Émission Libre à vous ! diffusée mardi 28 mai 2024 sur radio Cause Commune

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Titre : Émission Libre à vous ! diffusée mardi 28 mai 2024 sur radio Cause Commune

Intervenant·e·s : Gee - Valentine Ogier-Galland - Nicolas Chauvat - Luk - Frédéric Couchet- Élise à la régie

Lieu : Radio Cause Commune

Date : 28 mai 2024

Durée : 1 h 30 min

Podcast PROVISOIRE

Page de présentation de l'émission

Licence de la transcription : Verbatim

Illustration : Déjà prévue

NB : Transcription réalisée par nos soins, fidèle aux propos des intervenant·e·s mais rendant le discours fluide.
Les positions exprimées sont celles des personnes qui interviennent et ne rejoignent pas nécessairement celles de l'April, qui ne sera en aucun cas tenue responsable de leurs propos.

Transcription

Voix off : Libre à vous !, l’émission pour comprendre et agir avec l’April, l’association de promotion et de défense du logiciel libre.

Frédéric Couchet : Bonjour à toutes. Bonjour à tous.
C’est le moment que vous avez choisi pour vous offrir une heure trente d’informations et d’échanges sur le logiciel libre, les libertés informatiques et également de la musique libre.

Je suis Frédéric Couchet, le délégué général de l’April.

Modèles d’organisation ouverts dans les entreprises du logiciel libre, ce sera le sujet principal de l’émission du jour. Avec également au programme, en début d’émission, la chronique de Gee, « IA partout justice nulle part », et, en fin, d’émission la chronique de Luk sur les dark patterns.

Le site web de l’émission est libreavous.org. Vous pouvez y trouver une page consacrée à l’émission du jour avec tous les liens et références utiles.

Nous sommes mardi 28 mai 2024, nous diffusons en direct, mais vous écoutez peut-être une rediffusion ou un podcast.

À la réalisation de l’émission, Élise. Bonjour Élise.

Élise : Bonjour tout le monde. Bonne émission.

Frédéric Couchet : Merci. Nous vous souhaitons une excellente écoute.

[Jingle]

Chronique « Les humeurs de Gee », « IA partout (justice nulle part) »

Modèles d’organisation ouverts dans les entreprises du logiciel libre avec Valentine Ogier-Galland et Nicolas Chauvat

Frédéric Couchet : Il est 15 heures 42, j’aime bien cet horaire. On va démarrer notre sujet principal qui va porter sur les modèles d’organisation ouverts dans les entreprises du logiciel libre.
Mardi dernier nous avons diffusé la première partie de ce sujet, une rediffusion de l’émission numéro 178 du 13 janvier 2023. Si vous n’avez pas écouté cette première émission, vous pouvez la réécouter sur le site libreavous.org/178. Nos invités Valentine Ogier-Galland et Nicolas Chauvat vont se présenter dans quelques instants.
N’hésitez pas participer soit sur le salon web dédié à l’émission, sur le site causecommune.fm, bouton « chat », salon #libreavous, ou sur le site de l’émission libreavous.org, ou encore par téléphone au 09 72 55 51 46.
On va commencer par une petite présentation, Valentine Ogier-Gallan.

Valentine Ogier-Galland : Bonjour. Je suis à mon compte depuis une bonne douzaine d’années. Aujourd’hui j’aide les organisations à s’aligner avec leurs valeurs et je fais cela à l’intérieur d’une coopérative s’appelle Crealead dans laquelle je collabore avec deux personnes, à trois on est Le Studio Agile.

Frédéric Couchet : OK. Merci Valentine. Nicolas Chauvat.

Nicolas Chauvat : J’ai fait des études d’ingénieur, il y a un certain temps, au cours desquelles j’ai pu découvrir le logiciel libre et Internet. Après avoir fait un peu d’intelligence artificielle, j’ai créé la société Logilab qui a toujours fait du logiciel libre, qui se spécialise dans les encyclopédies de données, on rassemble toutes les données au même endroit et, ensuite, on fait des références croisées. Et, depuis plus de 20 ans, on essaie d’organiser cette entreprise de la manière la plus horizontale possible. C’est donc pour cela, avec Valentine, que nous nous sommes intéressés à comment font les autres.

