Vous êtes la bonne personne - Magali Garnero
Titre : Vous êtes la bonne personne
Intervenante : Magali Garnero
Lieu : Choisy-le-Roi - PSES 2024
Date : 30 mai 2024
Durée : 33 min 29
Licence de la transcription : Verbatim
Illustration : À prévoir
NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.
Description
Il est parfois compliqué de s'épanouir dans un milieu où l'on craint le regard des autres, d'agir quand leur jugement nous paralyse. Et pourtant, dans le monde du Libre, la bienveillance domine. Alors qu'est-ce qui coince ?
Avant toute chose, sachez que vous êtes la bonne personne. Lancez-vous ! Que vous êtes aussi entouré·es des bonnes personnes. Lancez-les (mais ni trop fort, ni trop loin !)
Transcription
Bonjour.
Déjà merci d’être là aussi nombreux parce que ce n’est pas une conférence technique ni même politique que je vais vous faire aujourd’hui.
Depuis je suis toute jeune, on me dit que le principe de la pédagogie c’est la répétition, donc vous êtes la bonne personne, vous êtes la bonne personne, vous êtes la bonne personne, vous êtes la bonne personne, je n’ai pas le faire autant de fois que ce que vous êtes parce que vous êtes plus nombreux que ce dont j’ai l’habitude.
Je vais me présenter. Je suis Magali Garnero, mais je pense que vous me connaissez beaucoup mieux sous le pseudo de Bookynette.
Je suis présidente de l’April, l’association qui fait la promotion et la défense du logiciel libre.
Je suis aussi administratrice de Framasoft, c’est assez récent.
Je suis aussi à Parinux .
Je suis sur En Vente Libre.
Je fais partie d’une association des commerçants de mon quartier.
En fait, je suis hyperactive, je ne suis pas trop active contrairement à certains, je fais ce que je peux avec le temps que j’ai et, en même temps, je suis libraire, ce que j’ai tendance à oublier de dire quand je suis avec vous.
Loin des sujets traditionnels
Donc je disais que je suis très loin des sujets traditionnels, je ne vais pas vous parler des dossiers institutionnels de l’April, de politique ou quoi que ce soit, je vais vous parler de choses qui sont beaucoup plus intimes. Ceux qui étaient là vendredi vont entendre que ma voix n’est pas la même, ce n’est pas facile d’être toute seule sur scène, ce n’est pas facile d’aborder des sujets qui touchent autant.
C’est une conférence que j’ai faite parce que, quand on est dans le milieu associatif, on est confronté à pas mal de choses. Depuis je suis présidente de l’April je donne des conférences beaucoup plus souvent qu’avant puisque je déteste ça, mais, en tant que présidente, il faut sortir de sa zone de confort et aller au charbon, je le fais et j’encourage les gens à le faire également.
Vous êtes la bonne personne ça vient d’où ? Ça vient de Framasoft et ça vient également de l’Université d’été des Mouvements Sociaux et des Solidarités à laquelle j’ai participé il y a quelque temps. On décide de se réunir plusieurs jours ou juste une journée, il n’y a aucun programme, on vient la fleur au fusil – c’est bien, on est là – et on décide tous ensemble de ce dont on va parler. On utilise souvent des Post-it, les forums ouverts c’est très consommateur de Post-it ; chacun appose son sujet et, ensuite, on négocie, parfois on négocie fermement pour savoir à quel moment, avec qui et à quoi on va pouvoir participer.
Dans ces forums ouverts, il y a quatre principes et un des principes, je vais pas tous vous les lire, je ne vais lire que celui-là parce que je n’ai que 25 minutes pour cette conférence, j’avais pris une heure le week-end dernier aux JDLL, là, il faut que je fasse un peu plus court. Un des principes c’est : les personnes qui se présentent sont les bonnes personnes. Il ne faut pas être déçu si tout le monde ne vient pas à notre atelier, il ne faut pas être déçu si on aurait bien voulu que telle personne soit là, mais elle n’est pas là. Les personnes qui sont là sont les bonnes personnes parce que ce sont les personnes qui sont motivées par le sujet que vous allez aborder, donc, forcément vous allez pouvoir faire des choses avec ces personnes-là, donc, ce sont les bonnes personnes.
Vous êtes les bonnes personnes puisque vous êtes là, à cette conférence, que ce sujet-là vous intéresse, donc merci.
Pourtant Différences = Richesses
En tant que présidente de l’April, j’ai toujours tendance à vouloir faire plein de choses avec les gens et souvent on me dit « je ne suis pas la bonne personne pour faire ça avec toi » et pourtant, si je viens vous voir, vous, c’est que j’ai estimé que vous êtes la bonne personne.
