Émission Libre à vous ! diffusée mardi 11 juin 2024 sur radio Cause Commune

De April MediaWiki
Aller à la navigationAller à la recherche


Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 11 juin 2024 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Isabelle Carrère - Florence Chabanois - Marcy Ericka Charollois - Lorette Costy - Laurent Costy - Frédéric Couchet - Élise à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 11 juin 2024

Durée : 1 h 30 min

Podcast PROVISOIRE

Page de présentation de l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur le logiciel libre, les libertés informatiques et également de la musique libre.

Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Recrutement et diversité de genre dans l’informatique ou pourquoi et comment recruter des femmes dans un milieu d’hommes, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme, en début d’émission, la chronique d’Antanak dont on découvrira ensemble le sujet. Et, en fin d’émission la chronique de Laurent et Lorette intitulée « L’ANSSI et les pâtés Legroin », l’ANSSI étant l’Agence nationale de la sécurité et des systèmes d’information.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles

Nous sommes mardi 11 juin 2024, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission aujourd’hui Élise. Bonjour Élise.

Élise : Bonjour à tous. Bonne émission.

Frédéric Couchet : Merci. Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Que libérer d’autre que du logiciel » avec Antanak

Frédéric Couchet : « Que libérer d’autre que du logiciel »,









[Virgule musicale]

Recrutement et diversité de genre dans l’informatique avec Marcy Ericka Charollois et Florence Chabanois

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre par notre sujet principal qui porte sur le recrutement et la diversité de genre dans l'informatique, ou pourquoi et comment recruter des femmes dans un milieu d'hommes, avec nos deux invitées Marcy Ericka Charollois et Florence Chabanois que je vais laisser se présenter juste après.
N’hésitez pas à participer à notre conversation sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous.
On va déjà commencer par une petite présentation. On va commencer par Marcy qui est à distance. Bonjour Marcy.

Marcy Ericka Charollois : Bonjour à tous et à toutes. En effet, moi c'est Marcy, je suis consultante en inclusion numérique pour les minorités et les expériences inclusives.

Frédéric Couchet : D'accord. Florence Chabanois.

Florence Chanìbanois : Bonjour à toutes. Bonjour à tous. Bonjour Marcy. Je suis très contente d'être parmi vous. Je suis un Head of Engineering et aussi cofondatrice de l'association La Place Des Grenouilles qui est antisexiste.

Frédéric Couchet : Head of Engineering, c’est responsable ingénierie dans l'informatique. Je sais que tu as plus l'habitude des podcasts internationaux, mais ici, effectivement, on essaye un petit peu de traduire. Aujourd’hui, on ne va pas parler technique, en tout cas pas trop je pense.
Pour introduire le sujet, j'ai envie de commencer par une question un peu provocatrice – excusez-moi pour la provocation – pour déterminer un peu pourquoi on fait cette émission, la question c'est : pourquoi chercher plus de mixité dans les équipes d'informatique ? Une structure, qu'elle soit entreprise ou autre, recrute la personne la plus compétente quel que soit son genre ! Qui veut répondre à cette question parfaitement assumée provocatrice, qui veut commence ?r Marcy peut-être.

Marcy Ericka Charollois : J'allais dire « si tu veux, Florence, tu peux commencer ».

Florence Chanìbanois : Je pense que tu as la matière.

Frédéric Couchet : Vas-y Marcy. Faites comme vous voulez !

