civile à fond. Je pense qu’on ne peut pas tout attendre de la société civile comme on ne peut pas tout attendre de l’école par rapport à ces questions-là, qui sont politiques. De toute façon, on voit très bien que le politique bouge à partir du moment où il y a une opinion qui monte et qui vient lui poser des questions.
Tout à l’heure, j’ai parlé de La Quadrature du Net. Sur la question de la vidéosurveillance, de la surveillance de l’espace public et le déploiement des technologies qui sont vite invasives, ça ne bouge que parce que tu as des associations comme celle-ci qui vont solliciter la CNIL, qui vont pointer du doigt, qui vont essayer de faire de l’acculturation, du lobbying auprès d’autres députés pour leur dire « mobilisez-vous sur ces sujets-là, on a on va vous donner des clés pour mieux les comprendre et pour que vous en fassiez, justement, un enjeu ». Donc oui, on a besoin de la société civile et c’est ce qui se passe, encore une fois, avec les jeunes et les écrans, c’est un peu ça : des parents qui sont dépassés par rapport à ces écrans des iPhones que l’on met dans les mains d’enfants de 9 ans en disant « on donne un iPhone, mais on ne donne pas le mode d’emploi qui va avec », parce que ce n’est juste un téléphone, c’est carrément un monde qui s’ouvre à soi. On a des problématiques de cyber-harcèlement, des problématiques de marchandisation, tout simplement, de la jeunesse, une marchandisation de l’attention de jeunesse. C’est là où, justement, on voit la force la société civile où tu vas voir des communautés de parents, de parents d’élèves, qui vont parfois jusqu’à des extrêmes, mais qui vont quand même se mobiliser pour solliciter justement une question dans les médias, les médias vont l’amplifier parce qu’ils ont l’impression qu’il y a un sujet et le politique va essayer de s’en saisir parce qu’il se dit que là il peut aussi marquer son empreinte par un amendement, par une recommandation, tel texte, parce qu’il se rend compte aussi que c’est une des attentes des gens.

Mick Levy : C’est ce qui va nous intéresser maintenant, t’entendre là-dessus : quelles vont être, selon toi, les solutions pour parvenir à mobiliser tout cet écosystème que tu décris ?

François Saltiel : Là où je vois un truc positif c’est qu’on pourrait peut-être distinguer trois temps sur notre perception du numérique.
Il y a eu un temps qui était celui de l’idéalisation, on en est revenu.
On arrive à la critique, on va dire après l’affaire Snowden, en 2013, et Cambridge Analytica.
Et maintenant, cette critique commence à être un peu consommée, ça ne surprend plus personne quand tu dis « si c’est gratuit c’est toi le produit » les mecs se disent « ça va, ça fait cinq ans que j’entends ça ! ». On commence maintenant à avoir un niveau qui a diffusé de la critique, par rapport à cette dérive-là, qui est quand même assez installée dans la population, donc, peut-être qu’on arrive à une phase de maturité et il faut, maintenant, que cette maturité ne soit pas une maturité stérile, c’est-à dire « je sais, j’ai compris, mais je n’y peux rien », mais une maturité de « OK, j’ai compris, en même temps il peut y en avoir des usages positifs, donc comment j’arrive à me mobiliser pour, même si j’aime pas trop ce terme, à réenchanter un petit peu l’usage du numérique du moins à le re-questionner, à questionner mon intention et à essayer de le refondre. » Après, il y a plein de possibilités, ça peut passer par une échelle individuelle ou communautaire.

Mick Levy : Est-ce que la solution ne pourrait pas venir elle-même du numérique par les nouveaux médias, par les nouveaux types de contenu ? Je crois que tu as pas mal investi sur Twitch. Tu peux peut-être nous en parler parce que l’initiative est hyper-intéressante et expliquer aussi ce qu’est Twitch pour ceux qui nous écoutent, qui ne le sauraient pas.

François Saltiel : Tu parles encore de ta grand-mère ? C’est ça ?