J’ai tendance à penser que, dans un collectif, plus on est différents, plus le collectif est riche et nos différences sont multiples : ça peut être des différences de genre, ça peut-être des différences de religion, de politique, de moyens financiers, de catégories socio-professionnelles, on peut avoir des handicaps, on peut ne pas avoir de handicap, on est tous extrêmement différents et c’est parce qu’on va discuter ensemble qu’on va progresser ; c’est parce qu’on a des expériences différentes qu’on va progresser. Si vous vous sentez minoritaire dans une association, j’aurais tendance à venir vers vous, parce que, justement, vous aurez un avis opposé à celui de tous les autres. Donc, plus il y a de personnes différentes au sein d’une association, plus il y a d’avis qui vont s’opposer, plus il va y avoir d’arguments qui vont être échangés et plus on va aller loin.
Souvent, en tant que présidente de l’April, je vais voir des gens et les gens me disent « je n’ai pas le temps, je ne peux pas faire ce que tu veux me demander de faire parce que je fais d’autres choses » et ils culpabilisent. J’ai tendance à leur dire « je préfère que vous me disiez non, je ne ferai pas ça, plutôt que vous me disiez oui, et que je passe un temps infini à vous attendre. » Pour moi une bonne participation, ce n’est pas une question de temps que vous allez consacrer, parce que tous les temps sont les bons temps, que ce soit une minute à répondre à un commentaire, que ce soit cinq minutes pour faire une petite relecture, que ce soit une heure parce que vous avez décidé, comme un fou, que vous alliez transcrire cinq minutes d’une émission de radio de l’April, que ce soit toute une journée parce que vous avez la gentillesse de tenir un stand, en bas, sur le village du Libre et que vous avez crevé de froid hier avec moi, que ce soit beaucoup plus parce qu’un sujet vous a ultra-motivé, que vous vous êtes dit « ça, c’est mon sujet, je vais le traiter jusqu’au bout » ; pour ceux qui étaient à la conférence précédente, « je vais décider de lire toutes les conditions générales de vente d’un site internet, ça va me prendre tout mon dimanche ». Donc, si vous avez envie de vous emparer d’un sujet, faites-le, mais quel que soit le temps que vous consacrerez à l’association, ça sera le bon temps, ça sera la bonne durée, ça sera le bon moment, puisque c’est vous qui l’aurait choisi. On ne pourra pas vous reprocher votre manque de temps, parce que ça sera le temps que vous choisissez. Je ne sais pas qui fait ??? [6 min], mais comme ça peut être moi, je ne ferai aucun reproche.
Et bien sûr, on ne va pas jouer au jeu du Charlie, mais vous êtes la bonne personne sur chacune de mes slides. Toujours le principe de répétition afin que tout le monde ait bien compris qu’on est tous la bonne personne, quel que soit le moment où on arrive à cette réunion.
Quel que soit votre niveau
Ça c’est une slide que j’aime bien : personne ne nait expert sur un sujet. On est tous des petits bébés, on progresse, on s’empare petit à petit d’un sujet et on ne peut qu’augmenter, donc, on est tous débutants.
Si vous n’osez pas y aller, quel que soit le sujet, je parle surtout de conférences parce que c’est ce qui me stresse, mais si c’est du code, du développement, de la maintenance, quel que soit le sujet, on est débutant. On est toujours la bonne personne, mais on est débutant. Et plus on va aller sur ce sujet-là, plus on va progresser, puis on va passer en mode intermédiaire, ça c’est cool, en mode expert, là c’est qu’on a décidé de consacrer énormément de temps et tant mieux, ou en mode référence. Dans la salle, il y a des personnes qui sont des références pour nous, on sait que si elles nous posent une question ça sera la bonne question, ça va nous mettre dans un état de stress, mais on va répondre et on sera reconnu.
La bonne nouvelle c’est qu’on ne peut pas rétrograder, on ne peut pas revenir ; c’est forcément dans un sens, on ne peut que s’améliorer. C’est bon signe.
Donc, dans une association, on ne demande pas d’avoir que des référents, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. C’est bien d’avoir des débutants parce que les débutants vont pouvoir dire aux référents « là je ne comprends pas du tout de quoi tu parles, tes acronymes, je suis perdu, essaye d’être un peu plus explicite » et c’est ce qui va permettre que les référents continuent d’être accessibles. Ce sont souvent les intermédiaires qui vont permettre de faire de la vulgarisation, avec les autres membres de l’association. On a donc vraiment besoin de ce panel en entier. Imaginez-vous entre référents, il n’y a plus aucun intérêt à échanger puisque tout le monde connait toutes les informations. Donc non ! C’est bien qu’il y a un panel entier de bénévoles à plusieurs niveaux.