Marcy Ericka Charollois : C'est une question intéressante dans le sens où, en effet, on pourrait tout à fait se demander pourquoi on a un intérêt à avoir des démarches inclusives dans un milieu qui est, aujourd'hui, très masculin. Déjà, parce qu'on a un historique de la tech qui est, en réalité, plus féminin qu'il n'y paraît, avec des novatrices qui ont lourdement participé à la performance numérique et technologique. Pour toutes les innovations qu'on connaît aujourd'hui, en général, il y a une grande femme derrière qui est citée comme une femme, en réalité on connaît beaucoup de noms, je pense notamment à Hedy Lamarr qui change un petit peu d'Ada Lovelace, qu'on identifie comme la pionnière de l'informatique, mais il y en a d'autres, on a Grace Hopper et notamment toutes les femmes afro-américaines qui ont participé aux calculs d'Apollo. Tout cet historique-là fait, qu'aujourd'hui, on ne peut pas permettre encore ce storytelling, cette narration qui existe, qui est que le secteur est uniquement masculin, qu'il l'a toujours été et que c'est comme ça. Non !
En plus, on est dans un secteur qui est attractif d'un point de vue économique. Il faut savoir qu'aujourd'hui, rien que sur le marché de l'IA en 2024, on est quand même à une estimation de quasiment, oui, c'est ça, 16 milliards d'euros et il faut aussi se dire qu’avec toutes ces opportunités-là, qu’on a, que les femmes et les minorités de tout type puissent y avoir une place, participer et être représentées correctement dans ce qu'elles peuvent amener à la diversité à la fois des équipes, donc on parle de recrutement, mais aussi de conception. Si on continue à avoir un milieu qui est 100 % homogène, nous allons, finalement, foncer droit dans le mur avec des reproductions de biais qui seront évidentes et qui ont déjà été lourdement pointées du doigt.

Frédéric Couchet : D'accord Marcy. Florence

Florence Chanìbanois : Globalement, je suis complètement d'accord avec ce que Marcy a dit. Je rajouterai la partie conception, c'est plus un prolongement de son propos.
Déjà, nous sommes majoritaires, rien que le terme « minorité de genre » est étrange vu que les femmes sont 52 % de la population. Du coup, les produits qui sont conçus ne prennent pas en compte les femmes. C’est un biais humain, on va s'occuper déjà des besoins qu’on a, que sa catégorie de population a, sans parler du fait que les hommes sont aussi moins socialisés à se mettre à la place des autres du point de vue leur éducation. Du coup, ça fait qu’il y a la moitié de la population qui est écartée des inventions et on ne parle pas d’inventions luxueuses, ce sont vraiment des besoins primaires, sociaux, à satisfaire qui font que la santé des femmes, par exemple, est moins bien prise en compte ; les produits numériques sont aussi conçus uniquement par des hommes cis.

Frédéric Couchet : OK. Je vais juste préciser que le sujet du jour c'est la diversité de genre, ce n'est, évidemment, qu'une partie de la diversité, donc, sentez-vous libres d'aborder aussi d'autres sujets même si, aujourd'hui, on axe effectivement principalement sur cette thématique-là.
Donc, là c'était introduction qui explique pourquoi il faut agir et, pour éviter d'entretenir, quelque part, ce statu quo, il faut agir. On va faire deux grandes parties dans l'émission : la première, on va plutôt parler de la partie recrutement, c'est-à-dire comment on recrute, et, dans la deuxième partie, comment on arrive à « fidéliser », entre guillemets, en tout cas à faire que les gens ne partent pas, parce qu'il y a aussi des statistiques et vous en parlerez sans doute, concernant le nombre de départs, assez rapides, des femmes au bout de quelques années.
On va d’abord parler des actions sur le recrutement. Marcy, je crois que tu voulais notamment parler de méthodes de recrutement scientifique. J'avoue que je ne vois pas du tout ce que c’est, donc, si tu peux nous expliquer.