Mick Levy : Il n’est pas impossible que je fasse écouter cet épisode à ma grand-mère, effectivement.

François Saltiel : Twitch est une plateforme qui a été rachetée par Amazon, une plateforme qui permet une interactivité par ce qu’on appelle des viewers qui peuvent regarder, en direct, un flux est initiée par un streamer et chatter en direct et réagir en direct par rapport à ce qu’ils y voient. Historiquement Twitch est né sur l’écosystème du jeu vidéo où les gens se filment en train de jouer aux jeux vidéo et de plus en plus de médias, ou d’autres acteurs, investissent Twitch pour parler d’autres sujets.
C’est ce qu’on a fait avec Le Meilleur des mondes. Ce qui était très positif dans ce laboratoire, cette expérience Twitch, en toute humilité, quand on avait 120 personnes on était content, mais ça permettait, tout simplement, d’avoir de l’interactivité, du feedback. Quand tu es un média, même un média grand public, tu parles comme ça dans un micro, mais tu te dis « finalement qui m’écoute ? Est-ce que les gens reçoivent bien ce que je dis ? », alors tu as les mails, tu as les réseaux sociaux qui permettent d’avoir une vraie caisse de résonance, parfois un peu biaisée, néanmoins nécessaire, et je pense que pour vous aussi c’est vrai.

Mick Levy : Mais à postériori. Là tu l’as en direct, du coup.

François Saltiel : Là, tu l’as en direct, en plus on offrait la possibilité d’en faire de la Startup Nation, de désintermédier aussi les médias en disant « vous auditeurs, viewers, si vous voulez poser directement vos questions à Thierry Breton, vous pouvez le faire ». Vous voulez poser directement vos questions à Tariq Krim, que vous avez reçu récemment, vous pouvez le faire. En fait, il y avait cette faculté déjà de comprendre ce que les gens voulaient, ce qu’ils comprenaient, et de permettre aux gens de parler directement et d’adresser directement leurs questions aux invités et souvent, tu avais de très heureuses surprises. Il y avait des questions auxquelles on n’avait pas pensé en tant que conducteur, des questions qu’on n’aurait jamais posées. D’ailleurs, j’ai été agréablement surpris par le niveau de connaissance de notre public par rapport à des sujets qui sont très complexes.

Cyrille Chaudoit : Avec une audience très captive.

Mick Levy : Très fidèle on va dire.

Cyrille Chaudoit : Désolé ! Et experte.

François Saltiel : La deuxième chose, c’était aussi la rupture de ton que Twitch apportait, j’adorais ce moment-là. Tu faisais une heure démission, antenne, France Culture, les mecs, on se vouvoyait, il y avait une sorte de pression ; tu as quand même une pression quand tu es invité et que tu passes pendant une heure. Quand tu es chercheur, que tu as passé deux ou trois ans à travailler sur un livre, que tu vas exposer ton idée en peu de minutes, tu sais qu’il y a potentiellement une prescription du média ou de légitimation, donc tu y vas une certaine pression. Et puis, d’un coup, tu enlèves ton casque, on se tutoie et la discussion continue, et là pendant 30 ou 40 minutes, il se passait des trucs très savoureux, inattendus, ce qu’on appelait des moments d’émulsion. Pour résumer, ce que j’adorais justement sur Twitch, c’était cette rupture de ton, ce nouvel espace un peu intimiste apporté à l’émission qui ne pouvait naître que parce qu’avec une heure commune aussi avec les invités. D’un coup, il y avait quelque chose de beaucoup plus proche, de beaucoup plus spontané et des propos assez inattendus qui étaient même, parfois, plus intéressants que l’émission en amont.