Frédéric Couchet : Exactement. Je vais déjà simplement rappeler le contexte de votre enquête et je vous laisserai éventuellement préciser, avant qu’on rentre dans le sujet de la discussion. Sur la page d’introduction votre projet, je lis tout simplement : « Le modèle d’entreprise le plus visible aujourd’hui est très hiérarchisé, généralement avec une concentration des pouvoirs et des informations, et des dérives autoritaires fréquentes.
Et pourtant de nombreuses entreprises ont adopté et explorent encore des modèles alternatifs. Dans le milieu du logiciel libre, se sont multipliées les initiatives à base de transparence, partage des responsabilités, gouvernance participative et autres approches horizontales.
Ainsi est née l’envie d’une enquête sur ces modèles différents – donc modèles d’organisation ouverts –, pour trouver de nouveaux outils, partager des expériences, les résultats, en espérant que d’autres puissent s’en inspirer ».
Votre enquête n’est pas finie, mais, aujourd’hui, on souhaitait parler d’un point central, tu l’as prononcé tout à l’heure, le mot « horizontalité », donc de parler des entreprises, organisation horizontale versus verticale. C’est donc l’intro de votre enquête. Vous reviendrez sans doute une troisième fois, une fois que vous aurez terminé votre enquête, puisque c’est à base d’interviews et vous n’avez pas encore fini.
Avant qu’on parle de la partie vraiment centrale de l’échange d’aujourd’hui, qui est l’horizontalité, est-ce que vous voulez compléter cette introduction sur votre enquête, les objectifs, le mode de travail. Valentine.

Valentine Ogier-Galland : Je dirais que c’est effectivement un point d’étape. Nous avons interviewé une dizaine d’entreprises et certaines entreprises plusieurs fois, certaines organisations plusieurs fois. Ça fait une grosse masse de données. La synthèse est commencée. On sait, par avance, qu’on va avoir d’autres interviews qui vont venir et d’autres étapes. Ce point, c’est un peu pour faire une première synthèse.

Nicolas Chauvat : Tu citais la page du projet Fred. Sur cette page du projet, on affiche qu’on a parlé de ce projet à l’April et à Framasoft qui nous ont dit « ça nous intéresse, allez-y, si vous produisez des résultats on vous aidera à les diffuser ». C’est donc aussi un peu dans ce cadre-là que tu nous as invités dans l’émission Libre à vous !.

Frédéric Couchet : Tout à fait.

Nicolas Chauvat : Je ne sais pas si on aura fini dans un an, parce qu’on n’avance pas extrêmement rapidement non plus. On a une activité professionnelle qui est déjà assez prenante et on rajoute ces heures-là un peu en plus du reste. Nous sommes venus la première fois il y a un an.

Frédéric Couchet : Tout à fait. D’ailleurs, tout à l’heure je me suis trompé. J’ai marqué janvier 2023, mais pas du tout, c’était en juin 2023, il y a un an.

Nicolas Chauvat : Je le vois comme une sorte de point d’étape. II y a un an on a expliqué ce qu’on avait commencé à faire. Un an après, je pense qu’on a changé de position sur certaines choses, etc., donc on peut on peut raconter cela. Et puis, si on est toujours là dans un an, peut-être que tu pourras nous inviter et on verra si c’est la dernière fois ou pas.

Frédéric Couchet : En tout cas, c’est prévu. S’il faut une troisième, une quatrième émission, on verra bien.
Quand on a préparé l’émission, le mot clé qui est venu effectivement principalement c’est « l’horizontalité » parce que, en fait, c’est un peu l’un des cœurs du sujet. En fait, l’horizontalité ce n’est pas un terme binaire, ce n’est pas « on est horizontal ou on n’est pas horizontal », ce n’est pas, ce n’est pas aussi fixe que cela, il y a différents niveaux d’horizontalité.
Justement, on pourrait peut-être essayer de commencer par les différents niveaux d’horizontalité que vous voyez à partir de vos enquêtes. Qui veut commencer ? Nicolas.