Marcy Ericka Charollois : Oui, bien sûr. Ce que dit « méthode de recrutement scientifique », c'est une méthode de recrutement qui ne s'appuie pas sur le feeling et j'insiste là-dessus parce que c'est important : au final, plus on va recruter au feeling, plus on va s'appuyer uniquement sur ses biais, ses perceptions plus, de fait, on va reproduire une culture dont, parfois, on n'a pas conscience, et c'est quelque chose qu’il est important de souligner. Malgré nous, suivant nos histoires personnelles, notre éducation, les écoles fréquentées, les cercles socio-économiques dans lesquels on a évolué, on est plus à même de reproduire les mêmes comportements de tous ces cercles dans lesquels on a grandi et dans lesquels on évolue chaque jour. Donc, si je me base uniquement sur du recrutement au feeling, je vais forcément m'appuyer sur des préconceptions et des biais qui vont valoriser une prise de décision qui, en fait, n'aura pas fait preuve d'objectivité et c'est tout le problème et c'est tout l'enjeu.
Quand on parle de méthodes de recrutement dite scientifique on va avoir des méthodes de recrutement qui font appel à ce qu'on appelle du scoring, donc, suivant des critères qui sont préétablis, on va pouvoir mettre un score sur des questions bien précises et, quand je dis bien précises, c'est justement ne pas tomber dans : quel est votre type d'écriture ? Suivant votre écriture, je peux déduire que vous êtes une personnalité plutôt vive ou une personnalité plutôt lente ; ou alors, suivant votre signe astrologique, je peux dérouler une préconception de qui vous êtes ; ou alors, par rapport à votre genre, par rapport à votre nom, par rapport à votre adresse, je peux déduire plein d'informations qui ne sont pas vraies et j'insiste là-dessus. En fait, toutes ces méthodes dites scientifiques vont vraiment reposer sur des questions qu'on appelle comportementales, qui vont donc s'appuyer sur le comportement de la personne suivant des questions qui seront rédigées en ce sens et ce sont des questions qui sont aussi situationnelles. Je vais faire un exemple assez typique. Un entretien qui s'appuie sur une méthode scientifique, ce serait : avez-vous déjà rencontré une situation dans laquelle vous avez dû faire preuve de leadership ? Qu'avez-vous fait suivant les enjeux que vous avez rencontrés ? C'est beaucoup plus cadré que, je ne sais pas, quels sont vos trois défauts et vos trois qualités ? En fait, je n'en sais strictement rien moi-même, j’ai mon propre baromètre d'évaluation quand je pose une question aussi vague que trois qualités et trois défauts.
En fait, il faut vraiment s'appuyer là-dessus pour dé-biaiser au maximum et arriver à un résultat qui sera objectif et évalué.

Frédéric Couchet : D'accord. Ce sont donc des questions où il y a plus de mises en situation concrètes plutôt que les fameuses questions vos trois défauts, vos trois forces, etc., si je comprends bien.

Marcy Ericka Charollois : Exactement. Il y a aussi une méthodologie qui s'appelle du coup STAR, qui n’est pas mal, que je donne à toute personne qui fait passer des entretiens.
C'est faire la mise en situation, expliquer la situation donc, en gros, la mise en contexte de ce qui s'est passé au regard de la question ;
ensuite, il y a quelles ont été les tâches qui ont été mises en place pour parvenir à l'objectif ;
ensuite, pour le « A », ce sera l'action, quels sont les types d'actions qui ont été mis en place, ça peut être en équipe, ça peut être individuel, peu importe la question qu'on vous pose, mais reposez-vous toujours là-dessus pour bien valoriser ce que vous savez faire et, justement, sortir du persona que vous pouvez évoquer par vous-même si vous êtes une femme ou toute autre minorité ; pour le « R » de la méthode STAR, c'est le résultat, quels sont les résultats obtenus, par exemple « j'ai mis en place telle feature, le résultat c'est une hausse de 10 % de clics à cet endroit. »

Frédéric Couchet : D'accord. Je précise que là tu parles déjà de l'entretien, on reviendra peut-être, juste après, sur les offres d'emploi, est-ce qu'il y a des choses à faire aussi sur les offres d’emploi ? On va quand même poursuivre cette partie-là. Florence, tu voulais réagir ?

Florence Chanìbanois : Je plussoie, encore une fois, Marcy, en réalité. Du coup, il y a ce mythe que tu as évoqué tout à l'heure en introduction, en disant qu’on ne recrute pas uniquement sur la compétence, comme si c’était ce qu’on disait.

Frédéric Couchet : C'est souvent ce qu'on entend, les gens qui critiquent ça, qui disent « finalement on ne recrute pas un homme ou une femme, on recrute une compétence ».

