En 2024, Microsoft reste-t-il une entrave pour le libre

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Titre : En 2024, Microsoft reste-t-il une entrave pour le Libre ?

Intervenant·es : Laurent Costy

Lieu : Choisy-le-Roi - Pas Sage en Seine 2024

Date : 31 mai 2024

Durée : 40 min 50

vidéo

Présentation de la conférence

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : À prévoir

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Bonjour à toutes et à tous. Je suis content d’être là.
La question de la conférence est très claire, ici posée. Je vais prendre quelques précautions quand même. Je vais avoir un point de vue parfois un peu subjectif. L’idée c’est plutôt de vous éclairer sur certaines choses et, après, vous ferez vos propres conclusions. Je vais avoir un regard lié à mon parcours, c’est-à-dire que je suis vice-président de l’April, mais, surtout, j’ai beaucoup focalisé, par le passé, sur toutes les questions du lien entre monde associatif et logiciel libre. C’est vrai que je n’ai pas un regard très pointu, très avancé, sur tout ce qu’a fait Microsoft pour le Libre ces derniers temps, je ne sais pas comment on peut reconnaître cela, du coup ce n’est pas ma question, donc, dans la conclusion je serai peut-être un peu partisan mais vous en ferez ce que vous voudrez.

La présentation se base sur deux tribunes qui ont été publiées sur le site de l’April, qui sont les aboutissements d’un travail de recherche un peu sur Internet et puis de la connaissance de réseaux associatifs et du fonctionnement associatif, donc, ce n’est pas forcément complètement juste. Encore une fois, c’est plutôt vous présenter un état des lieux pour que vous puissiez avoir conscience de cela, éventuellement contredire, ça m’intéresse d’avoir des contradictions si vous avez rencontré des situations qui ne sont pas cohérentes avec ce que je vais présenter.
Je redonnerai la présentation, les liens seront disponibles après, sur la présentation, je ne l’ai transmise en amont donc, pour l’instant, elle n’est accessible, on la donnera.

Je fais une toute petite introduction, retour en arrière au début du logiciel libre en France.
On ne peut pas nier qu’il y a eu une forme de cristallisation d’une certaine frange de libristes sur Microsoft qui, finalement représentait, à cette époque-là, une structure qui faisait la promotion du logiciel privateur, des logiques privatives, etc. Je pense que tout le monde se l’accorde, après, ce sur quoi on pourrait négocier, c’est dire quelle est la frange, quel est le nombre de libristes qui se sont focalisés sur cette question-là et les autres libristes, qui avaient d’autres intérêts, d’autres combats, en tout cas, d’autres promotions du Libre, de défense du libre. En tout cas, oui, c’est clair que Microsoft, à l’époque, représentait vraiment la structure contre laquelle il fallait lutter quand on était libriste.

Là on va commencer à avoir un retour global. C’est pareil, on peut quand même se poser la question de la réalisation de l’utopie initiale du logiciel libre. Le logiciel libre, naissance aux États-Unis milieu des années 80. Donc là, on est plutôt à 35 ans, bientôt 40 ans de logiciel libre en France. On va commencer à pouvoir avoir un retour critique sur l’utopie initiale où on voulait finalement une informatique émancipatrice, etc. Le fait que le Libre n’a pas complètement atteint son objectif, quand on voit justement le pouvoir acquis par des structures – évidemment, là j’ai pris Microsoft, mais on peut évidemment prendre Google, Amazon, Facebook, les GAFAM, les Big Tech d’une manière générale. On regarde souvent du côté américain, mais, évidemment il faudrait regarder côté russe, côté chinois, ce qui, à priori, est encore pire, puisque c’est encore moins proche de nos idéaux. Bref !
Ce que je voulais dire c’est que, sur cette temporalité, ces structures-là ont acquis des fortunes colossales et, du coup, ont acquis aussi un pouvoir d’influence qui devient, de mon point de vue, extrêmement critique pour nos démocraties. Je crois que je le redis plus tard dans la conf : Microsoft a maintenant une cotation en bourse qui équivaut au PIB du Canada, quand même ! Donc ça pèse ! Quand on veut faire du lobbying auprès de la Commission européenne, on a des moyens, on a la capacité de mettre des gens en place, d’asséner des choses, de faire des propositions de loi. On a de la ressource, on peut vraiment peser, influencer quand on veut une loi aille dans un sens et certainement pas dans un autre.
J’ai tendance à défendre la Commission européenne, même si elle est souvent en retard de phase. On voit quand même, ces derniers temps, des amendes assez importante qui pèsent et qui font que la Commission européenne n’a pas forcément envie de se laisser faire. Encore une fois, il y a parfois un décalage de phase, mais je trouve que l’Europe essaye, en tout cas a conscience de cette problématique. Elle n’a pas toujours les outils pour y répondre, mais elle en a conscience.
Ça c’était plutôt pour un retour en arrière.