Nicolas Chauvat : Je veux bien commencer avec une courte définition, ce qu’on appelle horizontal et vertical, avec Valentine. Pour nous, horizontal, ce sont les organisations qui favorisent la responsabilisation des gens et leur autonomie, c’est-à-dire que les gens qui font des choses et la possibilité de prendre des décisions qui correspondent à ce qu’ils sont en train de faire ; qu’ils ne soient pas systématiquement obligés d’en référer à quelqu’un d’autre, qui va intégrer des informations qui viennent d’ailleurs auxquelles eux n’auraient pas accès et prendre une décision qui redescendrait, sans forcément qu’il y ait d’explications, en disant « tu m’as dit que tu étais dans telle situation ; je te dis de faire ça ». « Tu m’as dit que tu étais dans telle situation, je te dis de faire ça », pour nous c’est vertical ; « je suis dans cette situation-là, je sais ce qui se passe autour de moi et je sais que dans ce cas particulier je vais décider ça et je vais continuer ou dans ce cas-là je vais en parler aux autres pour voir ce qu’on fait », à l’inverse c’est horizontal.

Frédéric Couchet : Valentine, sur cette définition de l’horizontalité.

Valentine Ogier-Galland : On a la même. Je formulerais en disant que la responsabilité est repartie sur les différents membres de l’organisation ou la responsabilité est concentrée sur un petit nombre de membres de l’organisation. J’irais même jusqu’à dire que cette horizontalité se manifeste sur la durée.
On peut avoir des entreprises qui sont horizontales parce que la responsabilité change au fil du temps : il peut y avoir une personne qui décide, mais si cette personne change régulièrement pour un type de décision, on se retrouve quand même avec un motif d’horizontalité et c’est peut-être ça le plus important de notre définition. Tu disais que l’horizontalité et la verticalité ce ne sont pas deux choses binaires, d’un côté on a la verticalité, c’est mal, et, de l’autre côté, on a l’horizontalité et c’est bien. On a plein de motifs qui vont vers l’horizontalité et on a plein de choses qui vont nous limiter pour être horizontal. Si on a un objectif d’horizontalité, on peut y être plus ou moins proche.

Frédéric Couchet : Juste avant de laisser réagir Nicolas, est-ce que tu peux expliquer ce que tu entends par « motif » avant, d’ailleurs, qu’on les liste ? Qu’est-ce que tu entends par le terme « motif » ? Ce sont des fonctionnements qui se répètent.

Valentine Ogier-Galland : Ce sont des fonctionnements qui se répètent. En fait, pendant nos entretiens, on a identifié un certain nombre de choses que l’on voyait d’organisation en organisation, donc un schéma de fonctionnement, un petit schéma de fonctionnement qui se répète ou qui est identifiable comme appartenant à cet objectif d’horizontalité.

Frédéric Couchet : Et à l’inverse, les anti-motifs qui n’appartiennent pas à cette mise en œuvre d’horizontalité, c’est ça ?

Valentine Ogier-Galland : En tout cas, qui vont la freiner.

Frédéric Couchet : Qui vont la freiner. D’accord. On va y revenir juste après. Tu voulais réagir Nicolas.

Nicolas Chauvat : Oui. Je voulais juste rajouter que Valentine et moi avons des formations d’ingénieur, notre spécialité, à la base, c’est plus d’écrire du code. Donc, on ne prétend pas faire des sciences sociales comme les gens dont c’est le métier, même si là c’est un peu le sujet. Comme nous travaillons nous-mêmes dans des organisations qui essayent d’être horizontales, il faut prendre tout ce qu’on dit avec un grain de sel et le fait que nous sommes complètement subjectifs dans nos propos.

Frédéric Couchet : Tout à fait. C’est tout à fait clair et vous vous basez, en plus, sur des entretiens d’entreprise qui mettent en œuvre, que vous avez choisies.

Nicolas Chauvat : Qu’on a choisies ; un petit ensemble statistique, donc, on ne va pas pouvoir jouer sur les grands nombres.