Florence Chanìbanois : Exactement et je pense que c'est très naïf de croire qu'on est imperméable aux biais. L’avantage de ces types de méthodes, qu'on applique déjà plusieurs personnes, ce qui fait qu'on a des éléments à peu près comparables, en tout cas plus comparables, qui sont aussi orientés sur un besoin concret, plus que sur un jugement de valeur, sur des affinités qu'on peut avoir avec quelqu'un ou pas, ça permet déjà d'enlever ces problématiques-là, en fait de discrimination dont on n'a pas conscience. Ne serait-ce que quand on parle de compétences, de quelles compétences parle-t-on ? J'ai vu tellement d'entretiens, y compris les miens, qui ont recours à des usages, en entretien, qu'on n'utilise pas du tout en situation. Concrètement, on va faire du Live coding : on va donner un exercice à quelqu'un, complètement un cas d'école qui ne ressemble pas à une vraie situation, parce que, en vraie situation, on arrive sur un code qui existe déjà, on va apporter une amélioration. C’est la première différence et pourtant, c'est ce qu'on fait !
La deuxième chose, c'est qu'on va regarder par-dessus son épaule comment ça se passe, pendant qu’on code. Rien que ça, ça rajoute encore quelque chose.
Cela provoque des effets. En réalité, la personne ne va pas rencontrer ça si on l'intègre dans l'entreprise, mais c'est comme cela qu'on va évaluer la personne. Du coup, ça déclenche un plein de mécanismes très personnels et aussi sociaux : qu'est-ce que ça nous fait d’être regardée si on a le biais du stéréotype qui s'enclenche disant que les femmes sont moins fortes en informatique. Les effets sont aussi différents selon les genres sur ce type de situation : les personnes qui sont très extraverties vont être plus à l'aise.
Un autre sujet sur la compétence qu'on brandit vraiment. Encore une fois, j'ai une conviction : on ne recrute pas du tout d'emblée sur les compétences, en fait, c'est un travail, c'est un processus qu'il faut mettre en place et ce n'est pas du tout si naturel et si fréquent que ça.
L'autre point, c'est la capacité à se mettre en avant. J'ai rencontré plein de femmes que j’avais énormément de mal à évaluer quand je n'avais pas de structure dans mes questions, parce que, justement, il y a plein de facteurs. On dit aussi aux femmes qu’elles doivent moins se vanter, moins se mettre en avant, du coup, en entretien, si elles se vantent, si elles se mettent en avant, en fait elles montrent leurs compétences, elles peuvent aussi être pénalisées sur ça, en disant « cette personne ne va sûrement pas bien s'intégrer, elle se vante trop, elle se met trop en avant. » Ce sont aussi des choses dont les femmes ont conscience et elles vont se ralentir par rapport.
Il y a plein d'injonctions contradictoires qui font qu’on n’est pas du tout sur un pied d'égalité dans les entretiens dans les processus de recrutement.
Donc, il y a tous ces processus à mettre en place, notamment la méthode STAR et plein d'autres. Déjà, c'est se dire qu’on définit ce dont on a besoin réellement, au quotidien, dans l’emploi qu'on cherche – ce ne sont pas juste des questions gratuites, ce sont des questions pour savoir quelque chose. Ensuite, on met en place un processus qui se répète, qui permet de comparer des éléments comparables.

Frédéric Couchet : D’accord. Tout à l'heure, je ne sais plus laquelle de vous, en introduction, parlait des biais. Quels sont, aujourd'hui, les principaux biais de recrutement par rapport au genre, j’entends ? Marcy.

