Start-up françaises : un record de faillites
Titre : Start-up françaises : un record de faillites !
Intervenants : Claude Calmon - Julien Pillot - Éric Le Bourlout - Tariq Krim - Delphine Sabattier
Lieu : Podcast Le grand débrief - Smart Tech
Date : 12 septembre 2024
Durée : 28 min
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : À prévoir
NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·es mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Transcription
Delphine Sabattier : Bonjour à tous et bienvenue dans Smart Tech. Comme chaque jeudi, désormais c’est le grand debrief de l’actu. Aujourd’hui, on va être ensemble pendant une demi-heure, je vais vous présenter nos sujets et nos invités tout de suite après ça.
C’est parti pour le grand debrief. Cette semaine autour de la table avec moi l’excellent journaliste spécialisé Éric Le Bourlout, l’économiste du numérique, Julien Pillot, qui est enseignant-chercheur à l’Insec, et le visionnaire Tariq Krim, fondateur du think tank Cybernetica. Bienvenue à tous les trois. Vous êtes en forme pour la rentrée, prêts à débattre de tous ces sujets qui nous ont bien occupés pendant l’été.
Nous allons confronter nos points de vue, notamment sur le record de faillites de startups françaises. On aura d’ailleurs, à ce sujet, Claude Calmon, du cabinet Calmon Partners, qui accompagne ces startups françaises dans leur levée de fonds. On va aussi revenir sur les annonces Apple autour des premiers iPhones qui ont été conçus pour l’intelligence artificielle et puis on parlera, évidemment, de l’arrestation de Pavel Durov, le patron-président de Telegram.
On commence avec ce chiffre record de faillites : 129 startups matures, tricolores, ont fait faillite ces 18 derniers mois, selon une étude 2023 de la Banque de France qui a été complétée avec des données obtenues par La Tribune, qui vont donc jusqu’à juin 2024.
Bonjour Claude Calmon. Merci d’être connecté avec nous.
Claude Calmon : Merci.
Delphine Sabattier : Vous êtes donc le fondateur de Calmon Partners, vous accompagnez, je l’ai dit, les startups dans leurs levées de fonds, vous êtes vous-même business angel, est-ce que la situation, aujourd’hui, vous inquiète pour la suite ?
Claude Calmon : J’ai plutôt envie de voir le bon côté des choses, c’est aussi le côté entrepreneurial. Il y a effectivement ce chiffre qui est assez fort sur les faillites, mais on peut aussi se concentrer sur les sujets un petit peu positifs, à savoir la hausse du chiffre d’affaires, au global, dans la French Tech, le renforcement des fonds propres. Ce qui veut aussi dire, finalement, que les sociétés qui sont parties au tapis étaient peut-être celles qui ont un peu trop bénéficié des largesses d’investisseurs au moment où l’argent était assez facile à lever et celles qui ont pu montrer qu’elles pouvaient traverser à la fois des crises, crise Covid, mais aussi des crises de financement se sont, elles, renforcées, ont augmenté leur croissance et ont pu aussi bénéficier d’opportunités sur de la croissance externe.
Delphine Sabattier : Cela dit, on parle quand même de startups matures, on ne parle pas de toutes jeunes pousses. On peut citer, par exemple, le service de scooters électriques Cityscoot, on peut parler aussi de la biotech BioSerenity, il y avait Iziwork qui était aussi vraiment en pleine croissance puisqu’il révolutionnait les métiers de l’intérim.
Claude Calmon : Ce qu’on a un petit peu oublié de dire, c’est que plus vous levez, plus la pression sur la croissance de la société augmente. Je pense qu’il y a eu énormément de levées qui étaient au-delà des besoins de croissance naturelle des sociétés ; recruter des dizaines, des centaines, de milliers de personnes dans un temps record, c’est extrêmement dangereux en termes de culture d’entreprise, de prendre le temps de recruter les bonnes personnes ; des dépenses somptuaires d’un point de vue marketing, publicité, etc ; des bureaux gigantesques, souvent beaucoup gros, beaucoup trop chers. C’est un petit peu le problème. Quand le chiffre d’affaires ne suit pas, que ce n’est pas rentable, le jour où le financement ralentit, voire s’arrête, en fait ce n’est pas viable. On a soutenu des business modèles qui n’avaient pas vraiment d’horizons de rentabilité suffisamment courts pour pouvoir passer ce genre d’obstacles.
Delphine Sabattier : Donc, que pensez-vous qu’il va se passer d’ici la fin de l’année ?