Frédéric Couchet : On n’est pas là pour faire des sciences sociales.

Nicolas Chauvat : J’ajouterais même, pour la subjectivité, qu’on a rencontré très peu de gens qui n’avaient pas d’avis. L’organisation d’une entreprise ou l’organisation de là où on vit, là où on travaille, c’est un sujet qui est engageant, c’est un sujet qui est impactant. De toute façon, que ce soit nous ou que ce soit les autres, il y a de la subjectivité et il y a des choses qu’on aime, des choses qu’on n’aime pas, des choses sur lesquelles on réagit fortement.

Frédéric Couchet : OK. Tout à fait. Tout à l’heure, tu as introduit deux termes intéressants qui sont les motifs qui favorisent l’horizontalité et les anti-motifs qui pourraient la freiner. Est-ce qu’on pourrait commencer par ça, déjà le côté positif : quels sont les motifs qui favorisent l’horizontalité ? Valentine.

Valentine Ogier-Galland : Je vais parler de un, c’est ce que j’appelle la fluidité des mandats qui est peut-être un meilleur terme qui va apparaître plus tard. En gros, un mandat c’est explicitement le fait d’avoir une sphère de décisions ou de responsabilités. J’emploie le terme « mandat » parce que le côté explicite est important. La fluidité c’est : les mandats peuvent changer de personne, c’est-à-dire soit les mandats sont répartis, ce n’est pas une personne qui fait toujours tout, soit les mandats changent régulièrement, soit les mandats sont partagés par un groupe, un cercle, un comité, quelle que soit la façon dont on l’appelle. Si le mandat est fluide et dilué, on a un bon motif, on va vers l’horizontalité.

Nicolas Chauvat : Motif et anti-motif, ça donne une direction du genre « horizontal c’est bien et vertical c’est mal ». Je suis plutôt parti avec cette idée-là il y a un an et demi. Aujourd’hui, je pense que j’ai un peu changé de point de vue là-dessus.

Frédéric Couchet : Pour préciser, le point de départ, venant du Libre, quelque part on se dit que l’horizontalité c’est bien, quoi qu’il arrive, la verticalité, c’est mal, parce qu’on n’a pas baigné… Quoi que si, dans le Libre, il y a effectivement beaucoup de verticalité

Valentine Ogier-Galland : Souvent dans des contextes toxiques. On a beaucoup de verticalité toxique, on a plein d’exemples. On se dit déjà que l’horizontalité c’est une autre voie, c’est une alternative et ça va forcément être mieux et pas toxique.

Frédéric Couchet : On reviendra tout à l’heure sur la partie toxicité. Je te laisse poursuivre.

Nicolas Chauvat : Plutôt que motif et anti-motif, je dirais qu’il y a certains motifs qui vont dans le sens de l’horizontalité et d’autres qui vont dans le sens de la verticalité.
Valentine vient de parler des responsabilités. Typiquement si tu concentres les responsabilités sur un très très petit nombre de gens, si tu concentres les responsabilités tu vas dans le sens de la verticalité ; si tu fais que des responsabilités tournantes, tu les répartis, tu vas dans le sens de l’horizontalité. Si c’est implicite, il y a plus de chances que ça devienne vertical que horizontal. Pour que les responsabilités soient réparties, que la prise de décision soit répartie, il faut explicitement dire que les gens peuvent prendre des décisions de là où ils sont, sinon il peut y avoir une tendance à dire « je ne sais pas si j’ai le droit, je ne vais pas le faire ».

Frédéric Couchet : Tu veux dire que ce qui est important c’est rendre explicite l’implicite, donc de rendre explicites les décisions qui peuvent être prises, par qui, avec quel processus.

Nicolas Chauvat : Exactement.

Valentine Ogier-Galland : On peut survivre, on peut avoir une organisation verticale avec beaucoup d’implicite, avec des hiérarchies implicites ; si on veut être horizontal, il va falloir rendre sa hiérarchie visible. Et si on supprime toutes les hiérarchies managériales habituelles et qu’on ne fait rien d’autre pour mitiger la tendance naturelle, eh bien on va se retrouver avec des hiérarchies implicites. Par exemple, ce sont les membres de l’organisation les plus anciens qui décident ou ce sont ceux qui ont le plus de diplômes ou ce sont ceux qui parlent le plus fort.