Là, je vais m’attacher à montrer comment des firmes comme Microsoft jouent sur la logique de soft power.
J’ai pris une structure qui s’appelle Solidatech, peut-être que certains ou certaines d’entre vous ont entendu parler. Solidatech est une branche ou un programme, on ne sait pas trop, ils appellent ça programme, des Ateliers du Bocage qui est une Scic, une Société coopérative d’intérêt collectif, dans la galaxie Emmaüs. C’est dans les Deux-Sèvres. C’est une ESUS, Entreprise solidaire d’utilité sociale, parce que cette entreprise fait de l’insertion, emploie des gens pour reconditionner des ordinateurs pour des questions environnementales, etc. Encore une fois c’est une Scic, c’est une forme où, justement, on questionne le droit du travail, on fait un peu plus attention à toutes ces questions-là que dans le monde traditionnel du travail. Cette structure, Solidatech, bénéficie donc d’une image très positive. Je rappelle que l’Abbé Pierre est quand même l’une des personnalités préférées des Français, donc ça rayonne, ça donne une image très positive des actions qui sont menées.
Je pointe quand même une gouvernance peu claire. En fait, on a quand même une structure, une Scic, et Solidatech est un programme dans cette Scic. Donc, quelle est la part de choix dans les directions qui sont prises, dans l’orientation et les projets de Solidatech, c’est difficile à voir. On peut regarder le compte-rendu d’activités des Ateliers du Bocage, il y a un petit paragraphe sur Solidatech, mais ça donne vraiment l’impression que c’est un truc qui est instauré et que la mission est là ad vitam æternam. On va essayer d’éclairer un peu la mission maintenant.

Ça ce sont les trois missions que Solidatech affiche sur sa page internet. On a des pages internet pour Solidatech et on a des pages internet pour la Scic Ateliers du Bocage. On a bien un site vraiment identifié pour Solidatech :

  • favoriser l’accès aux outils numériques des associations, ça ne mange pas de pain, c’est un bel objectif, OK, avec toutes les réserves qu’on peut y mettre, évidemment, sur jusqu’où le numérique ?, en tout cas, on a on n’a pas grand-chose à redire sur cet objectif-là ;
  • accompagner les associations dans le développement de leurs usages numériques. Là encore, c’est très générique, ça ne mange pas de pain ;
  • et puis mettre le numérique au service du bien commun. Quand j’ai lu ça, ça m’a un petit peu agacé sur cet aspect du bien commun, parce qu’on va le voir après : finalement, Solidatech n’est qu’un relais des Big Tech américaines sur le territoire français, qui est là pour entretenir les associations dans un monde dépendant des logiciels majoritairement américains.

Ils affichent des tarifs extrêmement intéressants, là c’était le 10 novembre 2020, ça a peut-être évolué depuis, je vous recommande d’aller voir. La licence Windows était à 12,39 euros au lieu de 189 euros, c’est quand même un beau rabais ! Quand on aura ça dans nos supermarchés pour des tomates, des facteurs 15 sur des prix, ça va devenir extrêmement intéressant ! Ça témoigne surtout d’une politique de prix à la tête du client et ça témoigne aussi que, justement, on continue à faire un petit peu d’argent là-dessus, mais, derrière, ça cache bien l’idée d’entretenir les gens dans un système, en tout cas c’est comme cela que je l’interprète.
Après, il faut s’enregistrer ou être adhérent auprès de Solidatech et puis, on s’aperçoit aussi au fur et à mesure des conditions, que ce n’est pas forcément simple. À l’époque, j’étais au sein de la Fédération française des JMC, on a eu besoin de reprendre des licences Windows parce qu’on avait un logiciel de comptabilité qui nous l’imposait, on a donc pris des licences Windows à ce prix-là et puis, 15 jours après, une nouvelle salariée, un nouveau poste, on n’avait pas prévu cette licence-là, du coup on redemande une licence. Et là on nous dit : « Non, vous en avez bénéficié il y a deux mois, donc, là c’est le prix normal. » Vous voyez donc bien que le système est vraiment dans une logique de « la première dose… », vous connaissez ça si vous êtes libriste.

Je pense évidemment que, grâce à l’image des Ateliers du Bocage, Solidatech est intégré dans beaucoup de systèmes qui soutiennent la vie associative en France. Ils sont, par exemple, liés à Recherches et solidarités, une structure qui, je crois, doit être associative, qui fait des enquêtes autour du monde associatif de manière régulière. Donc, en fait, sur la partie numérique Recherches et solidarités travaille avec Solidatech. Et on s’aperçoit, quand on lit l’enquête, que finalement, entre guillemets, il y a du « placement de produit ». Dans l’enquête, c’est Solidatech qui est évoquée quand il s’agit de soutenir les associations vers le numérique, alors qu’il y a d’autres acteurs, il y a pas qu’eux. Oui, il y a eux, c’est vrai, mais, typiquement, ce sont des petites choses qui témoignent de cet ancrage et de cette volonté de rester en premier plan.
Par exemple dans l’enquête, pareil, on peut lire qu’on vous fait la promotion d’antivirus et on ne vous mentionne absolument pas des alternatives. Je ne dis pas qu’il ne faut pas d’antivirus sous GNU/Linux, ce serait un raccourci, néanmoins, on vous donne des solutions qui encouragent à consommer plus, à consommer des licences de logiciels privateurs, etc. On ne pense jamais à des solutions alternatives, ne serait-ce que, par exemple prolonger la durée de vie des appareils avec une distribution GNU/Linux. On continue donc à encourager le modèle en place et, de mon point de vue, c’est perturbant.

12’ 03

Ce que j’appelle moi