Claude Calmon : Je n’ai pas de boule de cristal, mais on dit que le pic est peut-être un petit peu passé, on commence à entrevoir une baisse du niveau des taux, ce qui va aussi peut-être permettre de rouvrir un petit peu le robinet du cash pour certaines startups. Mais une chose est sûre, c’est que les critères d’investissement des investisseurs ont changé, on veut voir beaucoup plus de solidité, un produit qui a trouvé son marché, un point de rentabilité à venir dans un horizon plus court qu’avant et ça va encourager les projets les plus solides.
Delphine Sabattier : Donc, pas de nouveau record de faillites d’ici la fin de l’année selon vous, on suivra ça.
Julien a une réaction.
Julien Pillot : Une réaction oui, parce que j’ai entendu des propos qui sont vraiment plein de bon sens. Il faut regarder ce qui explique finalement les défaillances de ces startups et il y a deux niveaux d’analyse : un niveau macro et au niveau micro.
Sur niveau macro, on est face à des startups qui ont privilégié largement la croissance à la rentabilité, avec des business modèles qui n’étaient pas éprouvés, qui n’étaient pas suffisamment bien calibrés et suffisamment tôt pour pouvoir réussir à obtenir une rentabilité, ne serait-ce que sur un horizon stratégique à peu près acceptable pour des investisseurs. Et lorsque l’argent commence à devenir plus cher, parce que les taux d’intérêt augmentent, eh bien ce cash, qui est extrêmement nécessaire pour conserver la startup en état de fonctionnement, commence à manquer et ça commence à poser problème.
Au niveau micro il faut regarder aussi ce qu’est le profil des personnes à l’origine de ces startups. On retrouve quand même souvent des profils qui sont assez similaires : des personnes assez jeunes, assez inexpérimentés, qui sortent tout juste d’écoles de commerce, qui n’ont pas su gérer l’argent qui est tombé un petit peu du ciel à travers des levées de fonds, qui ont fait de dépenses inconsidérées, on l’a entendu, en marketing, des dépenses inconsidérées, en show off, des dépenses inconsidérées aussi en recrutement au-delà des besoins et, in fine, ça crée une surchauffe.
Delphine Sabattier : Là, vous êtes sévère, Julien, parce qu’il y a quand même une question d’investissement dans le monde aujourd’hui autour des startups et de la tech, ce n’est pas que la France qui est touchée.
Tariq Krim : Oui, là je reprends ma casquette d’entrepreneur. D’une certaine manière, quand on faisait Netvibes, on a, à la fois, lancé l’idée de monter des startups internationales, mais avec un playbook différent. Je crois que le problème, aujourd’hui, c’est que la plupart des startups que l’on voit, ou que l’on appelle startups en France, sont en fait des PME technologiques, donc on a plusieurs problèmes.
Le premier c’est que ce qui a de la valeur aujourd’hui, c’est effectivement la tech, les briques technologiques. Quand on fait une startup plutôt qu’une PME c’est qu’on va grandir très vite soit pour se vendre, soit pour s’introduire en bourse. Toutes les boîtes qu’on a vues dans la cybersécurité, dans le cloud, qui ont été achetées par les Google, Apple and co, sont des boîtes de technologie, donc tout ce que j’appelle l’Internet des écoles de commerce est en fait un système de PME sur-boostées à l’argent public et, là, on va avoir plusieurs problèmes.
Le premier, c’est que je ne crois pas qu’on soit au pic. Ce qu’on est en train de voir maintenant c’est que desdites licornes sont, en fait, ce qu’on appelle des « zombie-cornes », c’est-à-dire des boîtes qui n’ont plus d’expectative en termes de sortie puisque la bourse est bouchée, personne ne peut sortir, aujourd’hui, sur des marchés. Aucune des grandes boîtes américaines ne peut acheter. Le problème qu’on a c’est que depuis que Lina Khan est présente à la FTC [Federal Trade Commission], aux États-Unis, plus personne n’achète, on fait semblant d’acheter, on achète les employés et on rembourse les investisseurs, mais on ne peut plus faire de grosses sorties.
Et puis surtout, et c’est un vrai sujet, on voit la débauche d’argent public qui a été investi uniquement dans un type de société. Quand j’étais à San Francisco, dans les années 90, au début de l’Internet, il y avait deux types de boîtes : les startups qui étaient des boîtes de technologie et il y avait des dot com qui étaient, en fait, des sites de e-commerce ou des boîtes de la vie courante qui utilisent la technologie. En France on a 90 % des boîtes qui sont en fait liées à ça, à des besoins que soit l’État a créés, par exemple en libéralisant tel ou tel marché, ou parce que les services publics ne fonctionnent pas forcément comme ils devraient, donc on a des outils qui permettent, par exemple, de favoriser la vaccination alors que c’est un service régalien, une mission de l’État.