Frédéric Couchet : Je vois la question de Marie-Odile, en fait la remarque, je vais la relayer juste. Mais comme tu parles de cela, je vais vous raconter une petite histoire et je vais juste citer, entre guillemets, un message que j’ai lu ce matin, sans citer du tout le contexte. En gros, la personne dit que le fonctionnement horizontal ne protège pas forcément les salariés, la « démocratie d’entreprise » – mis entre guillemets – n’a aucune valeur si on laisse les plus bruyants, les personnes les plus bruyantes prendre le dessus. La personne précise que ce n’est pas parce que c’est une Scop, donc une coopérative, que par magie tout irait bien.

Nicolas Chauvat : C’est un point. Dailleurs, c’est peut-être ce qu’on a dit dans l’émission d’il y a un an, je n’ai pas réécouté ce qui a été rediffusé la semaine dernière, on était plutôt sur une position « horizontal c’est bien et vertical c’est mal » ; aujourd’hui, on serait plutôt sur une position : être incohérent c’est mal, être cohérent c’est bien. C’est-à-dire que si tu affiches un désir, tu dis à tout le monde « on est horizontal » et que, après, tu te comportes autrement, l’incohérence va te causer des problèmes. Si tu dis à tout le monde « chez nous c’est vertical, ça se passe comme ça » et que tu te tiens à ce qui est dit, les règles sont connues, les gens peuvent choisir de travailler là où de travailler ailleurs, mais au moins c’est clair.

Frédéric Couchet : Je vais relayer la remarque de Marie-Odile et je vais vous demander de réagir dessus. On salue Marie-Odile parce qu’elle fait la quasi-totalité des transcriptions des émissions Libre à vous ! et d’autres pour l’April sur le site librealire.org. Elle nous dit « la verticalité non toxique me conviendrait », elle précise « je ne suis pas responsable, c’est reposant. »

Valentine Ogier-Galland : Absolument.

Frédéric Couchet : C’est vrai que ça fait partie des choses reposantes : ne pas avoir à prendre de décisions, ne pas être responsable de quelque chose.

Nicolas Chauvat : Tu nous avais prévenus qu’on était susceptibles de commencer par la fin.

Frédéric Couchet : Je vous avais prévenus en toute transparence, sur la préparation de l’émission, que l’ordre qu’on avait prévu était susceptible de ne pas être suivi, parce que c’est une discussion. On a fait une heure d’échanges, ce qui n’est pas toujours le cas, on avait donc prévu un petit déroulé, mais j’avais effectivement prévenu qu’en fonction de notre démarrage d’émission et des questions sur le salon, on pourrait peut-être changer l’ordre, ce n’est pas très grave. Je vous demande de réagir, éventuellement, sur cette partie « je ne suis pas responsable, c’est reposant ». Je complète la question : est-ce que l’horizontalité convient à tout le monde, ou pas, justement par rapport à ça ? Qui veut commencer ? Valentine, vas-y

Valentine Ogier-Galland : Peut-être pas à tout le monde et peut-être pas avec tout le monde non plus.
Pour avoir de l’horizontalité, il faut avoir une certaine communication entre les gens qui font de l’horizontalité. Pour qu’il y ait des prises de décisions collectives ou réparties, il va falloir beaucoup de communication, il va falloir beaucoup d’efforts en amont pour aligner les gens, pour que les gens se choisissent un objectif commun, etc. Il y a des personnes qui n’ont pas envie de faire cet effort pour leur travail, peut-être qu’elles veulent juste un travail alimentaire et mettre toute leur énergie dans leur implication bénévole à côté, dans d’autres choses et c’est OK. De la même façon que c’est OK de ne pas avoir la même façon de communiquer ou de ne pas trouver confortable la façon de communiquer d’un groupe. Je pense notamment à une organisation à qui on a parlé, pour qui le conflit était normal, attendu, de toute façon il y allait avoir des conflits. Son de fonctionnement était plutôt : si on n’est pas d’accord, il y aura un conflit, on réglera le conflit. Et je vois d’autres gens à qui on a parlé, qui sont dans une entreprise qui est aussi vers l’horizontalité, qui fait aussi l’horizontalité, mais ça ne leur irait pas du tout de fonctionner comme ça, avec autant de conflits.