Cyrille Chaudoit : C’est intéressant, d’ailleurs on partage totalement ce point avec toi, c’est vrai qu’on a la chance d’accueillir de super invités, il y a une liberté de ton qui nous permet, même parfois, de franchement rigoler. Ce que je retiens, ce que je trouve très intéressant, c’est d’abord ces trois temps forts : l’excitation autour du progrès technique, la désillusion, puis, finalement, ça commence à se stabiliser, on a un regard un peu critique ça fait vachement penser à ??? [51 min 40] de Gartner pour les techs et pour les gens qui bossent en entreprise. Ce que tu viens de nous dire là, plus spécifiquement sur un autre canal qui permet un autre ton, m’amène une question : est-ce qu’il faut changer les narratifs autour de la tech parce qu’on a tout le temps l’habitude d’en parler de la même manière. Il y a ceux qui vont agiter le chiffon rouge pour faire peur à tout le monde parce que ça fait vendre du papier, y compris chez des auteurs qu’on reçoit beaucoup en plateau, je ne donnerai pas de noms, et puis il y a aussi le fantasme lié à la tech « tout ça va régler tout un tas de problèmes », c’est très connu. En revanche, est-ce qu’il faut changer de narratif, encore une fois avec ma vieille marotte sur le réchauffement climatique ? Quand on a commencé à ne plus culpabiliser les gens mais à trouver des solutions, en tout cas à valoriser des idées innovantes qui pouvaient aller dans le bon sens, j’ai le sentiment qu’il y a eu un regain d’intérêt de la part du public sur ces sujets. Qu’est-ce que tu penses des narratifs actuels ?

François Saltiel : Tu as raison. Je pense qu’il faut changer les narratifs, c’est ce qu’on a essayé de faire justement avec Le Meilleur des mondes en faisant rencontrer des gens qui n’avaient pas l’habitude de se parler et, de cette manière, tu pétais un peu les narratifs. Quand tu mets d’un côté un chercheur, une universitaire qui ont forcément une vision un peu critique, mais, de l’autre, un entrepreneur qui a les mains dans le cambouis, qui va expliquer ce qu’il fait tous les jours, pourquoi cet outil c’est intéressant et surtout qu’il utilise. On ne va pas se mentir, il y a énormément de gens qui critiquent des objets, des outils qu’ils n’utilisent pas, mais qui sont juste dans la vision qu’ils ont. Et là, quand tu vas avoir cet entrepreneur, ce jeune chercheur, que tu vas prendre une tierce personne, un philosophe ou un historien qui va replacer dans l’histoire que cette pseudo-révolution n’a rien de révolutionnaire, mais que c’est juste une amplification d’un phénomène existant, d’un coup tu donnes une hauteur historique, une perspective, tu casses le côté manichéen entre le fantasme du mec qui le critique, tu le confrontes à un mec qui l’utilise et là, tu changes un petit peu le narratif. Déjà, tu es moins dans la culpabilisation. Je suis d’accord avec toi, rien ne fonctionne avec la culpabilisation, on a vu que culpabiliser les gens ça ne fait rien avancer.
Il faut donc sortir de ces discours moralisateurs, donc de cette caricature et, comment sort-on de la caricature ? On en sort par la nuance. Et, comment arrive-t-on à la nuance ? On arrive à la nuance quand on arrive à confronter des points de vue différents de gens qui arrivent à s’écouter, qui sont dans la compréhension de l’autre, qui sont dans une certaine forme d’empathie respectueuse, pour essayer, ensemble, de mieux comprendre ce qui nous entoure.
D’une certaine manière, il y avait une volonté de casser le narratif en donnant la parole à des gens différents, en même temps, pour qu’ils croisent leurs regards.

Mick Levy : D’autres initiatives aussi vont dans ce sens-là, essayent de casser le narratif, notamment les Cafés IA lancés par le CNNum, avec Gilles Babinet qui est effectivement figure de proue de cette initiative. Il y a aussi des initiatives autour de l’IA à l’école aussi pour éduquer sur ces sujets-là. Que faut-il penser de cette multiplicité d’initiatives ? Est-ce que c’est en les multipliant que ça va aller dans le bon sens ? Comment peut-on articuler entre ce qui peut se passer dans les médias, ces initiatives-là qui vont être essentielles pour le futur ? Les initiatives associatives, il y a des fresques, La Fresque du Numérique, La Fresque de l’IA®, etc. Comment vois-tu toutes ces initiatives, François ?