On a on a cette question qui se pose : les grands fonds américains qui faisaient les très gros tours sont tous partis, l es Saoudiens, les Émiratis qui veulent tous investir ; entre investir dans les licornes françaises ou participer au prochain tour d’OpenAI, je pense qu’il n’ y a pas photo. Une question va se poser : comment fait-on ? Les grandes boîtes du CAC 40 n’achètent pas vraiment les startups, ne veulent pas les acheter au prix, ne savent pas les acheter au prix, d’ailleurs n’ont peut-être pas les moyens de les acheter au prix, donc on est dans une situation un peu inextricable.
De toute façon, il faut le rappeler, une startup, c’est quelque chose de très fragile. Si 1 % à 3 % des startups réussissent, c’est une bonne chose, donc c’est normal.
Quand on a dit qu’on faisait la Startup Nation, ça voulait dire qu’on devenait aussi, à un moment donné, la « faillite nation » parce que la moitié, voire les deux tiers de ces boîtes, vont faire faillite.
Delphine Sabattier : Bon ! Eh bien, ça ne va pas remonter le moral à Claude Calmon qui n’est pas une startup, mais qui a eu la gentillesse d’être avec nous, connecté aujourd’hui, fondateur, je le rappelle, du cabinet Calmon Partners.
On enchaîne avec nos autres sujets.
Ces annonces Apple qui ont été faites lundi soir. On présentait la première série d’iPhones conçus expressément pour l’intelligence artificielle, en tout cas c’est ce que nous raconte Tim Cook en ouverture de sa keynote lundi soir. On a donc découvert l’iPhone 7, 7+, Pro, Pro Max qui embarquent iOS 18 et Apple Intelligence. On a découvert qu’il a été lancé en juin, qu’on pourrait résumer comme le savoir-faire d’Apple en matière d’IA. Ce sont, évidemment, des objets toujours aussi magnifiques. Est-ce que, pour autant, ils vous ont surpris ? Avez-vous découvert quelque chose qui vous a surpris, un peu d’inattendu pendant cette keynote ?
Éric Le Bourlout : On en parlait un petit peu avant. De mon côté pas vraiment, je l’ai regardé en vitesse, c’est d’ailleurs très pratique, sur YouTube, d’aller à la vitesse fois 2, comme ça on peut regarder la conférence plus vite.
Delphine Sabattier : Cela dit, elle n’était pas très longue.
Éric Le Bourlout : Ce n’était pas très long, mais c’était déjà trop long. Je crois qu’on a tous connu l’époque où les conférences Apple étaient de vraies conférences avec, notamment, Steve Jobs mais aussi, derrière, Tim Cook qui intervenaient, maintenant c’est un film publicitaire qui dure un peu trop longtemps.
Ils ont effectivement fait des annonces qui sont beaucoup liées à Apple intelligence, parce que, finalement, les smartphones en question, les nouveaux smartphones sont assez peu différents de ce qu’on a vu l’année dernière. En gros, prenez un iPhone 15 et un iPhone 16 il y a très peu de différences, ils ont ajouté le bouton.
Delphine Sabattier : Il y a le retour du bouton physique quand même.
Éric Le Bourlout : Oui. On pensait que le bouton physique allait disparaître un jour chez Apple, mais il y en a de plus en plus. Il y en a un nouveau, il est physique et un petit peu intelligent, puisque c’est un bouton pour prendre des photos, qui rappelle un bouton d’obturateur d’un appareil photo. Après, l’innovation est plutôt dans le savoir-faire d’Apple. Je ne l’ai pas essayé.
Delphine Sabattier : En fonction de la manière dont on appuie sur ce bouton, on peut déclencher des menus.
Éric Le Bourlout : Exactement, ou le faire glisser pour actionner un zoom. Est-ce que c’est vraiment plus pratique que d’utiliser son écran ?, on ne sait pas. En tout cas, c’est une manière de dire « on ajoute un nouveau bouton et ça permet de faire une fonction supplémentaire ».
Delphine Sabattier : On peut aussi personnaliser des actions.
Éric Le Bourlout : Oui, sur le bouton « action », mais qui avait déjà été lancé l’année dernière et, cette fois, ils font de la descente en gamme, c’est classique chez Apple, qui était uniquement sur l’iPhone 15 Pro et maintenant passe sur l’iPhone 16 classique, le moins cher, on va dire.