Frédéric Couchet : Je me permets juste de poser une question : est-ce ces personnes t’ont précisé ce qu’elles entendent par « conflit » ? Est-ce que c’est une discussion un petit peu chaude ou est-ce que c’est vraiment avec des gens qui coupent la parole, etc. ? Que mettent-elles derrière le mot « conflit », en fait ?, sans forcément dire qui c’est.

Valentine Ogier-Galland : L’exemple qui était donné, c’était simplement le fait que si tu faisais quelque chose pour l’entreprise, tu prenais une décision, qu’elle soit technique ou non, et que quelqu’un n’était pas d’accord, il pouvait passer derrière et la défaire. Et ensuite, entre les deux, si ça causait un conflit personnel, on va dire une discussion, c’était normal, ça faisait partie de la vie normale de l’organisation.
On a rencontré d’autres gens qui seraient absolument malheureux dans ce genre d’organisation, alors que, fondamentalement, ce sont des organisations avec énormément de motifs horizontaux des deux côtés. Donc, ce n’est pas parce que c’est horizontal que tu vas être bien dedans et tu peux mieux te sentir dans quelque chose de vertical, comme disait Marie-Odile, reposant, pas de responsabilités. Des gens nous ont parlé d’anxiété de tout savoir sur la santé de l’entreprise

Frédéric Couchet : Y compris la santé financière. Dans certaines structures que vous avez étudiées, les personnes salariées ont accès à tout, y compris aux factures, à la comptabilité, etc.

Nicolas Chauvat : On connaît même une structure qui publie ça sur Internet ; la totalité de sa comptabilité est accessible.

Frédéric Couchet : Je vois à peu près, j’ai une idée de qui c’est. Ces personnes-là vont effectivement jusque-là. Tu dis donc que cela génère de la souffrance ?

Valentine Ogier-Galland : Il y en a qui nous ont dit qu’il y avait de l’anxiété de tout savoir, y compris la santé financière quand c’était un peu bancal, quand ce n’était pas très stable.

Nicolas Chauvat : Au final, je dirais qu’il y a plusieurs aspects. Tu demandais « est-ce que ça marche, est-ce que ça ne marche pas ? », Valentine disait c’est OK. Il y a le côté horizontal/vertical, il y a la personne et il y a le contexte. C’est la combinaison de ces trois-là qui fait que ça va ou ça ne va pas. Tu peux avoir une même personne qui, dans des contextes différents – le contexte ça peut être les autres personnes avec lesquelles on travaille, le but de l’organisation, est-ce que c’est salarié, est-ce que c’est bénévole, ça peut être quand on a 20 ans, quand on en a 30, quand on en a 40 ou quand on en a 50 – donc la personne, dans le contexte, dit si ça se passe bien avec une organisation horizontale ou une organisation verticale. Éventuellement, ça va bien convenir à la personne à 30 ans d’être dans quelque chose d’horizontal et ça ne lui conviendra plus à 50, par exemple.

Frédéric Couchet : D’accord. OK.
Dans les motifs, vous avez parlé de fluidité des mandats, de transparence, de cohérence entre les objectifs affichés et les actions. Est-ce que vous avez noté ou est-ce que vous avez eu des retours, sur cette partie-là, de personnes dans une structure qui vous disent : « Il y a les objectifs affichés de transparence, d’horizontalité, etc., mais dans les faits ce n’est pas toujours réellement mis en œuvre. » ? Ou est-ce que, globalement, il y a une cohérence dans les structures que vous avez étudiées ?

Valentine Ogier-Galland : On a vu des structures qui disaient : « On est horizontal », et qui avaient des motifs qui étaient plus des motifs verticaux.