François Saltiel : Comme des choses très positives qu’il faut amplifier. Il y a des choses qui sont essentielles. Tu parles du côté associatif, après je vais arrêter avec ta grand-mère, mais la fracture numérique qui touche justement les plus âgés d’entre nous, qui n’arrivent pas à se connecter à leurs impôts, qui n’arrivent même plus à contacter tel ou tel service, c’est un vrai problème. On numérise la société, on accélère en laissant des gens sur le bord de la route. À un moment donné, il faut récupérer ces gens-là, il faut leur faire comprendre les trucs, il faut les accompagner, il faut faire de l’intergénérationnel, il faut les éduquer, c’est même une nécessité.
Je trouve hyper-intéressant ce que font les Cafés IA, ça n’a de Café IA que le nom, ce ne sont pas des cafés, ils vont se rendre dans les entreprises où ils vont, pendant le temps du déjeuner par exemple, directement sur les lieux, parler d’IA, de ses dangers, de ses enjeux. Je trouve hyper-intéressant d’aller vers les gens, sur leur temps de travail, pour les solliciter et pour, justement, recueillir aussi leur parole. Je trouve donc ça hyper-important.
Et sur l’éducation au numérique, évidemment, pour en avoir fait beaucoup, pour continuer à en faire, pour vivre aussi avec quelqu’un qui est la directrice-adjointe du Clemi, qui travaille justement au sein du ministère de l’Éducation nationale pour faire la passerelle entre le monde éducatif, le monde des médias et les enseignants, on se rend compte qu’on a un besoin dingue. Après, ce sont des sujets en soi. Comment l’école traite le numérique entre les réticences, les blocages, ou alors accueillir des outils des GAFAM qui font de l’évangélisation pour essayer de convaincre des nouveaux élèves qui vont devenir, demain, des nouveaux consommateurs, ce sont des vrais sujets. Par contre aujourd’hui, lorsqu’on est une institution scolaire, je ne pense pas du tout que les solutions viennent par du tout interdit, les interdictions qu’on voit émerger à droite et à gauche. Je pense qu’il faut à tout prix arriver à permettre aux élèves de rentrer sous le capot de la machine, de comprendre leur monde et, surtout péter ce fantasme, ce cliché des digital natives qui comprennent le numérique mieux que nous parce qu’ils sont sur TikTok toute la journée.

Cyrille Chaudoit : Effectivement, ce n’est pas parce que tes usagers que tu vois bien comment ça marche derrière. Avant de refermer ce chapitre, une question qu’on ne peut pas ne pas te poser la place du service public. On a tous envie d’un monde meilleur, mais est-ce que c’est faisable sans un service public qui fait partie des racines de notre façon de proposer un éclairage sur la société ? Je pense très directement au projet de privatisation, voire de certains partis politiques qui voudraient justement privatiser ; les sujets de fusion ou de privatisation du service public. Qu’est-ce que ça dirait de la façon dont nous serions amenés, du coup, à aborder ces sujets-là demain si la Maison de la Radio et ses différentes antennes fusionnaient avec des groupes privés ou étaient totalement rachetées par des industriels, on va pas donner de nom, comme le souhaite le RN par exemple.