Quelle que soit votre implication
Quelle que soit votre implication. C’est une slide que j’ai rajoutée suite au visionnage d’un podcast, moi qui suis plutôt bouquins que podcasts, de Jean-Michel Cornu. Est-ce qu’il y en a, dans la salle, qui le connaissent ?
OK, c’est normal il fait de l’intelligence collective, gestion des conflits, donc le genre de choses qui, logiquement, ne devrait pas trop nous intéresser, mais qui, en tant que présidente de l’April, m’est passé sous les yeux et il fait plusieurs niveaux de bénévoles :
- les bénévoles inactifs : à l’April, ce sont surtout les adhérents qui cotisent mais qui ne font rien ;
- les bénévoles observateurs ; ils vont tout lire, ils vont voir tout ce qui se passe, de temps en temps ils interviendront, mais leur but c’est plutôt de se maintenir au courant ;
- les actifs, par exemple ceux qui tiennent des stands, ceux qui font la gestion du Chapril au niveau admin-sys et compagnie ;
- et puis il y a les proactifs, genre moi puisque je suis présidente de l’April et, tous les mois, je vais voir des gens pour mon tour des Gull ; genre mon vice-président qui se tape toutes les conditions générales de vente, ça m’a traumatisée que tu dises ça, tout à l’heure, que tu passes tes dimanches à lire des conditions générales de vente.
Il y a plusieurs niveaux d’implication dans une association et, comme je le disais, tous ces niveaux-là sont importants, même si on aimerait toujours que les observateurs deviennent un peu plus actifs. D’après Jean-Michel Cornu, il y aura toujours à peu près un pourcentage de 80 % d’observateurs, donc à peu près 15 % de gens actifs et proactifs, quel que soit le nombre de personnes dans l’association, que vous soyez 10, 100, 1000, 10 000, 1 000 000, d’après lui les pourcentages sont à peu près équivalents. Donc se dire « allez, on vire les observateurs qui ne font rien, ils sont inutiles », ça veut dire qu’on a des actifs qui risquent de devenir observateurs.
Mais, tous ces bénévoles sont les bonnes personnes, donc, on a besoin d’eux.
C’est pourquoi
Est-ce que j’ai réussi à vous convaincre que vous étiez des bonnes personnes ? Oui !
Alors pourquoi toutes les personnes qui sont là ne proposent-elles pas des conférences à PSES ? Pourquoi n’êtes-vous pas encore allés au-delà de ce qui vous coince ? Au-delà de ce que vous avez envie de faire, mais vous l’avez pas encore fait, vous êtes un peu comme moi, vous procrastinez, vous attendez la deadline ? Qu’est-ce qui, d’après vous, coince ?
Public : Inaudible.
Magali Garnero : Je vais vous donner ma conclusion. Ce n’est pas forcément la bonne conclusion, ce sera ma conclusion et, avant qu’on me pose la question, j’ai eu cette discussion avec des libristes, des libraires, des gens qui venaient du monde associatif, des gens qui venaient des Restos du Cœur, d’une association contre la violence faite aux animaux, donc ce n’est pas quelque chose qui est centré sur notre communauté, c’est vraiment quelque chose de beaucoup plus général.
Une question.
Public : Je pense que tu te doutes de ma question : du coup, qu’est-ce qu’on fait lorsque l’asso nous dit qu’on est la mauvaise personne ?
Magali Garnero : Je m’y attendais, je n’ai pas préparé de réponse, du coup j’y vais from scratch : on en discute après ?
En fait, il faut communiquer – je sors de ma conférence, je suis désolée –, le mieux c’est de communiquer tout de suite et éviter que des malentendus s’installent. Si un malentendu s’installe, on est foutus, si un malentendu s’installe ça peut durer des années et, quand ça ressort, parce que ça finit toujours par sortir et par péter, c’est plus difficile à régler que si on s’en était occupé tout de suite. Donc, effectivement, on peut à un moment décréter qu’une personne n’est pas la bonne personne, mais il faut discuter pour éviter que ça arrive.
Alors, qu’est-ce qui coince ?
Qu’est-ce qui coince ? Dans mes conclusions, ça a été l’auto-censure. On se censure soi-même en se disant « je n’ai pas le temps » alors qu’en fait, on le verra, le temps c’est totalement subjectif ; on se censure soi-même en disant « je ne suis pas la bonne personne » ou « il y a quelques personnes qui sont mieux que moi ».
Les freins à la participation
Dans mes analyses j’ai pris cinq exemples de freins à la participation.
Le premier c’est le manque de confiance en soi : on ne se voit pas monter sur une estrade, on ne se voit pas publier son code, on ne se voit même pas discuter avec des gens, c’est possible, on n’a pas confiance en soi, on sait qu’on va tout ??? [13 min 03]. OK.