Frédéric Couchet : Un exemple ? Quels motifs de verticalité cette structure avait-elle par exemple ?

Nicolas Chauvat : Valentine et moi avons principalement travaillé dans des structures de petite taille, disons de moins de 20 personnes, ce qui ne nous empêche pas d’avoir côtoyé des entreprises plus grandes.
Typiquement, quand tu dis vertical, tu penses à hiérarchie, donc tu pourrais penser que la hiérarchie c’est un facteur de verticalité. Après, quand tu dépasses une certaine taille, avoir quelque chose de très plat, ça peut devenir plus compliqué. Admettons que vous soyez 250, si tu te retrouves dirigeant d’une organisation de 250 personnes, tu ne peux pas parler avec les 250 personnes en direct ! Tu comptes, ne serait-ce que 10 minutes pour parler à chaque personne une fois par mois, tu multiplies par 250, je pense que tu fais déjà des semaines de 50 heures. Tu es donc forcé de mettre des relais, d’une manière ou d’une autre, et, du coup, d’introduire une forme de hiérarchie et de verticalité. Comment faire quand on dépasse une certaine taille et qu’on veut être horizontal ? Ça peut-être un exemple de contradiction, de ce qui apparaît comme une contradiction.

Frédéric Couchet : Je suppose que cette question a été étudiée dans d’autres contextes, je suppose que des organisations assez grosses mettent en œuvre l’horizontalité. Je suis encore moins spécialiste que vous de la question.

Valentine Ogier-Galland : C’est aussi pour ça que nous sommes revenus de notre jugement de valeur, en disant « si on est une entreprise de 2000 personnes et qu’on veut être horizontal, on va avoir des motifs d’horizontalité, on va on va choisir des choses qu’on va faire pour améliorer notre horizontalité, mais on ne pourra peut-être pas faire pareil que dans une entreprise de 4 ou de 12 personnes ». L’important c’est d’être transparent sur là où on veut aller et les compromis qu’on fait. De toute façon, les compromis sont là, ils sont nécessaires. Plusieurs organisations nous dit : « Nous voulons être transparents, nous voulons absolument être transparents, par contre tout ce qui est RH, tout ce qui est ressources humaines, on ne peut pas, légalement on ne peut pas. »

Frédéric Couchet : Quand tu parles de ressources humaines, légalement on ne peut pas, c’est quoi ? Ce sont les fiches de paye, ce sont des salaires, ce sont les contrats de travail ?

Nicolas Chauvat : Tu as un contrat de travail. Quelqu’un vient te voir en disant « je veux rompre mon contrat de travail », je ne suis pas sûr que tu puisses annoncer à tous les membres de l’organisation, dans la minute, sur la messagerie instantanée, « untel m’a demandé de rompre le contrat de travail ». Il peut dire « attendez, je n’en ai parlé qu’au responsable du contrat. »

Valentine Ogier-Galland : Légalement, il y a des cadres. S’il y a un problème, on peut penser à d’autres problèmes qui nécessitent l’intervention d’une unité ressources humaines quelle qu’elle soit, légalement certains de ces problèmes doivent rester confidentiels. Donc confidentiel et transparence totale, ce n’est pas possible. Par contre, des organisations nous ont parlé de translucidité, à savoir : tu sais qu’il se passe des choses, tu sais qui a accès à quelle information, donc tout n’est pas transparent, par contre il n’ y a rien de caché.

Nicolas Chauvat : En tout cas, c’est explicite.

Valentine Ogier-Galland : C’est explicite que tu n’as pas le droit d’avoir cette information.

Nicolas Chauvat : Si tu penses qu’il y a un problème lié aux RH, par exemple, tu sais quelles sont les personnes qui ont accès à l’information, qui participent à la prise de décision.

Frédéric Couchet : Donc, éventuellement, tu peux aller les voir si tu veux t’impliquer ou avoir des informations dans la limite de la légalité et de la confidentialité personnelle, c’est ça ?

Nicolas Chauvat : Au moins, quand le fonctionnement est clair, ça supprime les occasions de créer des théories du complot.