Marcy Ericka Charollois : Il y en a plusieurs. Je pense notamment à tout ce qui est biais de confirmation, mais je vais surtout penser au biais de halo, qui joue énormément en recrutement. Le biais qui s'appelle l'effet de halo, c'est la façon d'utiliser sa première impression pour tirer des conclusions sur un portrait global. Si j'arrive très souriante, comme disait Florence, qu'en même temps je me mets en avant, mais pas trop, on va se dire « OK, super, elle est douce et, en même temps, elle peut bien se vendre, donc elle risque de bien s'intégrer, de ne pas prendre le dessus dans l'équipe. » Si j'arrive vraiment avec tout un tas de codes non-verbaux, il me semble que c'est à hauteur de 70 % que les codes non verbaux rentrent en jeu dans notre façon de nous évaluer, nous autres en tant qu'êtres humains, ça va avoir un poids vraiment considérable dans la préconception qu’on va déjà apposer sur moi et qui va confirmer, ou pas, je ne sais pas comment dire ça, un certain persona qu'on va déduire de moi et qui sera peut-être complètement à l'opposé. C'est aussi pour cela qu'on se retrouve, à l'inverse, avec des personnes qui sont d'excellents candidats, mais pas les bonnes personnes pour le poste. C'est important à souligner parce que, parfois, on a des gens qui savent vraiment très bien passer les entretiens d'embauche, notamment des hommes qui peuvent avoir tous les codes du milieu tech, si, en plus, ils ont grandi dans une culture geek, dans une culture vraiment numérique, beaucoup plus accrue qu'une femme. Je prends l'exemple inverse : une femme qui aurait fait plutôt un bootcamp, qui aurait entendu, sur le tard, la possibilité de rentrer dans ce type de carrière, en fait elle n’est vraiment pas du tout sur le même pied d'égalité. L'effet de halo peut donc être très violent à ce niveau-là. Et ça ne veut pas dire, si on prend cette femme-là, dont je parle on en guise d'exemple, versus l'homme qui est un très bon candidat, que, dans les faits, la femme ne pourra pas être une meilleure employée sur le long terme.
En fait, ce sont tous ces points-là qui sont de vrais points de friction. Je ne sais pas si tu as une autre idée de biais, Florence.

Frédéric Couchet : Juste avant qu'elle réponde, comme ça elle va éventuellement réfléchir, ce que tu viens de dire me fait penser que j'ai vu une excellente conférence que vous avez peut-être vue à MiXiT, une conférence autour de la tech et de l'inclusion, Anaïs Huet a fait une conférence « La douceur est-elle un avantage ou inconvénient dans ce monde de brutes ? ». À un moment, elle explique que pour une mission où elle cochait vraiment toutes les cases de compétences, qualité, etc., en fait le client ne l'avait pas prise parce qu'elle avait une voix trop douce et il lui avait dit « vous n'arriverez pas à vous imposer dans l'équipe ». Quand j’ai entendu ça, je me suis dit « c'est hallucinant d’entendre ça ! ». Donc, vous confirmez, Marcy ou Florence, que cette voix trop douce peut être un problème bloquant pour des femmes.

Florence Chanìbanois : Oui. Même pour la façon d’avoir accès à des financements, il faut savoir que les femmes, qui ont des voix plus aiguës, se voient perdre des points considérables à l'accès au financement de leurs entreprises, leurs start-ups, etc. Je n’ai plus les chiffres en tête, mais c'est assez effarant. En fait, il y a pas mal de mimétisme aussi de la part des femmes à parler dans des octaves bien plus basses pour paraître plus sérieuses et plus crédibles.

Frédéric Couchet : D'accord. Dans sa présentation, elle expliquait aussi que Margaret Thatcher, par exemple, avait visiblement fait un travail, justement pour parler dans une octave un peu plus grave, un peu plus bas.
Je vais laisser Florence revenir sur les autres biais de recrutement qu’elle a pu identifier.