Je ne sais pas si j’aurai le temps de prendre des exemples comme aux JDLL, donc je vais faire court et si vous avez envie d’en parler, on en parlera après.
Autre frein à la participation : le sentiment d’illégitimité ou le sentiment d’imposture ; oui j’écris « imposture » alors qu’avant on écrivait « imposteur », je ne vois pas pourquoi l’imposture serait réservée aux hommes ; peut-être que l’imposture est réservée aux hommes, Nico, mais je pense que ce sentiment est exprimé et par des hommes et par des femmes, donc sentiment d’imposture ou sentiment d’illégitimité. Typiquement, j’ai des gens qui ne veulent pas tenir de stand de l’April parce qu’ils ont peur de ne pas savoir parler des dossiers. Sauf que les seules personnes qui peuvent parler des dossiers, c’est, à la rigueur, le CA et le salarié. Or, on peut pas demander aux salariés d’être sur tous les stands, on a donc besoin de bénévoles qui viendront tenir le stand et, pour ça, on va les informer, on va leur donner plein d’informations pour qu’ils se sentent légitimes à tenir ce stand, puisqu’ils auront les informations nécessaires pour le tenir. Et, quand on tient un stand de l’April, on se rend compte que souvent on parle de plein de choses, sauf des dossiers de l’April, donc no panic. Je regarde s’il y a des gens dans la salle qui peuvent confirmer. OK.
La peur de l’échec ou du jugement, c’est quelque chose qui m’a empêchée de monter sur scène extrêmement longtemps, parce que j’ai peur d’être jugée. Là vous êtes en train de me regarder, je suis sûrement en train de dire des bêtises, vous allez sûrement penser que je dis des bêtises ; ça me clouait, à une époque j’étais incapable de monter sur scène parce que j’avais peur de votre regard. Plus on monte sur scène, plus on se rend compte que le public est toujours extrêmement bienveillant, parce que le public ce sont aussi les bonnes personnes.
En fait cette peur-là, la peur de ce jugement-là, c’est vraiment quelque chose qu’on s’inflige à soi-même et plus on va tester, plus on va parler, plus on va monter sur scène, plus on va se rendre compte que les gens ne nous jugeront pas, parce que nos sujets les intéressent. Il faut donc arriver à sortir de ce que j’appelle la zone de confort, celle où on n’est pas jugé, pour se mettre en scène et se rendre compte que c’est bien, ce n’est pas si terrible que ça. J’en discutais dernièrement avec la reine des elfes, parce que monter sur scène ce n’est pas notre truc, ni à l’une ni à l’autre, et pourtant on l’a fait, on l’a fait pour Pas Sage en Seine toutes les deux. Il ne faut donc pas avoir peur de dire des bêtises, il ne faut pas avoir peur d’être jugé, la plupart du temps les gens sont adorables.
Autre frein à la participation : l’indécision ou ne pas savoir par où commencer. Je ne sais pas vous quand vous faites de slides, moi j’ai tendance à les faire au dernier moment, à regarder mon écran et à me demander « de quoi je vais parler ? » Je suis sur un écran blanc, pas une page blanche parce que je ne fais pas ça à la main, et par où je commence et souvent je me dis « ce n’est pas grave, je ferai ça plus tard », parce que plus tard, je n’aurai pas le choix. En fait, ne rien faire, c’est aussi de prendre la décision de ne pas avancer sur son projet, donc l’indécision fait qu’on n’avance pas.
J’ai une petite astuce. Quand j’ai voulu faire mes slides, ce n’était pas au dernier moment parce que, comme j’ai déjà donné la conférence il y a une semaine, la tâche me paraissait tellement importante que j’ai commencé à la découper en micro-tâches, déjà faire mon plan, ce que je voulais aborder à travers le plan, et puis finalement faire mon texte, ce dont je voulais parler, et puis finalement trouver mes images, et puis finalement faire ma slide et ainsi de suite. À chaque fois que je finissais une micro-tâche, je faisais un petit check ; c’est jouissif de faire des checks parce que, du coup, on voit son avancement. Donc, découper une tâche, ça la rend plus motivante. Et là je parle de slides, mais ça marche aussi avec plein d’autres choses, le code, les réunions, tout ce que vous voulez. Le fait que les tâches soient en plusieurs étapes et qu’on passe les étapes de l’une à l’autre, ça renforce le fait que « je suis efficace, j’ai déjà fait trois tâches sur cinq ». En tout cas chez moi ça marche ! Chacun sa méthode !
Ça fait longtemps que je ne vous l’ai pas dit « vous êtes les bonnes personnes ».
Des idées pour éviter l’auto-censure, retrouver un peu de confiance, plus d’estime, de temps, d’envie
J’ai demandé