François Saltiel : Je pense que la privatisation du service public serait globalement un drame pour les raisons qu’on a évoquées tout à l’heure. Quand tu parlais du fonctionnement économique des médias, on a bien vu qu’il y a une distinction entre le privé et le public. S’il n’y a plus de service public, il n’y a plus cette distinction-là, ça veut dire que tous les médias sont maintenant dans une course à l’audience, avec une concurrence accrue pour essayer d’aller chercher ces annonceurs qui n’ont pas, non plus, des budgets extensibles et infinis. Donc, à un moment donné, il va falloir encore plus de concurrence, encore plus utiliser des stratégies pour capter l’attention du public et perdre, justement, des missions de service public qui sont de prendre le temps, et ça existe encore. Le Meilleur des mondes disparaît aujourd’hui, ça ne veut pas dire que, demain, il ne pourra pas revenir. Prendre le temps d’expliquer les choses aux gens sans avoir cette course à l’audience. Donc, la privatisation du service public amènerait une logique et un écosystème 100 % économiques, de concurrence économique, sur un champ des médias où la question de l’information doit être considérée aussi comme un bien public. Bien informer les gens peut être aussi nécessaire qu’avoir une eau potable ; se dire qu’on a besoin, encore une fois, de matière à penser, de matière à réfléchir. Donc, si on privatise, on rentre effectivement dans un jeu dangereux, d’une concurrence économique totale et on sait très bien comment ça se terminera. On aura les plus forts, les plus faibles et tout le monde va essayer de faire à une sorte de course à l’audience qui n’est jamais bénéfique. Ça serait donc grave. C’est dans le programme du Rassemblement national. Au sein du service public, pour travailler à Radio France et un peu à France Télévisions, on a tous eu peur, globalement, que cette menace arrive. Après, la menace de la holding et de la fusion est évidemment moins forte parce que, du coup, tu gardes un service public, sauf que tu peux considérer que tu l’affaiblis, d’une certaine manière, que tu touches à sa diversité, à sa pluralité en concentrant des rédactions et non pas concentrant des regards.
Je trouve surtout que les arguments avancés par la majorité n’étaient pas forcément les bons, du moins, je ne les ai pas compris. Dire qu’il faut rendre l’antenne plus forte pour lutter contre les GAFAM, les plateformes et tout, au moment où le service public ne s’est jamais aussi bien porté.

Cyrille Chaudoit : Exactement. Les chiffres le prouvent.

François Saltiel : C’est assez peu lisible. Les chiffres le prouvent.

Cyrille Chaudoit : En tout cas, on restera sur cette idée de matière à penser qui est revenue régulièrement dans nos échanges et on espère que cet épisode sera une bonne matière première pour vous aider à penser tous ces enjeux.
Merci François. On rappelle Un monde connecté, tous les jours dans la matinale de France Culture, les replays, évidemment, du Meilleur des mondes en podcasts et puis ton livre La société du sans contact : Selfie d’un monde en chute, chez Flammarion paru en 2020.

François Saltiel : Et puis bravo à vous, j’en profite, excuse-moi de te couper dans ton magnifique lancement de conclusion, je sais que c’est toujours chiant quand on fait ça.
J’espère aussi que les auditeurs déçus du Meilleur des mondes vont pouvoir, grâce au numérique, continuer à écouter ces émissions qui sont des ressources et puis j’espère qu’ils iront chez vous aussi, puisque vous faites un super boulot avec des super invités, une bonne manière de l’aborder. Si au moins cette disparition peut vous permettre, par ruissellement, un terme qui a été un temps à la mode, d’arriver à ce que des auditeurs un peu orphelins de cette émission trouvent refuge chez vous, j’en serai très heureux.

Cyrille Chaudoit : C’est adorable, merci.

Mick Levy : On accueille tout le monde à bras ouverts.

François Saltiel : C’est le en même temps cette fois.

Cyrille Chaudoit : Tu vois, nous adorons aussi beaucoup de gens et on pense que c’est cette trame qu’on a évoquée, à la fin : il faut que tout le monde puisse y contribuer, donc on salue aussi le travail de Xavier de la Porte du Code a changé qu’on aime beaucoup et bien d’autres encore, notamment en presse écrite, on ne les a pas trop cités, mais il y a plein de belles ressources, donc allez-y, consultez un maximum de médias, nourrissez votre esprit critique avec cette matière à penser.
Un énorme merci François et vous qui nous écoutez, restez avec nous encore les cinq dernières minutes, c’est le moment du debrief.

Thibaut le Masne : Merci François.

Mick Levy : Merci François. Au revoir.

Voix off : Trench Tech, Esprits critiques pour Tech Éthique.

Le debrief 1 h 01’ 34

Thibaut le Masne : J’avoue