Florence Chanìbanois : Carrément, je me permets des digressions aussi. Marcy, par rapport à ce que tu disais, j'avais vu un même texte, par rapport à des investisseurs et investisseuses, qui était lu par des femmes ou des hommes, pour voir qui était plus convaincant ou pas. Il me semble que c'était deux fois, rien que sur la hauteur de la voix.
Par rapport à Anaïs, ce que tu évoquais Frédéric, encore une fois sur le fameux mythe de la compétence, une étude de ??? [33 min 03] est sortie il n’y a pas très longtemps, qui confirme une intuition qu'on est beaucoup à avoir, je pense, que les femmes sont évaluées pas que sur la technique : elles vont être évaluées beaucoup sur la technique, beaucoup plus, en fait, que les hommes, mais aussi sur le relationnel, du coup la douceur, ce que tu dis. Par exemple si la personne, la femme pour le coup, n'est pas assez souriante et n'a pas, en plus, des traits de relation, ça va être pénalisant, alors que, pour un homme, on considère que la technique toute seule suffit.

Frédéric Couchet : Pour préciser la question : est-ce que ça peut être aussi, éventuellement, un avantage en fonction du poste recherché ?

Florence Chanìbanois : Non ! Jamais ! Jamais sur un poste tech, parce que ce ne sera toujours un bonus, en fait. On va toujours mettre, en tout à date 2024, le niveau technique, la compétence technique plus importante que le relationnel. Pour un homme ce sera un bonus, ça peut être un critère si on utilise la méthode STAR, mais c'est quand même moins souvent un critère que le côté technique, alors que pour la femme ce sera indispensable, si elle n’a pas les deux, ça ne marche pas.
Sur le côté douceur, c'est quand même terrible. Je ne sais pas si on s’en rend compte. J'ai déjà eu des feed-back me disant « je ne sais pas si tu pourras t’imposer et tout ! — Ça va, je gère une dizaine de personnes et je n'ai même pas cherché à argumenter ! » Si tu savais tout ce qu'on se prend dès qu'on commence sa carrière !
À l'inverse, si quelqu'un ne te voit pas douce, si une femme a une voix plus affirmée, ça peut aussi être pénalisant.

Frédéric Couchet : En fait, vous êtes perdantes tout le temps !

Florence Chanìbanois : C'est ça ! En fait, on a un très petit spectre, si on tape dedans ça marche, mais, si on fait un petit glissement, on peut être pénalisée, tout simplement.
Du coup sur les biais, puisque c’était ta question à l’origine. Pour moi, c'est le biais de similarité qui est un peu la petite sœur du halo, je pense, qui fait qu’on ne se rend pas compte de combien on aime bien les gens qui nous ressemblent, encore plus dans une culture tech où il y a quand même pas mal de culture bro et tout ça, entre frères. On va mettre en avant du baby foot, de la bière, tout ce qui est fraternité, ce sont des choses très mises en avant dans les médias, dans la politique, c'est une valeur qui est universelle, n'est-ce pas ?, alors qu’on entend moins la sororité. Du coup, il y a ce côté « je vois quelqu'un qui me ressemble, qui a les mêmes centres d'intérêt », du coup, on plonge très vite dedans. Avec ce biais-là, on peut très vite oublier tout le reste : le côté «  suis-je en train d'évaluer le reste, d’évaluer quelqu'un », et on oublie de poser toutes les questions qui sont importantes. Je pense que c’est comme cela qu'on peut se retrouver à faire des recrutements ratés parce qu'on s'est un peu laissé entraîner dans un petit effet narcissique, en disant  « je m'entends bien avec cette personne » parce qu'on cherche surtout des collègues, en réalité, quand on recrute.

Frédéric Couchet : J’ai une question : inclure une femme dans le processus de recrutement, au niveau entretien, est-ce que c’est pratiqué ? Est-ce que c'est positif ? Négatif ? Est-ce que ça permet de tester, par exemple, les hommes aussi ? Voir, par exemple, si l'homme en recrutement va plus parler à l'homme recruteur ou la femme recruteuse ? Est-ce que l'implication d'une femme dans le processus de recrutement c’est pratiqué ?. Marcy.