Frédéric Couchet : Avant la pause musicale, une dernière question, on va rester sur le contrat de travail puisque c’était dans la liste des autres thèmes, mais ce n’est pas grave. La question c’était : quelle place pour le contrat de travail, qui est un outil de subordination, dans une structure qui se voudrait horizontale ? Est-ce que c’est un outil utile, un bâton dans les roues, ou ni l’un ni l’autre ?

Valentine Ogier-Galland : Comment faire sans contrat de travail ?, c’est la grande question. On avait parlé la dernière fois de notre interrogation : est-ce que le format compte ? Est-ce que le format est important dans l’horizontalité ? Être Scop, être d’autres formats un peu exotiques ?

Frédéric Couchet : Je voudrais juste rappeler que le contrat de travail n’est pas forcément obligatoire. Beaucoup de personnes pensent que c’est obligatoire, mais par exemple, notamment pour certains CDI dans le privé, ce n’est pas obligatoire. Je te laisse poursuivre.

Valentine Ogier-Galland : Ça demande de sortir vraiment du cadre. Le contrat de travail dit effectivement qu’il y a une relation de subordination qui n’est pas là quand on parle d’indépendants qui travaillent ensemble, par exemple. On a des organisations qui ont fait ce choix pour éviter d’avoir une subordination de fait, une gérance de fait, quelqu’un qui décide parce que, légalement, il faut quelqu’un qui décide, qui ont décidé d’être un ensemble d’indépendants qui se regroupent pour atteindre les objectifs de l’organisation. Ça demande donc de se poser des questions, ça demande de repenser le cadre et il y a des gens qui ne vont pas avoir l’habitude, que ça peut perturber, on sort vraiment de la zone de confort, on dit « tu viens bosser ici, mais tu n’as pas de contrat de travail. »

Frédéric Couchet : Je complète la question avant la pause, dans le contrat travail, au-delà de l’aspect hiérarchique, subordination, il y a le périmètre, pas des responsabilités, mais des actions de la personne, qui est, en fait, une liste qui est précisée dont, normalement, on ne sort pas.

Nicolas Chauvat : Souvent, ça peut être associé à une fiche de poste qui dit exactement ce qu’on est censé faire. Je ne suis pas expert de droit du travail, loin de là. Tu disais que ce n’est pas obligatoire. Valentine disait qu’on a vu des organisations qui ont fait pas mal d’efforts pour explorer cet espace de liberté et voir comment elles pouvaient, en restant conformes au droit, changer un certain nombre de choses. Le résumé là-dessus serait : ce n’est pas gratuit. Si tu fais au plus simple, de mon point de vue, ça va dans le sens de la verticalité plutôt dans le sens de l’horizontalité.

Valentine Ogier-Galland : Ce sont beaucoup d’efforts pour aller vers autre chose.

Frédéric Couchet : D’accord.
On va faire une pause musicale. Je voulais préciser que, fin 2023, la radio avait lancé un appel à financement participatif pour l’aider à boucler son budget. On avait reçu pas mal de soutiens dont d’ailleurs aussi Valentine Ogier-Galland, merci à elle. Une des personnes, Clément Oudot qui est un libriste mais qui est aussi artiste sous le nom de KPTN, avait été une des personnes à contribuer et, parmi les contributions, il y avait le choix d’une pause musicale. Comme il le dit lui-même, KPTN fait des chansons françaises mais amusantes, je précise que l’album de l’artiste KPTN s’appelle Flammes. Le message qu’il souhaite associer à sa musique c’est « KPTN, il est libre un max », voilà donc toute la référence. Il a proposé un titre. Nous allons écouter Irrésistant par KTPN. On se retrouve dans quatre minutes. Belle journée à l’écoute de Cause Commune, la voix des possibles.

Pause musicale : Irrésistant par KTPN.

Voix off : Cause Commune, 93.1.

Frédéric Couchet : Nous venons d’écouter Irrésistant par KTPN disponible sous licence Creative Commons CC By.

[Jingle]

Deuxième partie 48’ 08

Frédéric Couchet : Je vais corriger, Frédéric Couchet :