Delphine Sabattier : Ça veut dire qu’on se rapproche, finalement, de l’univers de l’ordinateur. On peut de plus en plus personnaliser son expérience aussi à travers le matériel.
Éric Le Bourlout : Oui. D’ailleurs Apple n’était pas très friand de cette personnalisation à une époque, c’était « c’est comme ça et puis c’est tout ! ». On voit d’ailleurs qu’avec iOS 18 ils ont aussi inauguré beaucoup plus de personnalisation dans les menus, on va pouvoir changer ses icônes, etc., c’est aussi un petit un petit changement de leur part alors qu’avant c’était très monolithique. À une certaine époque, on ne pouvait rien changer dans un iPhone et, maintenant c’est le cas. C’est de plus en plus ouvert aussi, il faut bien le dire.
Delphine Sabattier : Si on sort du matériel, on va quand même parler d’intelligence artificielle et des fonctionnalités d’IA. Là encore, est-ce que ce que vous avez vu, lors de la keynote, vous a étonné, vous avez dit « là, on a vraiment un cas d’usage super intéressant, super excitant, dont j’ai envie de m’emparer tout de suite » ?
Tariq Krim : Le problème, c’est qu’on nous a invite un événement hardware, pour une nouvelle série de produits – d’ailleurs, le seul produit qui m’intéressait, la suite des AirPods Pro, n’est toujours pas disponible, c’est un premier sujet –, pour, en fait, nous parler d’un lancement logiciel, d’un logiciel qui n’est toujours pas disponible. En fait, quand on voit cette keynote, on se dit qu’il y a il y a trois choses intéressantes.
La première c’est que Steve Jobs nous manque. C’est évident qu’aujourd’hui c’est devenu des publicités étendues avec may thing??? [13 min 13] tous les trois mots, ça devient quand même une grosse blague.
La deuxième c’est qu’Apple n’a plus aucune idée, fondamentalement rien dans l’iPhone 16 qu’il n’y avait pas dans l’iPhone 15. Je n’ai aucune raison de faire une mise à jour.
La troisième chose c’est qu’on voit qu’Apple et Google sont deux entreprises qui sont très inquiètes de l’arrivée de l’IA pour des raisons très différentes. Pour Google, je pense que c’est parce que l’IA est, ce qu’on appelle en bon français, l’<em<innovator dilema, le dilemme de l’innovateur, c’est-à-dire que si on avance dans le futur, on est en train de tuer le business qui nous crée et le vrai sujet c’est que pour Google c’est le search et, pour l’iPhone, ce sont les apps. Siri n’est toujours pas disponible, est toujours aussi mauvais, alors que ça fait deux ans qu’on nous promet une meilleure version.
Delphine Sabattier : Justement, Siri était très présent, vraiment au cœur, je dirais, des annonces sur les fonctionnalités IA, là où on n’en entendait pas tellement parler sur les keynotes précédentes. J’ai trouvé qu’il était un petit peu remis sur le devant de la scène et j’ai trouvé quand même intéressante la partie appel à action en fait : Siri va pouvoir effectuer des actions à partir de nos demandes, de nos prompts.
Tariq Krim : J’entends bien, mais la fonction est pour 2025. J’ai connu Apple : on sort le produit, il est là, vous pouvez l’acheter la semaine prochaine. C’est la première fois qu’Apple nous sort un produit « vous allez le voir dans…» et surtout les démos en bêta, pour les développeurs, qui sont assez déceptives [trompeuses ??? 14 min 44].
Je vais revenir sur un point. Pour moi, le problème de l’IA pour Google c’est le search, pour Apple ce sont les apps. C’est-à-dire que demain, si on demande à un assistant, que ce soit ChatGPT, Siri ou un autre, de faire un ensemble d’actions et de nous fournir des réponses, plutôt que d’utiliser une app, c’est un cauchemar pour Apple qui, désormais, gagne quand même énormément d’argent avec l’App Store, a basculé dans les services. Ce qui est fascinant avec Apple c’est qu’aujourd’hui qu’il vende un produit nouveau ou un produit d’occasion, il gagne autant parce que dès qu’on achète un iPhone d’occasion, il faut acheter les AirPods, il faut acheter le iCloud et compagnie. Ils ont trouvé un système qui marche plutôt pas mal, mais ils sont bloqués.
15’ 32
Delphine Sabattier : Aussi intéressant