Marcy Ericka Charollois : Je pense que ça se pratique de plus en plus, en tout cas de ce que j'ai comme discussions. Il est évident qu’on a aussi des prises de position politiques, quant au numérique, ne serait-ce que le Pacte Parité pour l'égalité femme-homme ; ça implique pas mal de choses en termes d’évolution des rôles des femmes dans la tech, notamment le fait de les inclure dans les processus de recrutement.
Est-ce que c'est un une garantie de réussite ? En rien du tout ! S'il y a bien une chose sur laquelle on est complètement égaux en tant que femmes et en tant qu'hommes c'est notre capacité à être totalement absorbés par nos propres biais dans ce qu'on va chercher à déterminer comme confirmation, ou non.
On peut avoir aussi des effets qui sont bien réels, c'est tout ce qu'on va appeler la misogynie intériorisée, comme on peut avoir du racisme intériorisé, du validisme – ça c'est plutôt par rapport au spectre du handicap et de l'accessibilité qui va être intériorisé –, on peut parler de grossophobie, etc., ce serait totalement expansif. En fait, les femmes ne sont pas du tout étrangères au fait d'avoir intériorisé tout un tas de biais pour, en plus, survivre.
Si on est la seule femme dans une équipe complètement masculine, qu’on a suivi des études, je donne un exemple comme ça, d'ingénieur où, déjà, on a été sociabilisée comme étant l'une des seules femmes de sa promo pendant des années, il faut bien prendre en compte qu'on a aussi intériorisé tout un tas de biais en tant que femme. Du coup, il faut vraiment faire tout un travail de déconstruction, ça c'est vraiment le pied d'égalité des hommes et des femmes dans notre industrie, comme dans bien d'autres, et tant qu'on ne fera pas cette démarche-là on ne pourra pas garantir la maximisation des effets positifs des recrutements dits inclusifs et objectifs.

Frédéric Couchet : Avant de faire une pause musicale, sur ce que tu viens de dire, je pose une question à Florence. Je ne me souviens pas si tu as fait des écoles d'ingénieur.

Florence Chanìbanois : J'étais à la fac, j’ai fait de l'informatique.

Frédéric Couchet : C’était dans l’informatique, donc, probablement, dans un milieu très masculin.

Florence Chanìbanois : Nous n’étions pas beaucoup.

Frédéric Couchet : As-tu vécu ce que vient de décrire Marcy ? Et est-ce que dans ton travail de recruteuse, parce que tu as aussi fait du recrutement, ça a évolué par rapport à il y a quelques années, par exemple ?

Florence Chanìbanois : Oui complètement. On avait justement fait presse ??? [37 min 13] avec Marcy où on en parlait un peu. Je suis complètement dans ça, « le féminin c'était moins bien » et ce n'est vraiment pas quelque chose dans lequel je voulais être associée. C'est ça qui est compliqué. On vit dans la même société, en réalité, qu'on soit homme ou femme, et quand on arrive, justement, à survivre dans ce système, malgré nous, sans nous en rendre compte vraiment, donc je n'allais pas mépriser les femmes ou quoi que ce soit, mais ce n'est pas quelque chose auquel je voulais être associée. C'est relativement récemment que je me suis rendu compte de ça, au niveau du recrutement en tout cas. Une fois qu'on en a conscience et qu'on commence à prendre des actions, c'est là qu'on voit des choses très différentes et surtout qu’on a tort.

Frédéric Couchet : D’accord. On va y revenir après la pause musicale. On va faire une pause musicale.
La pause musicale est proposée par Joseph Garcia de l'équipe musique de Libre à vous!. Il est également membre de l'équipe de l'émission Les contes, c’est du Sérieux. Je pense que la musique devrait vous plaire. Je vais le faire en anglais puis en français, le titre c'est Burn The Whole Thing Down, en gros c'est « Tout cramer » de Momma Swift. On se retrouve dans trois minutes. Belle journée à l'écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Burn The Whole Thing Down par Momma Swift.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Burn The Whole Thing Down par Momma Swift – je vous encourage vraiment à écouter tout l'album, surtout en cette période un peu troublée. Ce titre est disponible sous licence libre Creative Commons Attribution, CC By 3.0.

[Jingle]

Deuxième partie 43’ 44

Frédéric Couchet : Nous allons poursuivre notre sujet